Avaleuse d'eau mortelle, aux abois, tombée de la branche, elle cuve au vent son poison, son philtre, sa drogue, son remède, et retrouve au sol son frère guéri par la foudre. Le pacte est scellé et l'odyssée commence, contre la mort toute-puissante criée à l'oreille. Corps lancés, gueule ouverte, dans les forêts, les coulées, les ravins, franchissant les barrages la tête au ciel. Corps excités par une langue addictive et haletante, par une langue qui donne à la vie une soif égale à la sienne. Qui boira la ciguë, qui mourra de la soif, qui vivra verra.
Le temps presse, il faut tout risquer, la mort ne vient pas. La lèvre déchirée cherche le reste du corps dans l'habit des animaux. S'il n'y a personne, il y a beaucoup de choses, à déterrer, à casser, à perdre. C'est un jeu pour agacer la fin. La langue fuit la bouche, gagne du terrain, fouille les buissons. Un filet de bave éteint un feu dans les herbes sèches. Soudain la peur, puis la tornade où lâcher des bonbons. La voix embue un petit miroir. Premier sourire. C'est le livre des lumières vivantes, de la terre et du ciel sans nuit, du visage brisé par le chant.
De l'enfant à la vieille bête, celle qui aura tout avalé voudra tout revoir, pour une dernière marche en forêt. Le temps presse, il faut tout risquer, le coeur enterré allumé.
Rosebud façonne une langue de l'éclosion, une écriture du happement et de l'esquive, qui se diffracte en scènes éclair, en énigmes, qui cherche à contenir en appelant, là où éclore, c'est tout à la fois mourir, avorter, disparaître. Si la célèbre séquence finale de Citizen Kane d'Orson Welles, à laquelle fait allusion le titre Rosebud, constitue à l'évidence l'aiguillon de ce livre, c'est l'objet du désir, élusif, que les poèmes tentent de saisir, et le ravissement paradoxal d'une seule image : l'inconnaissable.