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Arts et spectacles
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À Yves Saint Laurent
5 juin 2008
Comme le matin de Paris était jeune et beau la fois où nous nous sommes rencontrés! Tu menais ton premier combat. Ce jour-là, tu as rencontré la gloire et depuis, elle et toi, ne vous êtes plus quittés. Comment aurais-je pu imaginer que cinquante années plus tard nous serions là, face à face, et que je m'adresserais à toi pour un dernier adieu? C'est la dernière fois que je te parle, la dernière fois que je le peux. Bientôt, tes cendres rejoindront la sépulture qui t'attend dans les jardins de Marrakech. -
Au cours de ses entretiens inédits, Pierre Boulez expose ses vues sur la musique, trace les grandes lignes de ce que pourraient être son "Art poétique" musical, et dresse un tableau de la musique contemporaine - tendances, composition, harmonique - à l'aube du siècle.
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Conserver / restaurer ; l'oeuvre d'art à l'époque de sa préservation technique
Jean-pierre Cometti
- Gallimard
- NRF Essais
- 18 Février 2016
- 9782072640216
La conservation et la restauration des oeuvres d'art sont en apparence les deux faces d'une même réalité. Les musées n'ont-ils pas pour mission d'exposer et de préserver leurs oeuvres ? Mais c'est compter sans une extension inédite des biens culturels et la propension à y inclure les choses les plus diverses, à commencer par les plus contemporaines. En sorte que ces deux missions deviennent contradictoires.
Les termes qui caractérisent cette situation nouvelle ("patrimoine", "curateur" qui s'est substitué à "commissaire", etc.) indiquent la grande transformation : sous l'effet du marché de l'art internationalisé et de la place qu'il occupe dans le monde de la finance, les oeuvres sont désormais des biens qui, au même titre que d'autres, plus qu'une valeur ont un prix.
S'ajoute l'importance prise par leur dimension contemporaine, puisque la mémoire dans nos sociétés est indissociable d'un rapport à l'histoire désormais centré non plus sur le passé mais sur le présent - un présent sans futur et qui est à lui-même son propre horizon.
La patrimonialisation du présent brasse les cultures les plus hétérogènes, le passé et le présent, l'homogène et l'exogène, l'ordinaire et l'extraordinaire. Elle fait croître le souci qui entoure désormais les productions contemporaines y compris dans leurs composantes techniques, singulièrement créditées d'une valeur que leur obsolescence particulière rend d'autant plus digne d'intérêt. -
"On a voulu faire en sorte que chaque tarte ait un sens", déclarait Stan Laurel à propos de La Bataille du siècle (1927), la plus longue bataille de tartes à la crème de l'histoire du cinéma muet. Prenant cette déclaration très littéralement, Pierre Senges suppose la présence de "significateurs de tartes" sur les plateaux de tournage, tout en nous contant les secrets de la Los Angeles Cream Pie Company, chargée de fournir ces projectiles pâtissiers aux studios de Hollywood. Ce livre émet encore bien d'autres hypothèses gourmandes, voire théologiques. Et si l'auteur prête à cet entartage une certaine gravité, c'est celle d'un "pitre sérieux" conjurant par le rire le non-sens universel.
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Le sel, le sang, la fleur : tels sont les thèmes à partir desquels l'auteur s'emploie à mettre en lumière ce qu'on peut appeler la mythologie du quotidien. Il ne s'agit pas ici d'un essai philosophique, mais d'une série de variations à propos de certaines réalités familières que l'homme a dotées d'une puissance de symbole et qui entretiennent en nous une obscure religion.
Nos rapports avec le monde de la matière, le monde animal et le monde végétal sont déterminés par une sorte d'animisme, moins conscient mais non moins fort que celui des Africains. Dans certains chapitres de ce livre, la description de leurs coutumes et de leurs rites alterne avec le rappel des nôtres, sur le mode du contrepoint.
La seconde partie de l'ouvrage, qui prolonge l'évocation des éléments magiques inclus dans notre monde quotidien, relate les expériences effectuées par le narrateur sur des plantes, au moyen notamment de greffes de plus en plus audacieuses (les greffes à chimères), dans l'espoir d'atteindre les sources mêmes de la vie. Comme, un peu plus tôt, la recherche du dieu-sel ou le voyage autour du mythe du sang, le récit de cette tentative d'alchimie végétale fait des Chimères un livre d'aventures, au sens propre du mot. -
La Croix, l'Ancre et la Grenade : Histoires de soldats de 1270 à 1930
Pierre Mac Orlan
- Gallimard
- blanche
- 1 Mars 2019
- 9782072132773
'Dès que je fus vêtu en soldat, je me sentis libre. J'étais un homme comme les autres : je pouvais manger à ma faim. La crasse de ma misère ancienne fut dissoute, lavée comme par magie. Je possédais un complet, des complets propres et sans trou. Je ne subissais plus l'échec immédiat de mes projets les plus timides. Je pouvais même mentir à mon aise et me composer une vie ancienne à peu près honorable.'
