CHAIRE D'HISTOIRE DES POUVOIRS EN EUROPE OCCIDENTALE, XIIIe-XVIe SIÈCLE
« Nous avons besoin d'histoire car il nous faut du repos. Une halte pour reposer la conscience, pour que demeure la possibilité d'une conscience - non pas seulement le siège d'une pensée, mais d'une raison pratique, donnant toute latitude d'agir. Sauver le passé, sauver le temps de la frénésie du présent : les poètes s'y consacrent avec exactitude. Il faut pour cela travailler à s'affaiblir, à se désoeuvrer, à rendre inopérante cette mise en péril de la temporalité qui saccage l'expérience et méprise l'enfance. Étonner la catastrophe, disait Victor Hugo, ou avec Walter Benjamin, se mettre à corps perdu en travers de cette catastrophe lente à venir, qui est de continuation davantage que de soudaine rupture. »
Patrick Boucheron est historien. Il est notamment l'auteur de Léonard et Machiavel (Verdier, 2008), Conjurer la peur : Sienne, 1338. Essai sur la force politique des images (Seuil, 2013), Prendre dates (avec M. Riboulet, Verdier, 2015) et a dirigé l'Histoire du monde au XVe siècle (Fayard, 2009). En août 2015, il a été nommé professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d'Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XIIIe-XVIe siècle.
Stupeur en ce mois de mai 2058 : le document donné à l'épreuve d'explication de textes de l'agrégation d'histoire est un faux. Un faux ? Pas exactement : une « forgerie », un texte ayant la forme d'un document ancien, mais ne cachant nullement qu'il est une imitation moderne. Les étudiants ont donc commenté le texte d'un historien célèbre qui s'était essayé à écrire, en 2011, le texte perdu d'une conférence sur la colonisation française prononcée en 1896 dans un petit village du Limousin.
Mieux qu'aucune archive, le texte exposait ce qui aurait pu être dit en pareille circonstance. Mais les historiens attendent-ils seulement des documents d'histoire qu'ils confortent ce que l'on sait déjà ? Les candidats au concours de 2058 sont les premiers à en douter. Ils sont bientôt rejoints par deux historiens très âgés qui leur rappellent un précédent méconnu : au concours de 2011 justement (quelle coïncidence !), on avait donné à commenter le texte d'un érudit moderne qui avait lui aussi inventé la source qui lui manquait.
Par quelle mystérieuse opération un « texte » devient-il un « document », et un « document d'histoire » un « bon texte » pour ceux qui prétendent l'enseigner ? À quoi sert l'érudition et comment concilier l'exigence du chercheur et l'efficacité du pédagogue ? Quel rôle les historiens confèrent-ils à l'imagination ? Deux historiens, Sylvain Venayre et Patrick Boucheron, tentent de répondre à ces interrogations en utilisant les objets mêmes que ces questions soulèvent : le jeu et la fiction.