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Gallimard
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Ingénieurs, historiens, designers, urbanistes, tous les spécialistes traitent des ' concepts ' de l'architecture sur des modes séparés, parfois concurrents. Quant aux architectes, ils sont naturellement enclins à privilégier leur époque et leur approche.
Quels concepts commandent notre appréhension pratique aussi bien que théorique de l'architecture - concrètement ces édifices où nous vivons, que nous croisons chaque jour ou que nous allons voir en touristes admiratifs ? Dans un retour aux fondamentaux, indispensable car nous ne savons plus ' voir ' ce qui nous entoure si complètement, Yves Michaud dresse ici la liste des catégories sous lesquelles nous percevons, concevons et mettons en oeuvre l'architecture.
Ce livre ne privilégie donc ni époque, ni style, ni orientation puisque les catégories répertoriées valent pour toutes les sortes d'architecture - vernaculaire, de masse, monumentale, de prestige.
Il n'est pas conservateur mais ne chante pas non plus les louanges des ' starchitectes ' de notre temps. Il essaie de mettre en évidence tous les aspects sous lesquels un édifice peut être conçu et approché : le temps, la situation, la fonction, le projet, le dessin, le matériau, la forme, la structure, l'espace, l'ornement, le symbole - et même la beauté. -
La France des Lumières (1715-1789)
Pierre-yves Beaurepaire
- Gallimard
- Folio histoire
- 29 Septembre 2022
- 9782072799310
De la mort de Louis XIV à la convocation des États généraux, la France des Lumières est un laboratoire où des administrateurs dévoués au roi comme à l'État inaugurent des chantiers aussi ambitieux que risqués, de la refonte fiscale à la réorganisation de la monarchie administrative. Les gens de lettres animent l'espace public et bousculent les frontières du secret du roi. Jamais un appareil d'État n'a reçu autant de projets de réformes. Pourtant, lorsqu'il s'agit de passer de l'expérimentation à l'application, roi et ministres hésitent et souvent trébuchent.
Louis XV rompt avec la représentation traditionnelle du souverain de guerre pour se poser en roi de paix et en roi citoyen, serviteur du bien public, rendant perceptible le processus de désacralisation de l'autorité monarchique. Mais la croissance économique inégalement répartie met la société sous tension. Hors des frontières nationales, l'heure est aux expériences audacieuses, de l'alliance franco-anglaise défendue par le régent Philippe d'Orléans à l'intervention armée aux côtés des Insurgents américains en lutte contre leur souverain. -
Il s'agit de montrer en quoi l'individu est d'abord un type : l'enfant d'une famille bourgeoise, l'élève de Condorcet, celui de Sciences-Po, l'asthmatique, le "jeune poète" qui envoie plus de lettres qu'il n'en reçoit, le curiste aux bains de mer. Qu'est-ce qu'être écrivain en 1890, ou homosexuel, ou malade, ou médecin ?
Puis vient le moment où le grand artiste cesse d'être un type et, irrémédiablement différent, échappe à l'histoire et aux structures.
Il y a dans cet ouvrage tout ce qu'on peut savoir de Proust, tout ce qu'il est utile de savoir pour comprendre sa personne et son oeuvre, non les infinis détails de vingt et un volumes de lettres.
La biographie d'un grand écrivain n'est pas celle d'un homme du monde, ou d'un pervers, ou d'un malade : c'est celle d'un homme qui tire sa grandeur de ce qu'il écrit, parce qu'il lui a tout sacrifié. -
Proust s'est montré curieux de la vie des écrivains et des artistes qu'il aimait, interrogeant sur ses contemporains ou lisant des biographies, des correspondances, de Balzac et Ruskin à Musset et Sainte-Beuve. Il a lui-même fait comprendre une fonction de la biographie : dire "pourquoi ?", "comment ?", et pas seulement "quoi ?".
