Le rapport à l'animal s'est beaucoup transformé depuis vingt ans dans les sociétés occidentales. Les violences faites aux animaux sont insupportables et l'extinction de millions d'espèces est perçue comme une catastrophe. Nous avons changé de paradigme. Nous sommes passés de l'animal-machine des cartésiens avec lequel tout est permis à l'animal-peluche des végans qu'il faut caresser et protéger. C'est un progrès, mais penser l'animal comme il est et non comme nous le fantasmons constitue toujours un défi philosophique. S'atteler à cette tâche est urgent : nous comprenons aujourd'hui que l'humain s'est constitué dans la texture de l'animalité et que l'émergence d'animaux-robots annonce des bouleversements majeurs.
Dominique Lestel est un philosophe qui développe une éthologie philosophique originale. En 2017, il a été lauréat de la Japan Society for the Promotion of Science, et en 2018-2019, il a été un Berggruen Fellow au Center for Advanced Studies in the Behavioral Sciences, à Stanford University, où il a écrit ce livre.
L'humanisme occidental a favorisé non seulement une coupure entre l'homme et la nature, mais il s'est construit sur une véritable haine vis-à-vis d'elle qui finit par s'appliquer à l'humain lui-même dans le rêve de le remplacer par des machines. Le post-humanisme contemporain réalise l'humanisme dans toute sa splendeur - ou plutôt dans son désastre : il achève le fantasme mortifère de l'autonomie de l'humain par rapport au monde.Nombreux sont les écrivains et les philosophes à avoir mis en garde contre les techniques ; mais ils l'ont fait sur un registre moral, alors que l'enjeu est écologique et spirituel. Il faut assumer l'idée que l'homme et la nature sont ontologiquement consubstantiels. À quoi sert l'humain ? À tenir sa place dans le monde.Alternant les analyses philosophiques et les dialogues avec un penseur chinois atypique, cet essai profond, polémique et jubilatoire décloisonne l'héritage philosophique occidental en faisant appel à un animisme dont nous avons grand besoin aujourd'hui pour réapprendre à vivre dans ce monde. Dominique Lestel est un philosophe qui travaille depuis vingt ans sur les intoxications conjointes de l'humain et du non-humain. Il a publié de nombreux livres sur le sujet, en particulier L'animal est l'avenir de l'homme (Fayard, 2010) et Apologie du carnivore (Fayard, 2011). The Friends of My Friends. A New Look at Human/Animal Relationships (Columbia University Press, 2015). La revue anglaise Angelaki: Journal of the Theoretical Humanities a consacré un numéro spécial à son travail en 2014.
La question de notre rapport aux animaux est sans conteste un enjeu politique, philosophique et éthique majeur de notre époque. Peut-on encore fonder notre rapport au monde animal sur la conception cartésienne de « l'animal-machine » ? Comment expliquer que les défenseurs des animaux soient considérés comme des êtres trop sensibles et vaguement pathétiques, des ennemis de l'homme ? Dominique Lestel pense à l'inverse que le souci porté aux animaux est une preuve d'humanisme, voire d'humanité et le démontre dans cet essai enlevé et engagé. Il montre combien l'animal est pour l'homme un interlocuteur à part entière et parfois un partenaire, auprès duquel nous avons contracté une dette infinie. Revenant notamment sur la question de l'expérimentation animale (sans pour autant y être absolument opposé), il plaide pour le développement d'une bioéthique de la réciprocité, partant du principe que si nous prenons beaucoup à l'animal, nous devons aussi lui donner. Un livre de philosophie pratique, destiné bien sûr à donner des munitions à tous ceux qui persistent à défendre la cause animale, mais aussi à tous ceux qui souhaitent réconcilier animalisme et humanisme.
Etre végétarien serait un choix éthique hautement respectable tandis que le carnivore serait voué aux gémonies. Et si c'était l'inverse ? Caractérisant le « végétarien éthique » comme celui qui refuse de se laisser intoxiquer par l'animal, Dominique Lestel considère que cette attitude rétablit la frontière fondatrice « hygiénique » entre l'homme et l'animal. Constatant que, face à un végétarien, un carnivore avance souvent des arguments d'une faiblesse désolante, Dominique Lestel se livre ici à une mordante apologie du carnivore, à rebours des thèses habituellement admises. Il estime qu'être carnivore et manger de la viande est plus « éthique » qu'être végétarien. Pour lui, manger de la viande est le seul moyen de nous rappeler que nous appartenons au règne animal et que notre chair est chair animale. Lestel plaide finalement pour un renouvellement de notre « philosophie du manger » : au lieu de nous interdire de manger l'animal au nom d'une vision du monde inspirée de l'univers de Walt Disney et teintée de culpabilité chrétienne, nous devrions plutôt militer pour que les animaux puissent également nous manger - selon une logique radicale de la réciprocité qui est le principe même du vivant. Car le vrai problème est aujourd'hui celui des élevages industriels, véritable ignominie des temps présents, et non celui de la consommation de viande, que le philosophe entend bien réhabiliter.
Que se passe-t-il lorsque, après la science-fiction,
la philosophie se saisit de la question des robots ?
Ils sont pensés comme des « machines insurrectionnelles » : une intelligence artificielle (IA) avec un corps particulier, ni animal ni végétal, qui déstabilise l'Évolution
et déconcerte les hommes qui doivent constamment négocier avec elles.
Dans la lignée de ses travaux pionniers sur le rapport homme-animal,
Dominique Lestel prolonge dans cet essai sa réflexion sur ce que signifie « être vivant »
en dehors de la notion d'espèce. Il plaide ainsi pour que la robotique autonome
ne soit plus pensée dans un cadre purement instrumental
mais entre dans un espace existentiel, telle que nous la vivons chaque jour,
nous engageant dès lors sur la voie d'une révolution ontologique.
Cet essai novateur dans son propos ne l'est pas moins dans sa conception.
Killoffer, dessinateur et scénariste, a relevé le défi d'illustrer le livre,
ou plutôt, à l'instar de ce que l'Intelligence artificielle fait aux hommes,
de questionner le texte en imaginant quelle bande dessinée il pourrait être.
Dominique Lestel enseigne la philosophie contemporaine à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm. Il est un théoricien reconnu du domaine émergent de l'éthologie philosophique. Son dernier livre paru est Nous sommes les autres animaux (Fayard).
Killoffer fait des dessins pour amuser la galerie, pour illustrer des livres ou des journaux (d'ailleurs il fait lui-même un journal : Mon Lapin Quotidien) et pour raconter des histoires. Son dernier livre paru est Killoffer tel qu'en lui-même enfin (L'Association).