Reims constitue le deuxième volume de la tétralogie, ou du quatuor, que l'auteur a intitulé « Au pays de l'enfance immobile », dont Orléans paru en aout 2019 était le premier opus, et dont Verdun et Paris seront les troisième et quatrième.
Le narrateur s'est enfin échappé du cauchemar familial d'Orléans, il aspire aux plus grandes écoles pour « monter à Paris » mais ses résultats médiocres aux examens de mathématiques le font atterrir à l'Ecole supérieure de commerce de Reims, vécue par lui comme une relégation en troisième division.
Ici tout n'est qu'ennui, impuissance, obsession sexuelle jamais assouvie, dérive alcoolisée, débâcle progressive avec une petite bande de paumés masturbateurs et suicidaires qui tournent le dos à la compétition scolaire pour mieux affirmer leur différence.
Dans cette course à la vanité paradoxale de l'échec, avec les mots brandis contre les chiffres, la littérature contre les mathématiques, le déclassement contre le classement, la révolte contre le conformisme, la provocation contre la convocation, il va s'agir, à défaut de briller par le succès, de se distinguer par l'ignominie.
Sur cette bande de pieds nickelés travaillés par la chose littéraire qu'ils ne travaillent pas, plane l'ombre des « Simplistes » qui étaient parvenus à produire des oeuvres belles et profondes à partir de Reims : René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte, Roger Vailland et d'autres qui ont illuminé la revue littéraire Le Grand Jeu, là où leurs pâles successeurs ne sont plus capables que d'un tout petit jeu grinçant et misérable.
Reims, ou la prolongation de la haine de soi quand la haine des vôtres vous a définitivement incarcéré au « pays de l'enfance immobile »...
« La province fournit Paris en combustibles : je décidai donc de m'y brûler, et pas simplement les ailes. Je n'avais pas d'ailes de toute façon. Je n'avais rien, à part cent francs en poche et la chance, grâce à un gardien de nuit complaisant, de pouvoir dormir dans les travées de la bibliothèque du centre Beaubourg, parmi les livres. Du coup j'ai lu. A l'aube, je quittais les lieux, allant traîner mes drôles de guêtres dans les rues. Je n'avais aucune connaissance, pas vraiment d'amis, zéro petite amie. Je n'avais que moi, la solitude qui pesait sur moi, et ce ciel grand cendre au-dessus de ma tête. Je me nourrissais de grec-frites. J'ai fini par rencontrer des gens. Roger Knobelspiess, ex-lieutenant de Mesrine, m'a prêté un minuscule gourbi. J'ai vécu dans un squat. J'allais bien, je ne me plaignais jamais : j'étais heureux car je savais que vingt-cinq ans était un âge inventé pour cette misère marrante, cette mélancolie spéciale, cette errance pathétique. Je me regardais en train d'être ce que je voulais devenir, ou plutôt, je m'observais en train de devenir ce que je voulais être. Paris, c'était l'édition : j'allais donc tout donner pour faire mon trou, me faire un nom, devenir célèbre - ou finir dans le caniveau, sous la pluie battante, m'enrhumer, et mourir. J'ai surjoué tout ça, avec un zest de romantisme béat, assez content de ma condition, fier de n'être rien et de vouloir beaucoup. J'ai tapé à des portes. Des gens ont été méchants. J'ai insisté. D'autres ont été gentils.
Paris est une galerie de leurs portraits, mâtinée d'épisodes de galériens. J'ai beaucoup arpenté, beaucoup marché, beaucoup espéré, énormément souffert mais je dois dire que jamais je ne me suis ennuyé. Des instants de tragédie ? Il y en eut ; des scènes de comédie : plus encore. Vous allez me suivre ici en train de réussir et de rater, en train de séduire et d'échouer, en train de m'introduire dans cocktails et de m'y faire éjecter, en train de gagner un peu d'argent et d'en perdre beaucoup, en train de me faire quelques amis et de me fâcher avec eux, en train de rire souvent et de pleurer parfois. En train, surtout, d'oublier en moi le provincial, ce qui est toujours une erreur et mène droit au ridicule. Un Rastignac de plus parmi les pots d'échappements. Des débuts dans la vie ? Non : un commencement dans la carrière. Sauf que je n'ai jamais fait carrière dans quoi que ce soit. Voilà en tout cas, chers amis, comment tout a commencé. »Y.M
Avec ce roman, Yann Moix revient à son thème de prédilection : l'amour (et ses dépendances : la jalousie, la haine, la rivalité, la séduction, l'addiction, etc...)