Il ne s'agit plus de description, mais d'expérience intérieure, celle qui sera transformée en littérature et en personnages de roman. La biographie ne raconte pas "un vague roman tout préfabriqué", mais la source du roman, ce qui l'a rendu possible. Elle donne forme à l'informe, unité à la diversité, sens à l'apparence. Elle réentend la voix qui n'est plus, et redonne vie à ce genre disparu, le dialogue des morts - qui est un dialogue avec les vivants. -
Proust s'est montré curieux de la vie des écrivains et des artistes qu'il aimait, interrogeant sur ses contemporains ou lisant des biographies, des correspondances, de Balzac et Ruskin à Musset et Sainte-Beuve. Il a lui-même fait comprendre une fonction de la biographie : dire "pourquoi ?", "comment ?", et pas seulement "quoi ?".
Il ne s'agit plus de description, mais d'expérience intérieure, celle qui sera transformée en littérature et en personnages de roman. La biographie ne raconte pas "un vague roman tout préfabriqué", mais la source du roman, ce qui l'a rendu possible. Elle donne forme à l'informe, unité à la diversité, sens à l'apparence. Elle réentend la voix qui n'est plus, et redonne vie à ce genre disparu, le dialogue des morts - qui est un dialogue avec les vivants. -
Etel Adnan : Les anges, le brouillard, le Palais de la nuit
Yves Michaud
- Gallimard
- Art et Artistes
- 9 Novembre 2023
- 9782072997310
Etel Adnan (1925-2021) a connu sur le tard une reconnaissance qui ne cessera de grandir. Vivant tour à tour dans plusieurs pays (Liban, France, États-Unis, Grèce, etc.), écrivant en français et en américain, poète, peintre et philosophe, elle n'a jamais cherché la célébrité, mais voulait simplement "vivre en poète".
Figure fascinante, conteuse orientale, elle rayonnait d'intelligence, de culture et de sensibilité.
Cette personnalité, que l'auteur a eu le bonheur de fréquenter ne doit surtout pas faire oublier l'oeuvre : un oeuvre peint et dessiné exceptionnel et un oeuvre écrit qui la situe parmi les très grands poètes de la seconde moitié du XXe et du début du XXIe siècle.
ll n'est pas possible de séparer les aspects de cet oeuvre : philosophie, vie, poésie et oeuvre peint forment un même tissu. Elle-même disait que la vie est un tissage.
Etel Adnan : Les anges, le brouillard, le Palais de la nuit suit la symphonie des thèmes de l'oeuvre : déplacement, engagement, philosophie des éléments et de l'espace, rêves de l'intersidéral, rythmes du monde, anges appelant à l'évasion, ouverture intégrale au présent. -
État secret, État clandestin : Essai sur la transparence démocratique
Sébastien-Yves Laurent
- Gallimard
- NRF Essais
- 22 Février 2024
- 9782072547911
Nous semblons vivre à une époque où tout finit par se savoir depuis qu'en 2013 un employé de l'agence de renseignement technique des États-Unis, Edward Snowden, révéla un authentique "secret d'État" : la collecte par les États-Unis de dizaines de millions de communications échangées dans le monde. Depuis lors en tous domaines des documents secrets ont été l'objet de fuites, laissant croire que la notion de secret d'État n'existe plus. L'État aujourd'hui serait-il désormais un État transparent, dépouillé de ses mystères ?
Sébastien-Yves Laurent, dans cet ouvrage profondément original, déjoue les leurres. Dès ses commencements, l'État eut des raisons que la raison commune ignorait : la Raison d'État autorisait des agissements diplomatiques, policiers ou militaires dont le secret était la garantie du succès.
Vint le libéralisme politique au XVIIIe siècle, porteur des droits de l'individu et des ferments de la démocratie grâce à la publicité, ici étudiée dans trois pays : Angleterre, États-Unis et France. Le secret fut néanmoins reconnu comme nécessaire au fonctionnement de l'État, mais institutionnalisé en services, budgets, voire commissions parlementaires d'enquête. L'État secret, légalisé, était né.
Vint au tournant de notre siècle le néo-libéralisme qui, doutant de l'efficacité du public face au privé, imposa l'idéologie de la transparence de l'action publique. Alors, le secret démocratique fut mis en cause et se créa dans l'ombre un État clandestin, acteur de liquidations physiques, déstabilisations dans l'univers numérique, emprisonnements extra-légaux.
