« Alors, de parmi les buissons, à un moment donné, sort un grand pin, tout solitaire. Parvenu là, Jean-Luc subitement fit halte. Car il venait de voir une seconde trace qui s'en venait depuis les champs rejoindre l'autre sous le pin ; c'étaient des gros pas, cette fois, des pas d'homme. »
Trompé par sa femme, Jean-Luc perd son unique enfant et sa vie part à la dérive. À la fois martyr et meurtrier, il est victime des hommes qui sont les instruments de la fatalité. Les paysages nus et sauvages des montagnes valaisannes contribuent à la haute tension de ce roman. Jean-Luc persécuté, écrit en 1908, est une tragédie.
Introduction de Laura Laborie
Né en 1878 à Lausanne, C.F. Ramuz fait un premier séjour en Valais en 1906, à Chandolin. Il tombe amoureux de la montagne, son silence, sa beauté, sa brutalité le subjuguent. Jean-Luc persécuté est le premier roman du grand auteur dont la montagne est le décor.
Son oeuvre est aujourd'hui publiée dans la collection de la Pléiade.
« Surtout, pour la première fois, je me heurtais à la difficulté, car la nature n'est pas faite pour être seulement regardée. Je voyais qu'il y a une autre manière de la rejoindre et plus profondément que par les yeux, c'est avec le corps. »
Texte tardif (1939), Découverte du monde retrace les premières années de la vie de Ramuz, de son enfance lausannoise à son départ pour Paris, et jusqu'à ses débuts dans l'écriture. En revenant sur son itinéraire, l'autobiographe rend moins hommage à sa formation qu'il n'affirme sa vocation d'artiste.
Introduction de Luc Weibel
Je suis né en 1858, mais ne le dites pas.
Je suis né Suisse, mais ne le dites pas.
Dites que je suis née dans le pays de Vaud,
qui est un vieux pays savoyard, c'est-à-dire
de langue d'oc, c'est à dire français
et des bords du Rhône, non loin de sa source.
Je suis licencié ès lettres classiques, ne le dites pas.
Dites que je me suis appliqué à ne pas être licencié
ès lettres classiques, ce que je ne suis pas au fond,
mais bien un petit-fils de vignerons et de paysans.
« C'est Paris lui-même qui m'a libéré de Paris. Il m'a appris dans sa propre langue à me servir (à essayer du moins de me servir) de ma propre langue. »
« J'étais venu à Paris pour six mois ; j`y suis resté [...] plus de douze ans. » En évoquant ses propres séjours, Ramuz tend à son lecteur un miroir où se reflète l'image de tous ceux qui sont un jour montés à Paris. Pour le « petit Vaudois » qu'il est, « amusé, mais inquiet, et en même temps curieux et triste, et dépatrié, mais tout le temps repaysé », la Suisse romande est une « province qui n'en est pas une », française par la culture, suisse par la politique. À la frontière entre essai et autobiographie, Ramuz réfléchit avec brio aux relations entre centre et périphérie.
INTRODUCTION DE PIERRE ASSOULINE
En 1900, Ramuz (1878-1947) a 22 ans et débarque à Paris, où il s'apprête à entamer des études en Sorbonne. Soixante ans plus tard, ce futur géant de la littérature se remémore son arrivée dans la capitale et ses premières impressions, avec une fraîcheur, une sensibilité et une précision intactes.
Ces premières impressions parisiennes en rappellent d'autres, celles de Pierre Assouline, arrivé de Casablanca à Paris encore jeune lycéen, et pour l'occasion préfacier de Ramuz.
"On ne construit pas pour ceux qui s'en vont, on construit pour ceux qui viennent."
En 1914, C. F. Ramuz écrit Construction de la maison, qu'il ne publiera pas, et met au centre de ce récit la figure de Mme Catherine, extraordinaire de dureté et de courage. A travers l'histoire d'une famille de vignerons frappée par le malheur, l'écrivain affronte ses démons personnels. Arrivé à un tournant dans sa vie et sa carrière, il réaffirme par là les pouvoirs de la littérature, capable d'exprimer des angoisses et des espoirs autrement indicibles. Les paysages de Lavaux prêtent à cette tragédie une grandeur et une âpreté dignes de ses modèles bibliques.
Introduction de Stéphane Pétermann.
En 1914, Ramuz revient en Suisse après avoir vécu plus de dix ans à Paris. Il s'installe dans le Lavaux, rédige le manifeste des Cahiers vaudois (pour lesquels écriront Cingria, Roud ou Claudel) et travaille en parallèle à un roman qui restera inédit : Construction de la maison. Encore considéré comme un écrivain du terroir à la capitale, Ramuz pose avec cette première histoire qu'il campe dans le Lavaux, les bases de sa future reconnaissance littéraire et publique.
