« Je veux en faire un bon emploi aujourd'hui, en parlant un peu de mon père et en racontant sa mort. Ce sera une occasion de me distraire, quinze ou vingt soirées, en comptant les flâneries, et d'écrire de nouvelles pages sur mes souvenirs d'enfance. Ils sont si vivants en moi, ces souvenirs, et il me faut si peu de chose pour me redonner tout entier à eux. »
« J'ignore si le lecteur s'amusera beaucoup des souvenirs d'enfance que je vais raconter. Il y a bien cinq ans que je me demande si je dois les écrire, moi, et je viens seulement de m'y décider ! Qui sait aussi si cet enfant que j'ai été et que je revois en ce moment avec une netteté qui touche au prodige ne me reprochera pas, quand j'aurai achevé, d'avoir été, à son sujet, si loin dans ce livre. Pauvre chéri ! Comme disent si tendrement mes amies, quand je leur en parle. Enfin, ça fera peut-être quelques bonnes pages. »Dans Le Petit Ami (1903), Paul Léautaud relate ses jeunes années au milieu des lorettes et ses retrouvailles éphémères avec sa mère, femme à la fois proche et interdite.
Jeudi 18 février - À l'Acropole, de dix heures un quart à onze heures et demie. Elle soupe. Je prends un chocolat. Je la reconduis à sa porte. Propose un petit tour dans un coin de la gare, sans lumière, pour quelques baisers. Grand plaisir à la tenir dans mes bras. Je... J'ai des velléités de certaines petites choses. S'y refuse, par prudence. Je lui dis comme elle est déplaisante, en pareil cas.
Le Journal particulier de Paul Léautaud, qui constitue une branche annexe de son fameux journal littéraire, est parvenu jusqu'à nous grâce à Marie Dormoy, sa maîtresse. Chargée de dactylographier le monumental Journal, elle en a ôté et isolé les pages la concernant, trop explicitement érotiques et sexuelles. Elles constituent le Journal particulier, dont le Mercure a déjà publié les années 1933, 1935 et 1936.
En 1937, sur un coup de tête, Léautaud retire à sa maîtresse son statut de légataire universelle. Il se ressaisira bien vite et reconnaîtra que Marie Dormoy est bien celle qui protège à la fois l'homme, l'écrivain et son oeuvre avec une infinie dévotion amoureuse...
"Mes souvenirs, en effet, s'arrêtent là, de ce grand jour où je fis avec Jeanne, et pour la première fois, l'amour pour de bon. Ce n'est même pas la peine que je me fatigue à chercher. Je revois ce corps d'un rose pâle, ces seins pleins et durs, ce visage brillant d'ardeur, d'autres beautés encore plus intéressantes..."
Samedi 11 janvier 1936. - Elle est arrivée à Fontenay à sept heures. Un moment de conversation. Petites polissonneries dans le jardin. Partis dîner rue Saint-Placide. Ensuite chez elle. Soirée délicieuse : gaie, tendre, caressante, amoureuse, pleine de propos charmants, tout cela la faisant fort jolie. Grand entrain et grand plaisir partagé. Elle m'a répété le plaisir qu'elle a à me regarder quand je suis près d'elle. J'étais plein de jeunesse, ce soir. Très éveillé après le plaisir.
Du Journal particulier de Paul Léautaud, le Mercure de France a déjà publié les années 1933 et 1935. Aujourd'hui, voici les pages consacrées à l'année 1936. Comme dans les volumes précédents, on retrouve la relation complexe de Paul Léautaud et Marie Dormoy. Mais le récit des prouesses sexuelles, qui occupait l'essentiel du Journal de 1933, s'estompe désormais au profit de réflexions plus générales sur la nature de l'amour qui lie les deux amants. C'est avec un certain plaisir pervers en effet que Marie Dormoy évoque ses liaisons passées, ne faisant que provoquer Léautaud et renforcer son sentiment maladif de jalousie...
