Objet de fantasme sur le " vrai " peuple de la " France oubliée " ou de dégoût au sujet des prétendus " beaufs " racistes et ignorants, les campagnes en déclin nourrissent bien des clichés. Mais qui sont les jeunes hommes et femmes qui y font leur vie ?
Si bon nombre d'entre eux rejoignent les villes pour les études, d'autres restent, souvent faute de ressources. Ceux-là tiennent néanmoins à ce mode de vie rural et populaire dans lequel " tout le monde se connaît " et où ils peuvent être socialement reconnus. Qu'ils soient ouvriers, employés ou chômeurs, ils font la part belle à l'amitié et au travail et se montrent soucieux d'entretenir une " bonne réputation ". Comment perçoivent-ils alors la société qui les entoure ? À qui se sentent-ils opposés ou alliés ?
À partir d'une enquête immersive de plusieurs années dans le Grand-Est, Benoît Coquard plonge dans la vie quotidienne de ces jeunes femmes et hommes. À rebours des idées reçues, il montre comment, malgré le chômage, la lente disparition des services publics, des usines, des associations et des cafés, des consciences collectives persistent, sous des formes fragilisées et conflictuelles. Une plongée passionnante dans le monde de celles et ceux que l'on entend peu, ou que l'on écoute mal.
On sait que le capitalisme au XXIe siècle est synonyme d'inégalités grandissantes entre les classes sociales. Ce que l'on sait moins, c'est que l'inégalité de richesse entre les hommes et les femmes augmente aussi, malgré des droits formellement égaux et la croyance selon laquelle, en accédant au marché du travail, les femmes auraient gagné leur autonomie. Pour comprendre pourquoi, il faut regarder ce qui se passe dans les familles, qui accumulent et transmettent le capital économique afin de consolider leur position sociale d'une génération à la suivante. Fruit de vingt ans de recherches, ce livre analyse comment la société de classes se reproduit grâce à l'appropriation masculine du capital. Les autrices enquêtent sur les calculs, les partages et les conflits qui ont lieu au moment des séparations conjugales et des héritages, avec le concours des professions du droit. Des mères isolées du mouvement des Gilets jaunes au divorce de Jeff Bezos et MacKenzie Scott, des transmissions de petites entreprises à l'héritage de Johnny Hallyday, les mécanismes de contrôle et de distribution du capital varient selon les classes sociales, mais aboutissent toujours à la dépossession des femmes.
Par quel étrange paradoxe le contrat social, censé instituer la liberté et l'égalité civiles, a-t-il maintenu les femmes dans un état de subordination ? Pourquoi, dans le nouvel ordre social, celles-ci n'ont-elles pas accédé, en même temps que les hommes, à la condition d'" individus " émancipés ?
Les théories du contrat social, héritées de Locke et de Rousseau, et renouvelées depuis Rawls, ne peuvent ignorer les enjeux de justice que soulève le genre. Carole Pateman montre, dans cet ouvrage désormais classique, que le passage de l'ordre ancien du statut à une société moderne du contrat ne marque en rien la fin du patriarcat. La philosophe met ainsi au jour l'envers refoulé du contrat social : le " contrat sexuel ", qui, via le partage entre sphère privée et sphère publique, fonde la liberté des hommes sur la domination des femmes. Il s'agit là moins d'exploitation que de subordination, comme le démontre l'autrice en analysant le contrat de mariage, mais aussi l'ensemble des contrats touchant à la propriété de la personne, de la prostitution à la maternité de substitution, jusqu'à l'esclavage et au salariat. Ainsi s'engage, à partir du féminisme, une critique de la philosophie politique libérale dans son principe même : pour Carole Pateman, un ordre social libre ne peut en aucun cas être de type contractuel.
