Le nouveau corps confie au sport son souffle, son coeur, sa sueur et ne travaille presque plus de force mais sur des codes ; sanitaire et aseptique, rectifié par les remèdes et la prédiction médicale, il repousse la mort de trente ans et l'antique souffrance quasi définitivement ; diététique, grignotant des calories du bout des dents, il absorbe ce que ses pères n'auraient pas reconnu pour nourriture ni pour breuvage ; nu et libre sur les plages mixtes, le nouveau corps sexuel se reproduit peu et artificiellement parfois ; toutes nouveautés contrebalancées par les squelettes ravagés d'épidémies sans recours, se multipliant et mourant par millions vers l'hémisphère Sud, livrés à toutes les horreurs dont nous nous délivrons ; comment ces corps si vite changés en moins d'un demi-siècle habiteraient-ils le même monde, sentiraient-ils par les mêmes sens, logeraient-ils la même âme ou une semblable langue que l'ancienne chair accablée de poids et de nécessités, malade, sale, affamée ou repue, verbeuse, soumise au labeur et non à l'exercice, à la morale plus qu'à la médecine, dont la philosophie de nos pères a parlé ?
La couverture du livre est un tableau de l'Ecole de Fontainebleau. Dans le fond, le Colisée, peut-être, cirque colossal, sorte de tour de Babel romaine. Derrière lui, un pont sur le Tibre, une mince pyramide, un temple, la ville de Rome : Rome qui, parce qu'elle a su bâtir des places, des villes, un Empire, a su les fonder. Quand Rome a décidé de construire le Capitole, on a découvert au fond des fondations une tête humaine au visage entier. On dirait que le soldat du premier plan, debout, triomphant sur un podium rond, vient de la retrouver. Il la montre, comme un trophée. On dirait que ces combats, ces assassinats ont lieu dans les soubassements, dans les soutènements de tous ces monuments. Ces batailles fondamentales sont le sujet de ce livre, nommé livre des fondations. Fondations des murs de pierre sur la chair. Genèse était le livre des commencements. Rome, qui le suit, est celui des fondations. Genèse était celui du multiple. Le livre des fondations fait voir dans le concret ces multiplicités : foules romaines, légions déployées, paysans égaillés, forces distribuées, clameurs, acclamations. Rome est un livre de philosophie de l'histoire ; il en annonce un troisième portant sur le temps. Il doit se nommer Philosophie des corps mêlés.M.S.
A l'origine ce livre avait pour titre : Noise. Noise est un vieux mot, de l'ancien français, qui dit le bruit et la fureur, le tumulte des choses et la haine des hommes. Noise désigne le chaos. Ce livre tente de décrire d'aussi près que possible ce qui, dans la nature ou la culture, est chaotique et multiple. C'est un livre des commencements. Parce qu'il essaie d'écouter la formation fragile des choses et messages à partir de cette rumeur, ses premiers lecteurs ont voulu qu'il se nomme : Genèse. Mieux vaut prendre ce mot dans son sens le plus humble et le plus foisonnant pour éviter la mésentente : petites naissances, devenirs nombreux, possibles abondants, évanouissements. Vénus apparaît, dit-on, au-dessus des eaux. Quel est donc l'état de la mer, à l'aube de sa venue ? Elle est tumultueuse, agitée, dangereuse. La mer est bruyante, Vénus est turbulente.