Ce livre s'adresse à ceux qui croient en la littérature, parce qu'elle présente des vérités inaccessibles à la philosophie et aux sciences humaines. La raison, si elle est conséquente avec elle-même, ne peut nous donner d'autre horizon que le néant après la mort, et les néants qu'elle ne cesse de semer dans son « progrès » depuis que l'humanité en a fait son culte. Ramener la raison à ce qu'elle est, à savoir une simple procédure efficace de pensée, l'enrichir par d'autres ressources de notre imagination afin d'ouvrir de nouveaux horizons à notre existence : voilà le propos de Pascal. Pour l'établir, il est nécessaire de se débarrasser des clichés : Pascal janséniste, Pascal apologiste, Pascal « effrayant génie ». Cet essai original s'emploie à dégager la constante de son travail, qu'il s'intéresse à la géométrie, à la Bible ou aux affaires humaines : la pensée figurative. Celle-ci consiste à placer devant nos existences présentes un horizon figuré qui leur donne sens. Ainsi réorientés passons-nous de l'existence à la vie vraie.
Hubert Aupetit est agrégé de mathématiques et de lettres modernes, et docteur ès lettres. Il est l'auteur d'ouvrages de météorologie, d'aéronautique, de littérature et de philosophie. Il écrit aussi des romans, sous une autre identité.
Quand dire, c'est vraiment faire : comment fait-on des choses avec des mots, comment fait-on vraiment des choses rien qu'avec des mots ? Cet ouvrage produit un court-circuit entre l'une des inventions contemporaines les plus « révolutionnaires » en matière de langage à en croire Austin : le performatif, et la toute-puissance du logos grec.
Le premier épisode isole une généalogie païenne du performatif. Quand Ulysse dit à Nausicaa : « Je te prends les genoux » parce qu'il a trop peur de lui prendre les genoux, à quelles conditions est-ce là « un discours qui gagne » ? Le second temps part de la sophistique. Dans l'Éloge d'Hélène, Gorgias théorise le pouvoir du logos qui « avec le plus petit et le plus inapparent des corps performe les actes les plus divins ». Quel est alors le statut de ce que la philosophie appelle rhétorique ? Le troisième moment est contemporain. Desmond Tutu, qui préside la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, inventée pour éviter un bain de sang prévisible post-apartheid, dit : « On croit d'ordinaire que le langage dit les choses. La Commission n'est pas de cet avis. Le langage, discours et rhétorique, fait les choses. Il construit la réalité. » Qu'apprenons-nous ainsi sur la performance-performativité de la parole en politique ?
Que reste-t-il donc aujourd'hui, à l'ère des fake news, des deux fétiches dont Austin se joue : le fétiche vrai/faux et le fétiche valeur/fait ? A travers ces trois mises en scène - poétique, rhétorique et politique - de la performance langagière, Barbara Cassin, dans la suite de ses travaux sur l'évaluation, la psychanalyse ou la traduction, poursuit son exploration de ce que peuvent les mots.
Barbara Cassin, directrice de recherche au CNRS, est philologue et philosophe, spécialiste de philosophie grecque. Elle a été élue en mai 2018 à l'Académie française.
Le discours n'est pas seulement un message destiné à être déchiffré; c'est aussi un produit que nous livrons à l'appréciation des autres et dont la valeur se définira dans sa relation avec d'autres produits plus rares ou plus communs. L'effet du marché linguistique, qui se rappelle à la conscience dans la timidité ou dans le trac des prises de parole publiques, ne cesse pas de s'exercer jusque dans les échanges les plus ordinaires de l'existence quotidienne: témoins les changements de langue que, dans les situations de bilinguisme, sans même y penser, les locuteurs opèrent en fonction des caractéristiques sociales de leur interlocuteur; ou, plus simplement, les corrections que doivent faire subir à leur accent, dès qu'ils sont placés en situation officielle, ceux qui sont ou se sentent les plus éloignés de la langue légitime.