« Le petit enfant, assis sur un carré de toile à matelas dans le pré, tend la main vers un cerisier qui est bien à quarante pas de lui.
Ayant refermé sa main, il s'étonne qu'elle soit vide.
Il nous faut apprendre le monde depuis son commencement. »
Ramuz est de retour de Paris, il développe son style et ses thèmes qui ont fait de lui un auteur de premier plan. Ses audaces stylistiques lui ont d'abord valu le reproche de « mal écrire exprès ». Dès 1924, Grasset le publie et assure à cet inventeur de formes romanesques et explorateur de la langue française un succès critique et public. Son oeuvre est entrée dans la Pléiade en 2005.
Publié en 1905, Aline a connu une genèse tourmentée, qui témoigne des tâtonnements esthétiques d'un auteur en devenir. Ce court premier roman inaugure la longue série de variations sur l'amour et la mort, seuls sujets vraiment dignes d'être traités, de l'aveu de Ramuz. Portée par l'aspiration à une forme de simplicité expressive, l'histoire cruelle de l'adolescente séduite et abandonnée est déjà pétrie du pessimisme et du fatalisme dont l'écrivain ne se départira jamais. La tonalité tragique du récit est amplifiée par l'économie des moyens mis en oeuvre pour la restituer, qui ne laisse pas présager les audaces stylistiques dont Ramuz fera plus tard sa marque de fabrique. Autant de qualités qui ont valu à ce texte d'être salué par des générations de critiques comme la quintessence du talent du romancier.
Préface de Daniel Maggetti.
En 1905, le Lausannois Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947) a 27 ans, vit depuis une année à Paris où il étudie à la Sorbonne, fréquente Cingria, André Gide ou René Auberjonois. Il publie surtout son premier roman, Aline, coédité entre Lausanne et Paris. Le succès n'est pas immédiat, mais un écrivain est né. Aline sera réédité par Grasset en 1927, alors que Ramuz est devenu un auteur reconnu, et rejoindra ses textes majeurs, L'Amour du monde (1925) ou La Grande peur dans la montagne (1926).
Toute vie, à l'instar de toute oeuvre, est faite de chutes et de rebonds, comme le montre Une main. Dans ce texte autobiographique, Ramuz se dévoile, laissant le lecteur pénétrer dans son intimité, dans sa maison, son bureau, se mettant en scène torse nu et soumis à ses médecins autant qu'aux impératifs du corps. Car un jour d'hiver de 1931, à la mi-janvier, Ramuz glisse sur du verglas et se brise l'humérus gauche. Impossible d'écrire désormais. L'auteur réfléchit dès lors à sa relation à la création : sa vie, semble-t-il conclure, n'a de sens que par la place qu'elle occupera dans son oeuvre.
Un jour de janvier 1931, Ramuz glisse sur du verglas et se brise l'humérus gauche. Impossible d'écrire désormais. L'auteur réfléchit dès lors à sa relation à la création, revient sur soi. Un objet d'étude qui devient bientôt Une main, publié en 1933. Dans ce court et très beau texte, Ramuz, qui passe pour un écrivain peu enclin à la confidence, se livre avec une douce mélancolie teintée d'humour.
La collection « C. F. Ramuz »
Voici une série de volumes afin de rendre hommage à l'écrivain le plus important de Suisse romande. Parfois considéré à tort comme un glorificateur du terroir, C. F. Ramuz est avant tout un inventeur de formes romanesques, un explorateur des registres et des ressources de la langue, un essayiste en décalage, un nouvelliste hors pair, comparable à un Picasso. À travers des titres choisis par Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann, préfacés et annotés par des critiques aux horizons variés, cette collection ouvre l'accès à des textes peu connus, mais fait aussi découvrir autrement les oeuvres emblématiques de l'auteur.
Ces nouvelles ont été écrites pendant la toute première période d'écriture de Ramuz, En 1905, Ramuz (1878-1947) a 27 ans, il vit depuis une année à Paris. Il publie son premier roman, Aline, coédité entre Lausanne et Paris, réédité par Grasset en 1927.
« Derborence, le mot chante triste et doux dans la tête pendant qu'on se penche sur le vide, où il n'y a plus rien, et on voit qu'il n'y a plus rien. »
Une fois n'est pas coutume, Ramuz s'inspire de faits authentiques pour publier, avec Derborence, son roman le plus célèbre : l'histoire d'Antoine, berger valaisan, qui revient à la vie après avoir été enseveli sous un éboulement dans la montagne.
