Le discrédit qui pèse sur l'érudition depuis les Lumières et la sentence rendue à son encontre par la théorie et la critique littéraires au XIXe siècle n'ont pas occasionné, tant s'en faut, l'éreintement de la notion. Détournée de ses fins de connaissance, dégagée de l'établissement d'un savoir fiable, l'érudition s'en fut hanter la conscience des écrivains, Flaubert en tête. Michel Foucault aura été l'un des premiers à noter l'empire qui s'ensuivit de la fiction sur le savoir et la mémoire. Ainsi promue affaire d'imagination, l'érudition s'implante dans le roman, qui représente des démarches savantes, des enquêtes critiques : Aragon, Borges, Nabokov, Queneau, Simon, Pinget, Perec, Roubaud, Quignard, Yourcenar s'en emparent. L'érudit que donnent à voir leurs récits est moins qu'un savant qu'un fou ayant le goût de l'archive, un excentrique esseulé dans une bibliothèque ou formidable ou fabuleuse, un mélancolique égaré dans un monde qu'écrase une mémoire impuissante. De ce fond aride, l'érudition imaginaire tire, elle, une étonnante fécondité : elle invente des dispositifs insolites, elle débauche la langue et le lexique, elle modifie la conduite du récit en s'appropriant les méthodes érudites. Critiqué, déstabilisé, mais réenchanté, le savoir devient objet de fabulation. Il livre alors des personnages supposés, des histoires fictives, des sources apocryphes. Ce faisant, il signe la suprématie du roman sur les autres formes de récit, en le rendant capable de s'accaparer tous les discours, y compris le discours critique.
Les Géorgiques, roman-somme paru en 1981, est fondé sur un principe analogique généralisé ; les relations qui se tissent entre les personnages, comme celles qui unissent les espaces qu'ils parcourent et les époques qu'ils habitent, sont ici analysées. Approcher ainsi l'économie narrative et la logique du récit des Géorgiques, c'est faire apparaître une conception de l'Histoire, et une pensée du temps, propres à Claude Simon.
Analyser l'esthétique d'Aragon permet de considérer l'oeuvre dans sa diversité. La mise en scène, par Aragon, de sa propre écriture n'est qu'une des voies pour analyser ses textes : poésie et politique, surréalisme et réalisme, prose et poésie, désir de lyrisme et volonté de roman, érudition et invention s'y mêlent sans fin, pour interroger l'identité problématique du sujet comme l'urgence de l'histoire.
Ce dossier d'Études littéraires veut faire ressortir les principaux axes de la réflexion sur le roman menée par Aragon tout au long de sa vie, en l'abordant fondamentalement comme celle d'un théoricien/praticien. Ses écrits sur le roman prennent des formes diverses (essais, préfaces, entretiens, correspondances, articles, conférences) et sont consacrés aussi bien aux romans des autres qu'aux siens propres. L'analyse de ces textes permet d'apprécier les constantes et les invariants de la « pensée romanesque » d'Aragon, d'identifier certaines lignes de force de sa réflexion. C'est bien là l'objectif de ce dossier : faciliter la circulation dans le vaste ensemble des textes où se développe la conception aragonienne du roman.