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Jacques Chessex
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La confession du pasteur Burg
Jacques Chessex
- FLORIDES HELVETES
- POCHE SUISSE
- 22 Septembre 2022
- 9782940733279
La confession du pasteur Burg est un récit de neige et de feu. Car la faute obsède, au pays de Calvin. Le sentiment de culpabilité taraude les âmes et les coeurs. Il est le plus souvent lié à la chair, objet d'angoisse et de fascination : Geneviève. La vocation métaphysique, d'autre part, ou sa plus naturelle intuition, rend plus aigu, plus érodant, l'effet de l'introspection. Jean Burg se manifestera-t-il en vengeur ? Mais Geneviève révèle et change : elle est, au sens propre, celle qui annonce, l'évangéliste s'incarnant enfin au regard du juge médusé. La médiation de Geneviève gomme toute faute, le péché cède, s'efface, disparaît. Et c'est précisément à cet instant que le récit se crispe, que le drame se mue en tragédie et bascule dans l'immolation.
Jacques Chessex
L'oeuvre abondante du romancier et poète romand Jacques Chessex (1934-2009), récompensée à de multiples reprises, occupe une place majeure dans la littérature francophone. Seul auteur suisse à avoir reçu le Prix Goncourt (en 1973 pour L'Ogre), Jacques Chessex est mort soudainement d'une crise cardiaque alors qu'il participait à une conférence autour de l'adaptation théâtrale de La confession du pasteur Burg à la Bibliothèque publique d'Yverdon-les-Bains.
L'oeuvre abondante du romancier et poète romand Jacques Chessex (1934-2009), récompensée à de multiples reprises, occupe une position majeure dans la littérature francophone. Seul auteur suisse à avoir reçu le Prix Goncourt (en 1973 pour L'Ogre), Jacques Chessex est mort soudainement d'une crise cardiaque alors qu'il participait à une conférence autour de l'adaptation théâtrale de La confession du pasteur Burg à la Bibliothèque publique d'Yverdon-les-Bains. -
Né à Payerne, gros bourg vaudois, Jacques Chessex avait huit ans quand les faits relatés dans ce livre ont eu lieu. Les faits ? Nous sommes en 1942, l'Europe est à feu et à sang, la Suisse quoique neutre et sanctuarisée, est travaillée de sombres influences. A Payerne, rurale, cossue, ville de charcutiers « confite dans la vanité et le saindoux », le chômage aiguise les rancoeurs et la haine ancestrale du Juif. Autour d'un « gauleiter » local, la garagiste Fernand Ischi, sorti d'une opérette rhénane, et d'un pasteur sans paroisse, proche de la légation nazie à Berne, le pasteur Lugrin, s'organise un complot de revanchards au front bas, d'oisifs que fascine la virilité germanique. Ils veulent du sang, du sang juif de préférence, et une victime expiatoire. Ce sera Arthur Bloch, marchand de bestiaux, homme pieux et père de famille, qui visite la foire au bétail de Payerne le 16 avril 1942. A deux pas de l'abbatiale, dans l'ombre odorante d'une étable, Rue-à-Thomas, il tombe dans le piège. On l'assomme, on l'achève et on le découpe en morceaux, dans une scène d'anthologie décrite par Chessex. Bien sûr, les coupables, dont un semi-débile apprenti-tueur, seront vite retrouvés. Mais le crime, dans toute sa sombre gloire, son dégoûtant théâtre, aura délivré les uns et les autres, qui ne plaignent pas la mort du Juif pour l'exemple. A la suite du Vampire de Ropraz, c'est un autre chef-d'oeuvre, le mot n'est pas trop fort, d'exactitude et de description, d'atmosphère et de secret, que Jacques Chessex nous donne. Il a huit ans pour toujours, il cauchemarde, les assassins sont dans la ville. Tout est Golgotha.
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À travers une histoire très concrète, très proche du quotidien, très charnelle, c'est un drame fondamental que traite Jacques Chessex : la mort du père. Mais son roman ne remue pas des idées ; on y sent au contraire passer toutes les rumeurs de la vraie vie.
Jean Calmet approche de la quarantaine. Il est professeur de latin au lycée de Lausanne. Nous le découvrons le jour des obsèques de son père, le Dr Calmet, au crématoire de la ville, par un matin de soleil sur le lac. Va-t-il être, par cette mort, libéré ? L'ombre du disparu va-t-elle au contraire le poursuivre, finissant par pénétrer chaque circonstance de chaque jour du froid et du vertige de la destruction ?
