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Ariane Eissen
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Le fait est entendu : Ismail Kadaré est l'un des romanciers contemporains les plus reconnus au plan international, et digne du Nobel. Mais savons-nous le lire dans toute sa complexité ? Il se pourrait bien que la reconnaissance n'aille pas ici sans une part de méconnaissance.
Cherchant à interpréter l'oeuvre sans la rabattre sur les commentaires de son auteur, se fondant sur des études de réception et l'examen de la presse de propagande, redonnant une place aux poèmes, souvent non traduits, dans l'analyse critique, cet essai tente de mettre au jour d'autres visages de l'écrivain : un Kadaré plus engagé qu'on ne le croit dans la vie intellectuelle du régime communiste et dans l'illustration de l'identité albanaise - mais aussi un Kadaré d'autant plus singulier et, finalement, irréductible. -
Lectures d'Ismail Kadaré
Véronique Gély, Ariane Eissen
- Presses universitaires de Paris Nanterre
- 9 Juillet 2021
- 9782821850880
Lorsque, au début des années 1980, avant la chute du rideau de fer, les romans de Kadaré commencèrent d'être traduits et connus en France, puis en Europe et ailleurs, ils fascinaient certes, mais ils ne satisfaisaient vraiment personne sur le plan de l'idéologie. Car il y avait dans ces textes trop de marxisme et trop de nationalisme pour que leur auteur ne soit pas suspecté, à droite, d'être le produit du communisme albanais, en clair, de ne pas être un authentique dissident, et il y avait en même temps en eux trop d'archaïsme, pas assez de réalisme socialiste pour que, à gauche, les nostalgiques de l'utopie albanaise ne se sentent pas trahis par lui. Or, depuis 1990, l'hypothèque n'a pas été levée. Au contraire, c'est un véritable procès qui a été peu à peu instruit : les soupçons étrangers rencontraient les soupçons albanais, et réciproquement. L'auteur était sommé de se justifier d'être toujours vivant et d'avoir pu publier. L'homme et son oeuvre étaient suspectés d'ambiguïté, de défaut de clarté : trop d'ombre. Or, précisément, ce qui caractérise l'écriture de Kadaré, c'est qu'il ne cherche pas le centre, la pleine lumière, mais explore les zones d'ombre et de brouillard. Pour cela, son choix est d'être en permanence à la frontière...