La révision bienvenue et nécessaire de l'anthropocentrisme se paye aujourd'hui d'une tendance à la confusion et à l'indistinction. Ce règne de l'indistinction franchit avec les plantes aimantes et souffrantes une limite que rien n'autorise à franchir. Les plantes ne souffrent pas ; la souffrance est une expérience vécue par un corps propre. Et elles ne meurent qu'en un sens très relatif. Théophraste, déjà, remarque qu'un " olivier qui avait été un jour complètement brûlé reprit vie tout entier, corps d'arbre et frondaison ". Or, mourir en un sens relatif n'est pas mourir, car la mort est la fin absolue et irréversible de tous les possibles. Un animal, ou un humain, est soit vivant soit mort.
L'inépuisable variété des plantes, la beauté de la moindre fleur sauvage au bord des routes, la magie de ce qui sourd d'une graine sèche, offrent l'image d'une vie tranquille, une vie qui ne meurt pas. Cette vie qui ne meurt que pour renaître est le contraire d'une tragédie.
Éblouis par les découvertes sur la communication chez les végétaux, nous avons tendance à tout penser sur le même plan. Florence Burgat propose une phénoménologie de la vie végétale qui met au jour la différence radicale entre ce mode d'être et le vivre animal et humain.
Florence Burgat est philosophe, directeur de recherche à l'INRAE, affectée aux Archives Husserl (ENS Paris). Elle travaille sur la condition animale, notamment sous un angle phénoménologique. Elle est entre autres l'auteur de L'Humanité carnivore (Seuil, 2017).
Nous partageons l'ordinaire de nos vies avec les animaux. Par choix, des chiens et des chats habitent nos maisons ; de fait, insectes, pigeons et rats résident en ville. Il serait aisé d'oublier ceux que nous mangeons, ceux dont nous revêtons la peau, ceux encore sur lesquels ont été testés les produits d'entretien et les médicaments que nous utilisons.
Nous préférons souvent ignorer qu'il a fallu interrompre une vie pour pouvoir bénéficier des produits finis que nous en tirons. Dailleurs, la mise mort d'animaux est parfois insoupçonnable et contre-intuitive - comment deviner la présence de gélatine de porc dans un sorbet ? - ou reste imperceptible car elle nest qu'une étape dans un processus de fabrication, comme c'est le cas pour toutes les substances testées sur les animaux.
À travers l'étude de gestes apparemment insignifiants ou de pratiques grande échelle - l'élevage industriel et l'exprimentation animale -, l'auteur nous pousse à nous interroger : que nous apprennent ces pratiques ? Sont-elles justifiables ? justes ? Pourquoi la reconnaissance par le droit du caractère sensible des animaux provoque-t-elle de tels débats ?
Florence Burgat est philosophe, directrice de recherche à l'INRA, membre des Archives Husserl de Paris (CNRS-ENS). Elle travaille notamment sur la condition animale dans les sociétés industrielles. Elle est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Une autre existence. La condition animale, en 2012.
Dire qu'un animal se comporte à l'égard de ce qui l'entoure qu'est-ce à dire ? Le comportement est constitué par un type de manifestations qui n'appartient qu'à certains vivants ; il forme un flux continu et spontané qu'une étude segmentée détruit nécessairement. Pourtant, ce sont de brèves séquences comportementales isolées au laboratoire que l'on choisit d'étudier. Mais a-t-on encore affaire à un comportement ? Ne l'a-t-on pas ainsi réduit à l'un des éléments qui le composent : les mécanismes physiologiques, le programme génétique, les opérations cognitives, etc. ? On doit alors s'interroger sur les raisons de la prédominance des études de laboratoire et sur les bénéfices qui peuvent être tirés d'une telle production de connaissances. Car ces méthodes décident notamment des conditions de vie de millions de mammifères et d'oiseaux destinés à la consommation. À l'opposé de cette perspective réductionniste, le comportement est compris par les approches phénoménologiques comme l'expression d'une liberté, une relation dialectique avec le milieu. Celles-ci imposent du même coup des conditions d'observation en milieu naturel. Comment, dès lors, élaborer une éthologie plus juste, tant du point de vue de la compréhension du comportement que de celui des besoins, au sens large, des animaux placés sous la domination de l'homme ?
Les systèmes productivistes ont engendré une profonde mutation des conditions de vie des animaux : enfermement, augmentation de la taille du troupeau, réduction de la surface au sol et rupture précoce des liens sociaux. Ce qui caractérise avant tout l'animal, à savoir d'être vivant et sensible, n'a pas pour autant disparu. Comment dès lors escamoter la question de la légitimité des traitements auxquels il est soumis en élevage industriel ? Cet ouvrage collectif fait le point sur les conceptions de l'animal qui sous-tendent un tel système et explore la nature des recherches conduites au titre du bien-être animal. Il apporte en outre un éclairage sur les principales questions juridiques, éthiques et philosophiques qui entourent le statut des animaux.