Le capitalisme détruit les existences. Il les détruit même deux fois. D'abord d'angoisse et de précarité en remettant la survie matérielle des individus aux mains de deux maîtres fous : le « marché » et l'« emploi ». Ensuite en rendant la planète inhabitable : surchauffée, asphyxiante, et désormais pandémique. Il faut regarder ces faits bien en face et s'astreindre maintenant à un exercice de conséquence. 1/ Le capitalisme met en péril l'espèce humaine. 2/ En 40 ans de néolibéralisme, l'espace social-démocrate où se négociaient des « aménagements » dans le capitalisme a été fermé : ne reste plus que l'alternative de l'aggravation ou du renversement. 3/ Il ne faut pas douter que la minorité qui en tire avantage soit prête à tout pour se maintenir. 4/ Sortir du capitalisme a un nom : communisme.
Mais sortir du capitalisme demeure un impensable tant que le communisme demeure un infigurable. Car le communisme ne peut pas être désirable seulement de ce que le capitalisme devient odieux. Il doit l'être pour lui-même. Or, pour l'être, il doit se donner à voir, à imaginer : bref se donner des figures.
La fatalité historique du communisme est de n'avoir jamais eu lieu et pourtant d'avoir été grevé d'images désastreuses. À la place desquelles il faut mettre enfin des images de ce qu'il pourrait être lui, réellement.
Comment un certain désir s'y prend-il pour impliquer des puissances tierces dans ses entreprises ? C'est le problème de ce qu'on appellera en toute généralité le patronat, conçu comme un rapport social d'enrôlement.
Marx a presque tout dit des structures sociales de la forme capitaliste du patronat et de l'enrôlement salarial. Moins de la diversité des régimes d'affects qui pouvaient s'y couler. Car le capital a fait du chemin depuis les affects tristes de la coercition brute. Et le voilà maintenant qui voudrait des salariés contents, c'est-à-dire qui désireraient conformément à son désir à lui. Pour mieux convertir en travail la force de travail il s'en prend donc désormais aux désirs et aux affects.
L'enrôlement des puissances salariales entre dans un nouveau régime et le capitalisme expérimente un nouvel art de faire marcher les salariés. Compléter le structuralisme marxien des rapports par une anthropologie spinoziste de la puissance et des passions offre alors l'occasion de reprendre à nouveaux frais les notions d'aliénation, d'exploitation et de domination que le capitalisme voudrait dissoudre dans les consentements du salariat joyeux.
Et peut-être de prendre une autre perspective sur la possibilité de son dépassement.
Que faire des idéaux que sont l'internationalisme, le dépérissement de l'Etat et l'horizontalité radicale ? Les penser. Non pas sur le mode de la psalmodie mais selon leurs conditions de possibilité. Ou d'impossibilité ? C'est plutôt la thèse que ce livre défend, mais sous une modalité décisive : voir l'impossible sans désarmer de désirer l'impossible. C'est-à-dire, non pas renoncer, comme le commande le conservatisme empressé, mais faire obstinément du chemin. En sachant qu'on n'en verra pas le bout.
Les hommes s'assemblent sous l'effet de forces passionnelles collectives dont Spinoza donne le principe le plus général : l'imperium - « ce droit que définit la puissance de la multitude ». Cet ouvrage entreprend de déplier méthodiquement le sens et les conséquences de cet énoncé. Pour établir que la servitude passionnelle, qui est notre condition, nous voue à la fragmentation du monde en ensembles finis distincts, à la verticalité d'où ils tirent le principe de leur consistance, et à la capture du pouvoir. Il ne s'en suit nullement que l'émancipation ait à s'effacer de notre paysage mental - au contraire ! Mais elle doit y retrouver son juste statut : celui d'une idée régulatrice, dont l'horizon est le communisme de la raison.
Un livre qui, dans la perspective des élections européennes, sera au coeur du débat.
Frédéric Lordon y dénonce une Europe qui se construit sans les européens, dans le déni absolu de toute expression des souverainetés populaires. Or une union politique authentique présuppose de faire l'Europe autrement que par l'économie !L'urgence économique et sociale commande alors de réexaminer de près l'option des monnaies nationales et de réaffirmer que défaire la monnaie européenne, de toute façon aussi mortifère que non-viable, n'exclut nullement de continuer à oeuvrer pour l'approfondissement résolu de tous les autres liens entre les peuples européens...
