Un sombre soir, à Paris, dans l'un de ces nombreux débats où des « spécialistes » ergotaient sur les différences entre le roman noir et le roman « blanc », un type mystérieux dans le public s'est levé, outré, offusqué, déclarant : « N'importe comment, il n'y a qu'une littérature, c'est la littérature allemande ! » Et, digne, impérial, il a disparu.
J'étais saisi, coincé, aplati par la sentence. Ce soir-là j'ai décidé de prendre place, un jour, sur un rayonnage de librairie spécialisé dans cette fameuse et fumeuse « littérature allemande »...
Ainsi est né Arthur Keelt (Klagenfurt, Autriche, 1902 - Paris, 1982) et son unique et bref récit, Le Merle (Die Amsel), écrit en 1954 dans les montagnes de Styrie...
Selon Jean-Bernard Pouy, il se voulait un bouddhiste atypique. Peut-être doit-il à cette disposition d'esprit une écriture toute de simplicité et qui parfois atteint la grâce, ainsi qu'une rare hauteur de vue (2277 m).
Lancé sur ses lignes intérieures, Jean-Bernard Pouy se livre à tous les aiguillages. Bifurcations d'époques et de lieux, identités que recoupent de parlantes initiales, il traverse les stations de son paysage. Sur le quai de certaines gares, on croise Fausto Coppi en « poète Florentin du Dolce Stil Nuovo ». Plus loin, Nietzsche signe le numéro 2000 de la Série Noire, « dans le genre tueur hâve et parano galopante ». Derrière la vitre, les parents font toujours signe. Simple question de rails, mais quand le machiniste du train s'appelle Gilles de Rais, on peut s'attendre à suivre de singuliers itinéraires. « Pourquoi Gilles de Rais c'est moi ? (...) Parce qu'il y a un aveu » C'est cet aveu qui couve au coeur des « Cendres chaudes ».
Dans la petite école de Bothoa, au coeur de la Bretagne, un jeune élève, Pol, s'ennuie. Il observe les cartes accrochées aux murs et rêve d'un ailleurs, un monde où le vert ne dominerait pas, où les fruits seraient gros et juteux, où le vent serait chaud. Il se persuade que le jour où il faudrait partir - car un jour ou l'autre un Breton doit s'en aller - il choisirait la main du hasard. Il accrocherait lui aussi une carte au mur, il prendrait une fléchette, la lancerait et se jurerait d'aller là où la pointe d'acier se ficherait.
Des années plus tard, le moment est venu pour Pol de partir. La pointe de la fléchette se plante en plein Pacifique. Alors, sans réfléchir, Pol fait vite son baluchon et s'en va, un petit matin aussi flamboyant que ses souvenirs. Là-bas, il rencontre Maeva. « Il ne savait pas s'il aimait Maeva. L'amour, ici, ne supportait pas une nouvelle saison. Le printemps n'existait pas dans les îles, la montée de la sève ne régulait pas les sentiments. Il n'y avait que la saison des pluies où l'on pleurait beaucoup et la saison sèche qui tarissait les larmes. »
« Casanova allait ratisser le terrain, tout comme ses deux autres congénères, Khatabi n'avait pratiquement aucune chance. Il avait à ses basques trois spécialistes, formés à l'école des Lone Rangers américains entraînés à la traque, à la survie. Des pistards. De vrais Apaches. En moins de deux, ils débusqueraient le fuyard. » Inspirée de la mort choquante de Khaled Khelkal, poseur de bombes abattu dans des circonstances troubles, une histoire ébouriffante, impossible et hautement politique, qui du genre noir vire au rose... Jean-Bernard Pouy et Patrick Raynal, vieux complices, ont écrit à tour de rôle deux mille signes de ce texte étonnant.