Telle fut, en 1906, l'issue honorable à l'impasse misérable que constituait l'existence de Pierre Mac Orlan. Ces confidences, faites à l'âge de soixante-cinq ans, ne forment pas un simple post-scriptum nostalgique d'une vie sublimée dans l'écriture. Avec elles, Mac Orlan nous livre le chiffre secret de son oeuvre et nous désigne le personnage qui domine toute son inspiration : le soldat.
Au fil des ans, Mac Orlan a composé ce recueil dont le titre est emprunté à trois emblèmes : celui des armées de l'Ancien Régime, celui de l'Infanterie de Marine, celui de l'Infanterie tout court. Le soldat selon Mac Orlan est un émule de François Villon qui chercherait le salut parmi les soldats de Kipling. -
La chemise
Pierre Basson
- Gallimard (réédition numérique FeniXX)
- Blanche
- 30 Novembre 2018
- 9782072806162
Dans sa maison en dehors de la ville, chaque matin le vieux Dheune compte une victoire nouvelle sur la nuit puisque « c'est la nuit qu'on meurt », et que sa femme Marie, paralysée et mourante, est encore en vie. Près de lui vivent son gendre, Jean Maille et sa fille. Il hait son gendre qui voudrait commander à sa place et il méprise sa fille qui obéit passivement. Ce matin, le couple juge inutile d'aller chercher le médecin pour leur mère puisque, comme le dit Jean Maille : « les pieds sont déjà morts ». Sous la menace de son fusil, le vieil homme décide sa fille à aller le chercher, puis, tranquillement, il se met à nettoyer son arme. Le médecin est venu et a déclaré que « c'était la fin ». Poussé par un obscur instinct, Dheune a saisi une nouvelle fois son fusil et a tiré sur une chemise de Maille qui sèche sur une corde du hangar ; il lui montrera ensuite le trou qu'il a fait dans l'étoffe, « à la place du coeur ». C'est en palpant lui-même l'étoffe de cette chemise qu'il pense au guérisseur qui habite dans un bourg voisin et, se refusant au verdict du médecin, il décide d'aller le trouver ; il met dans une valise une chemise de nuit de la malade et prend l'autobus. Chez le guérisseur, la consultation a lieu, les « passes » sont faites sur la chemise. En attendant l'autobus qui le ramènera chez lui, Dheune s'arrête au café et, détendu, confiant, lui qui n'a plus touché une carte depuis le début de la maladie de sa femme, accepte de jouer la partie qu'on lui propose. Durant cette partie, un mauvais plaisant, à demi ivre, lui subtilise sa valise. Le vol découvert, Dheune trouve à ses côtés des hommes de bonne volonté pour l'aider dans sa recherche afin que sa femme mourante ait cette chemise « avant la nuit », car, cette fois, lui-même le dit, « elle passera pas la nuit ». Une fouille systématique s'organise. On finit par trouver le coupable, mais celui-ci, sous l'effet de l'alcool, a été rendu demi-fou par la possession de cette chemise et, de crainte qu'on lui enlève, a lacéré l'étoffe de coups de couteaux. Il n'en restera que des lambeaux grands comme la main : Marie Dheune ne la mettra pas « avant la nuit ». Cette histoire étrange, basée sur les moeurs et les superstitions d'une civilisation paysanne du midi devient peu à peu une tragédie étouffante.
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"Derrière la porte close des chaumières, des yeux craintifs épièrent le passage des Armagnacs : les soldats en déroute, qui traînaient avec eux des fillettes ramassées aux étuves et, plus souvent, à la porte des cimetières, passaient rapidement sur la neige par petites bandes. Ils regardaient derrière eux avec inquiétude et les filles, en troussant leur cotte au-dessus des genoux, devaient courir pour les suivre. Puis, ils disparurent dans les bois. La neige tombait sans interruption. La désolation de la guerre s'étendait à perte de vue sur les champs abandonnés où des corbeaux immobiles et graves se regardaient étrangement, bec à bec. Avec le départ des soldats, la chaleur de l'espoir ranima le coeur des villageois. Malgré le froid, chacun ouvrit sa porte ; l'on respira longuement. Les enfants se poursuivaient en se jetant des boules de neige ; des chiens couraient, les poils hérissés sur le dos, en aboyant dans la direction des bois. La misère était grande : chacun désespérait de se voir, un jour, réuni au monde de ceux qui vivaient, peut-être mieux, dans les villes, comme c'était autrefois, alors que tout prud'homme travaillait selon la loi."