Instrument de communication, la langue est aussi signe extérieur de richesse et un instrument du pouvoir. Et la science sociale doit essayer de rendre raison de ce qui est bien, si l'on y songe, un fait de magie: on peut agir avec des mots, ordres ou mots d'ordre. La force qui agit à travers les mots est-elle dans les paroles ou dans les porte-parole? On se trouve ainsi affronté à ce que les scolastiques appelaient le mystère du ministère, miracle de la transsubstantiation qui investit la parole du porte-parole d'une force qu'elle tient du groupe même sur lequel elle l'exerce.
Ayant ainsi renouvelé la manière de penser le langage, on peut aborder le terrain par excellence du pouvoir symbolique, celui de la politique, lieu de la prévision comme prédiction prétendant à produire sa propre réalisation. Et comprendre, dans leur économie spécifique, les luttes les plus éloignées, en apparence, de toute rationalité économique, comme celles du régionalisme ou du nationalisme. Mais on peut aussi, à titre de vérification, porter au jour l'intention refoulée de textes philosophiques dont la rigueur apparente n'est souvent que la trace visible de la censure particulièrement rigoureuse du marché auquel ils se destinent.
P. B.
« Quel que soit l'intérêt qu'on porte à la conjoncture étroitement nationale du mouvement des gilets jaunes, tout comme à l'obstination méprisante du pouvoir en place, nous devons tenir ferme sur la conviction qu'aujourd'hui, tout ce qui importe vraiment est que notre patrie est le monde.
Ce qui nous ramène aux dénommés "migrants . Il faut agir, bien évidemment, pour ne plus tolérer les noyades et les arrestations et la mise à l'écart pour des raisons de provenance ou de statut. Mais au-delà, il faut savoir qu'il n'y a de politique contemporaine qu'avec ceux qui, venus chez nous, y représentent l'universel prolétariat nomade.
En convoquant les textes philosophiques et politiques, mais aussi les poèmes, je voudrais examiner l'état actuel de cette cause et explorer la direction de ce que le poète nomme l'éthique du vivre monde et que je nomme, moi, le nouveau communisme. »
A.B.
Alain Badiou est philosophe, dramaturge et romancier.
La vie de mon fils a été interrompue de façon imprévisible et violente. D'une façon en quelque sorte inacceptable. Mais je veux soutenir ici qu'en dépit de ces apparences, sa vie, singulière comme toute vie réellement subjectivée, a existé, pleinement, porteuse d'un sens dont la signification et l'usage avaient valeur universelle.
« Je ne peux pas m'empêcher de penser, mais c'est sans doute encore un préjugé, qu'il est plus facile d'épouser la diversité, le pluriel et le temps quand on est une femme - je veux dire : avec le côté femme de nous-mêmes. Plus facile, de prendre ses distances avec l'Un, la Vérité, la Raison, la Pensée, l'Universel, plus facile de croire moins quand on est une femme. Nous avons été si longtemps privées de philosophie et de politique, depuis la Grèce jusqu'à la génération de ma mère qui, jeune, ne votait pas et n'avait pas de chéquier. C'est cela qui a changé. L'Académie, un monde d'hommes, fait par des hommes pour des hommes, s'ouvre. »
Selon Zygmunt Bauman, notre ère postmoderne a vu l'avènement d'une « société liquide », dans laquelle la communauté cède le pas à l'individualisme, le changement est la seule chose permanente et l'incertitude la seule certitude.
Connu dans le monde entier pour ses travaux éclairants sur notre monde, Zygmunt Bauman avaient entamé, peu avant sa mort, un dialogue avec Thomas Leoncini, un journaliste italien de soixante ans son cadet.
Celui-ci se fait le porte-parole des générations nées dans une « société liquide » et en perpétuelle mutation, abordant les enjeux du monde contemporain dans toute leur profondeur. Bauman les étudie avec un recul salutaire, des dynamiques de l'agressivité - et en particulier le phénomène du harcèlement -, aux questions que posent l'existence d'internet ou les transformations sexuelles et amoureuses.
Partisan d'une collaboration générationnelle, « qui génère le présent et générera le futur », le sociologue et philosophe de renommée mondiale s'adresse à tous avec simplicité et nous offre ici un formidable point d'entrée dans sa pensée.
