syngué sabour, n.f. (du perse syngue «pierre», et sabour «patiente»). Pierre de patience. Dans la mythologie perse, il s'agit d'une pierre magique que l'on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misères... On lui confie tout ce que l'on n'ose pas révéler aux autres... Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu'à ce qu'un beau jour elle éclate... Et ce jour-là on est délivré.
11 mars 2001 : les Talibans détruisent les deux Bouddhas de Bâmiyân, en Afghanistan.
Le même jour basculent la vie d'un porteur d'eau à Kaboul et la vie d'un exilé afghan entre Paris et Amsterdam.
Un prince est debout, insouciant, tenant une coupe à la main. Derrière lui, sur un lit, gît un corps poignardé. Deux musiciens, dans un coin de la pièce, jouent du luth et de la guimbarde. À l'extérieur, derrière la porte, deux soldats montent la garde : l'un est armé d'une grande épée et d'un écu, l'autre d'un filet de rétiaire et d'une lance gigantesque. Ils sont tous calmes, sereins, sauf une femme, cachée derrière une jalousie ; elle a une expression bizarre, inquiète et en même temps persifleuse. Sans doute est-elle la seule à connaître le mystère de ce meurtre, et la menace qui vise le prince. Enfant, Raoul était attiré par cette miniature ancienne, et cela alors qu'il éprouvait en le contemplant un malaise indéfinissable, une sensation étrange. Chez ses grands-parents, il se postait devant cette peinture, inventait des histoires dans lesquelles il s'identifiait toujours au prince ; et il attribuait une voix à cette femme qui observait la scène, une voix qui susurrait tantôt avec inquiétude, tantôt avec ironie : «Bouge, Rassoul, bouge!»
Il faut nommer l'horreur, sinon elle reviendra. Elle reviendra sous le nom qu'elle voudra, sous le masque qui l'enchantera.
À l'occasion d'un tournage au Rwanda, Atiq Rahimi a tenu des carnets de travail, avec dessins et croquis, des notes prises sur le vif qui lui ont inspiré ce conte sur l'horreur du génocide. Une expérience qui entre puissamment en résonance avec sa propre histoire.
Un pont, une rivière asséchée dans un paysage désolé, la guérite d'un gardien mal luné, une route qui se perd à l'horizon, un marchand qui pense le monde, un vieillard, un petit enfant, et puis l'attente. Rien ne bouge ou presque. Nous sommes en Afghanistan, pendant la guerre contre l'Union soviétique. Le vieil homme va annoncer à son fils qui travaille à la mine, le père du petit, qu'au village tous sont morts sous un bombardement. Il parle, il pense : enfer des souvenirs, des attentes, des remords, des conjectures, des soupçons... C'est une parole nue qui dit la souffrance, la solitude, la peur de n'être pas entendu.
" L'exil ne s'écrit pas. Il se vit.
Alors j'ai pris le calame, ce fin roseau taillé en pointe dont je me servais enfant, et je me suis mis à tracer des lettres calligraphiées, implorant les mots de ma langue maternelle.
Pour les sublimer, les vénérer.
Pour qu'ils reviennent en moi.
Pour qu'ils décrivent mon exil. "
Ainsi a pris forme cette ballade intime, métissage de mots, de signes, de corps.
Celui qui se dit " né en Inde, incarné en Afghanistan et réincarné en France " invente une langue puissante, singulière et libre.
Une méditation sur ce qui reste de nos vies quand on perd sa terre d'enfance.
En persan 'mille maisons' désigne le labyrinthe, cette étendue où issue et impasse se confondent ; le temps s'arrête, l'obscurité et la terreur s'installent. Et la moindre tache blanche évoque le soleil. Au temps des dictatures, Kaboul et l'Afghanistan tout entier n'étaient-ils pas cette étendue, ce labyrinthe? Cinq personnages pris dans la nasse essaient d'échapper à la terreur par l'ivresse ou la folie, par la mort, par l'amour.
Confinés séparément en 2020, le père et la fille se sont écrits. Leur correspondance s'engage dans le récit d'une famille bouleversée par la politique, l'exil et l'art.
@tiq
Alice,
Tous ces mots pour te dire - avec le dessein de justifier mes maladresses envers toi et ton frère -, que nous, tes parents, sommes venus ici en France avec les codes et les normes de notre culture d'origine ; et vous, les enfants, vous êtes nés ici, vous avez grandi ici, avec les repères d'ici.
Comment nous rapprocher ?
@lice
Mon père, mon ami,
Je porte vos angoisses et vos souffrances comme tu portes celles de tes parents.
Mais serai-je capable de me débarrasser des angoisses de mes aïeux pour ne garder que les miennes ? Celles qui rempliront déjà lourdement le sac de mes enfants, les rendant bossus bien trop tôt.
Parce que je ne peux pas guérir mes ancêtres, Bâba !