Cette épopée se compose de six chants divisés en strophes. Poème en prose? Récit? Les Chants de Maldoror résistent à toute tentative de classification générique. Dans le sixième chant, Lautréamont parle, à quelques lignes de distance, de sa «poésie» et de ses «récits» et il avait même, un peu plus haut, employé le terme de «roman». Le texte est fondé sur une esthétique de la rupture : chaque strophe peut être lue comme un fragment poétique autonome et aucun fil linéaire, qu'il soit narratif, descriptif ou discursif, n'est suivi bien longtemps. Il s'agit d'un brûlot, «politiquement incorrect», qui ne fut pas du goût des bien-pensants de l'époque. Nourri de violences, d'idées morbides et de délire - peste, pus et poux... - ce texte énigmatique et fascinant, ce texte de la démesure donne le vertige, et parfois un peu la nausée...
Voici la seconde oeuvre de Lautréamont, qui connu aussi peu de succès que la première de son vivant, jusqu'à ce que cet auteur soit redécouvert par les surréalistes et en particulier André Breton. L'épigraphe placée en tête du premier fascicule présente l'oeuvre comme une palinodie: «Je remplace la mélancolie par le courage, le doute par la certitude, le désespoir par l'espoir, la méchanceté par le bien, les plaintes par le devoir, le scepticisme par la foi, les sophismes par la froideur du calme et l'orgueil par la modestie.» Cette profession de foi mérite cependant d'être considérée avec prudence dans la mesure où le recueil utilise largement l'ironie. Chaque énoncé se trouve ainsi placé sous le régime du doute et pourvu d'un sens toujours éventuellement réversible. Le titre même de l'ouvrage semble une sorte d'«antititre» puisque la dédicace parodique qui apparaît sur la deuxième page présente l'oeuvre comme constituée de «prosaïques morceaux». Le texte, écrit en prose, est formé en effet d'une succession de fragments et rappelle plutôt, du point de vue du genre, les recueils de maximes.