La démocratie en est fragilisée durablement. C'est pourtant notre monde. -
Les frémissements de la vie et des sensations par bouquets, les êtres et les choses, tout est dit avec une simplicité d'évocation qui chante et résonne dans cette célébration de l'expérience d'être au monde. Yves Leclair ne cache rien de ce qui lui est offert ; cet immense partage est comme une invitation à ranimer ces instants, en paroles et en musique, avec amour et humour.
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"Je dois tout vous noter! Je vous note! Ils achèteront plus tard mes livres, beaucoup plus tard quand je serai mort, pour étudier ce que furent les premiers séismes de la fin, et la vacherie du tronc des hommes, et les explosions des fonds d'âme... Ils savaient pas, ils sauront !..."
Célèbre à trente-huit ans, dès la publication de son premier livre, Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline (1894-1961) reste aujourd'hui encore un écrivain très controversé. Haï par les uns qui ne voient en lui qu'un antisémite virulent et un nihiliste outrancier, il est adulé par les autres qui ne veulent retenir que le caractère fondamentalement novateur de sa littérature. Yves Buin propose une approche critique, montrant que la lumière peut côtoyer la ténèbre. Médecin des pauvres, anticommuniste, pacifiste, Céline, qui reconnaissait à l'écrivain le droit d'inventer sa propre biographie, ne cesse de tricher, de mentir, mais paie comptant, "met sa peau sur la table", et échafaude une oeuvre qui fait de lui un des plus grands grands prosateurs classiques du XXe siècle. -
"l'art, c'est bien fini" : essai sur l'hyper-esthétique et les atmosphères
Yves Michaud
- Gallimard
- NRF Essais
- 30 Septembre 2021
- 9782072204098
On doit à Yves Michaud une analyse fondamentale de l'évolution contemporaine de l'Art.
Dans le domaine des arts visuels qu'on appelle Art, nous sommes passés d'oeuvres (traditionnellement tableaux et sculptures) à des installations, des environnements, des dispositifs multimédias qui enveloppent le spectateur dans des expériences multi-sensorielles. Telle est la "vaporisation de l'art", son passage à l'état gazeux.
La seconde évolution, que décrit cet ouvrage, "le triomphe de l'esthétique", c'est le mouvement d'esthétisation générale de nos milieux de vie.
Il faut que tout soit "luxe, calme et volupté", plaisant, charmant, lisse, agréable, ou encore excitant, intéressant dans le registre couramment appelé "esthétique".
L'apparition au cours du XVIIIe siècle du concept d'esthétique fut indissociable du changement des expériences que donnaient les arts et de nouvelles formes de la sensibilité.
Il en va de même aujourd'hui.
L'expérience esthétique a changé : de frontale elle est devenue atmosphérique et se fait sous le signe du plaisir, du sensible et de l'éprouvé.
Nous sommes en présence d'une révolution sensible qui rend indispensable une révolution dans "la théorie esthétique", mais la révolution de la sensibilité hyper-esthétique est encore plus importante que celle de la théorie.
Le monde des atmosphères n'est plus celui de la perception esthétique.
Le monde du Grand Art est mort et bien mort. -
Marcel Proust ; croquis d'une épopée
Jean-Yves Tadié
- Gallimard
- blanche
- 14 Novembre 2019
- 9782072872037
'"Leurs yeux se rencontrèrent" : ces scènes de première rencontre qui font la force des grands romans, de Madame Bovary, de La Chartreuse de Parme, surgissent aussi entre les livres et nous. On m'a souvent demandé : "Comment avez-vous connu Proust ?" comme si j'avais pu l'aborder (ce que je n'aurais jamais osé faire), comme si j'avais été un témoin privilégié de sa vie, comme s'il avait été un de ces amis dont on écrit l'histoire. Ami, on l'est sans doute plus quand on ne connaît que l'oeuvre que lorsqu'on ne connaît que l'homme.