Le Dr Calmet était un " personnage " : tyran familial, force de la nature, porté sur le vin blanc de Lavaux et les servantes d'auberge, troussant à l'occasion la gamine de 20 ans que son fils, adolescent, poursuivait gauchement de sa tendresse et de son désir sans oser la traiter comme elle l'attendait : en fille. Partout, toujours, Jean Calmet a cru sentir l'oeil de son père qui le guettait, son énorme appétit de vie qui rendait dérisoires les scrupules et les inappétences de son fils. Et voilà que, le père mort, son pouvoir mystérieusement s'amplifie, s'aggrave, se fait obsédant. Réduit en cendres, et ses cendres enfermées dans une urne de marbre, le père est toujours là, omniprésent, prêt à continuer de dévorer ses survivants comme il a toujours dévorés ses compagnons de vie. Et ce n'est pas, dans ce combat inégal, la vie qui triomphera...
La force du roman de Jacques Chessex est d'envelopper son histoire d'un réseau de faits vrais, de paysages, d'impressions fugitives ou cruelles. Les amours de Jean Calmet avec une étudiante des Beaux-Arts, la maladie et la mort d'une de ses élèves et la dernière promenade que font avec elle ses camarades de classe, la rencontre, un soir, au bord du chemin, d'un hérisson qui se hâte vers une haie : autant de pages riches, bouleversantes, qui donnent tous les chauds parfums de la vie à ce roman-méditation sur la mort. -
« Dans ces campagnes perdues une jeune fille est une étoile qui aimante les folies. Inceste et rumination, dans l'ombre célibataire, de la part charnelle à jamais convoitée et interdite. Sans répit déchiffrer la menace venue du fond de soi et du dehors, de la forêt, du toit qui craque, du vent qui pleure ; de l'au-delà, d'en haut, de dessous, d'en bas : la menace venue d'ailleurs. »
En 1903 à Ropraz, dans le Haut Jorat vaudois, la fille du juge de paix, la virginale Rosa, meurt à vingt ans d'une méningite. Dans l'hiver qui souffle, un promeneur trouve le couvercle du cercueil soulevé, le cadavre violé, la main gauche coupée net, le sexe mastiqué, le coeur disparu. Profanation. Horreur. Stupéfaction villageoise, crainte du diable, soupçons de vampirisme, ail et crucifix accrochés aux maisons pourtant protestantes?
En avril de la même année, deux autres profanations atroces sont exécutées de manière semblable : à Carrouge, des gamins jouent à la balle avec la tête scalpée de Nadine ; à Ferlens, c'est la blanche Justine qu'on profane. Monte la rumeur, comme une houle : il faut un coupable pour des crimes qui rappellent à chacun la « crasse primitive », les vices cachés, les étreintes contre-nature. Favez, un garçon de ferme un peu idiot aux yeux rougis, à l'épaule saillante, aux longues canines, qu'on a surpris à l'étable abusant des génisses, sera le coupable idéal. Il sera jugé et condamné, puis on perd sa trace après 1915.
Sur un fait-divers réel, et si proche de l'auteur dont le jardin jouxte le cimetière de Ropraz, Jacques Chessex romance : qui mieux que lui sait dire les crimes impunis, les fantasmes des notables, la mauvaise conscience d'une époque ?
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Ce récit posthume de Jacques Chessex aurait pu s'appeler : La mort du voisin. En effet, lorsqu'un voisin âgé meurt de sa mort naturelle, et qu'une cérémonie en français et en allemand a lieu dans la chapelle du village, il s'y rend. Tout le talent de l'écrivain va consister à rendre la palette d'émotions qui le saisissent et nous saisissent.
Bonheur et honte de survivre, et certitude, hélas, de ne pas survivre longtemps : « Vide et béance, la folie gagne, je tomberai sur le sol noir au sortir d'ici, à la lumière éblouissante du grand jour, tous ils verront ma chute et passeront sans m'appeler. » Mais aussi, le retour du passé, en images fulgurantes et superbes, un fou qui hante les rues de Ropraz, un visage de jeune homme suicidé, une amante et consolation du narrateur, dénommée Blandine, au sexe de miel. -
Carabas est un chant et un coup de poing. Jacques Chessex, qui avait un peu roulé sa bosse à Paris, a fixé ses quartiers définitifs dans son pays vaudois. Il est devenu l'un des écrivains romands les plus brillants et les plus lus. Mais cette force acquise dans les tumultes et les rêves ne pouvait être contenue derrière la barrière du Jura. Chessex revient à Paris avec Carabas.