Dans cet ouvrage majeur publié en 1990 aux États-Unis, la philosophe Judith Butler invite à penser le trouble qui perturbe le genre pour définir une politique féministe sans le fondement d'une identité stable. Ce livre désormais classique est au principe de la théorie et de la politique queer : non pas solidifier la communauté d'une contre-culture, mais bousculer l'hétérosexualité obligatoire en la dénaturalisant. Il ne s'agit pas d'inversion, mais de subversion. Judith Butler localise les failles qui témoignent, à la marge, du dérèglement plus général de ce régime de pouvoir. En même temps, elle questionne les injonctions normatives qui constituent les sujets sexuels. Jamais nous ne parvenons à nous conformer tout à fait aux normes : entre genre et sexualité, il y a toujours du jeu. Le pouvoir ne se contente pas de réprimer ; il ouvre en retour, dans ce jeu performatif, la possibilité d'inventer de nouvelles formations du sujet. La philosophe relit Foucault, Freud, Lacan et Lévi-Strauss, mais aussi Beauvoir, Irigaray, Kristeva et Wittig, afin de penser, avec et contre eux, sexe, genre et sexualité - nos désirs et nos plaisirs. Pour jeter le trouble dans la pensée, Judith Butler donne à voir le trouble qui est déjà dans nos vies
De 1954 à 1962, plus d'un million et demi de jeunes Français sont partis faire leur service militaire en Algérie. Mais ils ont été plongés dans une guerre qui ne disait pas son nom. Depuis lors, les anciens d'Algérie sont réputés n'avoir pas parlé de leur expérience au sein de leur famille. Le silence continuerait à hanter ces hommes et leurs proches. En historienne, Raphaëlle Branche a voulu mettre cette vision à l'épreuve des décennies écoulées depuis le conflit.
Fondé sur une vaste collecte de témoignages et sur des sources inédites, ce livre remonte d'abord à la guerre elle-même : ces jeunes ont-ils pu dire à leurs familles ce qu'ils vivaient en Algérie ? Ce qui s'est noué alors, montre Raphaëlle Branche, conditionne largement ce qui sera transmis plus tard. Et son enquête pointe l'importance des bouleversements qu'a connus la société française sur ce qui pouvait être dit, entendu et demandé à propos de la guerre d'Algérie.
Grâce à cette enquête, c'est plus largement la place de cette guerre dans la société française qui se trouve éclairée : si des silences sont avérés, leurs causes sont moins personnelles que familiales, sociales et, ultimement, liées aux contextes historiques des dernières décennies. Avec le temps, elles se sont modifiées et de nouveaux récits sont devenus possibles.
Le chamane est un individu capable, d'une façon mystérieuse pour nous, de voyager en esprit, de se percevoir simultanément dans deux espaces, l'un visible, l'autre virtuel, et de les mettre en connexion. Ce type de voyage mental joue un rôle clé pour établir des liens avec les êtres non humains qui peuplent l'environnement.
Les chamanes ne gardent pas pour eux seuls l'expérience du voyage en esprit : ils la partagent avec un malade, une famille, parfois une vaste communauté de parents et de voisins. Les participants au rituel vivent tous ensemble cette odyssée à travers un espace virtuel. De génération en génération, les sociétés à chamanes se sont transmis comme un précieux patrimoine des trésors d'images hautes en couleur, mais en grande partie invisibles.
Ce livre est le fruit d'enquêtes de terrain et reprend l'ample littérature ethnographique décrivant les traditions autochtones du nord de l'Eurasie et de l'Amérique. Au travers de récits pleins de vie, il rend compte de l'immense contribution à l'imaginaire humain des différentes technologies cognitives des chamanes. Les civilisations de l'invisible bâties par les peuples du Nord, encore puissantes à l'aube du XXe siècle, n'ont pas résisté longtemps à l'entreprise d'éradication méthodique menée par le pouvoir colonial des États modernes, qu'il s'agisse de l'URSS, des États-Unis ou du Canada. Ce livre nous permet enfin de les appréhender dans toute leur richesse.
En 1685, le Code noir défendait " aux esclaves de porter aucune arme offensive ni de gros bâtons " sous peine de fouet. Au XIXe siècle, en Algérie, l'État colonial interdisait les armes aux indigènes, tout en accordant aux colons le droit de s'armer. Aujourd'hui, certaines vies comptent si peu que l'on peut tirer dans le dos d'un adolescent noir au prétexte qu'il était " menaçant ".
Une ligne de partage oppose historiquement les corps " dignes d'être défendus " à ceux qui, désarmés ou rendus indéfendables, sont laissés sans défense. Ce " désarmement " organisé des subalternes pose directement, pour tout élan de libération, la question du recours à la violence pour sa propre défense.