Et son livre prend la forme d'un dialogue imaginaire (à la manière du Neveu de Rameau de Diderot, ou de L'idée fixe de Paul Valéry) où Yann Moix bavarde, à la terrasse d'un café, avec un ami qui tente de le consoler à la suite de sa dernière déconvenue amoureuse...
Dans un roman précédent, l'auteur avait choisi, comme incipit : « Ce que les femmes préfèrent, chez moi, c'est me quitter »...
L'inverse eut été plus exact car, dans ce livre - précisément intitulé « Rompre » -, le narrateur confesse qu'il ne peut s'empêcher de mettre un terme très prématuré à chacune de ses aventures, de les « rompre » tant il craint d'aimer et d'être aimé...
Evidemment, cette disposition mentale vient de loin : de l'enfance, de douleurs enfouies, d'humiliations passées...
Mais tout, ici, prend un aspect drolatique et fort peu psychanalytique.
Dans ce dialogue, la « rupture » sert ainsi de prétexte à une variation sur la solitude, sur la jalousie, sur l'enfer narcissique, sur la violence amoureuse.
Formules et aphorismes fusent sous la plume moixienne.
L'écrivain se reproche, au fond, de ne pas savoir aimer - les femmes, bien sûr, mais aussi, et surtout, lui-même.
Et c'est sur cette note tenue qu'il compose ce « journal d'un séducteur-destructeur ».
Qui a lu l'oeuvre publiée de Yann Moix sait déjà qu'il est prisonnier d'un passé qu'il vénère alors qu'il y fut lacéré, humilité, fracassé.
Mais ce cauchemar intime de l'enfance ne faisait l'objet que d'allusions fugaces ou était traité sur un mode burlesque alors qu'il constitue ici le coeur du roman et qu'il est restitué dans toute sa nudité.
Pour la première fois, l'auteur raconte l'obscurité ininterrompue de l'enfance, en deux grandes parties (dedans/dehors) où les mêmes années sont revisitées en autant de brefs chapitres (scandés par les changements de classe, de la maternelle à la classe de mathématiques spéciales).
Dedans : entre les murs de la maison familiale.
Dehors : l'école, les amis, les amours.
Roman de l'enfance qui raconte le cosmos inhabitable où l'auteur a habité, où il habite encore, et qui l'habitera jusqu'à sa mort, car d'Orléans, capitale de ses plaies, il ne pourra jamais s'échapper.
Un texte habité, d'une poésie et d'une beauté rares, où chaque paysage, chaque odeur, chaque mot, semble avoir été fixé par des capteurs de sensibilité saturés de malheur, dans ce présentéisme des enfants martyrs.
Aucun pathos ici, aucune plainte, mais une profonde et puissante mélancolie qui est le chant des grands traumatisés.
« Alors, comme le font tous les ratés, tous les aigris, tous les éconduits, je m'étais vengé sur des innocents ; j'avais puni un lit défait, un froc souillé, pour oublier les sales météos de mon coeur... L'avenir était le pays des autres. Je n'y étais pas convié. »
Après Orléans, qui racontait l'enfance martyrisée du narrateur, puis Reims, où l'on suivait ses pérégrinations lamentables en école de commerce dans la ville des sacres, voici Verdun. Car c'est à Verdun que nous retrouvons cet "immobile enfant" de vingt-cinq ans, cette fois comme aspirant dans l'armée de terre.
Après des classes à Angers puis à Draguignan où on lui enseigne le métier des armes, le jeune Moix, désormais officier d'artillerie, va connaître, parfois pour le meilleur et très souvent pour le pire, l'épreuve des responsabilités, de la promiscuité et du commandement.
Nous le suivons ici avec sa section, par monts et par vaux, en campagne ou en caserne, de jour comme de nuit.
Une fois encore, c'est une galerie de personnages aussi ordinaires qu'extraordinaires qui se déploie sous nos yeux.
Avec humanité, humour, humilité et la tendresse habituelle que nous lui connaissons pour les déclassés, Yann Moix, plus dur avec lui-même qu'avec quiconque, nous émeut et nous fait rire. C'est sa griffe. Entre manoeuvres et marches de nuit, tirs au Famas et feux de camps, inspection des chambres et chants militaires, nous la retrouvons ici intacte.