Ce recueil rassemble dix ans de critique proustienne. Le hasard des commandes, ou des envies, dessine "à l'horizon peut-être, une constellation". C'est l'occasion de développer des thèmes, de Pompéi aux jardins, des contemporains à peine entrevus, Romain Rolland, une voisine du boulevard Haussmann, un prince monégasque, de reparler des personnages du roman. Des promenades, des variations, des découvertes : une photo inconnue et qui bouleverse notre connaissance de la biographie, une lettre inédite et mystérieuse.
Le premier volume du cycle de "La Petite Histoire" de Lenotre, passion de mon enfance, portait le titre de Napoléon : Croquis de l'épopée. C'est ce que je propose ici, au sujet de Proust, parce que l'écriture de la Recherche et le livre lui-même en furent bien une : des croquis de l'épopée.'
Jean-Yves Tadié. -
Un après-midi d'octobre 1968, "le plus grand compositeur vivant" fait irruption dans la vie d'un garçon de sept ans et lui fait don d'une musique somptueuse, fracassante et quelque peu délurée. Igor Strawinsky meurt au printemps 1971. Mais pour l'enfant, l'adolescent, bientôt le jeune adulte, la traversée du continent Strawinsky se poursuit sous le signe de la stupéfaction et de l'éblouissement.
En miroir de sa propre vie, sans prétention musicographique, sans refus non plus de l'anecdote érudite ou du coq-à-l'âne malicieux, Jean-Yves Larrouturou fait le récit d'un compagnonnage joyeux avec l'univers musical en perpétuelle révolution de Strawinsky, compositeur de créations inouïes et d'archétypes intemporels, mais aussi gentleman-cambrioleur de huit siècles de musique savante et populaire, de l'École de Notre-Dame à la Cartoon music.
Vivre avec la musique de Strawinsky est une source inépuisable de bonheur, de troubles et de plaisir. Une joie furibonde et inextinguible. -
"J'ai toujours été attiré par tout ce qui parlait de révolte contre l'autorité. Celui qui se réconcilie avec l'autorité se met à en faire partie."
Chaman, poète maudit, sorcier des mots, James Douglas Morrison, dit Jim Morrison (1943-1971), chanteur des Doors, continue de fasciner des générations d'auditeurs et de lecteurs.
Cette biographie très documentée retrace l'aventure fulgurante d'un artiste hors du commun qui réinventa le rock and roll. L'équipée sauvage de celui qu'on appelait le 'Roi lézard' fut aussi celle d'un groupe, les Doors, dont les mélodies et les textes font aujourd'hui parti de l'histoire de la musique : "Riders On The Storm", "Light My Fire", "You Make Me real"... Auteur de plusieurs livres sur Jim Morrison, Jean-Yves Reuzeau travailla une dizaine d'années pour le label Elektra, celui des Doors. -
Chaque siècle a besoin d'une Comédie humaine. Celle du XXe nous a été donnée par Marcel Proust. Sa vie a coïncidé avec la meilleure époque de la IIIe République et avec les sources du monde contemporain. Il a observé le remplacement d'une société de cour par une société des élites, et la permanence d'un peuple chargé d'histoire.
C'est le regard de Proust sur ce monde extérieur changeant que nous avons voulu analyser. Si le monde intérieur de l'auteur, avec sa sensibilité et ses passions, nous est bien connu, s'épanouissent également dans son oeuvre une sociologie, une géographie et une histoire, chacune de ces disciplines se proposant de rendre compte du monde tel qu'il a été, tel qu'il est. En creux se dessine alors un portrait renouvelé d'un auteur tout à fait dans son siècle.
Quelle surprise de voir Proust, parfois injustement décrit comme un peintre du passé, si sensible à certains aspects de la vie collective moderne ! Observateur avisé de ses contemporains, il intervient volontiers dans les débats de l'époque (génocide arménien, affaire Dreyfus, séparation de l'Église et de l'État), tout autant qu'il fait preuve d'un grand intérêt pour les progrès techniques nombreux (téléphone, aviation). Homme social évoquant ses fréquentations, boursicoteur peu capable de gérer sa fortune, géographe de Paris et de la province, Proust se dévoile de façon inédite, parfois malgré lui.