Des résistances esclaves au ju-jitsu des suffragistes, de l'insurrection du ghetto de Varsovie aux Black Panthers ou aux patrouilles queer, Elsa Dorlin retrace une généalogie de l'autodéfense politique. Sous l'histoire officielle de la légitime défense affleurent des " éthiques martiales de soi ", pratiques ensevelies où le fait de se défendre en attaquant apparaît comme la condition de possibilité de sa survie comme de son devenir politique. Cette histoire de la violence éclaire la définition même de la subjectivité moderne, telle qu'elle est pensée dans et par les politiques de sécurité contemporaines, et implique une relecture critique de la philosophie politique, où Hobbes et Locke côtoient Frantz Fanon, Michel Foucault, Malcolm X, June Jordan ou Judith Butler.
Suivre le sucre pour éclairer l'histoire du monde : tel est le stupéfiant voyage auquel nous invite James Walvin. Tout commence avec la colonisation des Caraïbes et des Amériques, puis avec l'essor des plantations. C'est la naissance d'un nouvel ordre, fondé sur la déportation de millions d'Africains réduits en esclavage. Après l'extermination des populations indigènes et la destruction des paysages, les premières usines polluantes sont implantées pour fabriquer du sucre et du rhum. Se met en place une organisation du travail implacable qui inspirera Henry Ford. Mais il fallait aussi que ce sucre, quasiment inconnu jusqu'au XVIIe siècle, soit consommé. D'abord réservé à la table des élites, il devient, avec la révolution industrielle, l'aliment de base de la classe ouvrière, pendant que le rhum fait des ravages parmi les populations les plus pauvres. Un bouleversement des habitudes alimentaires désastreux : caries, obésité et diabète se répandent ; la consommation de boissons et de céréales sucrées gagne toujours plus de terrain.
De Bordeaux à Bristol, des fortunes colossales se sont bâties sur le sucre et l'esclavage, marquant les débuts du capitalisme. Plus tard, des entreprises sans scrupule, dont Coca-Cola reste la plus emblématique, développeront leur pouvoir de ravager le monde en même temps que leur surface financière. Et dicteront parfois la politique des grands États.
Aucun ouvrage n'avait jusqu'à présent réussi à restituer toute la profondeur et l'extension universelle des dynamiques indissociablement écologiques et anthropologiques qui se sont déployées au cours des dix millénaires ayant précédé notre ère, de l'émergence de l'agriculture à la formation des premiers centres urbains, puis des premiers États.
C'est ce tour de force que réalise avec un brio extraordinaire
Homo domesticus. Servi par une érudition étourdissante, une plume agile et un sens aigu de la formule, ce livre démonte implacablement le grand récit de la naissance de l'État antique comme étape cruciale de la " civilisation " humaine.
Ce faisant, il nous offre une véritable écologie politique des formes primitives d'aménagement du territoire, de l'" auto-domestication " paradoxale de l'animal humain, des dynamiques démographiques et épidémiologiques de la sédentarisation et des logiques de la servitude et de la guerre dans le monde antique.
Cette fresque omnivore et iconoclaste révolutionne nos connaissances sur l'évolution de l'humanité et sur ce que Rousseau appelait " l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes ".
Si l'accélération constitue le problème central de notre temps, la résonance peut être la solution. Telle est la thèse du présent ouvrage, lequel assoit les bases d'une sociologie de la " vie bonne " - en rompant avec l'idée que seules les ressources matérielles, symboliques ou psychiques suffisent à accéder au bonheur.
La résonance accroît notre puissance d'agir et notre aptitude à nous laisser " prendre ", toucher et transformer par le monde. Soit l'exact inverse d'une relation instrumentale et " muette ", à quoi nous soumet la société moderne. Car en raison de la logique de croissance et d'accélération de la modernité, nous éprouvons de plus en plus rarement des relations de résonance. De l'expérience corporelle la plus basique aux rapports affectifs et aux conceptions cognitives les plus élaborées, la relation au monde prend des formes très diverses : la relation avec autrui ; la relation avec une idée ou un absolu ; la relation avec la matière ou les artefacts.
Tout en analysant les tendances à la crise - écologique, démocratique, psychologique - des sociétés contemporaines, cette théorie de la résonance renouvelle de manière magistrale le cadre d'une théorie critique de la société.
La place qu'occupe Éric Zemmour dans le champ médiatique et dans l'espace public français suscite l'inquiétude et la consternation de bon nombre de citoyens. Comment un pamphlétaire qui alimente constamment des polémiques par ses propos racistes, sexistes, homophobes, condamné à plusieurs reprises par la justice, a-t-il pu acquérir une telle audience ?
