Alors que tout pousse vers une unification sans précédent de la planète, le vieux monde des corps et des distances, de la matière et des étendues, des espaces et des frontières, persiste en se métamorphosant. Avec le devenir-artificiel de l'humanité et son pendant, le devenir-humain des machines, une sorte d'épreuve existentielle est donc engagée. L'être ne s'éprouve plus désormais qu'en tant qu'assemblage indissociablement humain et non humain. La transformation de la force en dernier mot de la vérité de l'être signe l'entrée dans le dernier âge de l'homme, celui de l'être fabricable dans un monde fabriqué. À cet âge, Achille Mbembe donne ici le nom de brutalisme, le grand fardeau de fer de notre époque, le poids des matières brutes.
La transformation de l'humanité en matière et énergie est le projet ultime du brutalisme. En détaillant la monumentalité et le gigantisme d'un tel projet, cet essai plaide en faveur d'une refondation de la communauté des humains en solidarité avec l'ensemble du vivant, qui n'adviendra cependant qu'à condition de réparer ce qui a été brisé.
En mettant au jour leurs conditions d'existence sociales et économique, cette enquête exceptionnelle permet de pénétrer les aspects les plus concrets du travail de dizaines d'écrivains contemporains.
Bien que les écrivains soient l'objet d'une grande attention publique, force est de constater qu'on les connaît en réalité très mal. Faute d'enquêtes sérieuses, on se contente bien souvent de la vision désincarnée d'un écrivain entièrement dédié à son art. Et l'on peut passer alors tranquillement à l'étude des textes littéraires en faisant abstraction de ceux qui les ont écrits. Ce livre fait apparaître la singularité de la situation des écrivains. Acteurs centraux de l'univers littéraire, ils sont pourtant les maillons économiquement les plus faibles de la chaîne que forment les différents " professionnels du livre ". À la différence des ouvriers, des médecins, des chercheurs ou des patrons, qui passent tout leur temps de travail dans un seul univers professionnel et tirent l'essentiel de leurs revenus de ce travail, la grande majorité des écrivains vivent une situation de double vie : contraints de cumuler activité littéraire et " second métier ", ils alternent en permanence temps de l'écriture et temps des activités extra-littéraires rémunératrices. Pour cette raison, Bernard Lahire préfère parler de " jeu " plutôt que de " champ " (Pierre Bourdieu) ou de " monde " littéraire (Howard S. Becker) pour qualifier un univers aussi faiblement institutionnalisé et professionnalisé. Loin d'être nouvelle, cette situation de double vie - dont témoignaient Franz Kafka et le poète allemand Gottfried Benn - est pluriséculaire et structurelle. Et c'est à en préciser les formes, à en comprendre les raisons et à en révéler les effets sur les écrivains et leurs oeuvres que cet ouvrage est consacré. Il permet de construire une sociologie des conditions pratiques d'exercice de la littérature. En " matérialisant " les écrivains, c'est-à-dire en mettant au jour leurs conditions d'existence sociales et économiques, et notamment leur rapport au temps, il apparaît que ni les représentations que se font les écrivains de leur activité ni leurs oeuvres ne sont détachables de ces différents aspects de la condition littéraire.
Comment la médecine a-t-elle cherché à discerner le pathologique dans l'écriture ? Quelles méthodes expériementales a-t-elle élaborées ? Quelles ont été les nombreuses conséquences sociales de cette " clinique de l'écriture " ? D'inspiration foucaldienne, réédition du premier livre de Ph. Artières .
De 1850 à 1914, les médecins constituent l'écriture des déviants en objet de vérité. En lisant les écritures ordinaires, ils découvrent des objets inquiétants : des écrits échappent à leur grille de lecture, des signes graphiques semblent témoigner du caractère anormal de leur scripteur et enfin des gestes graphiques révèlent des pathologies inconnues. On entreprend donc de décrypter les écrits des déviants pour identifier leurs caractéristiques. On tente de repérer des signes indiquant le degré de normalité du scripteur. On observe le geste graphique afin d'isoler des pathologies propres au mécanisme de l'écriture. Enfin, devant l'engouement pour la graphologie, la médecine s'efforce de clarifier les grilles qu'elle utilise. Les médecins font ainsi entrer l'écriture au laboratoire. Ce savoir induit plusieurs modifications dans la société du tournant du siècle : l'expertise est repensée, l'enseignement de l'écriture est renouvelé et sa pratique professionnelle modifiée. Utilisant les outils inventés par Michel Foucault, cet essai montre précisément comment la médecine s'est saisie de l'écriture pour opérer un nouveau partage entre le bien et le mal, le vrai et le faux, le naturel et l'artificiel, le normal et le pathologique.