Hitler fait-il vendre ? On peut se poser la question face à la recrudescence de films sur le national-socialisme réalisés dans l'Allemagne réunifiée : La Chute, Opération Walkyrie, Rosenstrasse, Sophie Scholl. Ces films ont pour thèmes principaux les dernières heures du régime, la résistance allemande ou la persécution des Juifs. Partant du constat que le cinéma se fait le reflet des interrogations et des aspirations qui travaillent une société à un moment donné de son histoire, les auteurs ont étudié les fictions cinématographiques et télévisuelles allemandes des deux dernières décennies. En croisant les enjeux mémoriels et esthétiques, ils se sont interrogés sur les possibilités et les formes de la représentation et de la transmission : le regard sur les victimes et les coupables a-t-il évolué ? Des tabous sont-ils brisés, par exemple dans la représentation du dictateur ? Peut-on parler d'un changement de paradigme dans l'Allemagne réunifiée ? Les auteurs, des chercheurs germanophones et francophones de différentes disciplines (Études germaniques, Histoire, Cinéma, Esthétique), proposent une approche transdisciplinaire et novatrice sur un sujet en prise sur l'actualité allemande qui constitue un champ de recherche peu exploré en France.
Cette étude de socio-histoire du politique analyse les réseaux du Parti Apriste Péruvien (PAP) et d'Action Démocratique du Venezuela (AD). Elle se penche sur l'histoire des deux formations politiques traditionnellement considérées comme les plus importantes organisations partisanes dans leur pays respectif et figurant parmi les plus anciens partis latino-américains. Leur passé anti-impérialiste, leur caractère populiste, leur soutien aux projets d'intégration américaine ou le rayonnement de leurs chefs, Victor Raùl Haya de la Torre et Rómulo Betancourt, sont autant d'éléments qui leur confèrent une place de choix dans l'histoire politique du xxe siècle. Ce travail met en évidence les réseaux transnationaux issus des liens tant personnels qu'organisationnels des dirigeants des deux partis durant leurs premiers pas dans la vie politique et leurs exils successifs. À partir des exemples du Pérou et du Venezuela, il examine la formation entre 1920 et 1962 d'une culture politique spécifique au sein de la gauche latino-américaine, celle des partis populistes apristes, en rendant compte d'une dynamique d'interdépendance sociale entre les individus, mais aussi d'un processus d'internationalisation de l'action collective qui produisit une praxis contestataire de lutte contre les dictatures.
Place forte de la pêche du hareng jusqu'en 1670, le port hollandais d'Enkhuizen connaît une restructuration économique profonde tout au long du xviiie siècle. L'effondrement démographique est spectaculaire, puisque la ville perd deux tiers de ses habitants entre 1622 et 1795. Connu depuis longtemps, le "déclin" d'Enkhuizen n'avait jamais fait l'objet d'une enquête sur son contenu et ses implications. L'ouvrage met en lumière un certain nombre de phénomènes comme l'émergence d'une société de l'entre soi ou la contraction de l'espace urbain utile. Repliée sur elle-même, la ville se déleste de ses pauvres tandis que le patriciat s'enrichit grâce au commerce asiatique. Cette société urbaine bouleversée se réinvente par le biais d'une mémoire civique commune, destinée à combattre le sentiment de déclassement. Cependant, les marqueurs identitaires mis en avant sont instrumentalisés par l'oligarchie locale, afin de justifier son maintien au pouvoir. Cette relecture sociale et culturelle du déclin hollandais du xviiie siècle constitue une approche nouvelle, pour un objet d'histoire devenu classique. Enkhuizen connait davantage un déclassement et une restructuration, qu'un déclin absolu et irrémédiable. L'enquête, inédite, s'appuie sur le dépouillement approfondi d'archives aux Pays-Bas. Elle vise également, par le biais de la bibliographie, à mettre à la disposition du lecteur français des informations et des concepts jusqu'ici largement inaccessibles aux non-néerlandophones.