Pour comprendre ce phénomène, ce livre replace le cas Zemmour dans une perspective historique qui prend comme point de départ les années 1880, période où se mettent en place les institutions démocratiques qui nous gouvernent encore aujourd'hui. Ce faisant, il met en regard le parcours d'Éric Zemmour et celui d'Édouard Drumont, le chef de file du camp antisémite à la fin du XIXe siècle. Car les deux hommes ont chacun à leur époque su exploiter un contexte favorable à leur combat idéologique. Issus des milieux populaires et avides de revanche sociale, tous deux ont acquis leur notoriété pendant des périodes de crise économique et sociale, marquées par un fort désenchantement à l'égard du système parlementaire.
Dans ce saisissant portrait croisé, Gérard Noiriel analyse les trajectoires et les écrits de ces deux polémistes, en s'intéressant aux cibles qu'ils privilégient (étrangers, femmes, intellectuels de gauche, etc.) et en insistant sur les formes différentes que ces discours ont prises au cours du temps (car la législation interdit aujourd'hui de proférer des insultes aussi violentes que celles de Drumont). L'historien met ainsi en lumière une matrice du discours réactionnaire, et propose quelques pistes pour alimenter la réflexion de ceux qui cherchent aujourd'hui à combattre efficacement cette démagogie populiste.
L'auteur d' Accélération examine les causes et les effets des processus d'accélération propres à la modernité et élabore une théorie critique de la temporalité dans la modernité tardive. Sous la pression d'un rythme sans cesse accru, les individus font désormais face au monde sans pouvoir l'habiter et sans parvenir à se l'approprier. La vie moderne est une constante accélération. Jamais auparavant les moyens permettant de gagner du temps n'avaient atteint pareil niveau de développement, grâce aux technologies de production et de communication ; pourtant, jamais l'impression de manquer de temps n'a été si répandue. Dans toutes les sociétés occidentales, les individus souffrent toujours plus du manque de temps et ont le sentiment de devoir courir toujours plus vite, non pas pour atteindre un objectif mais simplement pour rester sur place. Ce livre examine les causes et les effets des processus d'accélération propres à la modernité, tout en élaborant une théorie critique de la temporalité dans la modernité tardive. Dans le sillage de son ouvrage
Accélération (La Découverte, 2010), dont il reprend ici le coeur du propos de manière synthétique, Hartmut Rosa apporte de nouveaux éléments en rediscutant la question de l'aliénation à la lumière de la vie accélérée. Ainsi, il soutient et développe avec force l'idée que l'accélération engendre des formes d'aliénation sévères relatives au temps et à l'espace, aux choses et aux actions, à soi et aux autres. Sous la pression d'un rythme sans cesse accru, les individus font désormais face au monde sans pouvoir l'habiter et sans parvenir à se l'approprier.
Le 26 mai 1828, Kaspar Hauser fit son apparition sur une place de Nuremberg. Ce jeune homme, qui semblait avoir 16 ou 17 ans, savait à peine marcher et n'avait pas cinquante mots en bouche. La rumeur enflant, il devint bientôt l'" orphelin de l'Europe " et demeure l'un des plus célèbres " enfants sauvages ".
Arraché au berceau, séquestré quinze années durant dans une cave obscure, coupé de la nature comme des autres humains, Hauser était vierge de toute socialisation. Rien ne le reliait à son temps et à son groupe, pas davantage à sa génération et à son sexe. Habitant un corps étrange, il était doté d'une sensorialité inouïe et d'une intense vie émotionnelle. Et ce jusqu'à ce qu'il vienne au monde
une seconde fois et apprenne douloureusement les moeurs et usages de son temps.
Sans délaisser le mystère de ses origines et l'énigme de son assassinat, ce livre révèle, derrière cette vie minuscule, sans équivalent connu, un
cas majuscule saisi à la croisée des sciences sociales et des disciplines de la psyché. Éclairant nos façons d'arraisonner le monde, l'examen approfondi de cette trajectoire aberrante dévoile ainsi, en contrepoint, jusqu'à quelles secrètes profondeurs le social-historique s'inscrit d'ordinaire en chacun de nous.