Autoportrait, Carabas est la salutation adressée à la France par un écrivain qui se donne, pour parler d'elle et de soi, une insolente liberté.
L'auteur dit " je " et dit tout. La saveur baroque du récit impose le livre. Du tohu bohu d'une vie de bretteur littéraire, d'avaleur d'alcool, d'amoureux chronique, de zigzagant des campagnes et de professeur parfaitement à l'aise dans ses classiques, se dégage comme un art poétique, avec des pointes. Les cousins francophones ne sont plus d'humeur à se laisser terroriser par le capitaine Barthes et les telquellisants.
Carabas est le livre de la femme. Chessex l'aime et fait surgir des figures et des corps dans la tendresse et les décombres. C'est aussi le livre d'un pays avec lacs et montagnes, histoires chuchotées, lectures, cafés et combats, et beaucoup de personnages, car Chessex a le front d'éprouver de l'affection pour ces bannis de l'ordre nouveau. Il aime rire. Il se moque de Guillemin, fait l'éloge d'Aragon, parodie Queneau, passe en revue les paons du jour, déclare sa ferveur pour Flaubert et Maupassant, bonshommes de poids et de trogne.
La Suisse romande connaît actuellement une véritable renaissance littéraire. Par Carabas, nous voyons de quel bois on s'y chauffe. Précédant le marquis, le chat lisse ses moustaches, tire son chapeau et découvre au regard du roi des terres allègres. -
Passage de l'ombre ; et autres nouvelles
Jacques Chessex
- Grasset
- Littérature Française
- 2 Octobre 2019
- 9782246822639
Jacques Chessex fut un de nos très grands écrivains, travaillé par la question du mal, du désir, du salut - que les paysages et montagnes vaudoises ne purent jamais enserrer ou résoudre. Dix ans après sa mort, nous publions ce recueil de magnifiques nouvelles inédites, toutes teintées d'érotisme et de mysticisme. Plusieurs d'entre elles se déroulent dans un espace clos : hôpital psychiatrique ou pensionnat, qui ne sont pas sans rappeler le monde de l'enfance de Chessex - approché autrefois dans L'économie du ciel et dans Monsieur.
Ainsi la première, Le Portier, met en scène des jeunes filles, livrées, ou plutôt se livrant, aux attouchements du portier. Celui-ci, égaré, voit en elles des brebis, dont il est le berger et le consolateur. Dans Innocenti, les pensionnaires d'un établissement religieux sont abusées par des religieuses et une infirmière. Chez Chessex, le monde de dieu n'est jamais loin, mais inatteignable - et son calvinisme austère toujours transgressé : toute laideur peut devenir grâce, quand l'écriture et l'envie s'en mêlent.
Il y a dans ces pages une vitalité, un goût pour l'extase, pour l'amour en toutes ses formes, et une écriture sublime, provocante et tendre, que n'oubliera jamais le lecteur - familier ou découvrant cette oeuvre. -
" - Qui vous autorise à parler en initié de votre propre mort ? Tant que je vous interroge, sachez-le, je ne tolérerai pas que vous en usiez avec la mort comme Guignol se joue des gendarmes !- Je ne me moque ni de mourir, ni de la mort, ni de ma poussière de mort. Quelque chose en moi, qui parle de retour, me donne irrésistiblement la force de remonter de la poudre où je serai diffus à une espèce de parole, peut-être de voix, un souffle, un glissement d'air où les mots ne sont plus inaudibles mais deviennent précis, à nouceau doués de forme, de son, et capable de s'organiser en phrases. Disons qu'ils sont silencieux, qu'ils se tiennent à hauteur d'oreille entre l'absence et l'écho, et voici, vous les entendez, je vous l'aivais dit : "Je reviendrai.""
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Que voit-on d'un homme en premier, sinon sa tête ? Des cavernes primitives à l'atelier des physionomistes, du dessin à la sculpture, il y a une représentation de la tête. « J'ai beau fouiller, c'est les têtes autres que je fouille à la recherche peut-être de quoi fut la mienne il y a quarante mille ans penchée, acharnée, obstinée sur une pierre, un os, une tête d'os à aiguiser ou à polir. »
Ce sont donc ici, non des portraits, mais des reliefs, des visages rabotés et gothiques que Jacques Chessex nous donne à toucher. Regroupons-les par catégories :
Il y a les célèbres, français, suisses, et d'ailleurs. Voici un François Nourissier en « jeune chien cruel », un Robbe-Grillet en « tête à fraise au lieu de l'écharpe de laine rouge », un hibou Jean Paulhan, Yves Berger « légat de César en Gaulle Narbonnaise », Henry Miller à tête de loup, la tête sarrasine de Maurice Chappaz, la laideur impressionnante de James Baldwin.
