Peut-on empêcher quelqu'un de se détruire ? Cela fait presque trente ans que ses parents comme son frère et ses soeurs ressassent cette question et tentent, chacun à sa façon, de sauver Romain de lui-même. Ce fils, ce frère à la si déconcertante gentillesse s'est patiemment abîmé, bouleversant malgré lui la vie de toute la famille. Et aujourd'hui, alors que sa soeur vient d'accoucher, tous découvrent que Romain a de nouveau disparu.
Pascale Kramer met admirablement en scène les relations fraternelles et filiales en offrant tour à tour la parole aux membres d'une famille aux prises avec l'énigme que constitue l'un des leurs.
Una tétait en donnant des petits coups avec sa tête. Alissa la sentait à peine. Sur l'ordinateur resté allumé s'égrenaient toujours ces mêmes images d'elle et de lui, ce monde hypnotisant d'avant le réveil. Una la fixait de ses yeux bleus comme troublés de gelée. Une feuille morte prise dans le ventilateur de la climatisation grattait le silence. Il semblait que le temps pourrait ne plus bouger pendant des heures, et Alissa ne savait pas qui aller trouver. Comment les choses pouvaient-elles se montrer à ce point sans pitié, n'offrir ni recours ni alternative, désormais? Alissa n'en revenait pas de ce qu'elle avait laissé se faire. Ce ne pouvait pas être ça la vie qui avait été promise. Alissa et Richard étaient connus pour être le couple le plus sexy du campus. De leurs amours vient de naître Una. C'est l'été : le ciel californien est éclatant, on entend bourdonner les climatiseurs dans la résidence où ils viennent d'emménager. Laissée seule avec le bébé dont la totale dépendance l'émeut et l'accable, Alissa sombre inexorablement dans le doute. Mais le moment du choix est passé. Il n'y a plus de retour en arrière possible désormais.
"Ils repartirent une heure plus tard. Betty avait froid dans sa robe qui semblait transparente sur ses seins durcis. David trouva ses bijoux d'une discrétion hypocrite, et dans cet ascenseur aux glaces teintées, l'image de leur couple tout à coup le choqua."
Née à Genève en 1961, Pascale Kramer vit et travaille à Paris depuis 1987. Elle a déjà publié chez Calmann-Lévy Manu (prix Michel Dentan, 1996) et Le Bateau sec. Onze ans plus tard est son troisième roman.
Des personnes sorties de prison, d'autres en errance, des artistes, des retraités, des woofers, des sans-domicile fixe, des pèlerins en escale vers Saint-Jacques-de-Compostelle, tous réunis sous le même toit ! Comment croire à ce rêve ? Que faire des inévitables conflits, des soucis du quotidien, de la méfiance des riverains ?
La romancière Pascale Kramer raconte une utopie qui prend corps dans un lieu unique, l'ancien carmel de Condom. Au milieu des écueils, des crises et des joies, des retraités donnent sens à leur vieillesse, des personnes au RSA s'occupent d'un potager, d'autres qui ont dormi dans la rue peuvent enfin profiter d'une chambre à eux... Tous mangent ensemble, rencontrent des gens du monde entier.
Chronique d'un lieu unique qui rend le partage contagieux.
Pascale Kramer est l'auteure de dix romans dont Les Vivants (Calmann-Lévy, 2000), L'Implacable brutalité du réveil (Mercure de France, 2008), Gloria (Flammarion, 2013) et Autopsie d'un père (Flammarion, 2016). Elle a reçu successivement le prix Lipp Genève, le Grand Prix du roman de la Société des gens de lettres et le prix Schiller. Plusieurs de ses livres ont été traduits en italien, allemand et anglais.
C'est un 8 mai lumineux. Louise, son mari Vincent, son petit frère Benoît, tous trois troublants de jeunesse, d'inconscience et d'immaturité, sont frappés par un drame effroyable.
À travers les yeux de Benoît, Les Vivants tente de saisir la stupeur de cette fraction de seconde où le destin bascule, et, au-delà, le mystère, ou le scandale, de l'acharnement de la vie.