Professeur émérite à l'université de Leeds et sociologue, Zygmunt Bauman (1925-2017) a publié de nombreux ouvrages, dont Le Coût humain de la mondialisation, L'Amour liquide, La Société assiégée, La Vie liquide dans la collection « Pluriel ». Thomas Leoncini est un journaliste italien né en 1985.
Propos de Zygmunt Bauman traduits de l'anglais par Christophe Jacquet ; propos de Thomas Leoncini traduits de l'italien par Marc Lesage
Le socle philosophique de l'oeuvre multiforme d'Alain Badiou (théâtre, romans, essais esthétiques ou politiques, éloges, polémiques...) est déposé dans trois grands livres, qui constituent une sorte de saga métaphysique : L'être et l'événement (1988), Logiques des mondes (2006) et enfin L'Immanence des vérités, auquel il travaille depuis une quinzaine d'années.
Apres avoir étudié vérités et sujets du point de vue de la théorie de l'être, après avoir rendu raison de ce que cette universalité des vérités et de leurs sujets peut se plier aux règles de l'apparaître dans un monde particulier, ce troisième volume aborde une question redoutable : d'où peut se soutenir que les vérités sont absolues, c'est-à-dire non seulement opposées à toute interprétation empiriste, mais encore garanties contre toute construction transcendantale ? Qu'en est-il des vérités et des sujets, saisis, au-delà des formes structurales de leur être et des formes historico-existentielles de leur apparaître, dans l'irréversible absoluité de leur action et dans l'infini destin de leur oeuvre finie ? Et que faut-il entendre par l'absoluité du vrai, puisque les dieux sont morts ?
Il s'est agi, au fond, d'un bout à l'autre, de construire pour notre temps une pensée complète, tirée, comme le firent Platon, Descartes ou Hegel, de matériaux rationnels contemporains, mathématiques, poétiques, amoureux et politiques. Il s'est agi de la vraie vie : nous sommes capables, dans la forme d'une oeuvre, individuelle ou collective, dans les quatre registres que fréquente l'animal humain survolté, de processus créateurs où se conjuguent dialectiquement la singularité, l'universalité et l'absoluité. Depuis sa naissance, la tâche de la philosophie ne tient qu'à ceci : créer, dans les conditions de son temps, le savoir de la possibilité existentielle du vrai.
Alain Badiou est philosophe, dramaturge et romancier.
« Espérons, agissons. N'importe qui, n'importe où, peut commencer à faire de la politique vraie, au sens que lui donne le présent texte. Et parler, à son tour, autour de lui, de ce qu'il a fait. C'est ainsi que tout commence. »
A.B.
Par son destin personnel comme par son oeuvre, Ovide, qui a vécu à la bascule du monde païen et du millénaire chrétien, a incarné la complexité de la mentalité latine, fière de ses légendes et sensible à la mythologie, mais aussi énergique et rétive à toute oppression. D'abord amusé par les jeux du monde et de l'amour, voire marchand de recettes érotiques, Ovide revint ensuite aux grandeurs des mythes (Métamorphoses) et des rites (Fastes), avant d'inventer les élégies du spleen et de l'exil (Tristes et Pontiques) et d'y méditer puissamment sur la destinée humaine.
Tous les auteurs anciens l'ont admiré. Ils aimèrent le raffinement de son écriture, la diversité de son talent et la richesse colorée de son inventivité. Ils furent aussi touchés par la tragédie de sa fin de vie. Ensuite, il ne cessa d'être lu et imité, servant de réservoir inépuisable à l'imagination des poètes et des plasticiens. Il fut l'actuel de toutes les époques, grâce à la beauté, la diversité et la profondeur de son oeuvre.
Le livre de Xavier Darcos montre l'éternelle modernité de cet artiste inclassable, de cet érudit libre et ironique qui a capté le mystère du vivant et la puissance des passions, tout en s'insurgeant à sa manière contre l'arbitraire des genres, des pouvoirs et des dieux.
Membre de l'Académie française et de l'Académie des sciences morales et politiques, universitaire et homme public, plusieurs fois ministre et ambassadeur, Xavier Darcos est l'auteur d'essais sur l'école, ainsi que de nombreuses publications consacrées à la poésie française, à l'histoire littéraire et à la latinité. Il est désormais Chancelier de l'Institut de France.