Voici donc un parcours à travers un autre monde, et à la découverte d'un autre Proust. -
"On m'a balancée dans ce groupe rock, on m'a refilé des musiciens dans les pattes, et la musique me poussait dans le dos. La basse me propulsait. C'est alors que j'ai décidé de me lancer totalement là-dedans. J'ai plus jamais voulu faire autre chose. C'était mieux et meilleur qu'avec n'importe quel mec. Et c'est peut-être justement ça le problème..."
Victime de sa légende, Janis Joplin (1943-1970) fut trop souvent caricaturée pour son penchant à l'autodestruction, la crudité de son langage et sa philosophie de l'extase. Mais l'essentiel est ailleurs. Icône du rock, elle a féminisé une scène longtemps accaparée par les hommes et imposé un style de vie libéré, porté par l'excès et transcendé par la musique. Plusieurs décennies après sa mort en solitaire dans une chambre d'hôtel à Hollywood, due à une overdose d'héroïne, elle reste à jamais la plus grande chanteuse de blues blanche de tous les temps. -
Drapeaux et fourches, marches et contremarches : du XVIe au XIXe siècle, des révoltes contre la gabelle aux troubles quarante-huitards, le soulèvement épisodique, débonnaire ou sauvage, terrifiant ou dérisoire, constitue la seule expression collective de la France campagnarde. Yves-Marie Bercé présente ici la plus longue durée des insurrections paysannes. Dans le fait divers et la chronique, il retrouve la permanence des gestes et des rites, les cérémonies symboliques de la violence, l'attente utopique des pauvres, l'antagonisme sourd de la ville et du plat pays. Et l'enjeu même de ces révoltes sans espoir : au son du tocsin, pendant trois siècles, elles ont tenté de protéger le monde menacé, bientôt perdu, des solidarités communautaires.
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« Ce volume réunit l'ensemble des sept préfaces que j'ai données à des oeuvres de Malraux dans la Collection blanche et la Bibliothèque de la Pléiade : écrits farfelus, lettres choisies, carnets de voyage en URSS et du Front populaire, écrits sur l'art, essais critiques. Il couvre donc l'ensemble de la pensée de Malraux essayiste, dont il dégage les grands thèmes et souligne l'actualité. Si je me rappelle mes premières impressions à la lecture de Malraux, quelqu'un apparaissait, qui nous disait que l'histoire pouvait se raconter à rebours, à partir de l'art moderne (qui nous était cher, la jeunesse s'est toujours voulue moderne) vers le passé, tous les passés. Raconter n'était pas le mot, cette nouvelle histoire était faite d'apparitions, comme celle de Mme Arnoux dans L'Éducation sentimentale. C'était aussi une nouvelle géographie : surgissaient l'Afrique, l'Asie aux mille ateliers, l'Amérique de l'art précolombien, les îles d'Océanie. Mais tout excepté le médiocre, qui n'explique rien, sauf la prose du monde. L'histoire volait en éclats sous le choc des éclairs. Nos manuels, en effet, n'étaient pas écrits, ne relevaient pas de la littérature. Malraux, lui, donnait un équivalent stylistique des oeuvres dont il parlait, il traitait avec elles d'égal à égales et les reconstituait en une phrase, une image, un élan lyrique. C'était le sismographe que nous aimions aussi chez André Breton. Nous n'avions, d'autre part, jamais vu ces confrontations de photographies, de reproductions d'oeuvres d'art, ces courts circuits qui font jaillir une étincelle (dont nous étions voleurs, suivant le conseil de Rimbaud, notre contemporain).Les archives du comité Nobel ont montré que Malraux n'avait pas eu ce prix parce qu'il n'écrivait plus de romans. Étrange hiérarchie des genres, qui exclut l'essai du champ littéraire ! Au pays de Montaigne, de Pascal, de Montesquieu, de Valéry, on tiendra au contraire qu'il n'est pas moins littéraire que la fiction. La même imagination créatrice qui s'est illustrée dans La Condition humaine est présente dans Les Voix du silence, et dans la critique littéraire, dont L'homme précaire et la littérature représente l'aboutissement. L'Homme précaire retrouve le sens de la littérature. Les Voix du silence peuvent apparaître comme une recherche des temps et des arts perdus : styles négligés, artistes oubliés, continents engloutis. Elles retrouvent le temps de l'art. Restait à montrer par quels moyens. » (J.-Y. T.)
