Des chevaliers armés d'épées en mousse s'affrontent le dimanche sur les flancs du mont Royal. Game of Thrones et The Lord of the Rings séduisent les foules. Les jeux vidéo plongeant les joueurs dans le passé médiéval sont nombreux et populaires. On le voit : il y a un engouement pour le Moyen Âge. Francis Gingras montre comment cette période historique est aussi un objet d'étude pour beaucoup de disciplines : littérature, histoire, histoire de l'art, philosophie, etc.Le Moyen Âge nous paraît familier ; l'auteur montre que c'est en fait une période très éloignée de la nôtre, étrangère à plusieurs égards, mais qui a encore des choses à nous dire.
Les anniversaires offrent d'utiles temps d'arrêt pour se situer par rapport au passé et s'interroger sur ce que pourrait être le futur. La parution du cinquantième volume d'une revue universitaire, phénomène encore assez rare dans l'histoire de l'édition savante au Québec, a semblé un heureux prétexte pour consacrer la totalité de ce volume au rôle que la revue Études françaises a joué dans la vie littéraire québécoise et pour envisager l'avenir en insistant sur la place de notre revue dans la Cité au moment où des changements importants s'opèrent dans les modes de diffusion de la connaissance. Le numéro double qui ouvre ce volume jubilaire est ainsi entièrement consacré au prix de la revue Études françaises et à ses lauréats qui ont répondu de manière assez exceptionnelle à la mission que se donnait explicitement la revue d'être « un lieu où la littérature se fait ». La qualité des lauréats du prix constitue la meilleure preuve que la revue remplit parfaitement le rôle que lui fixait son premier directeur, René de Chantal, d'être « au centre de gravité » de toutes les cultures d'expression française.
Études françaises a cinquante ans. À travers les cinquante volumes de la revue publiés entre février 1965 et décembre 2014 se lit la position singulière qu'elle a affirmée à l'égard de la critique littéraire, de la théorie et de l'histoire de la littérature, se distinguant dans le monde des revues savantes et de l'enseignement supérieur tout en contribuant à la construction d'un corpus « national » et à l'invention de la littérature québécoise comme objet et comme discipline. Ce dernier numéro du volume jubilaire porte à la fois sur l'histoire de la revue, prisme intéressant pour observer l'évolution intellectuelle et culturelle au Québec, notamment dans les circonstances particulières de l'affirmation d'une littérature québécoise, et sur son avenir qui suppose aujourd'hui de penser le rôle et la place d'une revue d'études littéraires consacrées aux cultures d'expression française dans le contexte de l'édition numérique. Au moment de célébrer son demi-siècle, la revue Études françaises doit trouver comment continuer à jouer ce rôle d'incubateur de littérature dans un environnement en mutation et aux frontières instables : « faire la littérature » sur le Web, tout en respectant sa mission savante. Dans ce numéro qui vient clore notre cinquantième volume, il est question du passé, de l'actualité et de l'avenir de la revue. Ainsi, avec ce regard porté des deux côtés du seuil, ce volume est parfaitement jubilaire : l'occasion de cet anniversaire était trop belle pour ne pas prendre résolument le parti du passage, celui du témoin entre deux directeurs, et celui du temps : révolu, transitoire et ouvert.
Plus de cinq cents ans après l'invention de l'imprimerie par Gutenberg, nous sommes habitués à considérer comme une évidence le fait qu'un livre contienne une seule oeuvre et qu'une oeuvre remplisse un seul volume. La tradition universitaire, qui consiste depuis ses origines à éditer les textes sous une forme indépendante les uns des autres, nous a elle aussi habitués à envisager les écrits du Moyen Âge comme des entités autonomes. Pourtant, au Moyen Âge, un texte bref n'est que rarement conservé dans un manuscrit dont il occuperait à lui seul la totalité des feuillets. Même s'ils ont été conçus de manière dissociée, ces textes sont en majorité transmis et lus dans des recueils réunissant un certain nombre de pièces. Durant tout le Moyen Âge, on les a donc copiés et recopiés dans des contextes manuscrits variables et chacune de ces réalisations, chaque nouvel environnement, entraîne des répercussions sur la façon dont ces écrits sont compris puisque le voisinage matériel qu'occasionne leur regroupement, les interférences qu'il suscite parfois, produit ou autorise des mises en relation toujours variées. Il est certes possible d'analyser ces diverses configurations comme autant d'états différents, mais il est aussi possible d'envisager l'ensemble qu'elles forment comme un processus résultant d'une expérience de la lecture radicalement différente de la nôtre. Afin de se rapprocher de celle-ci, on peut alors tirer profit d'un certain nombre de spécificités que présentent les recueils anciens qui, souvent, étonnent le lecteur moderne et permettent donc de toucher du doigt l'« altérité médiévale ».
En 1982, dans un article au titre en forme de paradoxe, Aron Kibédi Varga affirmait que « le roman est un anti-roman » - autrement dit, que le roman (ou, plus exactement, le roman « moderne ») trouverait son origine, non dans les romans du Moyen Âge et de l'Ancien Régime, mais dans les textes qui ont pris position contre le romanesque « traditionnel ». Cette analyse procède d'une lecture historique « progressiste », voire téléologique, des genres littéraires qui repose, le plus souvent, sur une méconnaissance des romans du Moyen Âge et de l'Ancien Régime. En cherchant à approcher la poétique du genre à partir d'une lecture attentive de nos « vieux romans », il semble que la forme romanesque se définisse essentiellement à travers les procédés de subversion générique qui ponctuent son histoire; les jeux spéculaires donnent ainsi à lire la définition du roman par les romanciers eux-mêmes. Depuis les successeurs immédiats de Chrétien de Troyes jusqu'à Jean-Jacques Rousseau, en passant par les romans de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance, ou par ceux de l'âge classique et des Lumières, le ludisme intertextuel révèle sa position centrale dans la définition du genre. Contre l'idée fort répandue d'une naissance du roman qui attendrait une oeuvre inaugurale (Don Quichotte, par exemple), les contributions des spécialistes réunis pour ce numéro laissent voir que les « vieux romans » seraient (toujours) déjà des antiromans.