Aux quatre coins du globe, la suprématie chinoise comme on ne vous ne l'a jamais racontéeL'achat du célèbre Waldorf Astoria à New York ; une téléréalité culinaire à Colmar ; la pêche sur les côtes ghanéennes ; l'utilisation de WeChat lors des élections australiennes ; la diplomatie des raviolis sur le rocher du Pacifique ; l'impact global du pharaonique projet des Nouvelles routes de la soie...
Qu'il s'agisse de mettre la main sur de nouvelles sources d'énergie, de diffuser son « softpower » culturel ou d'afficher ses ambitions géopolitiques et militaires, la Chine est partout à la manoeuvre. Non seulement elle s'est bel et bien réveillée, mais elle affiche l'ambition de redevenir l'empire du Milieu flamboyant qu'elle a été : celui qui donne l'heure au reste de la planète.
Cette métamorphose et les conséquences de l'expansion chinoise dans notre vie quotidienne, Éric Chol et Gilles Fontaine en rendent compte grâce à un récit original et efficace : à partir d'un ou plusieurs lieux dans chaque fuseau horaire, ils tissent un ensemble de scènes vivantes, de Hollywood à la Polynésie, de la pampa argentine au Groenland. Leur démarche inédite offre un panorama de l'omniprésence chinoise ; elle révèle une image instantanée du monde quand sonne midi à Pékin.
Éric Chol est directeur de la rédaction de L'Express. Il a été correspondant à Hong Kong de 1996 à 1999 et a fait depuis de nombreux reportages en Chine. Il est notamment l'auteur, avec Pierre de Panafieu, de Cas d'écoles (Fayard, 2018).
Gilles Fontaine est rédacteur en chef à Challenges. Il a réalisé de multiples reportages en Chine depuis une quinzaine d'années. Il a publié récemment Dans le cyberespace on ne vous entend pas crier (JC Lattès, 2018).
Le rapport à l'animal s'est beaucoup transformé depuis vingt ans dans les sociétés occidentales. Les violences faites aux animaux sont insupportables et l'extinction de millions d'espèces est perçue comme une catastrophe. Nous avons changé de paradigme. Nous sommes passés de l'animal-machine des cartésiens avec lequel tout est permis à l'animal-peluche des végans qu'il faut caresser et protéger. C'est un progrès, mais penser l'animal comme il est et non comme nous le fantasmons constitue toujours un défi philosophique. S'atteler à cette tâche est urgent : nous comprenons aujourd'hui que l'humain s'est constitué dans la texture de l'animalité et que l'émergence d'animaux-robots annonce des bouleversements majeurs.
Dominique Lestel est un philosophe qui développe une éthologie philosophique originale. En 2017, il a été lauréat de la Japan Society for the Promotion of Science, et en 2018-2019, il a été un Berggruen Fellow au Center for Advanced Studies in the Behavioral Sciences, à Stanford University, où il a écrit ce livre.
Le règne de la liberté commence avec la réduction de la journée de travail.
Karl Marx avait nettement désigné, au Livre III du Capital, la finalité du communisme, le point où il se réaliserait : il serait la liberté rendue à chacun une fois effectué collectivement le travail nécessaire pour répondre aux besoins de tous. Cet aspect de sa pensée, négligé, oublié, garde une acuité et une pertinence renouvelées dans le contexte actuel.
À l'aube du XXIè siècle, le royaume de la non-liberté s'étend. Le vol de temps de travail effectué au détriment des salariés a pris l'ampleur d'un braquage mondial. Les huit heures travaillées par jour, victoire arrachée de haute lutte, sont menacées. On assisterait même à la fin d'un phénomène qui aura duré plus de cent ans : la diminution du temps de travail. Et la part du temps chômé, plongeant les gens dans la misère,ne semble rien devoir y changer.
Les maîtres du temps salarial ont décidé de dérégler les horloges et de repousser les aiguilles du cadran, par tous les moyens nécessaires, empiétant sur chaque instant possible : le surtravail humain reste encore, pour l'économie
de marché, le gisement le plus profitable.