Introduction de Peter Utz
La collection « C. F. Ramuz »
Une série de volumes afin de rendre hommage à l'écrivain le plus important de Suisse romande. Parfois considéré à tort comme un glorificateur du terroir, C. F. Ramuz est avant tout un inventeur de formes romanesques, un explorateur des registres et des ressources de la langue, un essayiste en décalage, un nouvelliste hors pair, comparable à un Picasso. Cette collection ouvre l'accès à des textes peu connus, fait aussi découvrir autrement les oeuvres emblématiques.
Une ville de quatre ou cinq mille habitants, un petit monde où les gens se contentent d'un beau soleil et d'une belle eau, parmi les vignes. Mais lorsque Louis Noël, grand voyageur, se met à raconter la vie sous d'autres cieux ; qu'un illuminé se prenant pour le Christ se promène sur la plage ; qu'un cinéma s'installe et fait office d'usine à rêves, l'imaginaire fait irruption dans le quotidien réglé, « une fenêtre a été ouverte sur le monde ».
Au début des années 1920, Ramuz (1878-1947) est à son apogée : à Paris, ses textes sont défendus par Aragon, Breton ou Claudel ; les journaux lui consacrent leurs pages littéraires, tandis que sa situation matérielle s'améliore. Parallèlement, l'écrivain publie plusieurs de ses textes majeurs : L'Amour du monde (1924), La Grande Peur dans la montagne (1926) et La Beauté sur la terre (1928).
Avec Taille de l'homme, Ramuz examine différentes formes d'organisations sociales pour souligner le caractère universel de la condition humaine, rendu plus évident à ses yeux par la mondialisation. Christianisme, bourgeoisie, communisme, matérialisme, autant de concepts que Ramuz déconstruit pour renouer, dans un mouvement néo-rousseauiste, avec une pensée proche de la nature, à taille humaine.
« Qui sommes-nous encore dans notre taille, nous autres hommes ? Quelle est encore notre mesure, alors que l'univers est chaque jour et en tout sens plus minutieusement mesure ? »
La renommée de Ramuz est confirmée au cours des années 1930, en France comme en Suisse. Côté roman, c'est la décennie de Farinet (1932), Derborence (1934), de Si le soleil de revenait pas (1937). Parallèlement, Ramuz publie des essais, Taille de l'homme (1933), Questions (1935) et Besoin de grandeur (1937). Il y médite sur les valeurs qui peuvent fonder l'existence, y scrute les faiblesses des sociétés de l'époque, capitalistes, fascistes ou communistes.
Juliette, 19 ans, débarque de Cuba au printemps dans une communauté vigneronne petite et étriquée, prise entre lac et vignes ; et la quittera secrètement en août pour une destination inconnue. Elle a beau être la nièce du cafetier Milliquet, Juliette restera une étrangère, foncièrement différente des villageois, principalement par sa beauté mystérieuse. Sa présence éphémère au sein des habitants va modifier fortement leur quotidien. Car elle possède une sorte de don, de pouvoir magnétique d'attraction. Mais Juliette, en toute innocence, va diviser le groupe jusqu'au drame. Ce texte lie les thèmes de la beauté, de la solitude et du désir sexuel pour dire l'imperfection du monde.
La proximité de Ramuz avec la peinture, celle de Cézanne en particulier, et avec la musique, populaire comme celle de Stravinski, est magistrale dans ce roman, La Beauté sur la terre, paru en 1927 chez Mermod à Lausanne et en 1928 chez Grasset à Paris. C'est un roman presque d'action, que la critique a abondamment salué.
« Pourquoi est-ce que les choses sont ainsi posées autour de nous ? je les aime, mais, elles, est-ce qu'elles m'aiment ? je les vois, est-ce qu'elles me voient, je leur parle, est-ce qu'elles m'entendent ? la communication ne se fait que dans un sens. »
Inédit du vivant de Ramuz, Posés les uns à côté des autres (1934) est son roman le plus personnel. Dans le cadre du village vigneron qu'il habite, l'écrivain juxtapose des intrigues dont les protagonistes se croisent sans se connaître ni se comprendre. Cette séparation des êtres entre eux, « posés les uns à côté des autres », est à l'origine de la solitude tragique des personnages ramuziens, rendue plus aiguë encore par la beauté des paysages lacustres baignés de lumière.
Introduction de Rudolf Mahrer
Né à Lausanne en 1878, Ramuz passe dix ans à Paris avant de s'installer dans les vignes du Lavaux, puis à Pully. Son audace stylistique, d'abord critiquée, lui vaut aujourd'hui de figurer parmi les grands de la littérature, et depuis 2005 dans la Pléiade. Dans ses derniers textes, Ramuz met en scène ses préoccupations personnelles d'homme pour qui la mort approche, notamment à travers Fin de vie et Posés les uns à côté des autres, jamais publiés de son vivant.