Comment Rome est-elle passée d'un million d'habitants à 20 000 ? Que s'est-il passé quand 350 000 habitants sur 500 000 sont morts de la peste à Constantinople ?
On ne peut plus faire l'histoire de la chute de Rome comme si l'environnement (climats, germes) était resté stable, comme si l'histoire ne se faisait qu'entre humains. L'Empire tardif a été le moment d'un changement décisif : la fin de l'Optimum climatique, qui a favorisé l'évolution des germes, comme
Yersinia pestis, le bacille de la peste.
Mais les Romains ont aussi été complices de la nouvelle écologie des maladies qui a assuré leur perte. Les bains publics étaient des bouillons de culture ; les égouts stagnaient sous les villes ; les greniers à blé étaient une bénédiction pour les rats qui transportaient les puces porteuses du bacille ; les routes qui reliaient tout l'Empire ont été à l'origine des épidémies de la mer Caspienne au mur d'Hadrien. Le temps des pandémies était arrivé.
En vogue dans les années 1960-1970, la théorie de l'origine extraterrestre de l'humanité et des grandes civilisations antiques connaît une nouvelle popularité. Faut-il l'interpréter, suivant les archéologues, comme le simple fruit de l'ignorance ou, à l'instar des sociologues, comme le symptôme d'une crise que les sociétés occidentales traverseraient en régressant dans l'irrationnel ?
Au lieu de voir dans de telles conceptions insolites un renoncement à l'usage de la raison, Wiktor Stoczkowski propose d'y découvrir un produit du fonctionnement ordinaire de notre pensée, avec pour guide cette injonction de Fontenelle : " Étudions l'esprit humain dans l'une de ses plus étranges productions : c'est là bien souvent qu'il se donne le mieux à connaître. "
À travers la captivante histoire de l'invention collective de cette autre
Genèse, dont la théorie des Anciens Astronautes est l'aboutissement, l'ouvrage pose les bases d'une anthropologie des savoirs occidentaux, nécessaire pour comprendre non seulement les idées " irrationnelles " qui offensent notre sens commun, mais aussi celles que nous tenons pour emblématiques de la rationalité.
Pourquoi les primates et les humains, si proches génétiquement, ont-ils eu une évolution si différente ? D'où vient cette aptitude spécifique à notre espèce à acquérir, développer et transmettre les connaissances et les savoir-faire qui lui permettent de transformer ses conditions d'existence ? Michael Tomasello, l'un des rares chercheurs à avoir mené des expériences sur les capacités cognitives des grands singes et des enfants, répond à ces questions en montrant le rôle fondamental de l'apprentissage culturel et social dans la transmission des acquis chez ces derniers.
Il montre que ce qui caractérise la cognition proprement humaine repose sur des processus évolutionnistes, historiques et ontogéniques qui ont permis à ces capacités de se maintenir et de se transformer. S'appuyant sur le langage, la représentation symbolique et le développement psychologique, il souligne le rôle fondamental de l'" attention conjointe ", qui sous-tend le partage d'intentions, et met en évidence l'" effet cliquet " de la transmission culturelle, qui empêche tout retour en arrière. Ainsi, chaque nouvelle génération hérite des outils matériels et intellectuels créés par les générations antérieures.
Pollution des rivières, embryons congelés, virus du sida, trou d'ozone, robots à capteurs... : ces " objets " étranges qui envahissent notre monde relèvent-ils de la nature ou de la culture ? Comment les comprendre ? Jusqu'ici, les choses étaient simples : aux scientifiques la gestion de la nature, aux politiques celle de la société. Mais ce traditionnel partage des tâches devient de plus en plus impuissant à rendre compte de la prolifération des " hybrides ". D'où le sentiment d'effroi qu'ils procurent, et que ne parviennent pas à apaiser les philosophes contemporains, qu'ils soient antimodernes, postmodernes ou éthiciens. Et si nous avions fait fausse route ? En fait, notre société " moderne " n'a jamais fonctionné conformément au grand partage qui fonde son système de représentation du monde : celui qui oppose radicalement la nature d'un côté, la culture de l'autre. Dans la pratique, en effet, les modernes n'ont cessé de créer des objets hybrides, qui relèvent de l'une comme de l'autre, et qu'ils se refusent à penser. Nous n'avons donc jamais été vraiment modernes, et c'est ce paradigme fondateur qu'il nous faut remettre en cause aujourd'hui pour comprendre notre monde.
