« Je suis né à Paris, le 8 juillet 1921, rue Mayran, dans le IXe arrondissement, au pied de la butte Montmartre... »C'est à l'occasion de la remise par Bertrand Delanoë, maire de la capitale, de la médaille d'honneur de la Ville de Paris, que, prononçant son discours de remerciement, l'auteur de La Voie, bon pied , bon oeil, a eu l'idée de ce récit de sa vie en évoquant ses tribulations dans les différents quartiers de la capitale. A chaque déménagement, à chaque compagne ou conquête amoureuse correspondent aussi des étapes de la vie intellectuelle et des engagements politiques de l'inventeur de la « pensée complexe », co-auteur avec Stéphane Hessel du Chemin de l'espérance. Un récit pétillant d'humour et d'intelligence par le plus non-conformiste des jeunes nonagénaires, traduit et célébré dans le monde entier.
Instrument indispensable à toute gouvernance, forgé sur le modèle des pratiques des agences de notation financière, l'évaluation a étendu son empire à tous les domaines, tous les métiers, tous les instants, tout, vraiment tout, de la naissance à la mort. Et elle n'a cessé de prouver, de toutes les manières possibles, son inopérante bêtise et sa dangerosité. Pourtant, elle n'est jamais démentie : elle promet encore plus, si l'on évalue encore... Pour comprendre ce qui ne va plus, ce qui ne doit pas continuer, il faut s'intéresser à l'outil universel de l'évaluation : les grilles. Nous, citoyens, administrés, professionnels, étouffons derrière les grilles. Il faut coûte que coûte entrer dans les cases. Il faut réduire chacun de nos actes à une série d'items pour qu'ils soient quantifiables, performants. Ce que nous faisons les uns et les autres n'a plus de sens : nous ne reconnaissons plus nos vies dans la représentation du monde ainsi formaté. Les grilles produisent un monde surveillé qui élimine toute inventivité, toute nouveauté, tout espace de liberté. Un monde mort... Ne restons pas plus longtemps enfermés derrière les grilles d'évaluation.Directrice de recherche au CNRS, Barbara Cassin, philologue et philosophe, est membre de l'Appel des appels (dernier ouvrage : La Nostalgie, Autrement, 2013).Avec les contributions de : Éric Alliez, Didier Bigo, Laura Bossi, Serge Bronstein, Fernanda Bruno, Catherine Caleca, Barbara Cassin, Julie Caupenne, Marie-José Del Volgo, Nathalie Georges-Lambrichs, Yves Gingras, Roland Gori, Jean-Jacques Gorog, Daphné Marnat, Christine Nicoulaud, Albert Ogien, Peter Osborne, Marie-Blanche Régnier, Claude Schauder, Christian Védie, Catherine Vidal.
On croit connaître Céline. On connaît les bribes d'une légende pieusement transmise qui se défait pour se recomposer, ainsi que les portraits arrangés au fil des biographies publiées.
La recherche de la vérité plutôt que les ruses de la disculpation conduit à ce portrait sans complaisance, qui examine les moments cruciaux d'un itinéraire qu'on ne peut réduire à une carrière littéraire, sous peine de ne plus comprendre vraiment l'écrivain. Car celui-ci a cherché à agir sur son époque.
En 1937, ennemi du Front populaire et partisan d'une « alliance avec Hitler », Céline choisit de devenir un écrivain antijuif. Il s'engouffre opportunément dans la vague antisémite, bataillant sans relâche contre le « péril rouge » et le « péril juif ». Pour confectionner ses pamphlets, il puise dans la propagande nazie diffusée par diverses officines, dont le Welt-Dienst. Il met en musique les idées et les slogans. Pendant l'Occupation, il fait figure de nouveau « prophète », de « pape de l'antisémitisme ».
Cette vérité historique heurte frontalement la légende de l'écrivain, celle de l'« écriture seule ».
Le cas de Céline est-il comparable à celui des autres intellectuels du collaborationnisme ? Jusqu'à quel point adhère-t-il à la vision hitlérienne ? Jusqu'où est-il allé ? Que savait-il vraiment sous l'Occupation ? Que peut-on reprocher à Céline, des mots seulement, ou aussi des actes ?
Avec Céline, c'est tout un imaginaire raciste, antisémite et complotiste qui se livre à l'observation. Se montre ici le fonctionnement d'un esprit raidi dans un réseau de préjugés et de convictions inébranlables, qui force à poser autrement la question du scandale-Céline : comment cet homme a-t-il pu écrire Voyage au bout de la nuit ?
