À l'inverse de la pratique courante consistant à diviser en compartiments la production de Schnberg, l'objectif des trois « études » présentées ici est de faire ressortir l'unité et la continuité de sa pensée et de sa poétique musicales, quelles que soient les périodes auxquelles appartiennent les oeuvres. Il y a chez Schnberg une façon de concevoir l'interaction des dimensions verticale (harmonique) et horizontale (mélodique) au sein du tissu contrapuntique, et une façon de faire découler l'unité de la composition (ce qu'il désigne par le terme de Zusammenhang) de la mise en place d'un dense réseau de relations motiviques, qui sont dans une large mesure indépendantes du matériau et des techniques d'écriture utilisées. Cela vaut notamment pour la « méthode de composition avec douze sons » fondée sur la confection préalable d'une « série » : jusque dans la dernière période, cette méthode reste une façon de procéder parmi d'autres, et il est frappant de voir que la technique sérielle qui y est mise au point sous une forme particulièrement élaborée est susceptible de mutations diverses quand le compositeur est amené à travailler non plus avec l'échelle des douze notes, mais avec un matériau plus restreint et hiérarchisé, hérité du passé. La première étude est consacrée au monodrame La Main heureuse (1911-1913). La deuxième est centrée sur les Quatre pièces pour choeur mixte op. 27 (1925). La troisième est consacrée à un ensemble d'oeuvres pour choeur a cappella allant des Trois Volkslieder de 1928 à Dreimal tausend Jahre op. 50a de 1949, en passant par les Six pièces pour choeur d'hommes op. 35 (1929-1930). L'ouvrage se termine par une réflexion sur les enjeux liés au judaïsme chez Schnberg.
Dans les études formant ce recueil, résultat de nombreuses années de recherche, Jean-Louis Leleu fait apparaître les logiques intrinsèques des langages musicaux du xxe siècle affranchis de la référence tonale. Il le fait à travers un travail d'analyse méticuleux, fondé sur l'analyse du texte musical. Mais en s'appuyant sur la notion d'idée musicale avancée par Schoenberg et sur les travaux de George Perle, auquel il rend hommage en ouverture, il indique combien l'approche du matériau et des techniques d'écriture reste pour lui soumise à la réalité sonore dans ses articulations rhétoriques et formelles, ainsi qu'aux intentions musicales des compositeurs et à leur poétique. La première partie, « Exposition », est en quelque sorte le « discours de la méthode » : elle donne des repères théoriques, s'attachant par ailleurs à saisir la logique singulière du langage musical de Bartók et à interroger l'approche de Debussy réalisée par le musicologue germanique Ernst Kurth. Dans les « Développements » qui suivent, Jean-Louis Leleu aborde les trois univers de Debussy, Webern et Boulez, qui représentent trois repères essentiels tout au long du xxe siècle. Il fait apparaître chez ces trois auteurs les mécanismes de pensée qui débouchent sur des organisations cohérentes. Celles-ci, ainsi révélées, éclairent le sens des oeuvres. Les critères esthétiques sont ainsi dégagés de manière objective à partir de la réalité musicale elle-même. Ces différentes études, fragments d'un grand oeuvre théorique in progress, constituent par leur précision et leur pénétration une des approche les plus rigoureuse et les plus profonde de la musique du xxe siècle.