Branko Milanovic offre un panorama unique des inégalités économiques au sein des pays, et au plan mondial. Avec un talent pédagogique certain, il met en évidence les forces " bénéfiques " (accès à l'éducation, transferts sociaux, progressivité de l'impôt, etc.) ou " néfastes " (guerres, catastrophes naturelles, épidémies, etc.) qui influent sur les inégalités. Il identifie les grands gagnants de la mondialisation (les 1 % les plus riches des pays riches, les classes moyennes des pays émergents) et ses perdants (les classes populaires et moyennes des pays avancés).
Ce livre, fruit d'une analyse empirique sur longue période et à grande échelle, permet notamment de comprendre les évolutions majeures de nos sociétés. En effet, Branko Milanovic est plus qu'un très bon économiste : tirant profit d'une culture impressionnante, il montre l'imbrication des facteurs économiques et politiques. Car tout n'est pas joué. Aux réactions défensives contre une mondialisation impérieuse, il préfère l'offensive, réhabilitant l'État dans son rôle distributif, et prônant une politique migratoire originale, ouverte et réaliste.
Un classique, cité dans maints débats, notamment pour son célèbre graphique en forme d'éléphant. Une lecture édifiante.
Un réchauffement climatique suivi de sécheresse et de famines, des séismes, des guerres civiles, de gigantesques mouvements de populations fuyant leurs terres d'origine, des risques systémiques pour les échanges internationaux... Nous ne sommes pas au XXIe siècle, mais bien au XIIe siècle avant J.-C. ! Toutes les civilisations de Méditerranée grecque et orientale (de la Crète à l'Égypte, de Canaan à Babylone, etc.) se sont effondrées presque simultanément, il y a plus de trois mille ans. Comment expliquer pareille catastrophe ?
Le grand archéologue américain Eric H. Cline mène l'enquête et nous raconte la fin de l'âge du bronze sous la forme d'un drame en quatre actes. Il fait revivre sous nos yeux ces sociétés connectées qui possédaient une langue commune, échangeaient des biens (grains, or, étain et cuivre, etc.), alors que les artistes circulaient d'un royaume à l'autre. Les archives découvertes témoignent de mariages royaux, d'alliances, de guerres et d'embargos. Une " mondialisation " avant l'heure, confrontée notamment à des aléas climatiques qui pourraient avoir causé sa perte...
Ce livre, vendu à plus de 65 000 exemplaires depuis sa réédition en 1967 dans la " Petite collection Maspero ", reste un grand classique. Son auteur, acteur et témoin de la Commune de Paris, se mit au travail au lendemain de la défaite et ce travail dura vingt-cinq ans. Il a enquêté avec acharnement auprès de tous les survivants, dans l'exil à Londres, en Suisse, puis consulté tous les documents disponibles à l'époque.Le résultat est cette " somme ", qui n'est pas seulement un récit historique événementiel, de l'insurrection à la répression : elle est un tableau de tous les courants de la pensée sociale, de tous les affrontements internes, un bilan des réalisations ou des tentatives, " mesures éparses, tôt dispersées au vent de la lutte et des divergences, mesures significatives pourtant ", qui caractérisent, pour Jean Maitron, cette Commune qui fut " un trait d'union plutôt qu'une coupure dans l'histoire du mouvement ouvrier français "." La dernière barricade des journées de Mai, écrit Lissagaray, est rue Ramponneau. Pendant un quart d'heure, un seul fédéré la défend. Trois fois il casse la hampe du drapeau versaillais. Pour prix de son courage, le dernier soldat de la Commune réussit à s'échapper. " La légende veut que ce dernier combattant anonyme ne fut autre que Lissagaray lui-même : tant il est vrai que chez lui la modestie de l'historien va toujours de pair avec la ténacité et l'intransigeance du militant.
Le rêve peut-il être appréhendé par les sciences sociales ? Objet devenu indissociable de la psychanalyse, il était jusqu'à ce jour largement ignoré des sociologues. Si quelques chercheurs ont pu s'interroger sur la manière dont le rêve a été perçu selon les époques et les milieux, Bernard Lahire entre ici dans la logique même de sa fabrication et le relie aux expériences que les individus ont vécues dans le monde social.