Il y a - et ce sont parfois les visages les plus fouillés, recuits dans la mémoire de l'auteur - les têtes anonymes, sorties de la nuit du passé ou du plein jour. La tête ruminante et ridée de Marie Blanc, qui dit toujours non. La tête de rongeur de « La Gerboise », ce séducteur oriental qui furète sur le quai d'Ouchy à la recherche des filles.
Enfin, la tête mystique, qui appelle la couronne d'épines, et dont les yeux sont « excavés par l'affreux regret d'être homme », ces visages de faux Christ qui jouent sincèrement à l'extase. -
"Il y avait l'air le plus suave d'Europe, la brillantine, la poudre de riz, les loukoums du Café Hoggar, le vin blanc glacé, l'odeur de poisson dans les ports de la rive où ne vient pas le vent. La mer dans le sexe des voyageuses qui rentrent dormir. L'aigle à la cime. Les sources chaudes aux fentes du sol. Dormez fortunes protégées, paupières bleues, visages démaquillés que la fatigue ne ronge pas. Ici sèchent les os des morts, les vies rêvées, le souvenir des errances idiotes et le guet de l'unique révélation encore souhaitable : ce corps ouvert qui gémit sous le souffle de l'alpe."
Ecrits sur la neige et le bleu du lac, ces récits vagabonds mettent en scène le même personnage : un maraudeur, un saint dévoyé. La langue superbe de Jacques Chessex nous emporte entre exaltation et contrition, entre la chair et la mort.
Jacques Chessex est l'auteur, entre autres, de L'Ogre (Prix Goncourt en 1973), La mort d'un juste (1996) ou Incarnata (1999). -
Pourquoi, vingt ans après, Jonas est-il revenu à Fribourg, a-t-il accepté le principe d'une conférence dans cette ville universitaire, quittée au lendemain de ses études ? Ecrivain reconnu mais aujourd'hui tari, marchand de tableaux avisé mais fatigué de son commerce, Jonas va de bar en bar, de verre en verre, poursuivi par les souvenirs, ses longues conversations avec le maître qui lui fit découvrir et aimer la philosophie, ou encore avec celui qui lui enseignait Dieu... Jusqu'à ce que le passé l'assaille. Il retrouve l'amie abandonnée en même temps que la bande de copains à l'issue des examens. Elle n'a guère changé mais porte un terrible secret : il lui est né un fils de Jonas, qui ressemblait tellement à son père qu'il a fait les mêmes études, dans le même collège avec, peut-être, les mêmes maîtres. Mais l'adolescent est mort. Huit jours durant, Jonas, comme son antique homonyme, va dériver dans cette ville matrice, étrange retour aux sources.
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Devant un collage de Max Ernst, Morgane envoûte Vincent comme la fée des contes, son ancienne homonyme, asservissait ses amants. Et l'amant, fou d'images, de poèmes et de désirs, n'est que trop tôt fasciné par le spectacle de cette femme ouverte... D'ailleurs Vincent regarde-t-il Morgane Wagner, ou se condamne-t-il à fixer en elle la Méduse mythique et charnelle, la bête enfouie où se perdre ? Le madrigal est vraiment devenu le jeu baroque, l'aventure d'un délire que raconte un roman où l'érotisme et l'intuition de la mort surviennent dans des pages lumineusement inspirées.
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Né en 1934 à Payerne (Suisse), Jacques Chessex obtint le prix Goncourt avec L'Ogre en 1973. Romancier et poète il est l'auteur d'une oeuvre importante où on retiendra entre autres : La Trinité (1993), L'Imitation (1998), Sosie d'un Saint (2000).
« Il y a un goût du secret, du caché, de l'interdit, qui m'est venu très tôt avec la détestation de ma condition d'enfant et la rumination de quelques jouissances. Qu'est-ce que je cherchais dans le noir, coincé sous cette carcasse de gamine qui tremble nerveusement et m'écrase ? Je m'en souviens : je cherche mon bien. J'avais huit ans, je ne l'oublie pas ! Mais je me rappelle ces moments avec une précision d'autant plus exacte qu'elle est le miroir de ce que je suis aujourd'hui. C'est la première fois qu'on s'oublie sur moi. »
Jacques Chessex
L'autobiographie inattendue de Jacques Chessex ? Dans le clair-obscur du temps et de la mémoire, certaines scènes, qui frappent, cinglent, retiennent. Une jeune fille battue au fouet à chien. La peau interdite et offerte d'une femme dans l'église de Fribourg. L'odeur de l'encens froid. Une mère aux yeux bleus qui ne pardonne pas à son fils. Une lettre à ses propres enfants où il leur demande le jour venu de l'aider à mourir.
