" C'était Anna qui avait voulu prendre le car. Ils auraient pu louer une voiture ou voyager avec la vieille Opel de Joseph qui, bien que toussotante, roulait encore. Elle préférait que le voyage dure. Il n'y avait qu'un départ par jour et, sous l'abri métallique, attendaient déjà une vingtaine de personnes. C'était le début de l'après-midi, mais sous le ciel plombé, il faisait sombre comme au soir et les enseignes lumineuses s'étaient allumées. Sur un mur, au-dessus d'une rangée de fenêtres obscures à l'angle d'un immeuble clignotaient des néons, plus ou moins vite, plus ou moins haut, clignotaient sans relâche, sans souci de l'heure, chacun avec sa cadence propre. [...] Dans l'affolement des couleurs Anna ne parvenait pas à fixer son attention. Joseph n'était pas encore là. "
" La parenthèse, à cet instant, lui parut le mode idéal de la relation amoureuse, la porte ouverte et refermée au gré des humeurs, la bousculeuse d'habitudes sans promesses ni contraintes, sans droits ni devoirs, sans scrupules ni regrets, avec juste ce qu'il fallait de projets. Le passé et l'avenir nichaient dans le présent et les moments volés. Liberté, égalité, tant qu'on voudrait, bien que, côté fraternité, cela laissât un peu à désirer. On se colle, on se racole, on se prend, on se jette, ni quête ni exigence. L'eau coule quand on ouvre les vannes, et personne ne se soucie de savoir dans quels tuyaux fendus elle disparaîtra. On ne s'aime pas. Ce sera moins douloureux. "