Ce livre est une somme, le livre de référence que l'on attendait sur le cas Céline. Il croise la lecture des textes avec l'histoire intellectuelle et politique. Une étude critique, rompant avec les habituelles approches, plus ou moins apologétiques. L'érudition y est mise au service de la volonté de clarifier et de comprendre. Pour une vision « décapée » de l'écrivain engagé, par-delà les clichés.
Née à Buenos Aires, Marcela Iacub est juriste et chercheur au CNRS. Elle intègre le barreau de Buenos Aires à vingt et un ans. En 1989, elle s'installe à Paris, où elle devient juriste spécialisée dans la bioéthique. Après sa thèse de doctorat à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), sous la direction du professeur Antoine Lyon-Caen, elle devient chercheuse au CNRS et membre associée au Centre d'étude des normes juridiques de l'EHESS. Marcela Iacub est l'une des meilleures spécialistes en bioéthique, elle travaille notamment sur les problèmes posés par l'évolution des technologies de la procréation et les revendications contemporaines touchant à la sexualité. Marcela Iacub est l'auteur de Le Crime était presque sexuel (EPEL, 2002), Penser les droits de la naissance (PUF, 2003), Qu'avez-vous fait de la libération sexuelle ? (Flammarion, 2002), L'Empire du ventre (Fayard, 2004), Aimer tue (Stock, 2005), Bêtes et victimes (Stock, 2005), Antimanuel d'éducation sexuelle, avec Patrice Maniglier (Bréal, 2005) et Une journée dans la vie de Lionel Jospin (Fayard, 2006). photo : © CROCUSSS/OPALE
La galère, c'est d'abord l'expérience de ces jeunes dominés par l'incertitude, le flottement des projets, les longues périodes d'oisiveté entrecoupées de petits boulots, la délinquance présente et peu spectaculaire, le risque de destruction du sujet lui-même. Cependant la galère n'est pas uniquement le produit de la crise économique et du chômage; elle apparaît au crépuscule de la société industrielle, lorsque tout un monde se défait morceau par morceau dans ses formes d'intégration, ses rapports sociaux et ses modes d'action collective.
De Seraing, ville industrielle wallonne dominée par la culture ouvrière, aux Minguettes à Venissieux avec ses jeunes immigrés, en passant par Orly, Sartrouville, Champigny et Clichy, François Dubet restitue l'expérience de la galère, la manière dont elle se construit chez les jeunes et dont elle est perçue par les adultes. Hors des catégories de la sociologie classique de la délinquance, la galère est une action de classe dangereuse faite de désintégration, d'exclusion et de rage. Les régulations traditionnelles se sont épuisées, les mécanismes d'intégration scolaire et professionnelle se sont durcis et surtout, la conscience de classe ouvrière ne parvient plus à donner sens à l'ensemble d'une expérience de domination.
Mais la galère n'est pas une pure destruction. D'elle surgissent parfois de nouvelles formes de protestation et de mobilisation. C'est là que naît le mouvement des jeunes immigrés et que sont esquissés les traits d'un nouveau visage d'une action contestataire au sein même de la mise hors jeu de cette jeunesse.
François Dubet, maître de conférence à l'Université de Bordeaux II et chercheur au CADIS (Centre d'analyse et d'intervention sociologique) à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, est notamment l'auteur de Le Mouvement ouvrier (Fayard, 1984) et L'Etat et les jeunes (Editions ouvrières, 1985).
Le vaisseau spatial terre, agité de conflits ethniques, religieux, politiques et de convulsions économiques, continue sa course à toute vitesse. Il est propulsé par plusieurs moteurs : science, économie, technique, profit, chacun portant en lui les possibilités du meilleur et du pire. Pas de pilote à bord, pas de boussole. Suit-il la bonne voie? Ne va-t-on pas vers des désastres? Est il possible de changer de voie ? Le pire est probable, mais l'improbable est souvent advenu dans l'histoire humaine. Ce livre s'essaie à un diagnostic sur le cours présent et futur de la mondialisation. Il indique comment une multiplicité de crises se trouvent enchevêtrées dans la grande crise de notre humanité qui n'arrive pas à devenir humanité. Il montre comment nous vivons à la fois le pire et le meilleur. Il indique comment peut-être un nouveau futur, encore indiscernable, a déjà commencé. Une Voie nouvelle, issue de la conjonction de myriades de voies réformatrices, pourrait nous conduire à une métamorphose encore plus étonnante que celle qui a jadis transformé de petites sociétés archaïques de chasseurs-cueilleurs pour engendrer les sociétés historiques
Ce bref essai est le texte substantiellement élargi et récrit d'une conférence prononcée par Jacques Attali dans le cadre d'un colloque à Cerisy. Il se veut la synthèse de ses travaux successifs sur la musique (Bruits), la médecine (l'Ordre cannibale), l'économie (La Parole et l'Outil et les Trois Mondes), la mesure du temps (Histoires du Temps).