Chessex se révèle. Il dit parfois l'innommable. Il dit le trouble du passé. Il n'a pas peur d'être si magnifiquement impudique. -
L'auteur se cherche, se retrouve et replonge dans ses souvenirs...
"Jacques Chessex n'a jamais été un enfant : il prétend n'avoir pas connu ce bonheur, ni la nostalgie de ce bonheur. (...) Né en 1934 en terre calviniste, il a grandi sur les bords du lac Léman en simulant chaque jour la joie, la politesse, l'insouciance. Cette enfance-là n'en finissait pas : il rongeait son frein, aspirait à être un homme. À 15 ans, il découvrit l'amour, et, encouragé par son professeur, Jacques Mercanton, publia ses premiers poèmes dans sa vingtième année. C'est alors que son père, Pierre Chessex, directeur de collège, étymologiste du Pays de Vaud, se tira une balle dans la tête.
Pendant quatre jours, le fils veilla celui dont, tout à son impatience de devenir adulte, il n'avait pas su écouter le désespoir ni comprendre la violence. Je n'aurai jamais assez de regret pour sonder et revivre le regret de cet aveuglement, écrit Jacques Chessex dans un livre magnifique et déchirant, un livre d'éternel orphelin où il explore son passé avec rage, explique sa propre autodestruction par l'alcool et conclut : Il y a en moi un poids de la douleur que rien, je le sais calmement, n'épuisera.
Depuis Carabas, en 1971, Chessex n'avait pas écrit de texte autobiographique. Il s'était consacré au roman, à la nouvelle, à la poésie, à l'essai. Il s'évitait. Voici qu'il se retrouve sans s'épargner dans ce texte âpre qui témoigne d'une étonnante mémoire olfactive: odeurs de la terre, du lac, des femmes aimées, des tartes aux cerises que sa mère préparait, de la poussière de blé, odeur de son père qui agonise dans une chambre d'hôpital où son fils a laissé son âme et conçu, à tout jamais, une fascination pour l'imparfait et ses ruines." - Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur
Un roman autobiographique poignant qui ne laisse pas indifférent
EXTRAIT
À Pully la maison était austère, d'un gris foncé étrangement lumineux, sur la hauteur d'un jardin en petite pente jusqu'à la route. De l'autre côté de la route il y avait le lac, il brillait, il bougeait, il jetait ses reflets dans les chambres, on sentait son odeur en toute saison.
Au début, avant les transformations, on arrivait à la maison par une petite voie défoncée, au bas du chemin de Somaïs. À l'entrée, à droite, il y avait un grand peuplier, des bouleaux, une haie de lauriers qui faisait le tour du jardin planté de pommiers et de cerisiers.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
"Le nouveau livre de Chessex, L'Imparfait est étiqueté chronique. Et certes, le titre l'indique assez, chaque page tire sa substance d'une obsédante exploration du temps. Mais on pourrait également dire qu'il s'agit là d'une confession, d'une élégie, d'un blues. Un blues ? Non seulement on n'aura jamais lu d'aussi belles pages sur cette musique qu'à la ?n de ce volume, mais le récit tout entier a le souf?e et la force, et la fragilité, de cette plainte qui est un pacte avec la ruine et avec le sacré." - Didier Pobel, Le Dauphiné libéré
A PROPOS DE L'AUTEUR
Jacques Chessex est né le 1er mars 1934 à Payerne et mort le 9 octobre 2009 à Yverdon-les-Bains. Il est écrivain, poète et peintre suisse de langue française. Il est le seul écrivain suisse ayant reçu le prix Goncourt (L'ogre, 1973), mais également le prix Goncourt de la poésie en 2004. Après des études de lettres et un mémoire sur Francis Ponge, il se lance dans l'enseignement. Il écrit de la poésie depuis son plus jeune âge mais c'est le suicide de son père qui marque une coupure décisive dans sa vie. L'écriture devient alors un moyen de combler l'absence, le manque paternel. -
Le dernier crâne de M. de Sade
Jacques Chessex
- Grasset
- Littérature Française
- 6 Janvier 2010
- 9782246793922
