Les grandes révolutions font l'histoire; les résistances conservatrices et les contre-révolutions ne font qu'en retarder le cours. La Révolution française a inventé la politique et la démocratie modernes, la Révolution russe a ouvert la voie à la transition socialiste, la Révolution chinoise a associé l'émancipation des peuples opprimés par l'impérialisme à leur engagement sur la voie du socialisme
Marx s'était proposé de traiter de l'économie capitaliste mondiale dans un volume VI du Capital, qui n'a jamais vu le jour. De ce fait, les marxismes historiques, largement confinés dans l'exégèse des écrits de Marx, ont éliminé de leur programme la réflexion, pourtant indispensable, sur la mondialisation de la loi de la valeur. Samir Amin tente dans cet ouvrage de combler cette lacune et propose une analyse de la transformation de la loi de la valeur en loi de la valeur mondialisée. Il dégage ainsi les fondements théoriques de la polarisation produite par l'expansion mondialisée de la domination du capital. Cette édition est augmentée d'un texte théorique concernant la relation entre valeur et prix, deux concepts que Marx distingue alors que l'économie bourgeoise les confond. Cette relation avait été analysée par Marx dans les conditions du capitalisme de l'époque. Avec l'évolution de celui-ci, devenant capitalisme des monopoles (aujourd'hui des monopoles généralisés), la relation subît elle-même des transformations majeures. L'analyse du « surplus », un concept nouveau nécessaire pour restituer toute sa place à la rente des monopoles, comme celle de la hiérarchisation des salaires, détachée de toute référence aux coûts de formation, permettent de conceptualiser ces transformations et de mesurer leurs effets sur la reproduction du système économique et social contemporain. Le marxisme vivant rompt avec la tradition qui le réduit à l'exégèse des textes de Marx.
Depuis 1950 la Côte d'ivoire connaît une croissance économique exceptionnelle dont le taux, de l'ordre de 8 % par an, situe ce pays dans le peloton d'avant-garde du Tiers Monde. Au cours de cette période de vingt années, le développement rapide du capitalisme a façonné une économie et une société nouvelles : dans les campagnes méridionales, la création d'une économie de plantation a permis la constitution d'une bourgeoisie rurale ivoirienne; et, à Abidjan, un ensemble industriel léger a permis la création d'une structure urbaine moderne et prospère. Cependant, on ne saurait parler du développement d'un capitalisme ivoirien urbain : en 1970 comme en 1950, la part du secteur étranger représente la moitié environ des revenus non agricoles. La Côte d'ivoire, qui a parcouru en vingt ans un chemin très comparable à celui que d'autres pays africains avaient suivi plus tôt et plus lentement, fournit un beau cas d'étude de « croissance sans développement », c'est-à-dire d'une croissance engendrée et entretenue de l'extérieur, sans que les structures mises en place permettent d'envisager un passage automatique à l'étape ultérieure du développement national autocentré, mû par son dynamisme propre. L' « ivoirisation » des secteurs contrôlés par le capital étranger fournirait-elle à la Côte d'ivoire un second souffle, lui évitant le blocage de sa croissance ? Encore faudrait-il que des industries de base puissent être créées, en accord avec les autres pays de l'Ouest africain, que les structures sociales des zones de plantation n'empêchent pas l'intensification de la production, et que les campagnes du nord, qui n'ont pas été touchées par le développement, puissent à leur tour faire un bond en avant.
Le monde arabe précolonial n'était pas féodal, mais constituait une constellation de formations sociales articulées autour d'un mode de production tributaire complétée par le rôle prédominant des relations marchandes externes et internes. L'unité arabe a été le produit historique de son intégration marchande, la classe sociale qui a assumé cette unification est celle des marchands-guerriers. Les classes dominantes successives de l'ère impérialiste (bourgeoisie compradore et latifundiaire, puis bourgeoisie d'Etat) ne sont pas capables de faire l'unité arabe : la petite bourgeoisie, loin de se « suicider » en tant que classe, engendre en son sein une bourgeoisie d'Etat dépendante chaque fois qu'elle assume la direction du mouvement anti-impérialiste. L'ouvrage étudie les étapes du mouvement national, de la Nahda du XIXe siècle aux courants du nassérisme et du baasisme, puis envisage trois avenirs possibles : un ordre néocolonial fondé sur la division arabe, un monde arabe relais dans un ordre impérialiste rénové et une transformation socialiste radicale.
