On dit que le patrimoine est partout. Serait-ce le constat que nous ne sommes plus capables de choisir ? L'invention du patrimoine a nécessité la mise en place de systèmes, articulés autour de critères plus ou moins précis, pour juger de la qualité ou de la pertinence de « faire patrimoine » un objet plutôt qu'un autre. Se pourrait-il que le « tout patrimoine » ne soit pas lié à notre incapacité de faire un choix ? La réponse ne se trouverait-elle pas davantage au coeur de la sélection patrimoniale elle-même, dont les modalités, les critères justificatifs et les acteurs impliqués ont considérablement été transformés au cours du 20e siècle ?
C'est dans cet esprit que nous avons voulu interroger, confronter et comparer, dans le temps et dans l'espace, les modalités d'opération et de sens de la sélection patrimoniale.
Dix-neuf chercheurs se sont penchés, à partir de leur terrain de recherche, sur la structure, les acteurs, les pratiques et les objets en jeu. Entre propositions théoriques et considérations empiriques, les contributions rassemblées cherchent à cerner une même mécanique, inscrite au coeur de la patrimonialisation. Elles révèlent de la sorte les objectifs et les défis qui la traversent tout autant que les effets qu'elle crée sur l'échiquier culturel.
Le patrimoine n'a plus de contours précis et n'a plus de frontière. L'expression du « tout patrimoine » résumerait d'ailleurs le constat posé depuis quelques années. L'extension de la notion aurait entraîné un flou conceptuel et, possiblement, un relativisme patrimonial. « À chacun son patrimoine », pourrait-on désormais affirmer sans ambages. Si la formule démocratique apporte son lot d'heureuses réalités, elle complexifie considérablement les conditions de patrimonialisation. Les valeurs traditionnellement utilisées pour juger de l'importance des objets sont, en effet, difficilement transposables dans les nouveaux contextes. Les outils réglementaires pensés par l'institution patrimoniale semblent parfois désuets. Tout doit alors être remis en cause pour s'accorder aux paramètres renouvelés. Était-ce plus simple avant, quand le patrimoine s'appelait monument historique ou oeuvre d'art ? Lorsque les experts savaient départager le bon grain de l'ivraie, identifier le beau du laid, valoriser la rareté du commun et encenser le bien contre le mauvais ?
Les textes réunis dans ce collectif ont choisi de prendre le contre-pied du constat globalisant. La profusion des objets et des pratiques dénote, au contraire, la très grande sensibilité de nos contemporains envers ce qu'ils sont, ont été et veulent être. Du Québec à la France, en passant par les États-Unis, la Roumanie et le Viêt-nam, les chercheurs convoqués pour cet ouvrage ont arpenté bien des territoires. Ils explorent avec le même zèle trois facettes du patrimoine et de la patrimonialisation: les paysages urbains, les médiateurs et les interprétations. Les thèmes abordent l'architecture et l'aménagement des villes. Ils touchent aussi les acteurs par un regard sur les communautés migrantes, les collectionneurs et les militants. Ils traitent enfin de discours par la commémoration et les hauts lieux de la patrimonialisation, de même que par l'imagerie et les représentations patrimoniales.