« Un vieux fou est plus fou qu'un jeune fou, cela est admis, quoi dire alors du fou qui nous intéresse, lorsque l'enfermement comprime sa fureur jusqu'à la faire éclater en scènes sales ? » Quel est l'homme de 74 ans enfermé dans l'hospice de Charenton, au printemps 1814, qui a commis tant de crimes et semble ne se repentir en rien ? Fuyard, brûlé en effigie, rescapé, embastillé, sodomite, blasphémateur, soupçonné d'inceste, et pourtant encore là, bouillant d'idées et d'ulcères, désireux de poursuivre l'oeuvre de chair. Quel usage Mademoiselle Madeleine Leclerc fait-elle de ses 16 ans, de son corps efflanqué, vicieux ? D'où viennent ces hurlements ou ces soupirs ? A quoi l'isolement contraint-il ces libertins en chambre ? N'aurait-il pas au moins peur de la mort, où « chacune de ses paroles, chacun de ses actes résonnent plus fort ? » Le forcené a en effet trois mois à vivre. Cet homme se nomme Monsieur de Sade. La figure dont Jacques Chessex tire la matière de son récit, ce n'est pas le Sade en gloire, mais le malade fulgurant, et plus encore ce que le romancier complice à travers les âges raconte ici, ce sont ici les destins successifs de son crâne, comme une extension naturelle du corps sadien. Sade meurt en décembre 1814, sa tombe au cimetière de Charenton sera ouverte en 1818, et son crâne « ornement lui-même, de magie intense, de hantise sonore » passe dans les mains du docteur Ramon, le jeune médecin qui le veilla jusqu'à la mort. Relique, vanité, rire jeté à la face de toutes choses, effroi érotique, le crâne de M. de Sade roule d'un siècle à l'autre, incendiant, révélant et occupant le narrateur de ce livre.
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« Maintenant ce qui a été moi est libre De recevoir la vraie neige Ouverte à l'absence de moi Elu le voyageur qui chante Parce qu'il est attendu Mais plus heureux celui qui se perd Déjà sans corps sans regard O buée de l'Imparfait Dans le puits de Dieu et du vide » Prosaïsme et sublime, nature et humanité dévoyée, Dieu et son absence, animaux et odeurs, plantes et crânes des vanités, ainsi va la poésie de Jacques Chessex.
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Jacques Chessex appartient à la grande tribu des flaubertiens impétinents. Il a lu, relu, vécu, chacune des pages de Gustave Flaubert ; il s'est laissé intoxiquer par leur sève ; il est devenu une sorte de possédé dont la religion célèbre les seuls cultes d'Emma, de Bouvard, de Salammbô, de saint Julien, de Pécuchet et de saint Antoine. C'est donc par piété, autant que par passion, qu'il a voulu, aujourd'hui, écrire "son" Flaubert et s'immerger, corps et âme, dans la rhétorique du Maître. Ce faisant, l'auteur de l'Ogre n'a pas écrit un livre de plus sur l'ermite de Croisset. Il a souligné en écrivain, en complice, tout ce qui, dans l'ordre de la création, le lie à une oeuvre dans la lumière de laquelle il inscrit la sienne.
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Poète, essayiste, romancier, peintre, Jacques Chessex est l'auteur d'une oeuvre importante où l'on retient, entre autres, les romans suivants : L'Ogre (1973, Prix Goncourt, publié dans Les Cahiers Rouges), La Trinité (1992), Monsieur (2001), L'Economie du ciel (2003), L'Eternel sentit une odeur agréable (2004).
La transgression est au coeur de l'oeuvre de Jacques Chessex. Mais peut-il y avoir un plus grand péché qu'aimer d'amour charnel une sainte ?
Le narrateur, « médiocre professeur chassé de l'enseignement, archiviste congédié puis journaliste sans travail », croise le chemin d'Aloysia Pia Canisia Piller, dite Canisia, un jour de 1980 à Fribourg. Il la suit dans la cité médiévale et catholique où il surprend les secrètes amours de l'abbesse Canisia avec les rebuts de l'humanité. Pour élever les hommes vers Dieu, tel le baiser aux lépreux, elle s'abaisse, se donne, et plus elle est souillée, mieux elle est sanctifiée. Il en devient le confident, peut-être l'amant, et contemple en égaré le double visage illuminé de la déchéance et de l'élévation : « Les saints ne savent pas qu'ils sont saints et ils marchent vers leur apothéose ».