Peut-on sortir des contraintes imposées par le système économique mondial ? Le tenter ne conduit-il pas nécessairement à la terne stagnation du « socialisme des casernes » ? Quelle est la marge de manouvre dont dispose un quelconque État du tiers monde ? Est-il condamné à la dépendance ? L'auteur du Développement inégal, du Matérialisme et la loi de la valeur, de Classe et nation dans l'histoire et la crise contemporaine et de L'avenir du maoïsme défend dans ce nouveau livre la thèse d'un « décrochage » non seulement possible mais nécessaire de la logique centre/périphérie. La déconnexion - concept stratégique proposé en complément de celui de développement autocentré national et populaire - s'impose avec force aux peuples du tiers monde qui veulent éviter les réajustements dramatiques provoqués par la crise, telle la famine ou la guerre. Mais elle concerne tout autant les États du Nord, en redéfinissant les règles du jeu planétaire. L'auteur voit d'ailleurs dans les mouvements « Verts » européens comme dans le regain du fait religieux dans le monde entier les signes de la nécessaire réadaptation des stratégies et des tactiques politiques ouvrant pour un autre développement. Approche globale et renouvelée des grandes mutations du système mondial contemporain, ce livre offre aussi au lecteur une présentation claire et synthétique des concepts-clé de l'ouvre de Samir Amin, devenus objet de débats et de controverses dans le monde entier.
Le cent cinquantième anniversaire du manifeste communiste
L'intervention de l'OTAN en Yougoslavie a signifié un renforcement de l'hégémonie américaine, même si elle le fut à la demande de l'Europe. Débordant les Nations unies, cette action a prouvé l'incapacité des européens à organiser eux-mêmes leur politique ( et leur défense). Les conséquences en sont dramatiques surtout pour le Sud. La recherche d'alternatives semble passer par la construction d'un monde multipolaire.
Le choix du titre de cet ouvrage est par lui-même indicatif de la position politique de son auteur : oui, je souhaite la construction d'un monde multipolaire, ce qui implique évidemment la déroute du projet hégémoniste de Washington, qui s'est défini lui-même par « le contrôle militaire de la planète ».
Je prétends donc, sans détour ni réserve, que ce projet est à la fois démesuré et de ce fait nécessairement criminel, qu'il engage le monde dans des guerres sans fin, mettant par là même un terme à tout espoir de progrès démocratique et social, dans les pays du Sud en particulier, mais également - même si cela est à un degré moins sévère en apparence - dans ceux du Nord.
Samir Amin (1931-2018) a toujours associé réflexion théorique et action militante. Raison pour laquelle ses analyses des défis auxquels les peuples sont confrontés ont eu une influence reconnue. Les étapes de son dialogue permanent avec les mouvements populaires en lutte pour un avenir meilleur, en Afrique, dans le monde arabe, en Asie, sont retracées avec précision dans ses Mémoires. Une lecture fascinante, originale et riche d'enseignements. Samir Amin a été directeur du Forum du Tiers Monde et du Forum mondial des Alternatives.
Au cours des dernières années la mondialisation des affaires politiques et économiques s'est accélérée à un point tel que le système global en acquiert de nouvelles dimensions qualitatives. Acceptée sans réserves par les pouvoirs et les idéologies dominantes, cette mondialisation est porteuse de conflits tels, qu'elle ne débouche que sur l'Empire du chaos. Crise du socialisme, recul des perspectives de développements régionaux significatifs dans les Suds, effondrement de l'espoir d'une construction européenne ouverte sur le progrès social mondial, triomphe du préjugé atlantiste, médiocrité des visions des pouvoirs, absurdité des réponses populaires. L'humanité paie cher l'universalisme tronqué proposé par le capitalisme et sa critique insuffisante par les gauches historiques. Un livre à contre-courant des idées reçues, une théorie critique du système mondial, les linéaments d'une alternative progressiste nécessaire.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
L'objet de cette étude est de montrer que l'intégration des économies de nature précapitaliste dans un marché international capitaliste des marchandises et des capitaux, n'a pas conduit à une substitution rapide et intégrale de la structure précapitaliste par une structure nouvelle de caractère capitaliste, mais que cette intégration a conduit à un développement original du capitalisme, à un développement limité et particulier du capitalisme, à une structure nouvelle où se côtoient les éléments structurels de nature capitaliste et ceux de nature précapitaliste. Le développement lent, partiel et particulier du capitalisme introduit « de l'extérieur » a engendré une structure mi capitaliste mi précapitaliste, une structure « dualiste ». C'est cette structure originale que nous considérons constituer l'essentiel de ce que l'on a coutume d'appeler « le sous-développement ». L'objet de la thèse est donc d'étudier le mécanisme de l'intégration internationale des économies précapitalistes, de cette intégration qui a transformé les pays précapitalistes en pays dits « sous développés ».
