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Seuil
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Élie : "... Au fond, un homme c'est comme un animal, tu le tranches sur la tête ou sur le cou, il s'abat de soi. Dans les premiers jours, celui qui avait abattu des poulets, et surtout des chèvres, se trouvait avantagé ; ça se comprend. Par la suite, tout le monde s'est accoutumé à cette nouvelle activité et a rattrapé son retard... Le boulot nous tirait les bras...
... Personne ne peut avouer l'entière vérité. Sauf à se damner aux yeux des autres. Et ça, c'est trop grave. Mais un petit nombre commencent à raconter des bouts terribles. C'est grand-chose... Les fauteurs savent plus que des souvenirs et des précisions élémentaires, ils ont des secrets dans l'âme..."
Il a toujours semblé que les tueurs d'un génocide, trop dépassés par l'énormité de leurs actes, ne pouvaient que mentir ou se taire. Dans un pénitencier près de Nyamata, une bourgade rwandaise, l'auteur a rencontré un groupe de tueurs. Des copains, sans contact avec le monde extérieur et déjà condamnés. Au fil de mois de discussions, ils ont montré l'envie de raconter ce "brouhaha" de l'extermination, de dire précisément l'indicible. Pour renouer avec nous ? Renouer avec les braves cultivateurs ou instituteurs qu'ils avaient été ? Au plus près du mal absolu, le génocide, qu'il soit juif, gitan ou tutsi, leurs récits et les réflexions de l'auteur apportent autant de questions que de réponses.
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Dans le nu de la vie ; récits des marais rwandais
Jean Hatzfeld
- Seuil
- Fiction & Cie
- 1 Octobre 2009
- 9782021010381
... Je me suis mis à crier, très fâché : "Tu n'avais pas pensé que tu pouvais ne pas nous tuer ?" Il répondit : "Non, à force de tuer, on avait oublié de vous considérer."
Maintenant, je pense que ce Hutu ne couvait pas la férocité dans le cœur. On fuyait sans répit au moindre bruit, on fouinait la terre à plat ventre en quête de manioc, on était bouffé de poux, on mourait coupé à la machette comme des chèvres au marché. On ressemblait à des animaux, puisqu'on ne ressemblait plus aux humains qu'on était auparavant, et eux, ils avaient pris l'habitude de nous voir comme des animaux. En vérité, ce sont eux qui étaient devenus des animaux. Ils avaient enlevé l'humanité aux Tutsis pour les tuer plus à l'aise, mais ils étaient devenus pires que des animaux de la brousse, parce qu'ils ne savaient plus pourquoi ils tuaient. Un interahamwe, quand il attrapait une Tutsie enceinte, il commençait par lui percer le ventre à l'aide d'une lame. Même la hyène tachetée n'imagine pas ce genre de vice avec ses canines...
Innocent Rwililiza
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Un matin brûlant de mai 2003, une file de prisonniers franchit les portes du pénitencier de Rilima, en chantant des alléluias. Ces anciens tueurs rwandais viennent d'être libérés, à la surprise de tous, notamment des rescapés qui les regardent s'installer à nouveau sur leurs parcelles, à Nyamata et sur les collines de Kibungo ou Kanzenze.
Que peuvent désormais se dire Pio et Eugénie, le chasseur et le gibier à l'époque des tueries dans la forêt de Kayumba, lorsqu'ils se croisent sur le chemin ? Comment Berthe et le vieil Ignace peuvent-ils se parler au marché puisque toute vérité est trop risquante ? Quels sont les maléfices qui les frappent ? De quelle façon partager Dieu, la Primus, la justice, l'équipe de foot ? Et revivre avec la mort et les morts ? Que ramène-t-on de là-bas ?
" Moi aussi je me sens menacée de marcher derrière la destinée qui m'était proposée... De quoi ? Je ne sais le dire. Une personne, si son esprit a acquiescé à sa fin, si elle s'est vue ne plus survivre à une étape, si elle s'est regardée vide en son for intérieur, elle ne l'oublie pas. Au fond, si son âme l'a abandonné un petit moment, c'est très délicat pour elle de retrouver une existence. "
Ce livre suit Dans le nu de la vie. Récits des marais rwandais et Une saison de machettes.
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La ligne de flottaison
À la suite d'un long séjour en Tchétchénie, Frédéric, un grand reporter, revient à Paris où l'attend Emese, sa jeune compagne hongroise, dont il partage l'appartement et la vie. Il se demande s'il n'a pas atteint un point de non-retour.
