"Rei éprouva comme une brûlure d'estomac, une chaleur acide, à la fois intense et diffuse, qui vous monte à la gorge. Un énorme bloc d'émotions glacées se mettait à fondre peu à peu sous l'effet de cette chaleur intérieure dormante. Le temps se défossilisait, recommençait à trembler."
Tokyo, 1938. En pleine guerre entre le Japon et la Chine, quatre violonistes amateurs se réunissent régulièrement pour répéter. Un jour, ils sont interrompus par des soldats, soupçonnés de comploter contre le pays. Caché dans une armoire, Rei assiste à l'arrestation de son père. Cet événement constitue pour lui la blessure première qui déterminera son destin... Mais le passé peut-il être réparé ?
Prix des Libraires 2020.
En 1939, Jun est étudiant au Conservatoire de Paris. Mais le conflit sino-japonais le contraint à rentrer au Japon. En quittant la France, il laisse derrière lui son grand amour, sa ' reine de coeur ', la jeune Anna. L'épreuve de la guerre sera d'une violence monstrueuse.
Des années plus tard, Mizuné, une jeune altiste parisienne, découvre un roman qui lui rappelle étrangement le parcours de ses grands-parents, Jun et Anna, qu'elle n'a jamais connus. Bouleversée par la guerre et la folie des hommes, leur histoire d'amour, si intimement liée à la musique, pourrait bien trouver un prolongement inattendu.
Le passé récent du Japon et les atrocités commises au nom de la grandeur nationale, la musique vécue comme ce que l'humanité porte en elle de meilleur, la transmission du passé malgré les silences familiaux, l'amour de la langue française : dans ce roman à la fois émouvant et captivant, Akira Mizubayashi continue d'explorer les thèmes qui lui sont chers.
Sen-nen - prénom japonais dont la signification ne se révélera que tardivement - est marié à Mathilde, une Française. Ancien professeur de littérature française dans une université à Tokyo, Sen-nen vit désormais à Paris avec sa femme, atteinte d'une grave maladie qui l'oblige à garder la chambre. Tous deux mélomanes, ils se sont connus lors d'un stage de musique en France. Bien avant cela, à Paris, Sen-nen avait fait la rencontre capitale d'une cantatrice, Clémence, qui chantait Suzanne dans Les Noces de Figaro. Ébloui, il avait assisté à toutes les représentations et s'était lié d'amitié avec elle. Des années plus tard, alors qu'il l'a perdue de vue, il reçoit un message de Clémence : Les Noces sont redonnées à l'Opéra, dans la mise en scène originelle qu'elle est chargée de superviser. Mathilde laisse son mari aller à la rencontre du passé, pour une longue conversation dans laquelle la musique et l'amour tiendront une place centrale.
"Le jour où je me suis emparé de la langue française, j'ai perdu le japonais pour toujours dans sa pureté originelle. Ma langue d'origine a perdu son statut de langue d'origine. J'ai appris à parler comme un étranger dans ma propre langue. Mon errance entre les deux langues a commencé... Je ne suis donc ni japonais ni français. Je ne cesse finalement de me rendre étranger à moi-même dans les deux langues, en allant et en revenant de l'une à l'autre, pour me sentir toujours décalé, hors de place. Mais, justement, c'est de ce lieu écarté que j'accède à la parole ; c'est de ce lieu ou plutôt de ce non-lieu que j'exprime tout mon amour du français, tout mon attachement au japonais.
Je suis étranger ici et là et je le demeure."
Akira Mizubayashi.
Dans un placard dont on a fait un sanctuaire ne ressemblant en rien à un sanctuaire et qui abrite discrètement quelques âmes inoubliables et inoubliées, il y a une petite boîte en bois laqué pour le thé en poudre. Elle contient une toute petite portion des cendres de mon père que j'avais prélevée dans son urne avant qu'elle ne fût mise en tombe. Lorsque j'ai préparé cette boîte mortuaire il y a déjà dix-huit ans, j'ai osé prendre une pincée de miettes d'os pour en goûter. Bientôt, je crois que j'en ferai autant pour Mélodie dont je garde toujours l'urne près de moi sur l'emplacement exact de son matelas. Je me procurerai une autre boîte en bois laqué pour y mettre quelques cuillerées de poudre d'os et une partie de l'omoplate ou d'une côte. Le reste sera répandu dans le jardin ou ailleurs pour retourner à la terre.
Akira Mizubayashi
"C'est cet effort d'absence volontaire, de déracinement voulu, de distanciation active par rapport à son milieu qui paraît toujours naturel, c'est donc cette manière de s'éloigner de soi-même - ne serait-ce que momentanément et provisoirement -, de se séparer du natal, du national et de ce qui, plus généralement, le fixe dans une étroitesse identitaire, c'est cela et surtout cela que j'appellerai errance."