Le monde arabe oriental a opéré une mutation au cours des années 50 et 60. A défaut d'une intégration unitaire et d'une transformation socialiste de la société, l'impression prévalait que les systèmes baasistes nouveaux de Syrie et d'Irak allaient permettre la réalisation des projets de développement nationaux, affermissant l'indépendance des Etats, fut-ce dans l'interdépendance à deux. L'analyse de la stratégie mise en ouvre pendant les vingt dernières années montre l'échec de ce projet. Le développement du capitalisme agraire et l'industrialisation de substitution, inscrits dans la logique de la division internationale du travail, ont accentué l'inégalité dans la distribution du revenu. La logique des intérêts de classe dominants appelle alors inéluctablement la transnationalisation. La « voie non capitaliste » et l'option en faveur des « industries industrialisantes » se sont révélées le plus sûr chemin vers un nouveau stade du capitalisme périphérique dépendant.
Peut-on sortir des contraintes imposées par le système économique mondial ? Le tenter ne conduit-il pas nécessairement à la terne stagnation du « socialisme des casernes » ? Quelle est la marge de manouvre dont dispose un quelconque État du tiers monde ? Est-il condamné à la dépendance ? L'auteur du Développement inégal, du Matérialisme et la loi de la valeur, de Classe et nation dans l'histoire et la crise contemporaine et de L'avenir du maoïsme défend dans ce nouveau livre la thèse d'un « décrochage » non seulement possible mais nécessaire de la logique centre/périphérie. La déconnexion - concept stratégique proposé en complément de celui de développement autocentré national et populaire - s'impose avec force aux peuples du tiers monde qui veulent éviter les réajustements dramatiques provoqués par la crise, telle la famine ou la guerre. Mais elle concerne tout autant les États du Nord, en redéfinissant les règles du jeu planétaire. L'auteur voit d'ailleurs dans les mouvements « Verts » européens comme dans le regain du fait religieux dans le monde entier les signes de la nécessaire réadaptation des stratégies et des tactiques politiques ouvrant pour un autre développement.
Approche globale et renouvelée des grandes mutations du système mondial contemporain, ce livre offre aussi au lecteur une présentation claire et synthétique des concepts-clé de l'ouvre de Samir Amin, devenus objet de débats et de controverses dans le monde entier.
Les années cinquante soixante avaient été marquées par l'espoir d'un développement généralisé dans l'ensemble du Tiers Monde. Le « Projet de Bandoung » - dominant de 1955 à 1975 - avait inspiré des stratégies économiques qui, par-delà leurs diversités, s'assignaient l'objectif de renforcer l'indépendance politique par un développement économique conçu dans la perspective d'une interdépendance mondialisée progressivement moins inégale. Les désillusions des années quatre-vingt marquent-elles la « fin de l'idéologie du développement »? La dérive progressive qui conduit à une dizaine d'années du combat pour un « nouvel ordre économique international » à la soumission aux politiques de recolonisation, la vulnérabilité particulière de l'Afrique dans une conjoncture défavorable, la crise de l'État-nation ne démontrent-elles pas que le projet national bourgeois reste impossible, s'il a jamais été souhaitable? Mais que faire? Se réfugier dans l'idéologie passéiste des nationalismes culturalistes pour tenter de construire une société affranchie d'un seul coup de la mondialisation marchande ? Ou agir dans le sens de la construction d'un monde polycentrique fondé sur l'ajustement réciproque aux exigences d'une démocratisation sociale. En tout état de cause, la soumission des relations extérieures à la priorité d'un développement populaire intériorisé reste fondamentale.
Capitalism is going senile. Its ambition is now restricted to maintaining the wealth of the wealthy in the world, while the poor, condemned to remain out of the loop, are increasingly demonized as the enemy. This is the theme of Samir Amin's major new book, in which the celebrated analyst presents a synoptic view of capitalism's future. He depicts a world in which NATO and so-called coalitions of the willing have taken over the role of the United Nations, in which US hegemony is more or less complete, in which millions are condemned to die in order to preserve the social order of the US, Europe and Japan. Samir Amin's analyses of the Gulf War, the wars in former Yugoslavia and the war in Central Asia reveal the scope of US strategic aims. He explains why Macdonald's hamburgers need McDonnell-Douglas's F-16s, arguing that the political and military dimension of US dominance is as significant as US economic preponderance in determining the future of capitalist development - with the recent US invasion and occupation of Iraq being a confirmation of Amin's prescient thesis.