Au mois de novembre 2010, Pascal Quignard et la danseuse de butô Carlotta Ikeda ont créé la pièce medea, sur la scène du Théâtre Molière, à Bordeaux. Cette rencontre de la danse et de la littérature était-elle donc marquée du sceau de l'inéluctable ? Oui, parce que la danse est au coeur de l'oeuvre de Pascal Quignard, depuis toujours, et elle éclaire indirectement le sens de ses collaborations multiples, avec des peintres, des musiciens, des comédiens. Affirmer la nécessité esthétique et logique de cet événement peut cependant surprendre car, dans le premier temps de l'oeuvre, le corps et sa danse n'apparaissaient guère. Pourtant, quand je l'interrogeais à ce sujet dans les entretiens que nous avons menés ensemble en 2000, il répondit ceci : « La danse est un art, bien sûr. J'en parle très souvent, quoi que vous en disiez, sous la forme du corps humain tournant la tête, tombant les bras levés, versant en arrière. ». Cette réponse m'a laissée songeuse. Je n'avais pas lu la danse dans son oeuvre, et c'est cette erreur de lecture - ou cette myopie - que l'écriture du présent essai a voulu corriger. Aussi ai-je souhaité lire ici ce que je n'avais pas lu, comprendre ce que je n'avais pas compris, en retraçant l'histoire de cette présence, à la fois fantomatique et réelle, du corps et de sa danse dans l'oeuvre.
L'importance de Friedrich von Hardenberg alias « Novalis » (1772-1801) dans l'histoire de la littérature allemande et européenne est bien connue. En revanche, on ignore encore trop souvent que le poète romantique fût également philosophe. Lecteur passionné et subversif des grands penseurs de son temps (Kant, Fichte, Schelling, Reinhold, Jacobi, Schiller), Novalis se livre dans les Études fichtéennes (jamais parues de son vivant) à une interrogation de fond sur la philosophie transcendantale élaborée par ses maîtres, et en particulier par Kant et Fichte. D'une extraordinaire puissance spéculative, d'une précocité inouïe (l'auteur est un jeune homme de vingt-trois ans), Novalis fait se succéder à une vitesse vertigineuse, dans ces carnets totalisant 667 fragments, autant d'intuitions fulgurantes, de mécompréhensions et de transformations conceptuelles délibérées qui restent toutes à interpréter. La question essentielle de ces pages se présente rapidement comme celle de la manifestation. C'est plus précisément le thème de l'imagination, et par suite de l'image ou de l'apparence de l'être, c'est-à-dire de la perspective, qui se déplie nerveusement dans les fragments. Étroitement relié au problème du langage comme acte créateur, il apparaît dans le désordre, voire comme désordre. Car les méditations de Novalis ne suivent volontairement aucun protocole : pensées en acte à l'état pur, elles ne se soucient que de leur propre devenir, et tandis qu'elles affrontent jusqu'au non-sens, c'est à dessein qu'elles ne s'achèvent pas et qu'elles remettent en cause nos cadres de pensée hérités.
L'interrogation sur les instruments intellectuels de l'interprète est au coeur du présent volume. Indépendamment d'une orientation théorique ou philosophique prédéfinie, il s'agit ici de présenter certains des concepts où s'articule la rationalité herméneutique.
À l'heure où l'on s'inquiète de la place de la littérature française sur la scène internationale, cet ouvrage établit l'état actuel des recherches qui lui sont consacrées dans le monde. Il présente les enseignements, travaux et publications, et met en évidence les particularités observables selon la diversité des zones géographiques, linguistiques et culturelles. Après la domination successive des écoles formalistes et structurales, puis de celles issues de la French Theory et de la déconstruction, aucune méthode ne semble aujourd'hui s'imposer, et la recherche, désormais plus syncrétique, préfère croiser des approches de nature diverse. Quelques-uns des meilleurs spécialistes mondiaux montrent ainsi quels sont, depuis le basculement d'un siècle à l'autre, les écrivains et les esthétiques les plus étudiés, les méthodes critiques privilégiées et les relations qu'elles entretiennent avec les autres disciplines de la pensée.