Cette attaque chronophage, menée telle une croisade, à coups de réformes, rencontre de nombreuses résistances sur son chemin. Il est urgent de se réapproprier plus d'un siècle de luttes.
« Rome avait grandi très vite, avec une rapidité que les Romains ne se lassèrent jamais d'admirer, et non sans raison. Ils avouaient bien qu'au début Romulus ne s'était pas embarrassé de scrupules, mais faut-il chicaner un politique lorsqu'il prépare quelque chose d'aussi grand que Rome ? »
Pierre Grimal s'attache à raconter, comme un roman, l'incroyable fortune de la Ville : de sa fondation mythique à la décadence de l'Empire, en passant par la vie du royaume et les grandes heures de la République. Sa compréhension profonde de l'esprit romain fait de nous les témoins de l'évolution de ce monde. Nous pénétrons les motivations tant politiques que philosophiques ou religieuses des hommes qui ont fait son destin. Nous assistons à la naissance et à l'épanouissement de la littérature et de l'art, au développement de l'urbanisme qui firent de Rome la capitale du monde.
L'originalité du texte inédit tient, outre sa valeur scientifique, à son style extrêmement clair, vivant et poétique.
Pierre Grimal, disparu en 1996, fut membre de l'Ecole française de Rome. Professeur de littérature latine à Paris-Sorbonne, membre de l'Institut (Académie des Inscriptions et Belles Lettres), nommé par la Ville de Rome « cultore di Roma » (citoyen de Rome) en 1993, il a donné de nombreuses traductions des classiques. Il est notamment l'auteur du Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine (PUF, 1951), de Cicéron (Fayard, 1986), de Marc Aurèle (Fayard, 1991) et de La Littérature latine (Fayard, 1994).
Phnom Penh a le tragique à fleur de peau, juste sous la douceur. On y chemine sur les strates d'une histoire qui rougeoie encore des braises d'une guerre pas si lointaine. La découverte dans un vieux palace d'une « carte spéciale pour les journalistes de passage » conduit le narrateur à ce passé.
Sur la photo d'identité rayonne le visage d'Elizabeth, jeune Américaine des Seventies. Des décennies plus tard, devenue une figure majeure des médias outre-Atlantique, elle offre au narrateur le fil rouge qui le mène vers l'univers oublié des correspondants de guerre au Cambodge - dans l'arrière-cour du conflit vietnamien. Un monde de routes poussiéreuses, écrasées de chaleur, où le danger - Viet Cong, Khmers rouges - peut surgir à chaque instant ; un monde en voie d'encerclement, où, dans la vibration des bombardements, les reporters sont observateurs et partie prenante du chaos ambiant.
Avec ses séductions nocturnes, le grand hôtel dont la presse étrangère a fait son repaire dans la capitale est un havre précaire : beaucoup de journalistes qui en partent disparaissent sur la route. Ils vont rejoindre les âmes errantes qui hantent la terre des Khmers, laissant leurs confrères sous l'emprise du pays et de la tragédie qui s'annonce.
Saisi comme en écho, le narrateur les regarde vivre, à retardement - manière d'emprunter une vie qui n'était pas la sienne...
Étrange nostalgie que celle d'un passé que l'on n'a pas vécu.
Neurobiologiste de formation, Jean-François Bouvet est éditorialiste au Point et auteur de nombreux ouvrages remarqués, dont Bébés à la carte (2017) et Le Camion et la Poupée. L'homme et la femme ont-ils un cerveau différent ? (2012).
Avec Havre de guerre, son premier récit qui se lit comme un roman, il donne libre cours à une tout autre passion - celle que suscite en lui le destin tourmenté d'un pays qui lui est cher, le Cambodge.
« C'est une question de point de vue... » On associe aujourd'hui la perspective à l'individualisme, à l'affirmation d'une vérité privée et indépassable. C'est oublier la tradition de la perspectiva communis, celle qui fait de la perspective le vecteur d'un horizon commun. Au croisement de la science, de l'art et de la philosophie, le livre exhume une tradition que l'on se doit de redécouvrir : le point de vue, ce n'est pas seulement ce qui divise, c'est aussi ce qui se partage. Au lieu d'incriminer le perspectivisme d'avoir fait le lit de la post-vérité, et de la perte d'une référence à un monde réel, il est temps de retrouver en quoi la perspective n'est pas qu'une affaire de relativisation, mais de réalisation. C'est à la perspective que nous devons notre perspicacité : « à travers » - voilà le mot-clé pour comprendre son opération. Une mise en regard d'enjeux anciens et contemporains, où s'entrecroisent les arts visuels, l'architecture, la phénoménologie et l'anthropologie sociale. Autant de manières de faire l'éloge d'une perspective qui se décline invariablement au pluriel.