« On trouvera bien des enfantillages de ma part, dans ces lettres. C'est que je me suis retrouvé si enfant quand je l'ai retrouvée, la créature à qui elles sont adressées ! Je donnerais d'ailleurs beaucoup pour les écrire encore. Comme la vie a passé depuis ! J'étais heureux, au moins j'avais l'illusion d'un certain bonheur. Ce fut un moment unique dans ma vie, et même le souvenir que j'en ai, il n'est aucune de mes autres émotions, amoureuses ou de succès littéraire, qui l'égale. »Publié en 1956, Lettres à ma mère retranscrit la brève correspondance échangée entre Paul Léautaud et sa mère. Débutant en 1901, après des retrouvailles bien tardives, elle va s'échelonner sur quelques années et se clore par un nouvel abandon. S'y dévoile toute la sensibilité de l'homme de lettres qui aurait tant aimé rattraper son enfance « orpheline ».
C'est à Marie Dormoy, que Léautaud a confié la publication de son Journal Littéraire. Grande preuve d'estime, de confiance et aussi d'amitié. Les lettres publiées ici sont extraites de la correspondance qu'il lui a adressée de l'année 1922, à l'occasion d'un article publié par elle dans le Mercure de France, à l'année 1956, la dernière lettre ayant été écrite le matin même de sa mort.
C'est par Marie Dormoy que Léautaud est entré dans un monde qui, jusqu'alors, lui avait été totalement inconnu : les familles régulièrement constituées, les structures normalement établies, ce qui lui a causé de grandes surprises. Cette correspondance est donc, en quelque sorte, un complément au Journal. Léautaud s'y exprime à coeur ouvert, sur le meilleur et sur le pire, cela dans la proportion du cheval et de l'alouette, celle-ci figurant, bien entendu, le meilleur, celui-là le pire.
Ce meilleur et ce pire ne sont toutefois pas absolument ceux du Journal. Ecrivant à une femme pour laquelle il avait, quoi qu'il en ait dit, quoi qu'il lui ait fait, une sincère affection, il y a, dans ces lettres, un ton, une « étoffe » aurait dit Valéry, qu'on ne retrouve dans aucune autre de ses oeuvres.
Le 1er janvier 1935 Ensuite elle a pris son bain. Je me suis assis à côté de sa baignoire. C'est vrai ce que je lui ai dit des mille nuances de tendresse que me font éprouver certaines de ses façons de me faire plaisir, de se montrer tendre elle-même. Pour la première fois de ma vie, je trouve une femme à qui pouvoir parler de cette sorte. J'ai même fini par tourner cela en plaisanterie, en disant qu'il m'arrivera peut-être, moi qui ai toujours célébré uniquement le derrière, de tomber dans l'amour platonique, en quoi m'aidera la nature un jour en me supprimant tous moyens. Du Journal particulier de Paul Léautaud, on connaissait l'année 1933, publiée au Mercure de France en 1986. Aujourd'hui, c'est l'année 1935 qui paraît. On y lit des épisodes restés inédits de la relation amoureuse complexe de Léautaud et de Marie Dormoy. Le Journal particulier de 1933 était essentiellement érotique. Ici, Léautaud n'est plus occupé uniquement de prouesses sexuelles. S'il reste souvent d'une extrême crudité, l'écrivain avoue connaître l''amour fou' et y puiser le bonheur d'écrire. Pourtant, désorienté par la passion qui l'a saisi, il accable Marie Dormoy de violentes scènes, innombrables et répétitives, qui forment l'une des trames de ce Journal particulier. Au plaisir de la possession physique de la femme aimée succède toujours la jalousie qui habite l'amoureux qu'il est devenu, à plus de soixante ans...
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
« Dans le domaine des choses de l'esprit, nous n'avons aujourd'hui que des auteurs et des oeuvres remarquables. Ce manque de différenciation dans les valeurs, cette égalité dans le dithyrambe, cette mise de tout sur le même plan, pas de meilleure preuve du manque de culture et du manque de goût de notre époque. Quand on ne connaît rien, on trouve tout admirable. »Publié pour la première fois en 1947, mais rédigé essentiellement dans les années 1920 et 1930, Propos d'un jour mêle les aphorismes, notes et réflexions diverses d'un esprit plein d'ironie et d'intelligence sur son époque et ses contemporains.