L'intelligence de la compréhension des textes littéraires a pour présupposé l'intelligence à l'oeuvre dans les textes eux-mêmes. Comment lire des oeuvres de Schiller, Friedrich Schlegel, Uhland, Rilke, Kafka et Celan ? s'interroge Christoph Knig. La réflexion kantienne sur les conditions de possibilité d'une connaissance littéraire trouve un prolongement dans une herméneutique critique moderne. Les lectures proposées portent sur de grandes oeuvres de la littérature allemande, depuis l'époque du classicisme de Weimar jusqu'à la modernité où la tradition symboliste de Paul Valéry est revisitée. Le livre traite aussi de la rivalité entre des philosophes lecteurs de littérature et des philologues qui travaillent à une théorie de leur pratique. Les lectures philosophiques de Wilhelm von Humboldt et Wittgenstein et la démarche théologique de Walter Benjamin sont ainsi évoquées, ainsi que les lectures toujours neuves de poèmes de Celan par son ami le comparatiste Peter Szondi.
Les nombreux travaux réalisés en collaboration avec des artistes, peintres, plasticiens ou musiciens constituent désormais la majeure partie de l'oeuvre de Michel Butor. Ils demeurent cependant peu connus, et sont rarement envisagés par une critique qui s'en tient toujours aux romans de l'écrivain. Or ces réalisations visent à promouvoir un « dialogue avec les arts » où s'affirme la radicalité d'une démarche résolument moderne. Ce « dialogue » permet de mieux comprendre, rétrospectivement, le véritable projet des premiers livres (de L'Emploi du temps, à Description de San Marco...) en les situant enfin dans une entreprise d'envergure. Surtout il manifeste l'émergence d'une réflexion critique originale sur le statut de la création artistique dans le monde contemporain, saisi à travers ses enjeux poétique, politique, esthétique et philosophique.
Le texte philosophique est un objet à part entière du vaste projet humaniste de restauration de la culture antique qui s'épanouit à partir du xve siècle en Italie et dans toute l'Europe. On ne saurait philosopher sans commenter. Si les trois grandes pratiques philologiques - éditer, traduire, commenter -, fondements de la démarche humaniste, restent les héritières des écoles anciennes et de l'université scolastique, le geste humaniste les renouvelle en apportant une rigueur méthodologique et une ouverture nouvelles. De l'institution universitaire aux nouveaux centres du savoir, la frontière est poreuse et le commentaire philosophique se révèle le lieu privilégié de la rencontre de courants divers. C'est de la dialectique qui s'établit entre différentes approches que témoigne le commentaire philosophique à la Renaissance plutôt que d'une pratique radicalement différente et opposée. Le commentaire traditionnel n'en est pas moins infléchi, et s'élabore une nouvelle façon de philosopher : l'élargissement du corpus, les apports de la philologie et d'autres disciplines, l'ouverture à de nouveaux courants insufflent à la pratique du commentaire philosophique une remarquable plasticité. Les études réunies dans le présent volume se proposent d'analyser la refondation humaniste de la philosophie antique par l'activité du commentaire tout au long des xve et xvie siècles.
Trente ans après le lancement de la politique de réformes et d'ouverture, le visage de la Chine a été profondément modifié. Cet ouvrage cherche à comprendre quelles ont été les évolutions structurelles du régime chinois tant sur le plan domestique qu'international. De quelle manière la politique chinoise a-t-elle évolué et quelle relation peut-on établir entre l'ouverture de la Chine au monde et sa politique intérieure ? À travers les contributions inédites de chercheurs français, chinois et hongkongais, ce livre tente de présenter les évolutions structurelles du régime. La question du modèle de développement est également abordée. À bien des égards les choix retenus en Chine furent à la fois innovants et propres au cas chinois. Fiscalité, développement durable, accueil des capitaux étrangers, sur bien des points la Chine présente des solutions singulières. Car aujourd'hui, forte de son nouveau poids économique, la Chine est amenée à repenser son rôle sur la scène internationale. Elle fonde sa nouvelle puissance sur des outils innovants (clean tech, économie, influence culturelle). La dynamique à l'oeuvre en Chine pose donc la question du développement dans la mondialisation mais aussi des équilibres internationaux à venir. Assistons-nous à l'émergence d'une nouvelle superpuissance ?