Après la mort de l'abbesse, le narrateur se réfugie au creux d'un vallon, comme un janséniste à Port-Royal, dans une maison où deux femmes veillent jalousement sur lui : Lydie, « la petite fouine du diable », et l'intendante Madame Grivet. Hanté par le souvenir de la Sainte, fiévreux de coupables étreintes avec la sensuelle Lydie, certain d'un secret qui pèse sur ce lieu, il en vient à se persuader qu'il faut immoler les femmes pécheresses par le feu. En cherchant Dieu, on trouve le diable.
« C'est la chance de la folie d'errer entre sépulcre et ciel » résume l'auteur. Prose en couronne d'épines qui nous griffe, magnifique dans l'évocation d'une femme à genoux transfigurée par le don de soi, ce roman flamboyant, tout à la fois d'un christianisme pacifié et exaspéré, confirme que Jacque Chessex est l'un de nos plus grands écrivains. -
Royaume, " l'ardent royaume ", c'est le corps de Monna, sa beauté insolente et douce, mais c'est aussi l'enchaînement des plaisirs, des joies et des folies qu'y découvre Me Mange et qui vont le perdre.
Car Royaume est à la fois l'histoire d'une joie immense et d'une déchéance banale : un homme de cinquante ans, " arrivé ", bien marié, bon père, notable de sa ville, sent un jour, comme disait Barrès, " le vide de son coeur et de ses mains ". Il fait - et peu lui importent les moyens - la connaissance de Monna, qui a vingt-cinq ans et un passé tumultueux. Alors il comprend que, dans sa vie, tout ce qui était tiédeur peut devenir feu et flammes ; tout ce qui était pénombre et gêne peut éclater au grand soleil, être jeté à la face du monde. Du moins le croit-il...
Au fur et à mesure que Me Mange, " le grand avocat ", va se risquer plus avant vers le plaisir, va provoquer davantage l'étonnement, puis la colère de la société qui l'avait reconnu pour un de ses élus, il va aussi détruire autour de lui tout ce qui avait été force et paix : son foyer, ses liens avec ses enfants, sa réussite professionnelle. Aux premières pages il est un Pharisien triomphant, un homme s-r de son fait et de son droit, - à la fin du récit il n'est plus qu'une épave, ce professeur de " l'Ange bleu " qui criait " cocorico " sur les planches d'un beuglant... Le passé douteux d'une jeune femme trop belle et trop pauvre, un peu de drogue, un peu de curiosité policière et - surtout - beaucoup d'impardonnable bonheur, et le puissant Me Mange va s'abîmer dans la solitude.
Déjà " La confession du Pasteur Burg ", que Jacques Chessex publia en 1967, était l'histoire d'une découverte du plaisir et d'une déchéance. Dans " L'Ogre " aussi, Prix Goncourt 1973, on voyait un homme de Suisse romande écrasé par le poids d'une société où les pères - comme les " policiers " et les " gens bien " de Royaume - agissent en ogres et vous dévorent le coeur. Formé par une morale et un pays calvinistes, Chessex oscille toujours entre Bien et Mal, société et révolte, famille et solitude, froideur des corps et fournaise charnelle. Monde en blanc et noir, tout en violences, aux passions longtemps contenues puis soudain forcenées et destructrices. Dans une oeuvre dont nous pouvons désormais voir se dessiner les thèmes et les directions, Royaume apporte un ton nouveau : la violence et la joie sensuelles. La description d'une ville - Lausanne - et de sa bonne société, le portrait de Me Mange, le réalisme : tout est admirablement en place dans ce roman ; mais la vraie lumière, la vraie singularité lui sont données par l'impudeur et le lyrisme sensuels. Paysages d'un corps et d'un pays, compréhension d'un pays à travers le naturel et le vertige d'un corps, chant de joie amoureuse qui se terminera dans le silence multiple de l'échec : Royaume est un beau récit charnel et désespéré, tendre et sarcastique, qui confirme la place de Jacques Chessex, après son triomphe de 1973, dans les lettres de langue française contemporaines. -
Qu'arrive-t-il à un couple très libre qui adopte un enfant, lorsque celui-ci se révèle comme un irréductible forcené ? C'est l'aventure que vont vivre le romancier Alexandre Dumur et sa femme en accueillant chez eux, à Rouvre, un adolescent d'une souplesse et d'une beauté rares. Louis inquiète, séduit, détruit. Très tôt sa sauvagerie et sa sensualité extrêmes confondent ses parents adoptifs, les troublent, les conduisent aux plus équivoques manoeuvres. La femme du pasteur de la paroisse succombe à son étrange pouvoir. C'est d'ailleurs le pasteur lui-même qui définira le garçon : un renard enragé. Et c'est cette rage qui se communiquera ouvertement et sournoisement aux personnages de ce livre, les poussant à l'erreur, au vice, ou ravivant leurs vieilles fureurs, de toute façon les assujettissant, les ravageant. Le Mal n'a que trop de hâte à hanter les corps et les coeurs. C'est sur le séculaire fond calviniste que se développe le drame. Dans l'univers cohérent de Jacques Chessex, la culpabilité et la violente sensualité divisent les règnes.