Métaphore de cette réflexion: une figure géométrique, la " figure de Fraser ", qui présente la particularité d'être, selon la position de l'observateur, soit une spirale (emblème du progrès continu), soit une succession de cercles concentriques (symbole de la répétition de cycles).
A partir de cette figure et des représentations contraires et conjuguées de l'Histoire qui s'y lisent, Jacques Attali s'interroge sur la nature de toutes les " crises ", et en particulier de celle de cette fin du XXe siècle.
La crise économique ne suffit pas à expliquer le malaise français. Face aux bouleversements de l'ordre du monde et aux difficultés du pays, la montée du populisme et du Front national témoigne d'une inquiétude identitaire et culturelle. Comment vivre ensemble malgré nos différences ?
Laurent Bouvet, spécialiste des doctrines politiques et observateur attentif de la vie politique, examine l'origine de cette angoisse et ses effets. En décortiquant les représentations, vraies ou fausses, que nos concitoyens se font de la mondialisation, de l'Europe, de l'immigration, de l'islam ou des élites, il montre comment des dimensions culturelles se mêlent étroitement aux conditions matérielles.
Rompant avec l'aveuglement et le conformisme, Laurent Bouvet propose des pistes pour combattre ce mal qui ronge la société française : l'insécurité culturelle.
Laurent Bouvet est professeur de science politique à l'Université Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines. Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le Communautarisme. Mythes et réalités (Lignes de Repères, 2007) et Le Sens du peuple. La gauche, la démocratie, le populisme (Gallimard, 2012).
François Hollande avait promis d'ouvrir le mariage et l'adoption aux couples homosexuels : un projet de loi a vu le jour le 7 novembre 2012. Si cette promesse répond à un souhait ancien des associations de défense des gays et lesbiennes, si nos contemporains semblent s'être acclimatés à l'idée d'unions entre personnes du même sexe, le « mariage pour tous » est une révolution sociétale majeure. Déjà les opposants se mobilisent, les arguments fusent, les sondages sont hésitants, l'issue de la discussion à l'Assemblée nationale risque d'en surprendre plus d'un.
Le mariage convient-il à tous ? C'est la question majeure de ce début du XXIe siècle que pose cet essai historique qui retrace la métamorphose récente et radicale de la famille. L'élargissement du mariage aux couples du même sexe intervient au moment où l'on parle d'une « crise du mariage ». Pourquoi désirer se marier alors que beaucoup de nos contemporains n'y aspirent plus ? Peut-on se passer d'une institution qui sert à perpétuer le patrimoine affectif, financier et biologique à travers les enfants ?
Entre la conception historique, politique et juridique du mariage et la représentation que s'en fait actuellement la plupart des citoyens, il y a un fossé béant. Et pourtant le mariage n'est pas condamné et paraît s'adapter aux moeurs actuelles.
Cet essai interroge donc les fondements démocratiques de nos sociétés. Le mariage, longtemps vécu comme un formidable régulateur social, doit désormais vivre à l'ère des masses, des individualités et de l'égalité : pour le meilleur et pour le pire.
Le jeu est devenu l'une de nos activités sociales essentielles. Les individus se lancent à corps perdu dans le sport; dans toutes les organisations sociales, notamment dans les entreprises, les dirigeants jouent de leur intelligence; partout, ceux qui ont la chance de vivre dans notre univers développé engagent une partie importante de leurs revenus dans les jeux de hasard.
La démocratie se transforme en lotocratie. Les industries du jeu accompagnent le mouvement. Les nations occidentales leur consacrent près du double de ce qu'elles accordent à la recherche technologique et scientifique. La société du jeu est la première synthèse complète sur la part du jeu au XXe siècle et les conséquences économiques et sociales de ce phénomène mondial.
Alain Cotta nous montre les différents types de jeux auxquels nous avons recours pour lutter contre l'ennui qui, dans notre économie avancée, s'est progressivement substitué à la fatigue physique. Parmi les motivations qui poussent les hommes à jouer, la principale est, sans doute, le besoin impérieux de lutter contre l'uniformité de la vie sociale et d'ajouter le temps du jeu à celui du sérieux. Après l'ère morale, après l'ère idéologique, sommes-nous bel et bien entrés dans la société du jeu?
Alain Cotta, professeur d'économie à Paris-Dauphine, est l'auteur, notamment, aux PUF, de le Capitalisme (1977), Réflexions sur la grande transition (1979), le Corporatisme (1984) et, plus récemment, chez Fayard, de l'Homme au travail (1987), le Capitalisme dans tous ses états (1990), la France en panne (1991) et Pour l'Europe, contre Maastricht (1992).