« C'est une question de point de vue... » On associe aujourd'hui la perspective à l'individualisme, à l'affirmation d'une vérité privée et indépassable. C'est oublier la tradition de la perspectiva communis, celle qui fait de la perspective le vecteur d'un horizon commun. Au croisement de la science, de l'art et de la philosophie, le livre exhume une tradition que l'on se doit de redécouvrir : le point de vue, ce n'est pas seulement ce qui divise, c'est aussi ce qui se partage. Au lieu d'incriminer le perspectivisme d'avoir fait le lit de la post-vérité, et de la perte d'une référence à un monde réel, il est temps de retrouver en quoi la perspective n'est pas qu'une affaire de relativisation, mais de réalisation. C'est à la perspective que nous devons notre perspicacité : « à travers » - voilà le mot-clé pour comprendre son opération. Une mise en regard d'enjeux anciens et contemporains, où s'entrecroisent les arts visuels, l'architecture, la phénoménologie et l'anthropologie sociale. Autant de manières de faire l'éloge d'une perspective qui se décline invariablement au pluriel.
Emmanuel Alloa est professeur d'esthétique et de philosophie de l'art à l'Université de Fribourg.
« Le présent séminaire est une véritable transition entre L'être et l'événement, publié en 1988, et sa suite, Logiques des mondes, publiée en 2006. De façon simple et centrale, on pourrait dire que le premier livre s'occupe de l'être, cependant que le second s'occupe de l'existence.
Mais en quel sens un séminaire dont le titre est Théorie axiomatique du sujet peut-il porter sur le lien entre être et existence ? En précisant autant que faire se peut la catégorie centrale de sujet.
Ce séminaire, plutôt qu'un produit fini, est une sorte de mine, dont je suis persuadé qu'on peut extraire des propositions encore inconnues. »A.B.
Depuis 1966, une part importante de l'enseignement du philosophe Alain Badiou a pris la forme d'un séminaire, lieu de libre parole et laboratoire de pensée. Les éditions Fayard publient l'ensemble de ces Séminaires de 1983 à aujourd'hui, période où la documentation est abondante et continue. Ce volume est le treizième de la série.
Franciscains, dominicains, jésuites, leurs noms nous sont familiers, mais connaissons-nous ce qu'ils incarnent ? Qu'est-ce qui les distinguent ? De quelle manière ces religieux chrétiens agissent-ils encore à notre époque ?
François d'Assise, Dominique de Guzman et Ignace de Loyola sont des figures universelles, mais qui étaient-ils vraiment ? Leurs vies sont de vrais romans d'aventure, et les intuitions géniales de ces grands spirituels, qui sont aussi des politiques, restent d'actualité. Car, même s'ils ne sont pas épargnés par la crise religieuse occidentale, les ordres fondés au Moyen Âge ou à la Renaissance continuent d'imprégner notre temps.
Jérôme Cordelier nous plonge d'une plume alerte dans la destinée de ces trois hommes d'exception nés en Europe du Sud, qui se sont épanouis en France et furent sanctifiés par l'Église catholique. En interrogeant aujourd'hui des franciscains, des dominicains et des jésuites, mais aussi des historiens, des philosophes et des théologiens, il met au jour les engagements contemporains de ces religieux qui, dans la discrétion, un peu partout, irriguent leur société. Ils ne font pas seulement la charité, ils contribuent à changer le monde. Parce qu'ils croient en Dieu, mais aussi, surtout, parce qu'ils croient en l'homme.