Parcouru de bout en bout par l'énergie d'une nature en plein été et par la douleur muette de Louise, le livre pose cette simple question : comment croire au pire quand on est jeune et qu'il fait beau, et comment y survivre ?
Elle avait imaginé un presque adolescent, c'était encore un garçon dont la lourde tignasse châtain-roux s'arrêtait haut sur la nuque dans une brusquerie bâclée de coups de ciseaux. Il était petit pour onze ans, son ventre précipitamment rentré faisait ressortir des pectoraux joliment grassouillets. La ressemblance avec Claude était cocasse dans cette chair jeune et sensuelle. Simone se demanda si eux pouvaient la voir. Elle se présenta, tenta un sourire, ne sachant pas si on embrasse encore à cet âge. Il y avait quelque chose d'étonnamment doux et adulte dans cette crânerie timide de onze ans. Simone n'en revenait pas de comprendre qu'il était parfaitement résolu à être là. À cinquante ans, Claude voit dans la maladie qui le frappe une alliée pour s'évader d'un monde en feu pour lequel il a un jour renoncé à se battre. Mais il y a Gaël, ce fils de onze ans qu'il s'est décidé trop tard à rencontrer, Jovana, dont la belle énergie revient le hanter, et sa femme, Simone, spectatrice lucide et glacée face aux tourments d'un homme qu'elle aime encore.
« Je n'ai accepté de venir que parce que Naïs est malade, insista-t-il une fois encore comme pour lui signifier que son affection n'allait pas de soi maintenant qu'elle n'était plus à la rue. Vous savez n'est-ce pas que j'ai dû partir parce que j'ai eu de gros ennuis ? » Michel a presque tout perdu en voulant désespérément aider Gloria. Il a été renvoyé du centre d'accueil où la jeune femme avait été placée, et ne l'a plus revue. Trois ans plus tard, elle le rappelle. Et il consent à la revoir. Très vite, le comportement de Gloria envers sa petite fille, Naïs, l'inquiète et le pousse à s'immiscer dans leur vie. Mais qui cherche-t-il vraiment à sauver ? Chez Pascale Kramer, les enfants sont au centre des histoires, agissant comme des révélateurs. Dans ce dernier roman, l'auteur a su admirablement mettre en scène l'ambivalence au coeur des relations humaines et la solitude de chacun face au jugement des autres. À quoi finalement se mesure la normalité des vies ?
« Manu et Yvan dormirent avec l'enfant entre eux, niché comme un petit paquet de douleur qui les soudait. Ils regardèrent durant des heures des jeux télévisés qui les faisaient rire ou bâiller. L'ennui semblait une composante même de la proximité qui se créait entre eux. Yvan se sentait piégé et bien. Il se situait au-delà du mensonge dans la mesure où celui-ci avait tellement enflé qu'il vivait maintenant à l'intérieur, protégé par sa propre logique. C'était irréel et délicieux. »
" Malgré la tiédeur rose de fin d'après-midi où se disputaient les moucherons, l'endroit laissait une impression de désespérance dont Ann paraissait bizarrement amusée. Elle avait lâché la main de sa mère et lui souriait d'un air de surprise qui semblait exiger une réponse. Son ironie laissa Suzan interdite. "
Ania, qui n'a guère vu son père Gabriel ces dernières années, apprend par sa nouvelle femme qu'il vient de se suicider. Cette mort volontaire semble faire suite au scandale qui a éclaboussé ce journaliste et intellectuel de gauche quand il a publiquement pris la défense de deux jeunes « Français » qui ont massacré un Comorien sans-papiers. Comment les haines ont-elles pu en arriver là ?
Dans le village où il doit être enterré, l'ambiance est délétère, chacun prenant parti pour ou contre Gabriel. Que s'est-il passé pour que ce père en vienne à rétrécir ses vues au point de tremper dans une affaire aussi sordide et de devenir un paria ?
En auscultant une France sous tension et au bord de l'explosion, Pascale Kramer nous offre un puissant roman sur le basculement politique et le repli sur soi, qu'elle met en scène de manière intime et collective.