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Cent personnages saisis au moment où leur vie bascule, cent spécimens de notre condition humaine. Leurs portraits sont esquissés en quelques lignes à partir d'un simple prénom, d'une situation paradoxale et d'un certain point de non-retour. Tous sont extraits de la réalité contemporaine, réinventés de mémoire, puis raccourcis à la virgule près.
Mauricio, l'embaumé public, Agnès, la monitrice d'inconduite automobile, Robin, l'emprunteur précoce de pilule contraceptive, Phil, l'accidenté d'avant le travail, Charlotte, la suicidaire intermittente, André, émeutier à lui tout seul... autant de héros du presque-rien qui forment une multitude à notre image : la première personne du pluriel.
Entre fêlures intimes et identités sociales en crise, Yves Pagès poursuit le chantier d'écriture fragmentaire entamé depuis Petites Natures mortes au travail avec une langue plus resserrée que jamais et un humour tendrement corrosif. -
L'usage des ruines ; portraits obsidionaux
Jean-Yves Jouannais
- Gallimard
- Verticales
- 30 Août 2012
- 9782072474965
'Cet ouvrage s'apparente à un casting de personnages romanesques. Ils ont en commun d'avoir reconnu leur obsession au contact d'une ville assiégée. Choisis parmi cette triste galerie l'uniforme ou les traits qui te siéront au mieux. Tu es maintenant libre d'aller arpenter les ruines.'
Albert Speer, Naram-Sîn d'Akkad, Scipion Émilien, Irma Schrader, Shang Yang, Stig Dagerman, Shapur Ier, Bernardo Bellotto... À travers des portraits de vainqueurs, de vaincus ou de simples témoins, ce livre raconte une histoire du monde sous la forme d'un seul et même panorama de villes effondrées, depuis la Mésopotamie d'avant l'écriture jusqu'au Ground Zero de l'après 11 septembre. Entre digression érudite et narration rêveuse, Jean-Yves Jouannais compose, sur les décombres de notre mémoire, un inventaire à la fois fantaisiste et raisonné des pires traumatismes de guerre. -
Pour des générations de lecteurs, Montaigne a laissé l'image d'un homme qui prend ses distances avec les soucis, les conflits, les maladies, dont la 'douce sagesse' se plaît dans 'la retraite au sein des Muses', dans sa fameuse tour-bibliothèque.
Cette image académique d'un sage à la mode antique et d'une oeuvre, les Essais, compilant les maximes morales et qui pourrait servir de manuel de 'savoir-vivre en une société bien élevée', est ici vigoureusement battue en brèche. C'est un Montaigne aux aguets, traversé d'interrogations, que l'on découvre ici, un homme en perpétuel état d'attention éveillée. Montaigne refuse de prendre son parti des horreurs du temps, sans pour autant s'illusionner sur les résultats de la quête d'idées claires et distinctes que l'on pourrait tenir pour acquises : 'c'est l'incertitude qu'on trouvera au bout du chemin de pensée'.
L'époque de Montaigne se montrait tout aussi extravagante que la nôtre, ses réflexions sont aussi d'une brûlante actualité et demeurent des réflexions pour notre temps. -
Ce recueil de poèmes en prose est fait de petits riens de la vie : fragments de lettres, souvenirs, moments de grâce, bribes de conversation, impressions de voyages, cartes postales, prières, pensées ; ils composent une manière de journal poétique de haute tenue, où l'on "surprend" de-ci, de-là, entre "apparitions" et "disparitions", des appels, des images et des échos, non seulement du septième ciel, mais de cette "autre vie" que le paradis promis ou l'au-delà spirituel figurent. C'est simplement beau, délicat, coloré comme un vitrail.