Ces Leçons X abordent le phénomène humain hors de la conception « toute faite » répandue par les doctrines de la transparence. Ici, il s'agit de considérer chaque civilisation et ses façades sociales à l'instar d'un Texte, comme montage langagier, et de reconnaître la condition théâtrale de l'espèce douée de parole. Dans cette perspective se révèlent les structures dogmatiques du sujet et de la société qui, du fait du langage, s'entre-appartiennent.
La réhabilitation d'une tradition de pensée portée par le terme antique de « dogma », transmis par la Grèce à l'Occident jusqu'à l'ère industrielle, rouvre des chemins longtemps verrouillés et remet à l'ordre du jour la question immémoriale : que veut dire instituer l'animal humain ?
Au carrefour de ces chemins : la suprématie de la relation d'identité / altérité, avec ce qu'elle postule du côté du lien d'image, objet des grandes manoeuvres religieuses et politiques. Ainsi, prendre en compte la vie de la représentation comme ressort de la fonction d'instituer entraîne à interroger les procédures généalogiques d'accès à la réalité, les systèmes normatifs différenciés et, du même pas, à découvrir la face cachée du principe de Raison. Sont mises au jour la fragilité humaine et les incertitudes de l'édification sociale.
Les échafaudages inventés par l'anthropos pour la reproduction et la survie ne sont intelligibles que mis en rapport avec la dimension de l'Ancêtre, autrement dit du Temps, cette vision des lointains, marqueur des civilisations : scénario fondateur, élaboration des attaches au présent, horizon de l'inconnu à venir.
Cette donnée basique donne relief aux domaines qui sont stratégiques parce qu'ils touchent au destin des montages instituants à l'échelle de l'espèce : religion, techno-science-économie, règles et préceptes du droit.
À notre époque de déraisonnement multiforme, où les individus sont malmenés et guettés par la menace de perdre pied, il convient de porter le regard sur ces constructions de discours - poussées de façon récurrente au délire meurtrier, de nos jours sous des formes inédites - et sur leur portée structurale.
Si la notion d'anthropologie, aujourd'hui figée et si galvaudée que j'hésitai à la reprendre, peut retrouver vigueur, ce sera au prix du dépassement de l'impasse à laquelle a finalement abouti cette discipline : à quoi sert le penser ? Reprenant le thème, longuement médité, d'anthropologie dogmatique, ce livre invite le lecteur à s'aventurer sur les sentiers non balisés par la doxa contemporaine, oublieuse de son site historial et de ses sources.P. L.
Jean Baudrillard (1929-2007) appartient à la génération de la French Theory, à cheval entre post-marxisme et postmodernité. À la différence de ses contemporains philosophes et sociologues, il eut une trajectoire non conformiste. Il a traversé de manière flamboyante la sociologie, la linguistique, la sémiologie, la psychanalyse, l'anthropologie, et la philosophie, avec une agilité conceptuelle qui en déconcerta plus d'un. Dont Serge Latouche, qui le fréquenta jusqu'en 1976, avant que leurs routes ne se séparent. Il y a un mystère Baudrillard, du moins une fascination pour sa pensée et son écriture qui ne se laissent enfermer dans aucun système.
Oublier Baudrillard ? Cela pourrait être une tentation pour se conformer à son injonction, mais ce serait céder à tous les bien-pensants et esprits académiques qui ne pouvaient accepter sa liberté de critiquer.
Se rappeler Baudrillard aujourd'hui, c'est exhorter à l'extrême lucidité, celle à laquelle l'auteur des Cool Memories s'est exercé toute sa vie durant. Une lucidité qui lui fit annoncer et analyser, dès les années 1970, le monde dans lequel nous vivons : terrorisme, hyperconsumérisme, artificialisation générale et triomphe du virtuel, simulacres, jeux médiatiques, immondialisation...
Serge Latouche, professeur émérite d'économie à l'Université d'Orsay, objecteur de croissance, est l'auteur d'une trentaine d'ouvrages, Le Pari de la décroissance (Fayard), Pour une société d'abondance frugale et Petit traité de décroissance sereine (Mille et une nuits).