« Les pages qui suivent ne constituent en aucune manière une « histoire de l'ère de Bandoung ». J'ai proposé, dans de nombreux articles et ouvrages qui couvrent la période, des réflexions et des analyses concernant de nombreux aspects des réponses que les peuples concernés du Sud ont apportées à l'époque aux défis de l'impérialisme dominant. Il s'agit ici de Mémoires qui comportent nécessairement et toujours une dimension personnelle marquée, et ajoutent peut-être, je l'espère, aux analyses proposées. Les activités de l'Institut africain de développement de l'ONU - IDEP - (de 1970 à 1980) puis du Forum du tiers-monde - FTM - (à partir de 1980) - séminaires et conférences, ateliers de recherche - la poursuite de mes recherches personnelles comme l'occasion offerte par des missions de consultation - de gouvernements et d'organisations politiques - auxquelles il me paraissait utile de donner suite, m'ont offert la possibilité de connaître a peu près le monde entier - Australie et îles du Pacifique exclus. Je n'infligerai pas au lecteur une énumération de mes voyages qui risquerait de lui faire croire que j'exerce la profession de tour operator ou que j'appartiens à la surclasse (pour employer le terme stupide et vulgaire d'Attali dont Gilles Chatelet nous a donné un commentaire fort amusant) des jet-experts. Je ne suis ni l'un ni l'autre, mais plus modestement un militant de la cause du socialisme et de la libération des peuples, convaincu que cette cause est universelle et que, de ce fait, la bataille se déploie sur tous les continents. Les circonstances de ma vie professionnelle m'ont, de surcroît, offert fort heureusement la possibilité de donner un terrain d'action à cette conviction. »
Pendant plus d'un siècle la coïncidence entre l'espace de la gestion économique de la société et l'espace politique de l'Etat-Nation a fourni le modèle de la modernité que le tiers monde a tenté de reproduire après la guerre. Dans ce cadre, les classes dirigeantes d'Asie, d'Afrique et de l'Europe de l'Est, souvent pluriethniques, fondaient leur légitimité sur le développement économique que l'expansion capitaliste mondiale forte permettait jusqu'aux années 80. L'approfondissement de la mondialisation, en mettant un terme à cette coïncidence, est à l'origine de la crise de l'idéologie de l'Etat-Nation et du renouveau de mouvements centrifuges qui s'expriment souvent par l'ethnicisme. L'érosion des modèles anciens de développement a plongé les périphéries du Sud et de l'Est dans une crise qui a éclaté l'unité de leurs classes dirigeantes en fractions rivales tentant de fonder leur légitimité sur les aspirations ethniques de leurs peuples en désarroi. La gestion de cette crise, pars la manipulation des aspirations démocratiques et du droit des peuples, alimente le projet de soumission des sociétés aux exigences du marché, assis sur la destruction d'Etats capables de moduler efficacement les conditions de la mondialisation. Les exemples de la Yougoslavie et de l'Ethiopie illustrent les conséquences tragiques de cette faillite rapide du projet utopique du capitalisme mondialisé.
L'intervention de l'OTAN en Yougoslavie a signifié un renforcement de l'hégémonie américaine, même si elle le fut à la demande de l'Europe. Débordant les Nations unies, cette action a prouvé l'incapacité des européens à organiser eux-mêmes leur politique ( et leur défense). Les conséquences en sont dramatiques surtout pour le Sud. La recherche d'alternatives semble passer par la construction d'un monde multipolaire.
À partir de travaux dans les domaines divers allant des racines lointaines du sous-développement africain aux formes du développement capitaliste contemporain et aux grandes négociations internationales des années 70, Samir Amin redéfinit la thèse de l'accumulation à l'échelle mondiale en termes de « déconnexion ». La période ouverte est celle d'une dérive progressive, tant au plan des stratégies internes des pays du tiers monde qu'à celui des équilibres économiques et politiques mondiaux. Samir Amin mène ici un examen attentif des propositions d'un développement national populaire déconnecté, base de la reconstruction nécessaire d'un monde polycentrique plus favorable aux peuples.