Vendredi 13 janvier 1933. - Ce matin, visite de M.D. J'étais debout devant la grande table, à trier le courrier du sac de poste. Elle me dit : 'Voulez-vous venir dîner dimanche avec moi?' Je lui réponds : 'Non. - Pourquoi? - Parce que j'ai horreur d'aller dehors le soir. Et puis j'ai assez de me faire offrir à dîner par des dames.' Elle me dit : 'Êtes-vous bête! Alors, vous ne voulez pas venir! Vous ne l'auriez pas regretté...' Elle est debout à côté de moi. Je me tourne vers elle : 'Pourquoi?' Elle me répond d'un certain air : 'Pourquoi!...' puis se colle à moi et me tend sa bouche. Un baiser. Le Journal particulier forme une branche annexe du Journal 'général' de Léautaud. Le Journal littéraire, 'monument' de la littérature, met en scène la société des gens de lettres en soulignant bien des travers humains chez eux. Le Journal particulier relate avant tout la liaison 'sentimentale' entre l'écrivain et Marie Dormoy. 'Relation sentimentale' est un euphémisme, car les expressions concernant le sentiment sont rares dans les pages qui couvrent l'année 1933 : les deux amants cherchent avant tout la satisfaction physique et une plénitude des sens.
Ce coffret la seconde moitié de l'intégrale des entretiens radiophoniques entre Paul Léautaud et Robert Mallet suivi des entretiens inédits de Julien Benda et Paul Léautaud réalisée sous la direction d'Edith Silve ( Chargée de la publication des oeuvres inédites de Paul Léautaud). Les entretiens Léautaud-Mallet sont considérés comme une oeuvre radiophonique qui fait référence à la fois dans le monde des Lettres et des Arts mais aussi dans l'histoire du journalisme et des média. Pour la première fois, l'INA et Frémeaux & Associés éditent, avec le concours de la Scam, l'intégrale des célèbres entretiens de Paul Léautaud avec Robert Mallet.
Patrick Frémeaux
« Un écrivain qui reçoit un prix littéraire est déshonoré. »
Paul Léautaud - Extraits des Entretiens avec Robert Mallet
Il est là dans les studios, le petit bonhomme qui avait pourtant bien dit à Robert Mallet qu'il ne viendrait pas à la radio : 'je ne suis pas un cabotin !' Il vient pour médire de tous et de tout. On dit que les rues se vident à l'heure des entretiens et que de Charles de Gaulle aux étudiants qui s'entassent dans les bars du quartiers latin, tous écoutent avec ravissement ce redoutable petit vieillard attaquer les plus illustres gloires de la littérature française.
Lequel va être la marionnette à abattre aujourd'hui ? L'émission est explosive et on surnomme Léautaud la dynamite des ondes. La dynamite à quatre-vingts ans et elle est plus active que jamais. La poésie de Valéry ? - ça ne m'intéresse pas du tout, répond Léautaud, c'est de la fabrication. Je le dis toujours, il n'y a pas, pour moi, dans toute l'oeuvre de Valéry un seul vers qui vaille celui de Verlaine : l'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable. Et pan ! Un coup de canne sur le plancher en guise de ponctuation. Sa famille et ses maîtresses ont droit au même traitement que les gens de lettres. Sa mère ? une petite catin. Son père ? Un coureur de jupons. Ses maîtresses ? Seul le sexe compte, surtout pas de coeur dans l'affaire.
Il s'affiche comme un sans foi ni loi et ses propos sont si provocateurs qu'il faut bien, parfois, censurer ses débordements. Et pourtant, la douceur, l'amour, la tendresse sont là lorsqu'il évoque son enfance, les animaux abandonnés qu'il recueille, ou les poètes qu'il aime, comme Verlaine, Charles Guérin. Tenir son journal entouré de ses chats représente la seule forme de bonheur qu'il connaisse.
Cet écrivain qui parle à travers un masque sous lequel il dissimule sa fragilité, sa pudeur, sa peur de la mort et de l'amour, est bien un grand acteur dont les entretiens avec Robert Mallet en sont le témoignage. Les centaines de lettres qu'il reçut des auditeurs prouvent l'immense intérêt qu'il suscita en 1951. Aujourd'hui, ces entretiens font partie de notre patrimoine national.
Edith Silve