« Je suis né à Paris, le 8 juillet 1921, rue Mayran, dans le IXe arrondissement, au pied de la butte Montmartre... »C'est à l'occasion de la remise par Bertrand Delanoë, maire de la capitale, de la médaille d'honneur de la Ville de Paris, que, prononçant son discours de remerciement, l'auteur de La Voie, bon pied , bon oeil, a eu l'idée de ce récit de sa vie en évoquant ses tribulations dans les différents quartiers de la capitale. A chaque déménagement, à chaque compagne ou conquête amoureuse correspondent aussi des étapes de la vie intellectuelle et des engagements politiques de l'inventeur de la « pensée complexe », co-auteur avec Stéphane Hessel du Chemin de l'espérance. Un récit pétillant d'humour et d'intelligence par le plus non-conformiste des jeunes nonagénaires, traduit et célébré dans le monde entier.
Le premier séjour de Marcel Griaule chez les Dogon, peuple de paysans-guerriers d'Afrique occidentale, donne lieu à une longue série de travaux. Puis, afin de vérifier et si possible de confirmer les connaissances acquises, le savant entreprend une nouvelle mission en 1946. C'est alors que par la voix du vieux chasseur aveugle, Ogotemmêli, va lui être révélé un aspect jusque-là insoupçonné de la culture dogon: une cosmogonie, une vision symbolique de l'univers, une conception organisée de la personne et du verbe, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives à toute une génération d'ethnologues.
A travers le récit fascinant de ces trente-trois journées d'entretiens, Dieu d'eau donne à comprendre la richesse extraordinaire d'une cosmogonie vivante.
Marcel Griaule, né en 1898 et mort en 1956, compte parmi les plus grands ethnologues de ce siècle. Initié par Marcel Mauss, il entreprit une première mission en 1927 en Ethiopie, puis obtint le vote d'une loi spéciale pour la fameuse mission Dakar-Djibouti en 1931. Par la suite, il fera de nombreux séjours sur le terrain, dans différentes régions d'Afrique, surtout chez les Dogon. Titulaire de la première chaire d'ethnologie créée en France à la Sorbonne en 1942, il devint en 1947 conseiller de l'Union française.
Plus qu'un livre, le Vivarium de palindromes est un musée de papier, dédié à ces phrases qui se lisent indifféremment de gauche à droite et de droite à gauche.
Au fil des salles, vous embrasserez du même regard LA GENÈSE, LE SÉNÉGAL, foulerez l'asphalte d'une ancienne RUE VERLAINE, GÉNIAL RÊVEUR, tomberez en arrêt devant le SAGE DRAPÉ SLAVE DU TUTU DE VALSE PAR DEGAS, avant de descendre dans le cratère de l'ETNA DE DANTE.
Suivez le guide, et découvrez la plus étonnante collections de « serpents à deux têtes ».
Qu'est-ce que l'homme ? Bien des idées préconçues, souvent anciennes, ont détourné du questionnement ou oblitéré des éléments de réponse, et les avancées actuelles des neurosciences cognitives ne remédieront pas seules à ce déficit de connaissance.
François Flahault trace une voie nouvelle : l'écologie scientifique, qui étudie le vivant en relation avec ce qui le fait vivre, qui pense ensemble l'organisme et son milieu, ouvre à l'anthropologie générale un nouveau champ d'exploration. Nous commençons à savoir aujourd'hui ce que ce paradigme scientifique implique pour notre vie physiologique (l'air que nous respirons, ce que nous mangeons, etc.). Il reste à comprendre ce qu'il implique quant à notre existence psychique.
L'homme, en son activité psychique, est lui aussi soumis à la propension à vivre qui anime tous les vivants et aux contraintes de son environnement : notre je est le fruit d'une symbiose complexe entre biologie, société et culture...
Cet ouvrage, mené sous la forme d'une enquête, met en oeuvre une démarche inédite, qui articule sciences humaines et biologie et vise à appréhender ensemble le physiologique et le psychique. Il nous apprend comment nos manières d'être se forgent en amont de nos réflexions conscientes, le versant informationnel et cognitif de nos activités étant inévitablement sous-tendu par l'enjeu vital de nourrir le sentiment d'exister, avec les autres ou contre eux. Il montre enfin comment ce qui rend l'espèce humaine remarquablement adaptable et perfectible l'expose à des dérives et à un déboussolement.