Samir Amin reprend ici le débat concernant les problèmes de l'échange international inégal. Les discussions relatives à la théorie de la valeur ont été dominées par une interprétation étroitement économiste de l'analyse du monde de production capitaliste. L'auteur s'élève contre le schéma mécaniste et linéaire du matérialisme historique qui découle de cette vulgarisation. Il fait apparaître la prééminence de l'unité du système mondial et critique la causalité linéaire mécaniste des modèles mathématiques utilisés pour démontrer l'existence d'une relation entre le développement des forces productives et le niveau des salaires. Cette nouvelle édition est enrichie de plusieurs études concernant précisément cette dialectique
Le discours dominant depuis l'effondrement du socialisme dit réellement existant en Union Soviétique et le déploiement du capitalisme dans la Chine post maoïste prétend tout simplement qu'il n'y a pas de voie de « développement » possible autre que capitaliste, dont l'horizon serait de ce fait indépassable. Les seuls débats possibles ne concernaient alors que les modalités de ce capitalisme « incontournable », « régulé » par la prise en considération d'intérêts sociaux autres que ceux du seul capital, ou « dérégulé », c'est à dire régulé en fait au bénéfice exclusif de celui-ci. L'histoire du capitalisme réellement existant, constituée de phases successives de dérégulation ou de régulation, selon que les rapports de force étaient plus ou moins défavorables aux classes et aux peuples dominés, ne conforte pas l'optimisme de commande du discours du capitalisme sur lui-même. Car cette histoire est en définitive celle de destructions humaines gigantesques - génocides de peuples entiers, polarisation de la richesse à l'échelle mondiale, paupérisations massives - atténuées seulement dans les moments de forte régulation du déploiement capitaliste. Il en fut ainsi dans cette période exceptionnelle qui a suivi la seconde guerre mondiale, caractérisée par la régulation social-démocrate de l'État de bien être (le Welfare State) dans les centres développés, les formules du socialisme réellement existant des pays de l'Est, celles du populisme national dans le tiers monde libéré du vieux colonialisme. Je ne reviendrai pas ici sur l'analyse de ce moment que j'ai proposée ailleurs. Je ferai seulement observer que le discours dominant du libéralisme d'aujourd'hui capitalise les « échecs » de ces formules - en fait, les systèmes en question n'ayant pas été capables d'aller au delà des formules qui avaient été à l'origine de leurs succès pour un temps - pour réaffirmer sans nuances l'exclusivité de l'option capitaliste de principe, et même plus particulièrement de sa forme dérégulée. En oblitérant les dimensions destructives immanentes à tout procès d'accumulation du capital, a fortiori dérégulé. Ou, tout au moins, en prétendant que ces effets sont « provisoires », tentant de faire oublier que ce « provisoire » constitue la règle depuis cinq siècles. Or loin d'être progressivement atténuées par le renforcement général de la puissance des forces productives développées par le capitalisme, ces dimensions destructives sont aujourd'hui parvenues à un stade tel qu'elles sont devenues une menace d'une gravité exceptionnelle pour la survie même de la civilisation humaine. Les analyses concrètes de ce défi, conduites sur les terrains les plus divers du monde contemporain - en Chine et en Inde, dans les mondes arabe et africain, ceux de l'Amérique latine et de l'Europe de l'Est, comme en Occident développé lui-même - démontrent toutes l'extrême gravité de la menace pour tous, en dépit de la diversité des conditions locales et des résultats apparents (qualifiés de « succès » ou « d'échecs » dans les termes du déploiement du capitalisme libéral mondialisé qui définit le moment actuel). Cette gravité même constitue le meilleur indicateur de ce que j'ai appelé la « sénilité » du capitalisme. Autrement dit ou bien ce système sera dépassé positivement, fut-ce évidemment progressivement, à travers une longue transition en direction de ce qu'on ne peut appeler autrement qu'un socialisme mondial à inventer, ou bien il le sera par la cristallisation d'un système odieux « post capitaliste » que j'ai qualifié d'apartheid à l'échelle mondiale, génocidaire par vocation. Avant de revenir sur quelques unes des grandes questions concernant l'analyse des systèmes et de leurs contradictions, l'efficacité des visions politiques et des stratégies à travers lesquelles les luttes des classes et des peuples qui en sont les victimes s'expriment ou peuvent s'exprimer, laissons parler les analyses concrètes considérées dans cet ouvrage collectif.