Par l'auteur de best sellers comme "D'un retournement l'autre" (Seuil, 2013, plus de 15 000 ex)
La science économique utilitariste domine largement le champ des sciences sociales. À ses yeux, tout n'est que comportements intéressés et calculateurs. Si une bonne partie de la sociologie s'est rendue avec armes et bagages au paradigme de la théorie du choix rationnel, tous ses courants n'ont pas cédé. Ainsi, par exemple, le Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales (MAUSS), pour qui les faits de donation et de solidarité échappent à l'empire théorique de l'économicisme. Pour salutaire qu'elle soit, la réaction anti-utilitariste verse néanmoins souvent dans l'exaltation naïve du désintéressement. Est-il possible de sortir de cette antinomie finalement improductive opposant utilitarisme étriqué et apologies enchantées du geste donateur ? C'est à cette question qu'entend répondre ce travail, à partir d'un concept élargi d'intérêt emprunté à Spinoza : le conatus. Mouvement par lequel " chaque chose s'efforce de persévérer dans son être ", le conatus est l'expression de ce qu'une existence est fondamentalement intéressée à elle-même, et qu'il n'est pas une de ses actions qui ne soit la manifestation de cet " intérêt à soi ". C'est alors toute une anthropologie économique et sociale qui se réordonne dans la perspective ouverte par Frédéric Lordon. De la prise violente à l'achat économique, en passant par l'échange symbolique et tous les registres du don, il n'y a rien d'autre que les expressions de l'intérêt-conatus souverain, et ses métamorphoses.
Avec la cruauté d'un révélateur photographique, la crise grecque a jeté une lumière impitoyable sur l'euro, obligeant enfin de voir ce que la cécité européiste s'efforce depuis si longtemps de ne pas voir : l'euro, congénitalement sous domination allemande, est un despotisme d'un nouveau type : un despotisme monétaire, qui asservit en toute bonne conscience par la violence « légitime » du droit - celui des traités - et des règles...
La New Political Economy découvre sur le tard qu'il y a de la politique dans l'économie, ou plutôt par-dessus. Mais le « politique » n'y est qu'une couche supplémentaire surmontant la structure d'ensemble des marchés, elle-même réputée parfaitement autorégulée... et inopportunément perturbée par les parasitages de la vie politique.
Ce livre, à l'inverse, affirme que le politique est immanent aux rapports sociaux du capitalisme. Il s'agit bien sûr d'un concept étendu du politique, compris ici comme (omni)présence des conflits et des rapports de pouvoir ; il a pour lieu d'élection les armatures des capitalismes que sont leurs constructions institutionnelles.
C'est un parcours d'une triple diversité que proposent les auteurs. Diversité institutionnelle, puisque conflits et pouvoirs sont aussi bien observables dans le rapport salarial, la monnaie, l'entreprise, que la politique économique. Diversité géographique au travers des cas américain, iranien, argentin et russe. Diversité disciplinaire, convoquant, en plus de l'économie, sociologie, droit, politologie et histoire.
Frédéric Lordon est directeur de recherche au CNRS et chercheur au Bureau d'économie théorique et appliquée (Strasbourg).
C'est peut-être le discours le plus dynamique dans l'imaginaire contemporain de la gauche, mais ce qui fait son pouvoir d'attraction est aussi ce qu'il a de plus problématique. Car il nous promet la « vie sans » : sans institutions, sans État, sans police, sans travail, sans argent - « ingouvernables ».
La fortune de ses énoncés recouvre parfois la profondeur de leurs soubassements philosophiques. Auxquels on peut donner la consistance d'une « antipolitique », entendue soit comme politique restreinte à des intermittences (« devenirs », « repartages du sensible »), soit comme politique réservée à des virtuoses (« sujets », « singularités quelconques »). Soit enfin comme politique de « la destitution ».
Destituer, précisément, c'est ne pas réinstituer - mais le pouvons-nous ? Ici, une vue spinoziste des institutions répond que la puissance du collectif s'exerce nécessairement et que, par « institution », il faut entendre tout effet de cette puissance. Donc que le fait institutionnel est le mode d'être même du collectif. S'il en est ainsi, chercher la formule de « la vie sans institutions » est une impasse. En matière d'institution, la question pertinente n'est pas « avec ou sans ? » - il y en aura. C'est celle de la forme à leur donner. Assurément il y a des institutions que nous pouvons détruire (le travail). D'autres que nous pouvons faire régresser (l'argent). D'autres enfin que nous pouvons métamorphoser. Pour, non pas « vivre sans », mais vivre différemment.