Réda marche, qui s'en étonnerait ? Il s'engage dans une rue - la première venue est toujours la bonne -, tombe sur une impasse, rebrousse chemin, s'arrête pile pour suivre des yeux le jeu des nuages, peste contre les automobilistes, remonte un boulevard, échange quelques mots avec un passant, emprunte une ruelle, tombe en arrêt devant une vitrine de jouets anciens, remonte un boulevard, achète La Vie du rail. Ses pas composent ainsi un jardin aux sentiers qui bifurquent. Peu lui importe de se perdre : on est toujours perdu. Le fil d'Ariane, celui que le critique voudrait lui nouer à la patte, pour pouvoir le suivre - le filer -, il l'arrache aussitôt, avec impatience. Que cherche-t-il ? Il ressemble à un homme qui aurait perdu quelque chose et qui n'aurait de cesse de le retrouver. Mais voilà, et c'est une difficulté de taille, il ne sait plus ce qu'il a perdu. Peut-être même, cet objet, l'a-t-il aperçu, pris en main, puis rejeté. C'est ainsi que dans les contes le héros croise la bonne fée sans lui accorder plus d'importance qu'à une personne ordinaire et ne se rend compte qu'après de sa méprise. Trop tard ! Aussi est-il un écrivain mélancolique, c'est-à-dire un artiste condamné à chercher inlassablement un objet perdu sans remède. Sans autre remède, en tout cas, que de continuer à lancer sa phrase à l'aveuglette, une phrase, puis une autre, et une autre encore. Chacune vient s'enrouler autour de ce centre absent. Cette recherche inquiète n'en est pas moins drôle. Le saturnien, par pudeur et pour la tenir à distance, retourne sa détresse en humour, constituant ainsi un mélange instable, mobile, capricieux. Nous avons donc suivi Réda dans sa course, d'un bord à l'autre de son oeuvre, tantôt de loin, tantôt presque au coude à coude. Nous aurions aimé le lui retrouver, cet objet perdu, et le lui offrir, à supposer qu'il existe. Rien n'est moins sûr. A défaut, ce petit livre d'accompagnement.
Rejetée du paysage intellectuel français depuis la Seconde Guerre mondiale, l'oeuvre de Maritain est une référence majeure dans la culture politique de la démocratie chrétienne d'Amérique du Sud. Une influence paradoxale, puisque Maritain s'est toujours défié des moyens impurs de la politique : philosophe chrétien de la démocratie au travers d'oeuvres comme Humanisme intégral ou Christianisme et démocratie, jamais il ne s'est voulu le philosophe de la démocratie chrétienne qu'il jugeait de manière sévère. Dans un premier temps, ce travail vise à analyser cette consommation politique du maritainisme, en déclinant dans la perspective d'une histoire comparée les différentes lectures qui ont été faites de Maritain par les élites catholiques sud-américaines, des années 20 à la charnière des années 60 et 70. Il s'agit notamment de montrer comment l'oeuvre du philosophe a rencontré l'horizon d'attente d'une génération de jeunes catholiques soucieux d'inventer de nouvelles formes d'engagement du chrétien dans la vie de la cité. Par ailleurs, parce que la réception du maritainisme outre- Atlantique est particulièrement polémique et suscite de nombreux débats, elle constitue un prisme utile pour décrire les lignes de faille qui parcourent le catholicisme sud-américain durant près d'un demi-siècle. Du renouveau catholique de l'Entre-deux-guerres jusqu'aux mutations post-conciliaires, le maritainisme ne cesse d'être une question disputée, qui témoigne du regard que portent les élites catholiques, dans leur diversité, sur la place de l'Église dans le monde moderne.
Réunissant dans une perspective interdisciplinaire les contributions de philosophes et de spécialistes d'analyse du discours, ce volume propose quelques pistes pour l'étude du dialogue philosophique considéré comme un genre textuel. Une philosophie ne saurait être comprise sans référence aux lieux et aux conditions de sa textualisation, aux formes du discours qui la mettent en oeuvre, aux genres qu'elle emprunte à la littérature, aux discours religieux, juridique, scientifique. Le dialogue philosophique est à ce titre exemplaire : son usage constant, comme pratique orale codifiée ou genre textuel (on connaît son rôle dans la philosophie antique depuis Platon, et son retour en force dans la culture de la Renaissance), en fait un objet d'étude quantitativement significatif, susceptible de donner lieu à des comparaisons, voire à certaines généralisations. Ce recueil souhaite favoriser une réflexion sur sa nature et ses fonctions, sur les méthodes d'investigation qui permettent d'en rendre compte en proposant des études de cas exemplaires chez des auteurs variés (Platon, Galilée, Descartes, Leibniz, Hume, Shaftesbury, Diderot) ou dans une période, un mouvement caractéristique : La Renaissance, le Libertinage érudit aux xviie siècle.