Etre végétarien serait un choix éthique hautement respectable tandis que le carnivore serait voué aux gémonies. Et si c'était l'inverse ? Caractérisant le « végétarien éthique » comme celui qui refuse de se laisser intoxiquer par l'animal, Dominique Lestel considère que cette attitude rétablit la frontière fondatrice « hygiénique » entre l'homme et l'animal. Constatant que, face à un végétarien, un carnivore avance souvent des arguments d'une faiblesse désolante, Dominique Lestel se livre ici à une mordante apologie du carnivore, à rebours des thèses habituellement admises. Il estime qu'être carnivore et manger de la viande est plus « éthique » qu'être végétarien. Pour lui, manger de la viande est le seul moyen de nous rappeler que nous appartenons au règne animal et que notre chair est chair animale. Lestel plaide finalement pour un renouvellement de notre « philosophie du manger » : au lieu de nous interdire de manger l'animal au nom d'une vision du monde inspirée de l'univers de Walt Disney et teintée de culpabilité chrétienne, nous devrions plutôt militer pour que les animaux puissent également nous manger - selon une logique radicale de la réciprocité qui est le principe même du vivant. Car le vrai problème est aujourd'hui celui des élevages industriels, véritable ignominie des temps présents, et non celui de la consommation de viande, que le philosophe entend bien réhabiliter.
Cible principale des débats sur les vices et vertus de l'élitisme à la française, les grandes écoles font aujourd'hui l'objet de multiples mesures pour élargir leur vivier de recrutement. L'instauration de la « discrimination positive » à Sciences Po Paris, puis l'obligation faite aux grandes écoles d'accueillir au moins 30 % de boursiers ont provoqué de vives polémiques. Mais ce tumulte médiatique laisse dans l'ombre les principaux intéressés, les étudiants bénéficiaires des politiques d'ouverture sociale. Ils ont leur mot à dire. Souvent issus des milieux populaires et, pour beaucoup, de familles immigrées, qui sont ces jeunes ? En franchissant les frontières sociales, à quelles épreuves sont-ils confrontés au quotidien ?
Grâce à une enquête ethnographique au long cours sur une classe préparatoire réservée à des bacheliers ZEP, dans un lycée prestigieux de province, ce « polar sociologique » montre comment ces étudiants sont sélectionnés, formés et transformés au fil de leur parcours, jusqu'à leur arrivée dans le monde du travail. À travers leurs espoirs et leurs craintes, leurs découvertes et leurs déconvenues, leurs succès et leurs échecs, ces étudiants s'affrontent à un problème qui nous concerne tous : que signifie concrètement changer de milieu social et tout faire pour « réussir » ? Paul Pasquali est sociologue, chargé de recherche au CNRS (CURAPP-ESS, Amiens). Ses travaux portent principalement sur la mobilité sociale, l'éducation et l'histoire des sciences humaines.
Sporadiquement, le terrorisme surgit de l'ombre, sous les feux de l'actualité. Il occupe la " une " des médias comme il frappe ses victimes: en flambée. L'effroi qu'il cause est directement proportionnel à notre ignorance de ses acteurs.
Aussi la littérature foisonne-t-elle, multipliant à l'envi les explications. Le terrorisme serait une menace irrationnelle attaquant les valeurs et le tissu de nos sociétés, quand il n'est pas le produit de manipulations orchestrées depuis un lointain centre de pouvoir, ou encore le reflet de la crise ou du désordre affectant un pays. Tout ou presque a été dit et écrit. Pour autant connaît-on le terrorisme?
Le premier, Michel Wieviorka étudie les acteurs terroristes, leurs dérives politiques et intellectuelles, le rapport qu'ils entretiennent avec la réalité. Car le passage au terrorisme est d'abord un processus dont les terroristes ont l'initiative.
Le recours organisé à une violence illimitée, sans retour en arrière, n'est pas la dernière ressource ou l'expression désespérée d'un mouvement faible _ social, communautaire, ethnique _ mais la substitution ultime d'acteurs isolés à un mouvement devenu fictif.
Sentier Lumineux péruvien, Brigades Rouges, ASALA, ETA, groupes d'Abou Nidal ou de Waddi Haddad...: la violence, quand elle se déconnecte de l'expérience vécue de ceux qu'elle dit représenter, devient une logique d'action. Ainsi naît le terrorisme.
Michel Wieviorka est maître de conférences à l'université de Paris-Dauphine et directeur adjoint du Centre d'Analyse et d'Intervention Sociologiques de l'EHESS.