S'établir, faire un enfant ? Renoncer aux lignes de front ? Il retrouve les plaisirs de la vie quotidienne, les lectures, les cafés, les amis, le journal, mais aussi les situations mondaines où l'on ne peut se faire comprendre. Les soucis liés au passé et au futur ne manquent pas de resurgir. Emese supporte mal ses obsessions. Il n'arrive pas à être là. Seuls ceux qui partagent un même destin, habités par la guerre et par le désir d'écrire à son propos, semblent capables de s'entendre, en tentant de répondre aux même interrogations, ou en échangeant les mêmes sensations.
Frédéric continue à chercher sa place. Et ce qu'Emese interprète d'abord comme un abandon n'est peut-être qu'une sincérité à son égard et une fidélité à lui-même, étranger parmi les siens.
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La flamme et le vent
Henri Hatzfeld
- Seuil (réédition numérique FeniXX)
- 27 Février 2019
- 9791036908521
Rien de moins romanesque que la vie d'un pasteur dans sa paroisse. Il y a la terre et ses saisons. Il y a la pluie, il y a le soleil. Il y a surtout des hommes et des femmes avec leurs travaux et leurs habitudes, leurs secrets et leurs histoires. Parmi eux le pasteur prêche chaque dimanche, visite les familles, instruit les enfants et préside les cérémonies religieuses qui ponctuent la vie, du berceau à la tombe. Cela implique beaucoup de soucis, beaucoup de tasses de café bues dans toutes les fermes et beaucoup de randonnées à bicyclette. Mais le pasteur de Lignie n'est pas seul dans ces courses. Est-ce Dieu qui l'accompagne ? Peut-être - mais sous la forme paradoxale d'une question lancinante : ce que je fais conserve-t-il un sens ? Notre religion est-elle encore le vase où l'Évangile est contenu ? Ou bien l'Église n'est-elle plus qu'une ruine qu'ont désertée tout à la fois l'Esprit et les hommes vivants ? Et chaque épisode de la vie paroissiale renouvelle la même inquiétude... Le pasteur de Lignie trouvera-t-il son chemin ? Sa paroisse lui deviendra-t-elle hostile ? Au milieu des contradictions et des souffrances, l'homme cherche à tâtons sa route. Ce livre est une question posée aux chrétiens d'aujourd'hui. Il faudrait cependant demander aux lecteurs catholiques de bien vouloir ne pas juger le protestantisme français d'après un pasteur si peu typique. Il faudrait aussi assurer aux lecteurs protestants que les personnages de ce livre sont imaginaires. Je donne ce double avertissement en pensant à une paroisse véritable, inoubliable pour moi, et que je ne voudrais pour rien au monde voir confondre avec celle de Lignie, dont ce livre parle mais qu'aucune carte, aucun registre ne mentionnent. Quant au reste... Force est de laisser ces pages courir leur chance comme on laisse aller dans la vie un enfant chétif et mal doué. Les coups qu'il recevra et qu'on prévoit d'avance, comment les lui épargner, puisqu'il vit ?
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Les Racines de la religion
Henri Hatzfeld
- Seuil (réédition numérique FeniXX)
- Esprit
- 25 Décembre 2015
- 9782021262605
Qu'est-ce que la religion ? Rarement posée en un temps où elle est revenue pourtant à la une, la question de la nature, de la religion, de son sens et de ses fonctions, est essentielle. Mieux qu'aucun autre, cet essai tente de lui rendre justice. Dans la ligne des grandes définitions anthropologiques, l'auteur refuse la religion comme révélation d'une transcendance ou d'un sacré, mais il n'adhère pas davantage à l'idée, diversement exprimée, qu'elle serait le fruit douteux de la misère de la pensée humaine. Elle est l'oeuvre nécessaire au cours de laquelle les sociétés, grâce à la tradition et au rituel, inventent, découvrent et élaborent les valeurs - le pouvoir, la loi, la personne - sans lesquelles l'humanité serait impossible. Tradition et rituel, où la religion crée et recrée son activité symbolique, ont certes un aspect conservateur, mais le versant trop oublié est leur capacité permanente de genèse et de production de formes religieuses nouvelles et différenciées. Il faut s'efforcer de voir la religion telle qu'elle est : ni révélation, ni théophanie, ni manifestation de la sacralité du monde. Non plus que la collection des superstitions et des illusions dont l'homme est, hélas, capable. Une institution sociale pour un travail que la science n'accomplira jamais. Une institution aussi imparfaite que toutes les autres. Une institution, longtemps nécessaire, et dont nul ne peut dire que le temps soit passé.