« Ce livre, écrit au jour le jour pendant et après les attentats contre Charlie Hebdo et à l'Hypercacher, ne sort que deux ans après les événements : il fallait respecter le temps du deuil ; et me donner la faculté de suspendre celui de la réflexion. "Penser" les attentats est une gageure, parfois même un oxymore : le risque est soit de donner trop de sens à ce qui n'en a pas, soit de rater les étapes d'un processus plus complexe qu'il n'y paraît. Penser les attentats, c'est possiblement se tromper. Ce livre est un cheminement, une progression, une interrogation, un questionnement sur la radicalité, la radicalisation, la jeunesse, l'islamisation, la violence, le nihilisme. Autant de termes qu'on ressasse à longueur de journées sans jamais s'arrêter pour les creuser, les approfondir jusqu'à la nausée. Ce petit essai est obsessionnel : revenir à l'infini sur les actes, les causes, les effets, les acteurs, les conséquences, sans jamais se raturer, au risque même, çà et là, de se contredire. Les frères Kouachi, Amédy Coulibaly sont les tristes protagonistes d'un événement originel, matrice de tous les attentats qui suivirent : les notes et scolies rédigées à chaud et publiées maintenant, doivent se plaquer sur tous les attentats qui suivirent, et qui sortent tout droit, peu ou prou, de janvier 2015.Car ce qui me frappe à la relecture d'un texte rédigé il y a deux ans, c'est à quel point ce qui y était prévu est déjà advenu ou encore, hélas, à advenir . Je n'ai donc rien censuré des passages prophétiques qui me donnent aujourd'hui le sentiment d'une réflexion rattrapée par le réel, au prétexte qu'ils pourraient être lus comme ayant été rédigés rétroactivement à partir du réel : on ne s'excuse pas d'avoir eu raison trop tôt. "Nous sommes en guerre" a dit le président de la République. Les écrivains ont toujours voulu dire la guerre. Je n'échappe ni à la règle, ni à la tradition. »Y.M.
La naissance ne saurait être biologique : on choisit toujours ses parents. Naître, c'est semer ses géniteurs. Non pas tuer le père, mais tuer en nous le fils. Laisser son sang derrière, s'affranchir de ses gènes. Chercher, trouver d'autres parents : spirituels. Ce qui compte, ce n'est pas la mise au monde, mais la mise en monde. Naître biologiquement, c'est à la portée du premier chiot venu, des grenouilles, des mulots, des huîtres. Naître spirituellement, naître à soi-même, se déspermatozoïder, c'est à la portée de ceux-là seuls qui préfèrent les orphelins aux fils de famille, les adoptés aux programmés, les fugueurs aux successeurs, les déviances aux descendances. Toute naissance est devant soi. C'est la mort qui est derrière. Les parents nous ont donné la vie ? A nous de la leur reprendre. Le plus tôt possible.
"Dès qu'une femme aime un homme, elle fabrique un infidèle."Y. M.
Tout d'abord, quelques précisions biographiques sur Edith Stein, qui traversait déjà Panthéon, le précédent roman de Yann Moix... Née en 1891, à Breslau, dans une famille juive, Edith Stein fut, dans sa jeunesse, une des plus brillantes élèves du philosophe Edmond Husserl - puis, tentée par la foi chrétienne, elle finit par se convertir au catholicisme et se retira au Carmel sour le nom de soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix. C'est dans ce Carmel, en 1942, que les nazis vinrent l'arrêter, « en tant que juive ». Elle fut déportée et gazée à Auschwitz. En 1987, Jean-Paul II béatifia Edith Stein... C'est donc à partir de cette vie, toute de philosophie et d'amour, que Yann Moix a bâti son livre. Et sur ce sujet a priori tragique, il écrit un ouvrage profond, émouvant, drôle - « moixien ». Ses questions : qui était vraiment Edith ? Qu'est-ce qu'un juif ? Qu'est-ce qu'un juif devenu catholique ? Qu'est-ce qui distingue le sacré du profane ? A quoi se veut-on fidèle en devenant infidèle ? Etc... Biographie ? Roman ? Biographie romancée ? Roman vrai ? On hésite à qualifier le genre de cet ouvrage. Ce qui est certain, c'est qu'il est écrit avec une grâce et une légèreté sans pareille. Et qu'il déconcertera tous ceux qui ignorent encore que Yann Moix a plus d'un tour - et d'une obsession - dans son sac.
Pour ce quatrième roman, Yann Moix a choisi d'explorer une époque, la nôtre, où la question n'est plus, comme au temps de Hamlet, « Etre ou ne pas être », mais : « être célèbre ou ne pas l'être ». Oui, la célébrité, le désir de célébrité sont bien, avec leurs conséquences : « qui suis-je ? », ou « n'aurais-je pas intérêt à être un autre ? » - les vrais sujets de ce roman insensé.