Le « roi coton » joue sans conteste un rôle majeur lors de la première Révolution industrielle. Et dans le Nord de la France, nombreux ont été ceux qui, un siècle et demi durant, ont entrepris de filer, de tisser ou d'imprimer des toiles. Dans ce territoire frontalier de longue tradition textile, le travail de la fibre se greffe là où régnaient en maîtres la laine et le lin. Partant d'une analyse fine de l'attente des consommateurs, Mohamed Kasdi montre comment cette activité s'immisce très tôt dans le travail manufacturier, tant à la ville qu'à la campagne. Produits innovants, changements technologiques, prise de risques financiers, conquête des marchés : dans une économie régionale qui, au fil du xviiie siècle, s'essouffle progressivement, le coton impulse une dynamique renouvelée. Quand surviennent les bouleversements révolutionnaires, ni le dérèglement des circuits commerciaux ni les incertitudes du lendemain ne constituent des freins. Au contraire : nombreux sont ceux qui, fort possessionnés ou gens de peu, prennent des initiatives permettant toutes, à des échelles diverses, de moderniser l'appareil productif. L'Empire, quant à lui, confirme ce qui était en gestation tout en passant au tamis de la conjoncture le bon grain et l'ivraie. Dès lors, seuls, ou presque, survivent ceux qui disposent d'assises solides. Au cours des premières décennies du xixe siècle, mécanisation et concentration de la main-d'oeuvre achèvent la mue du secteur. De grandes dynasties du négoce régional font alors du coton le fer de lance de leur prospérité, modifiant durablement la carte productive : sortant de l'ombre portée de Lille, Roubaix et Tourcoing prennent leur essor en faisant du coton un produit phare.
Pourquoi la santé, régulièrement qualifiée de « bien public mondial », demeure-t-elle un domaine où les inégalités internationales sont si profondes ? Analyser ce paradoxe constitue l'objectif de cet ouvrage. Au-delà des travaux polémiques ou techniques sur l'accès à la santé, cet essai s'attache d'abord à expliquer les fondements théoriques des biens publics mondiaux et leur application à la santé. Les faiblesses et contradictions de ces fondements théoriques débouchent sur l'ambiguïté de la notion de santé comme bien public mondial et remettent en cause la légitimité de l'agenda de la santé impulsé par les acteurs de l'aide au développement. L'analyse proposée ici se démarque également en étudiant la façon dont les normes internationales ont abouti à des programmes de santé, dits coopératifs, aux effets mitigés sur les terrains africains. Cet ouvrage participe alors aux débats sur le devenir de la santé comme objectif mondial. Il s'inscrit résolument dans une approche d'économie politique de la santé et du développement, étudiant les processus de production de la santé, traversés par des rapports de forces qui n'ont rien à voir avec un quelconque optimum technique. Les acteurs dominants - firmes, organisations internationales, think tanks - façonnent en effet les modes de pensée et les programmes. Ce livre s'adresse aux spécialistes de la santé et du développement mais également aux acteurs de terrain - ONG, professionnels de santé - et aux lecteurs intéressés par la santé comme enjeu de solidarité internationale.
Pour la plupart des citoyens, la prison reste une zone d'ombre qui marque une ligne de partage entre deux mondes et entre deux sortes d'humains : ceux du dedans et ceux du dehors. Comment les rapprocher et construire un espace commun avec ce monde à part qui est aussi un lieu de vie ? Une réponse a été donnée par la musique en tant que milieu, au sein d'un orchestre participatif où l'on peut croître ensemble en ayant le sentiment d'exister, à partir d'une source individuelle et collective. L'expérience a été vécue par une équipe pluridisciplinaire et internationale de chercheurs, étudiants, artistes et s'est déclinée pendant trois ans dans les onze prisons de la région Nord - Pas de Calais, sous la forme d'une recherche-action en art dans le cadre du programme Chercheurs Citoyens. Ce dispositif, ouvert aux musiciens et aux non-musiciens, a-t-il permis aux détenus de lutter contre les effets destructeurs de la prison et de (re)naître à une identité nouvelle au sein d'une communauté musicale qui les soutient ? Ce livre tentera d'y répondre en mettant en résonance des expériences internationales déjà porteuses de résultats en Espagne et au Venezuela.