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Le petit François a la chance d'habiter à côté de la forêt. Il s'y promène avec ses parents. Un jour il décide de s'y promener tout seul. Découvertes, angoisses, et bonne rencontre de Rourou le renard (celui qui disait non à la lune) et d'une chouette bienveillante. Avec Jacques Chessex, on respire un air qui n'est pas celui des grandes villes. Goût de l'observation, mélange délicieux de peur légère et d'esprit d'aventure.
Laura Bour apporte grâce à ses dessins, un supplément d'inFormations : les empreintes des animaux, par exemple. -
Ecrivain fatigué et à court d'inspiration, Benoît Rouvre s'est retiré dans une maison solitaire à Valmont, Suisse. Au-dehors, un couple l'intrigue : lui, Benjamin Gousenberg, vieillard à l'oeil étincelant, elle, Sarah, brune, large bouche, corps déployé. Atteint d'un cancer incurable, Gousenberg propose à Rouvre, fasciné, le pacte suivant : sa femme Sarah vole d'homme en homme, il lui fait don de Sarah. Rouvre s'embrase pour cette "fille de Jérusalem" qui n'éprouve de plaisir qu'à l'insulter, et découvre avec horreur ses nombreux amants. La mort de Gousenberg et le suicide de Sarah concluent le roman. Mais Rouvre, comme assommé par ce qu'il vient de vivre, y ajoute un épilogue, lumineux. La Trinité, autre nom pour le triolisme ? Ou est-ce un livre biblique ? L'extase commune d'un protestant vaudois et d'une fille de Jérusalem ? Ce roman troublant et tourmenté, cette passion à deux plus un absent, Jacques Chessex la conçoit comme un embrasement froid, une manière de se distraire de la mort, une fin de saison entre chair et chaire : "Trois ombres achevaient la partie de l'apothéose du vide."
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Chef d'une secte, les Témoins de la Nouvelle Résurrection, le sage Aschenbach, sa femme, ses filles jumelles, et un valet, vivent dans une ferme vaudoise isolée, où les fidèles viennent régulièrement participer à de singulières cérémonies. De quoi fasciner le vieux Raphaël Turner, propriétaire de la ferme, qui habite le château voisin avec ses fils. Entre les deux clans naît une complicité perverse, nourrie par la haine et le désir, où l'érotisme, les fantasmes, la violence ont leur part autant que l'alcool et la mystique, poussée jusqu'au délire des possédés. Peu à peu, tandis que Pâques approche, va s'imposer un transparent parallèle avec le drame de la Passion. Mais ici les vierges sont folles, le Christ démoniaque, les disciples dévoyés, et seul Raphaël semble se réserver un rôle conforme aux Ecritures : celui de Judas, le traître élu par Dieu, ou par Satan, comment savoir ? Du scénario millénaire, Jacques Chessex a tiré un superbe roman sensuel et brûlant. Son intensité passionne, son actualité surprend. Oui, le diable est parmi nous : ouvrez ce livre, vous ne pourrez plus en douter.
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Un vieil homme de soixante-quinze ans se souvient des ombres de sa jeunesse. L'été de 1760, Jean de Watteville, étudiant en théologie, passe les vacances chez son oncle dans le manoir d'Ussières, non loin de Lausanne. Il a dix-huit ans et, non sans une candeur un peu effrayée, il écoute les disputes des théologiens, calvinistes contre jésuites. On herborise, on reçoit Casanova ou Edward Gibbon, mais surtout on attend avec impatience les visites de Monsieur de Voltaire, qui vient en voisin depuis Ferney. "Vieux maniaque de la tolérance", agile comme le singe, venimeux comme une vipère, dictant ses lettres et récitant ses tragédies, un oeil sur la jolie Aude, Voltaire fascine le jeune homme. Mais, sous l'apparence du bonheur, n'y aurait-il pas un vertige ? Sous l'allure plaisante du philosophe, les démons du vice ? L'étudiant imagine le pire. Jusqu'au scandale. Brosser le portrait de Voltaire en girouette un rien perverse, et montrer que sous la réalité la plus lumineuse il y a parfois la présence d'un mystère : voici un conte immoral.