L'histoire ? C'est celle d'un pauvre gars, Bernard Frédérique, qui décide d'être célèbre en devenant un sosie de Claude François. Avec son imprésario, un certain Couscous, et avec sa troupe de « Bernadettes », il va ainsi vivre son « identité de sosie ». Cloclo est son dieu - pourquoi n'en serait-il pas, lui, le prophète ?
On pénètre alors dans l'univers minable et touchant des fans, des mystiques d'Alexandrie, Alexandra, des intégristes de Comme d'habitude, des paumés qui n'en finissent pas de revivre la « geste claudienne », avec ses vestes frangées et ses pantalons patte-d'éph Dans ce monde bizarre - où l'on croise des sosies de Sardou, de Johnny, d'Elvis, etc - personne ne sait, au fond, qui il est. On usurpe une identité pour exister un peu, entre des concerts à Euromarché et des virées sordides sur un parking d'autoroute... Yann Moix joue ici sur tous les registres : drôlerie (son héros invente une véritable langue hilarante), mélancolie (que sont nos années yé-yé devenues ?), érudition (Moix n'a pas son pareil pour évoquer tel concert live ou la biographie d'un guitariste de troisième ordre) et même religion (après tout, Cloclo est un dieu, son sosie se vit comme un Christ, et son impresario, Couscous, ressemble à Saint Jean-Baptiste). On aura compris que, derrière cette fable de clones, de cloclones, Yann Moix raconte drôlement une histoire bien sérieuse...
DEHORS est une lettre ouverte au président de la République ; il s'agit d'un appel, d'un SOS : dire à quel point les jeunes exilés, à Calais et ailleurs, font les frais d'une politique absurde. Une politique « migratoire » qui les empêche de sortir de notre territoire, alors que, tous ou presque, veulent rallier l'Angleterre. Ces « migrants » sont des exilés : ils sont partis de chez eux parce qu'ils ne pouvaient y rester. La migration est une procédure, l'exil est une aventure. La migration est un déplacement, l'exil est un bannissement. Cette lettre ouverte veut dire une chose : l'honneur de la France serait d'aider ces enfants courageux, qui n'ont plus rien d'autre à sauver que leur vie. L'histoire nous regarde. Ne lui faisons pas honte.
Le Livre:
Un narrateur (encore fleur bleue, disons proustien...) s'éprend d'une jeune fille croisée au métro Glaciaire. Or, celle-ci, découvre-t-il, fréquente les clubs échangistes. Pour la séduire, cet homme ennnamouré doit donc la suivre dans ses turpitudes. C'est le début de cette « Partouz » qui mêle l'autobiographie, le délire, la poésie, la violence, le comique. Questions : les femmes seraient-elles, en ce début de siècle, des créatures avide de leur seul plaisir ? Les hommes seraient-ils les derniers romantiques ? Les terroristes intégristes ont-ils la réponse ?
Par-delà cette intrigue, deux « lumières noires » éclairent ce roman fascinant, drôle, obscène, jubilant...
1 - En Occident, la liberté sexuelle atteint son point d'intensité maximale. En gros, tout le monde (à peu près) y fait l'amour avec tout le monde. Le lieu-symbole de cette « apocalypse » sexuelle, c'est, bien sûr, le club échangiste. Il y en a donc plusieurs dans ce roman. Et on s'y active avec frénésie...
2 - Ailleurs, hors de l'Occident, il y a des gens - des « intégristes », des « terroristes »... - qui précisément, trouvent que l'Occident pousse trop loin sa liberté sexuelle, et, plus particulièrement, la liberté sexuellle des femmes. Ca ne leur plaît pas du tout. Ils sont en colère. Ils veulent faire exploser cette décadence. Les clubs échangistes acceptent-ils les kamikazes ?
Entre l'échangiste et le djihadiste, il y a donc quelques affrontements en perspective. Et tel est, entre autres péripéties et digressions le sujet de ce roman...