Dans les tragédies grecques, le savoir est souvent dangereux. L'universalité de leurs héros et la richesse des réécritures qu'ils ont inspirées tiennent en partie à leur capacité à incarner l'ambivalence d'une connaissance vitale et destructrice. La tragédie grecque est par nature un lieu privilégié de mise en oeuvre des conflits intérieurs et extérieurs suscités par le savoir : nombre de ses héros sont confrontés aux risques de leur propre connaissance, susceptible d'apporter à son détenteur, mais aussi aux siens, à la cité, à l'humanité, voire à l'univers entier, la prospérité, la puissance, la renommée, mais aussi la destruction, le malheur, l'opprobre. Le plus souvent, c'est l'usage du savoir qui est en jeu, quand il est détourné, voire perverti, ou quand, paradoxalement, aucun usage n'est fait d'une connaissance dont la révélation suscite incrédulité et violence. Mais parfois, c'est aussi le fait même de savoir qui est en soi dangereux, soit qu'accède à la connaissance quelqu'un qui ne devrait pas y accéder, soit que cette connaissance soit inacceptable pour les dieux. Ce livre vise à définir la spécificité de l'écriture tragique dans l'articulation entre savoir et danger. Cette réflexion, enracinée dans les textes d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide, s'ouvre aussi aux remodelages littéraires qui, de l'Antiquité jusqu'à nos jours, ont infléchi, métamorphosé, décalé, voire inversé les configurations symboliques et narratives héritées du ve siècle avant J.-C.
La Grande Illusion de Jean Renoir compte parmi les films les plus étudiés de l'histoire du cinéma. On a pourtant méconnu un aspect essentiel de ce film qui emprunte à la culture visuelle de son auteur des oeuvres de peinture aussi importantes que le retable d'Issenheim de Grünewald, le Polyptyque de saint Antoine de Piero della Francesca ou L'Annonciation de Léonard de Vinci. Ce matériel iconographique qui constitue la documentation raisonnée du musée imaginaire de Renoir est encore et surtout l'instrument d'une politique de l'art en temps de guerre qui rencontre les engagements de Georges Bataille, de Pablo Picasso et d'André Malraux. C'est à partir de quelques chefs-d'oeuvre de la peinture occidentale que Renoir a choisi de s'interroger sur le destin de la civilisation, thème douloureusement polémique de l'entre-deux-guerres, ainsi que sur ses attaches chrétiennes qu'il rassemble sur la figure de la Vierge Marie. La Grande Illusion est « un film fantôme » disait Renoir à l'occasion de sa ressortie en 1946 : quelque soixante-dix ans plus tard ce film continue de hanter notre imaginaire cinématographique.
Il n'existait pas jusqu'à présent d'ouvrage de synthèse portant sur les regroupements et les collaborations entre artistes au cours de la période allant de la Renaissance au milieu du xxe siècle. Ce livre comble cette lacune et invente ainsi un nouvel objet, qui met en perspective les pratiques coopératives et collaboratives des artistes d'hier et d'aujourd'hui et étudie diverses formes de sociabilité élaborées avant les actuels duos ou collectifs d'artistes : ateliers de production et de reproduction, académies et contre-académies, confréries, villages et colonies, sociétés d'artistes, coopératives, communautés, clubs, écoles, mouvements. Il fait également apparaître les gestes et les activités qui opèrent au coeur de certaines oeuvres collaboratives (le don, le jeu ou la fête) et montre comment nombre des artistes concernés ont conçu de nouvelles modalités du travail à plusieurs qui trouvent des échos dans les récents appels au travail collaboratif. OEuvrer à plusieurs, en effet, dans le champ de l'art et en dehors, interroge notre temps, questionne les relations entre individu et groupe, entre petite et grande société, et suggère plusieurs modèles - fusionnel, économique et coopératif, politique et critique, expérimental - pour définir les relations entre les membres de ces regroupements. Situé entre histoire de l'art, histoire culturelle et anthropologie, critique à l'égard d'une histoire qui privilégie le devenir autonome de l'art, le présent ouvrage tente d'ouvrir une réflexion sur les pratiques collaboratives contemporaines et sur leurs postulats souvent demeurés implicites.
