Au début des années 1990, en marge de ses propres recherches, Patrick Tort découvre que les États-Unis, par le truchement de leurs fondations philanthropiques, ont financé le nazisme avant de le combattre. Dans cet essai, il montre comment leur puissance s'est construite sur l'intégration des productions de l'Angleterre victorienne (le « darwinisme social », l'individualisme libéral, l'impérialisme et ses justifications raciales, l'eugénisme auto-protecteur des dominants) au sein desquelles Hitler, dès la rédaction de Mein Kampf, put largement effectuer ses choix.
S'appuyant sur les ressources de l'histoire politique, de l'analyse textuelle, de la psychologie sociale et de la psychanalyse, l'auteur conduit une réévaluation critique rigoureuse des usages contemporains de la notion de totalitarisme. Il met en évidence la manière dont les États-Unis ont fabriqué, grâce à la propagande politique, la publicité commerciale, la psychologie des foules et les technologies de l'influence, un nouveau totalitarisme euphorisant et consensuel dont l'effort permanent consiste à occulter sa propre violence sous le vêtement de la « liberté ».
Le matérialisme que ce livre interroge et construit n'est pas une « philosophie », mais la condition de possibilité et l'outil de la connaissance objective.
Historiquement, il se confond avec l'élaboration de la science moderne s'affranchissant graduellement des contrats de parole qui l'asservissaient à la métaphysique et à la théologie. Comment, d'une part, cette émancipation s'est-elle effectuée en des temps où une croyance instituée imposait a priori la limite de l'Inconnaissable ? Comment, d'autre part, une métaphysique résiduelle impose-t-elle toujours aux artisans de la connaissance objective, sans qu'ils s'en doutent, des cadres, des frontières, des démarches et des représentations ?
Ce livre montre qu'une analyse savante des complexes de discours dans l'histoire permet de comprendre et d'améliorer ce qui constitue aujourd'hui l'acte de connaître. De redéfinir la « conscience ». De sortir des leitmotivs exténués sur le « hasard ». De penser plus authentiquement la singularité émergente du vivant. De s'éloigner d'un modèle strictement nécessitariste du « déterminisme ». De sortir des impasses du réductionnisme. De résoudre les contradictions entre matérialisme et morale, ou entre déterminisme et conduites autonomes. D'entrevoir l'origine du symbolisme. De comprendre la nature fondamentalement politique de la religion. De penser l'articulation évolutive entre « nature » et « civilisation », et un lien cohérent et critique entre sciences de la nature et sciences de la société. D'identifier les comportements discursifs récurrents de ce que l'on nomme l'« idéologie ». Et d'édifier sur de nouvelles bases une histoire naturelle et sociale de la liberté.
Revenant sur une part essentielle de son oeuvre, Patrick Tort invite ici à une véritable réforme logique de l'initiative de connaissance, et, simultanément, à instruire la méthode capable d'éclairer les mécanismes qui la favorisent ou qui la combattent dans l'univers infini des discours.
Le sacrifice de soi demeure un mystère du point de vue de la biologie. Darwin y reconnaît la forme la plus élevée de la vie morale et recherche les manifestations de ses ébauches animales pour en comprendre l'origine.
Cette origine, c'est la « sélection sexuelle » : certains caractères héréditaires évoluent sous l'effet de « lutte pour la reproduction », par exemple, les plumes du paon ou les bois du cerf. Les cerfs qui arborent les bois les plus imposants ont plus de chance d'être choisis par les femelles ou de dominer les mâles concurrents.
Mais ces caractères semblent contraires à la survie : la queue majestueuse du paon, par exemple, attire les prédateurs ; les bois du cerf constituent un handicap pour leur échapper en milieu boisé. Ils accroissent donc les chances de conquête sexuelle mais diminuent les chances de survie. Il y a donc une propension à l'autosacrifice dans le règne animal : il faut être disposé à mourir pour pouvoir se reproduire.
Cette forme primitive d'instinct social est à l'origine - au même titre que le dévouement au groupe, la discipline coopérative, l'entraide... - de la formation de l'idéal moral dans la civilisation. C'est explication biologique de l'origine de la morale permet de récuser deux grandes explications historiques : le « don de soi » du christianisme et le scénario freudien de la « horde primitive » », où le sacrifice rituel commémore le meurtre initial du père.
Rendre à Darwin ce qui lui appartient, en même temps que lui retirer ce qu'on lui attribue à tort, constitue aujourd'hui un devoir proportionné aux enjeux d'une lecture cruciale qui est encore loin d'être acquise: celle de son oeuvre.
Simplifications inexactes ("l'Homme descend du Singe"), accusations polémiques ("le darwinisme est immoral"), réécritures opportunistes ("Darwin glorifie la loi du plus fort"), dénis de scientificité ("la théorie de la sélection naturelle ne repose sur aucune preuve"), arguties créationnistes ("l'oeil est un miracle de la Création"), récupérations religieuses sous couvert d'agnosticisme ("il n'y a pas de contradiction entre la foi et Darwin"), jugement trop hâtif de Marx ("Darwin projette le capitalisme sur la nature"), griefs de racisme, d'esclavagisme, d'eugénisme, de sexisme, voire de pré-nazisme: autant de biais aux implications dramatiques qui ont fini parfois par s'imposer.
La clé de la plupart de ces "incompréhensions" est le contournement (innocent ou tactique) d'une logique impérative, liée chez Darwin à la sélection de l'instinct social: celle de la destitution tendancielle de la sélection naturelle éliminatoire au cours de l'émergence (pourtant sélectionnée) de la civilisation et de la morale.
Le destin du nom, de l'oeuvre et de la pensée de Spencer constitue l'une des curiosités les plus remarquables de l'histoire intellectuelle du monde moderne. Son système de l'évolution, dont la diffusion internationale commence dès 1860, va devenir la bible séculière du développement occidental, tout spécialement aux Etats-Unis.
C'est une contribution essentielle et radicalement neuve aux violents débats sur l'identité qui secouent nos sociétés qu'apporte ici Patrick Tort. Renvoyant dos à dos les tenants de l'inné et de l'acquis, l'opposition nature/culture, le philosophe et linguiste nous amène brillamment à dépasser ces vieilles constructions idéologiques. Relisant Darwin - dont il est l'un des grands spécialistes - et Lévi-Strauss, il revisite finement l'étroite intrication de la nature et de la culture chez tout être humain.