Panthéon est ce qu'il est convenu d'appeler un « roman d'apprentissage » et, de ce fait, il respecte les lois du genre : le narrateur n'y est autre que Yann Moix lui-même, et son enfance à Orléans, dans une famille de petits bourgeois réactionnaires. Mais le « réalisme » de ce roman s'arrête là. Car, avec Yann Moix, le réalisme ne dure jamais bien longtemps. Ce livre raconte ainsi l'histoire du petit Yann qui, pour ne pas passer à côté de son destin, et pour échapper à son sort d'enfant martyr battu par ses parents, va s'inventer le « Panthéon » qui lui permettra de survivre dans son cloaque provincial. Dans ce « Panthéon » très spécial, on retrouve, en vrac, tous les vrais héros de ce livre : Péguy (orléanais comme Moix), mais aussi Sacha Guitry, Roberto Rossellini, Edith Stein, Thérèse de Lisieux, Jean-Paul Marat (bref locataire du vrai Panthéon) et un certain François Mitterrand. Ce dernier occcupe une place particulière dans le panthéon moixien car il symbolise le destin accompli, le héros nietszchéen par excellence, celui qui « a décidé de ne plus souffrir à cause des femmes » et qui, de fait, dirigea la France pendant toute la période où notre pauvre petit orléanais tentait vainement de diriger ses propres incohérences d'adolescent... Du coup, chacun de ces « panthéonisés » devient le prétexte de « petits romans » incrustés dans le roman, où le style vertigineusement célinien de Yann Moix fait merveille. A chaque page, le lecteur est ému et diverti. Il rit et pleure avec une égale bonne humeur. Et voyage, au gré d'un capitaine romancier très facétieux, entre des trouvailles, des digressions, des doses de vitriol, des « scènes de genre », qui font de ce livre un roman inclassable. Le récit se termine avec l'arrivée à Paris du jeune Yann. La littérature et le cinéma attendent de pied ferme ce Rubempré issu des classes moyennes et bien décidé à prendre sa revanche sur son « début dans la vie ». La suite au prochain roman ?
Un jeune homme, dès la fin de son adolescence, s'éprend d'une femme à laquelle il n'ose déclarer sa passion, ni même adresser la parole, et qu'il va pourtant suivre à distance et sans se faire connaître, pendant toute une vie. Cette intrigue, en vérité, sert de trame à une variation sur l'amour aujourd'hui : mélange de brutalité et de délicatesse, de "guerre des sexes" et d'amour courtois, de violence et de tendresse. Morale de ce livre : ceux qui s'aiment vraiment ne font que se croiser dans cette vie. Et ceux qui se rencontrent, le plus souvent, ne sont pas faits l'un pour l'autre.
Non, il ne s'agit pas seulement d'un livre de plus sur Michael Jackson. Oui, c'est un nouveau livre du spécialiste baroque de Claude François (Podium) et du biographe métaphysicien d'Edith Stein...
Car si Yann Moix a voulu réagir à la mort du Peter Pan planétaire, du mutant de Bad, du noir devenu blanc, de l'adulte éternellement enfant de Neverland, c'est parce qu'il y a vu le symbole d'une épopée déréglée : pour lui, l'inventeur du fameux Moonwalk (cette chorégraphie qui permet de reculer en avançant), est en effet, le prototype d'un homme nouveau, d'un « homme à l'envers », dont le destin sublime et tragique en dit long sur nos fantasmes, nos rêves, nos désarrois....
Ecriture pulsée ; poésie Funk - pop - soul ; envolées lyriques et savantes (Moix est un musicologue averti), ce livre est d'abord le livre d'un écrivain obsédé par son temps. Moix y parle, bien sûr, de Michael Jackson. Mais il y parle d'abord de lui. Donc de nous.
Ce roman d'amour très particulier s'ouvre sur un accident de voiture au cours duquel le narrateur perd ses deux enfants. La voiture était conduite par son épouse Elise. Celle-ci devient pour lui une criminelle. Il lui voue désormais une haine sans pareille. Pendant deux cents pages, le roman détaille, avec un lyrisme tragique et désopilant, les tortures morales qu'il lui inflige. Elise, désespérée, finira par se suicider. Soit... Mais avant de mettre un terme à sa pauvre vie, Elise a rédigé une sorte de journal dans lequel elle raconte qu'elle a toujours adoré son mari, malgré la cruauté de leurs relations depuis l'accident. Son journal est un hymne d'amour. Sa lecture ébranle le narrateur. L'amour pourrait donc grandir, et se fortifier, même dans un champ de haine ? Dès lors, le narrateur fait retour sur sa propre vie et tombe amoureux d'une Elise morte. Mais comment peut-on reconquérir une morte? Tel est vraiment le sujet de ce roman. Sur cette trame bizarre, Moix a bâti un ouvrage tour à tour violent, obscène, drôle, baroque, qui traverse tous les registres de la littérature amoureuse. Il y a de la folie dans ce livre où l'intrigue ne sert que de prétexte à une variation de styles et de délires. C'est, à la lettre, un roman d'amour fou.