« - Vous êtes un homme, il ne faut pas l'oublier, et moi une femme ; on n'est pas des anges, qu'en pensez-vous ?»
Avec Adam et Ève (1932), Ramuz donne corps à un projet qui l'a occupé pendant plusieurs années, et qui n'est rien moins qu'une réécriture des premiers chapitres de la Genèse. Destiné à « illustrer un vieux mythe d'Occident », le roman démontre la fatalité de la Chute. En peignant la désillusion de Louis Bolomey, Ramuz brosse une vision de la condition de l'homme sur terre qu'il assimile à un long désenchantement.
Charles-Ferdinand Ramuz, né en 1878 à Lausanne, vit dix ans (1904-1914) à Paris où il fréquente Charles-Albert Cingria, André Gide. En 1914, il revient en Suisse et s'occupe des Cahiers vaudois, fameuse revue qui réunit lCingria, René Auberjonois, Gustave Roud, Romain Rolland et Paul Claudel.
Son oeuvre est une variations sur l'amour et la mort. Ses audaces stylistiques lui valent le reproche de mal écrire « exprès ».
Son oeuvre est aujourd'hui publiée dans la collection de la Pléiade.
Dans ces nouvelles tardives, écrites entre 1943 et 1947, Ramuz déploie un imaginaire de la vie entravée, obnubilé par le vieillissement, la maladie et la mort. Parfois détachés d'un roman en gestation, ces récits largement méconnus participent d'une esthétique de l'incomplétude et de la juxtaposition des scènes du monde ; ils dévoilent la modernité d'un écrivain qui a atteint une maîtrise virtuose de la narration.
Charles-Ferdinand Ramuz est l'écrivain le plus important de Suisse romande. Né en 1878, ces nouvelles ont été écrites pendant sa toute dernière période d'écriture, entre 1943 et sa mort, survenue le 23 mai 1947.
Dès 1924, Grasset publie les livres de Ramuz et lui assure ainsi un succès auprès des critiques et du public.
Son oeuvre est aujourd'hui publiée dans la collection de la Pléiade.
« Toute vie va finir. Il y aura une chaleur croissante. Elle sera insupportable à tous ceux qui vivent. Il y aura une chaleur croissante et rapidement tout mourra. Et néanmoins rien encore ne se voit. »
Dans son titre déjà, Présence de la mort envisage l'inéluctable disparition de toute chose, face à une catastrophe imminente. En 1922, C. F. Ramuz ne pouvait songer au réchauffement climatique ni même à l'effondrement de la société post-industrielle. Mais le tableau qu'il dresse dans ce roman d'anticipation est plus que jamais devant nous : sous le coup du cataclysme, le délitement de l'ordre social et des liens qui le sous-tendent annoncent la fin de l'expérience humaine telle que nous la connaissons.
C. F. Ramuz est avant tout un inventeur de formes romanesques, un explorateur des registres et des ressources de la langue, un essayiste en décalage, un nouvelliste hors pair, comparable à un Picasso. À travers des titres choisis par Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann, préfacés et annotés par des critiques aux horizons variés, cette collection ouvre l'accès à des textes peu connus, mais fait aussi découvrir autrement les oeuvres emblématiques de l'auteur.
Potache, complice, philosophe, introspectif, ironique : le lecteur est ébloui par la vitalité et la variété de tons qu'adopte Ramuz dans ces cinquante lettres. Il traverse à grands pas la vie foisonnante d'un C.F. Ramuz qui s'avère fin épistolier. Il y est question d'écriture comme de problèmes d'eau chaude ou d'argent, de jardinage, de projet de revue ou de Paris. C'est aussi parfois simplement l'occasion d'une franche rigolade (cf la lettre à Ansermet). A la fin de sa vie, malade, le contraste est d'autant plus émouvant. Voici un Ramuz dans son quotidien, qui s'amuse, s'inquiète, et s'interroge sur l'écriture et sur la mort. C'est passionnant.
C.F. Ramuz est avant tout un inventeur de formes romanesques, un explorateur des registres et des ressources de la langue,un Picasso de l'écriture, un essayiste, un nouvelliste hors pair. À travers des titres choisis par Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann, préfacés et annotés par des critiques aux horizons variés, la Petite bibliothèque ramuzienne ouvre l'accès à des textes peu connus, mais fait aussi découvrir autrement les oeuvres emblématiques de l'auteur.