Dans un pays imaginaire, dont cependant la carte est tracée, tous les lieux possibles de la collision politique sont distribués : îles des vieilles sociétés marchandes et bancaires, Sud-Ouest tropical, Nord-Est des mines et de l'acier, midi des ports, centre montagneux et agraire. Il y a aussi la ville, où siègent les pouvoirs. L'horizon du monde est celui d'aujourd'hui : grandes puissances nucléaires, Chine, guerres, marxisme controversé. Là, se joue une partie dont les acteurs sont à la fois collectifs (ouvriers, paysans, jeunesses, pêcheurs, politiques professionnels, industriels, ministres, soldats et officiers, femmes du peuple, postiers, musiciens, immigrés, intellectuels...) et plus spécifiés, grandes âmes : les personnages, qu'ils soient d'un bord ou de l'autre, mesurant leurs partages, leurs amours, leurs fidélités, au mouvement général qui va faire basculer le pays de l'autre côté de la guerre civile, vers les problèmes irrésolus de son édification révolutionnaire. Au centre de ce qui advient, pour la première fois, sujet véritable d'une oeuvre lyrique, le parti politique, questionné de bas en haut, divisible, au ras du monde. Et, avec lui, le marxisme, omniprésent dans une diffusion littéraire étrange, mis à la question des grandes formes poétiques, ici serrées sous des noms d'opéra : airs, ariosos, récitatifs. De cette fusion de tous les moyens littéraires hérités et d'une conviction inentamable, naît ce romanopéra, où le propos d'un art marxiste et fastueux se soutient, peut-être, pour la première fois.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
La question de l'idéologie est l'exemple le plus frappant d'un concept mis à l'épreuve et scindé par le mouvement réel. Marquée par Althusser du sceau d'infamie de ce qui s'oppose à la science, l'idéologie, après mai 1968, s'est au contraire vue chargée de tous les pouvoirs transfigurateurs requis par les limites politiques de la tempête. C'est l'époque où les scribes de la bourgeoisie parlent de « crise de la civilisation », et où la Gauche Prolétarienne lit dans l'Histoire une prétendue étape de « révolutionnarisation idéologique des masses ». Notre intervention véhicule donc un bilan. Il s'agit de prendre appui sur les points forts (la critique de masse du révisionnisme) pour évaluer et rectifier les points faibles (l'adoption d'un point de vue de masse indifférent à l'analyse de classe). Il en résulte que la dialectique classe/masse est le centre de gravité de ce livre. C'est armé de cette dialectique qu'on peut correctement investir et ruiner, sans concéder quoi que ce soit au révisionnisme, les derniers royaumes de l'idéologisme « ultragauche » : Deleuze et son désir, Glucksmann et son goulag. Le déploiement de la dialectique classe/masse engendre à son tour les deux thèses les plus importantes et, au moins dans leur formulation, les plus nouvelles : - l'existence dans toute révolte révolutionnaire des masses, quelle que soit l'époque considérée, d'aspirations égalitaires, anti-propriétaires et anti-étatiques, que nous désignons ici du nom d'« invariants communistes » ; - la reconnaissance du prolétariat comme puissance logique. L'idéologie s'est toujours scindée, et tout reflet est reflet de classe. Le prolétariat est cependant ce qui donne forme à la contradiction, divise la logique elle-même, et soumet irréversiblement la pensée à la reconnaissance de sa propre scission. Le prolétariat n'est pas l'inventeur de la résistance idéologique : il en est le premier logicien.