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Les nouvelles enquêtes de Monsieur Proust
Pierre-yves Leprince
- Gallimard
- blanche
- 21 Mai 2015
- 9782072594946
"J'avais attendu trois mois avant de revoir Monsieur Proust, une domestique me fit entrer dans une salle à manger funéraire en me disant : "Attends Monsieur ici, ne t'assoye pas, touche à rien."
On me laissa debout sans refermer la porte - pour me surveiller au cas où je déroberais quelque chose, un meuble sous ma veste, des tableaux dans mes poches, la suspension dans mon chapeau ?
Il ne fallait pas se faire d'illusions sur les amitiés impossibles et les abîmes entre les classes de la société. Je tremblais de rage et d'humiliation, je m'assis sur une chaise trop haute pour moi, une voix joyeuse retentit.
- Cher Noël, venez embrasser votre parrain de Versailles et ne rougissez pas !... Ce jeune homme est timide, vous avez bien fait, Céline, de le forcer à s'asseoir, je le considère comme un filleul véritable. Il m'a rendu de GRANDS services, il est déjà un détective de GRAND talent, il ira loin, je vous le dis...
Il croyait en la force des mots, la multiplication et l'intensité de l'adjectif "grand" ne me haussa peut-être pas dans l'esprit de ses domestiques, du moins fus-je rassuré, l'affection d'autrefois était toujours là."
Prix Céleste Albaret 2016 -
C'est à la fin de 1906, à Versailles. Je suis minuscule (j'ai dix-sept ans mais l'air d'en avoir treize), je gagne ma vie comme coursier. Un jour, le portier d'une grand hôtel me demande de retrouver un cornet qu'un riche client a perdu. Je me dis qu'il doit s'agir d'un sourd, je monte à sa chambre et frappe avec force, on m'ouvre.
J'attendais un vieillard, je vois un homme encore jeune, mal rasé, pâle et inquiet. Il se penche vers moi et me dit d'une voix plaintive : Pourquoi frapper si fort, mon enfant?
- Je ne suis plus un enfant, Monsieur, je frappe fort parce que vous avez perdu votre cornet.
- Mon cornet? Quel cornet?
- Votre cornet acoustique, Monsieur.
Monsieur Proust, c'était lui, pousse un cri aigu, court se rouler sur un canapé couvert de papiers et de journaux. Il râle, gémit, va s'étouffer, j'ai peur. Non, il rit, je l'imite.
Il est écrivain, il n'a pas quarante ans, je n'en ai pas vingt, ni lui, ni le gamin que je suis, ni personne ne peut imaginer le futur, pour le moment nous rions. Nous suffoquons ensemble, nous sommes heureux, le temps de ce qu'il appellera toujours nos secrètes enquêtes a commencé. -
'"Ce livre essentiel, le seul livre vrai, un grand écrivain n'a pas, dans le sens courant, à l'inventer puisqu'il existe déjà en chacun de nous, mais à le traduire. Le devoir et la tâche d'un écrivain sont ceux d'un traducteur." Ces lignes souvent citées sont écrites par Marcel Proust dans le dernier tome de son immense construction, Le temps retrouvé. Elles ne sont pas exactement faciles à interpréter, et l'on a souvent été tenté d'y voir l'expression d'une croyance plus ou moins mystique dans la permanence d'un au-delà de la mort qui viendrait hanter les vivants, ou d'une adhésion à ce qu'on a appelé des tentations spiritualistes voire carrément spirites, ou encore d'une philosophie idéaliste. On peut aussi y lire une véritable "religion de l'art", et de la littérature en particulier.
Et tant d'autres, poètes, essayistes, romanciers, qui ont ressenti l'urgence d'ouvrir les yeux, ou comme disait Huxley, reprenant William Blake, d'ouvrir les "Portes de la perception". C'est le parcours que je me propose d'explorer à travers des oeuvres en apparence éloignées les unes des autres, et même hétérogènes, mais, selon moi, mues par une préoccupation analogue. J'espère qu'on acceptera d'accompagner mon cheminement hasardeux, et convaincu, voire obstiné.'
Jean-Yves Pouilloux.