Extrait
Le quiétisme est un système mystique ; il est la forme sous laquelle le mysticisme parut au sein de l’Église catholique dans la seconde moitié du 17e siècle. Qu’est-ce donc, avant tout, que le mysticisme ? Nous exposerons nos idées actuelles sur ce sujet avec franchise, mais non sans défiance ; car la question n’est pas pour nous, tant s’en faut, suffisamment éclaircie, et nous n’ignorons pas qu’elle appartient aux régions les plus élevées de la théologie chrétienne.
Le mysticisme est fondé sur une fausse détermination des rapports entre l’homme et Dieu.
Le bon sens, qui est la meilleure des philosophies, et l’Évangile, qui dépasse toutes les spéculations humaines, constatent l’existence de la personnalité infinie de Dieu et de la personnalité finie de l’homme. Mais ces deux personnalités, quoique distinctes, ne sont pas isolées. Nous ne sommes pas Dieu et Dieu n’est pas nous : mais nous sommes en Dieu et nous ne saurions être hors de lui. Il y a donc un rapport ontologique entre l’homme et Dieu. Ce rapport, l’Évangile ne le formule nulle part, pas plus qu’il ne formule le rapport ontologique du second élément du fini, le monde, avec Dieu. Il le laisse dans une incertitude complète en posant le fini (l’homme et le monde) comme une création. Et c’est en vain que la raison humaine prétendrait l’éclaircir, car elle manquera éternellement d’une base indispensable, la connaissance objective de Dieu. L’histoire de la philosophie est là pour attester son impuissance et pour prouver clairement qu’elle ne peut statuer un rapport entre les deux termes qu’en absorbant l’un dans l’autre, c’est-à-dire en niant l’un ou l’autre, ce qui est précisément la négation du rapport cherché.
Mais si le christianisme, comme toute saine philosophie, ne statue rien sur le rapport ontologique de l’homme à Dieu, il formule clairement un autre rapport. Prenons l’homme tel qu’il est, ensemble harmonieux de trois facultés, l’intelligence, le sentiment, la volonté ; nous trouverons que l’homme peut connaître Dieu, l’aimer et lui obéir. Connaître Dieu : ce rapport est donc avant tout un rapport de connaissance ; il deviendra ensuite un rapport d’amour et d’obéissance.