Tu vois Maria, je l'ai terminé, mon livre. C'est un peu grâce à toi. Les nuits que j'ai passées à écrire Anissa Corto sont des nuits où je n'ai pensé qu'à ton regard par-dessus mon épaule. J'ai tenté, à chaque phrase, de deviner tes exclamations, ton étonnement, tes doutes. Il m'est arrivé de te retrouver à Sâo Paulo, pour écrire auprès de toi. Auprès de toi, je n'écrivais pas beaucoup.
J'ai très peur de ta réaction à présent. Ce que je pensais être immense, parcouru par tes yeux, va s'excuser d'avoir été écrit. C'est trop tard. Mon style va se retrouver en slip au milieu de la cour. Tout est là, en place, imprimé, figé, définitif, tout est là qui t'attend et te craint.
J'essaie de gagner du temps, mais tu es peut-être déjà en train de regarder la couverture, d'ouvrir le livre, d'isoler quelques bribes au passage, prélevant, à la manière des chimistes, les échantillons qui te suffiront pour juger l'ensemble. Je ne peux plus reculer ; il ne me reste qu'à te faire face. Ou à fuir.
Je n'ai pas essayé de faire le malin. Tu n'aurais pas été dupe ; j'ai voulu suivre ma pente naturelle, sans jamais forcer les mots, sans jamais chercher à impressionner quiconque, et surtout pas toi. Tu verras, je serai tour à tour pathétique et excessif, lyrique et névrosé. Comme dans la vie. Je serai tour à tour moimême. Anissa Corto, ce n'est pas Madame Bovary, d'accord, mais c'est moi.
Voilà, je me tais. Je te laisse. Comme chaque fois que je sors un livre, je me sens minuscule ; surtout à côté de mes maîtres, les grands, les morts, que je salue debout sur mon escabeau.
Je t'aime.Yann
Les lecteurs de Yann Moix connaissent, depuis Jubilations vers le ciel, le goût de cet écrivain pour le lyrisme le plus élégiaque, le plus « romantique »... Et c'est ce qu'il prouve, avec ce recueil de poèmes rimés ou en vers libres : Yann Moix croit que le poème est encore un genre moderne et légitime. Que la chanson ne l'a pas encore définitivement remplacé. Et il le prouve avec cette « transfusion » composée de poèmes forts, violents, tendres, souvent improbables. L'inspiration poétique de Yann Moix a, à l'évidence, deux sources : Appollinaire (c'est-à-dire la tradition qui va de Musset à Aragon) et Houellebecq - donc la « beat generation » etc... Ce mélange inattendu correspond au romantisme noir de l'auteur. Il en est, en quelque sorte, la vraie signature.
Y aurait-il donc une « Affaire Polanski » comme il y eut une « Affaire Dreyfus »? Beaucoup dont Yann Moix, le croient. Tandis que d'autres, plus nombreux, semble-t-il, s'indignent d'une telle comparaison... D'où ce livre qui, a n'en pas douter, fera débat. La thèse ? D'un côté, on le sait, ceux qui disent à juste titre que tout crime ou délit mérite son jugement et sa sanction. Qu'il n'y a pas une loi pour les « élites » et une loi pour les « obscurs ». Dont acte- puisque telle est la règle démocratique. Face à ceux-là, Moix fait simplement observer que « l'Affaire Polanski » serait enterrée depuis longtemps si Polanski avait été un « Monsieur tout- le- monde ». Au nom de la règle démocratique, on en arriverait donc à trouver naturel qu'il y ait des lois (d'exception) pour un homme célèbre, et un droit à l'oubli pour les autres... C'est contre ce fait que Moix s'emporte et s'indigne. Au passage, bien sûr, il entre dans les détails de « l'Affaire » : le retrait de plainte de la victime ; l'arrangement financier ; le rôle de la mère de la victime ; l'attitude pour le moins étrange du gouvernement suisse ; le fait que Polanski, en trente ans, n'ait jamais « récidivé » ; le rôle des juges (élus) aux Etats-Unis. Du coup, il en vient à décrire notre époque, où l'idéologie égalitariste instille une haine particulière du talent, de la singularité. Selon Moix, « la meute » veut immoler (tout en les adorant) ses idoles. Il faut qu'elles soient punies. Freud n'avait pas démontré autre chose dans Totem et Tabou.