L'ambition de cet ouvrage est d'élaborer une théorie générale de l'expression onirique. En partant des acquis du modèle d'interprétation proposé par Freud, il s'efforce d'en corriger les faiblesses et les erreurs, en tirant parti des nombreuses avancées scientifiques accomplies depuis
L'Interprétation du rêve. À l'opposé de ce que croyait Freud, le rêve apparaît ici comme l'espace de jeu symbolique le plus complètement délivré de toutes les sortes de censures. Il livre des éléments de compréhension profonde de ce que nous sommes et permet de voir frontalement
ce qui nous travailleobscurément, de comprendre
ce qui pense en nous à l'insu de notre volonté.
Cet ouvrage contribue aussi à donner de nouvelles ambitions à la sociologie. Si le rêve fait son entrée dans la grande maison des sciences sociales, ce n'est pas pour laisser le lieu en l'état, mais pour en déranger les habitudes.
L'Afrique subsaharienne est le berceau de l'humanité. Ce petit livre fait le point sur une histoire au moins aussi variée et passionnante que celle des autres continents et s'attache à déconstruire un à un les grands clichés qui continuent de nourrir les imaginaires occidentaux ; ceux qui font de l'Afrique un continent subalterne, à part, irrémédiablement à la traîne.Or l'Afrique, depuis toujours, influe sur le reste du monde. Elle lui a fourni main-d'oeuvre, or et matières premières, qui ont joué un rôle essentiel dans la mondialisation économique. Elle a développé, au fil des siècles, un savoir parfaitement adapté à ses conditions environnementales, savoir qui fut taillé en pièces par l'extrême brutalité de la colonisation, pourtant si brève au regard de l'histoire longue. Mais, si on lui a beaucoup pris, l'Afrique a aussi donné, avec une formidable vitalité.Catherine Coquery-Vidrovitch dégage les étapes cruciales de l'histoire africaine et met en avant, pour chacune d'elles, les idées essentielles et originales. L'objectif de ce livre est aussi, et surtout, d'aider à comprendre le présent afin d'en dégager des perspectives d'action pour l'avenir.
Regardons autour de nous. À quoi ressemble notre monde, sinon à un continuum fonctionnel d'appareils, d'organisations et de managers ?
Depuis un siècle, tandis que la critique vilipendait le capitalisme et l'État, la gestion, subrepticement, s'est immiscée partout. Ainsi manageons-nous aujourd'hui les entreprises et leurs salariés, certes, mais aussi les écoles, les hôpitaux, les villes, la nature, les enfants, les émotions, les désirs, etc. La rationalité managériale est devenue le sens commun de nos sociétés et le visage moderne du pouvoir : de moins en moins tributaire de la loi et du capital, le gouvernement des individus est toujours davantage une tâche d'optimisation, d'organisation, de rationalisation et de contrôle.
Ce livre montre comment cette doctrine, forgée il y a cent ans par une poignée d'ingénieurs américains, a pu si rapidement conquérir les consciences, et comment l'entreprise a pris des mains de l'État et de la famille la plupart des tâches nécessaires à notre survie.
Au-delà du récit convenu, centré sur ses seules grandes figures héroïques, Black America retrace la lutte des Afro-Américains, en redonnant toute leur place aux actrices et acteurs anonymes mais essentiels de cette histoire inachevée. Une grande fresque appelée à devenir une référence incontournable sur cette question centrale de l'histoire des États-Unis.
Martin Luther King, Malcolm X, Rosa Parks. Dans la mémoire collective, ces trois noms résument trop souvent à eux seuls le long combat des Noirs américains pour l'égalité, la justice et la dignité. Au-delà du récit convenu centré sur ces grandes figures héroïques, ce livre retrace la lutte des Africains-Américains, depuis l'émancipation des esclaves en 1865 jusqu'au mouvement Black Lives Matter aujourd'hui, en redonnant toute leur place aux acteurs - et aux actrices - anonymes mais essentiels de cette histoire inachevée.
Proposant une analyse globale des mouvements de revendications noirs, l'auteure décrit avec talent la longue sortie de la ségrégation dans l'ancien Sud esclavagiste et les luttes radicales engagées par les Noirs pour y mettre un terme. Mais elle raconte aussi une histoire moins connue : celle de l'" apartheid américain " dans le Nord et l'Ouest et des mobilisations quotidiennes des Africains-Américains pour l'amélioration de leurs conditions de vie.