L'histoire de la fuite et des expulsions, entre 1944 et 1950, d'environ 12 à 14 millions d'Allemands vivant dans les territoires de l'Est, a constitué un élément majeur de la question allemande jusqu'à la fin de la Guerre froide et l'unification allemande. Depuis une quinzaine d'années, dans un contexte géopolitique différent, ces événements animent de nouveau des débats dans l'espace public en Allemagne, mais également en Pologne et en République tchèque. Ce livre est le premier en France à regrouper des contributions de spécialistes internationaux. Il interroge la représentation de cette thématique dans les médias et les musées, dans la littérature ainsi que dans les débats mémoriels, tout en se basant sur des analyses historiographiques éclairant les enjeux d'un tel retour sur ce passé. En choisissant une perspective transnationale, inscrivant ces événements dans l'histoire européenne des déplacements forcés, le livre propose aussi une réflexion sur la construction d'une mémoire européenne commune.
Ce que l'on a pris l'habitude d'appeler les « Printemps arabes » draine son lot de mythes et de fantasmes, et nombre de textes se contentent d'appréhender la surface des mouvements avec un regard mêlant fascination et exaltation pour les réseaux sociaux. Or, les reflets numériques de l'expression contestataire ne suffisent pas à expliquer le phénomène. Il faut préférer la connaissance des causes profondes animant les agents et les sujets. À cette fin, trois champs sont investis : les trajectoires de mobilisation, les structurations socio-économiques sous-jacentes et la nature des revendications. À la croisée du droit et de la science politique, E-révolutions et révolutions remet en cause les clichés et propose une nouvelle lecture des révoltes qui ont secoué le monde arabo-musulman en 2011 et 2012. Il analyse les jeux de miroirs déformants véhiculés par les technologies numériques, les mécanismes de régulation émergents et l'apparition d'un nouvel acteur : le contestataire-participant.
Dans un contexte de relatif désenchantement à l'égard du personnel politique, le maire fait exception : figure familière du paysage institutionnel, il continue à jouir d'une forte popularité auprès des citoyens. L'environnement socio-politique s'est pourtant considérablement transformé en quelques décennies : décentralisation, montée en puissance de l'intercommunalité, concurrence entre les territoires... Le rôle de maire s'est ajusté à ces bouleversements. L'univers municipal s'est professionnalisé, l'action publique s'est recomposée, de nouveaux acteurs ont pénétré la scène municipale... Ces transformations ne peuvent faire oublier la pérennité du travail symbolique accompli par ces élus : ils sont dans l'obligation, aujourd'hui comme hier, d'incarner le territoire, de faire exister la communauté des citoyens. Cette analyse du rôle de maire doit être complétée par une réflexion sur l'élection municipale. Au-delà de la législation en vigueur, il convient de prendre la mesure de la singularité de ce scrutin. Est-il politisé ? Quel rôle les partis politiques jouent-ils ? Comment les électeurs se déterminent-ils ? Quel est le profil des élus ? Cet ouvrage se veut d'abord une synthèse des travaux existant sur les maires français. Sans négliger la diversité de ce groupe (le maire rural n'est pas le maire urbain), il tente de concilier une approche en terme de vie politique et une approche en terme d'action publique. Ainsi pourra-t-on repérer les évolutions les plus manifestes qu'a connues le rôle de maire au fil des décennies, sans pour autant négliger la part d'inertie qui continue à le structurer.
Dresser un état des recherches dans le domaine du « français » et de son enseignement, c'est le défi que relèvent vingt-trois chercheurs en littérature, sciences du langage et didactique du français, à travers cet hommage à André Petitjean, fondateur de la revue Pratiques, dont les travaux sont reconnus dans ces trois disciplines. Le lecteur trouvera donc dans cet ouvrage, outre une réflexion sur l'originalité du parcours d'André Petitjean, aussi bien des articles sur des phénomènes langagiers, tels la phrase ou le genre, que des contributions sur le dialogue théâtral, sur l'enseignement de la littérature et son histoire ou sur la didactique de l'écriture.