Objet de fantasme sur le " vrai " peuple de la " France oubliée " ou de dégoût au sujet des prétendus " beaufs " racistes et ignorants, les campagnes en déclin nourrissent bien des clichés. Mais qui sont les jeunes hommes et femmes qui y font leur vie ?
Si bon nombre d'entre eux rejoignent les villes pour les études, d'autres restent, souvent faute de ressources. Ceux-là tiennent néanmoins à ce mode de vie rural et populaire dans lequel " tout le monde se connaît " et où ils peuvent être socialement reconnus. Qu'ils soient ouvriers, employés ou chômeurs, ils font la part belle à l'amitié et au travail et se montrent soucieux d'entretenir une " bonne réputation ". Comment perçoivent-ils alors la société qui les entoure ? À qui se sentent-ils opposés ou alliés ?
À partir d'une enquête immersive de plusieurs années dans le Grand-Est, Benoît Coquard plonge dans la vie quotidienne de ces jeunes femmes et hommes. À rebours des idées reçues, il montre comment, malgré le chômage, la lente disparition des services publics, des usines, des associations et des cafés, des consciences collectives persistent, sous des formes fragilisées et conflictuelles. Une plongée passionnante dans le monde de celles et ceux que l'on entend peu, ou que l'on écoute mal.
On sait que le capitalisme au XXIe siècle est synonyme d'inégalités grandissantes entre les classes sociales. Ce que l'on sait moins, c'est que l'inégalité de richesse entre les hommes et les femmes augmente aussi, malgré des droits formellement égaux et la croyance selon laquelle, en accédant au marché du travail, les femmes auraient gagné leur autonomie. Pour comprendre pourquoi, il faut regarder ce qui se passe dans les familles, qui accumulent et transmettent le capital économique afin de consolider leur position sociale d'une génération à la suivante. Fruit de vingt ans de recherches, ce livre analyse comment la société de classes se reproduit grâce à l'appropriation masculine du capital. Les autrices enquêtent sur les calculs, les partages et les conflits qui ont lieu au moment des séparations conjugales et des héritages, avec le concours des professions du droit. Des mères isolées du mouvement des Gilets jaunes au divorce de Jeff Bezos et MacKenzie Scott, des transmissions de petites entreprises à l'héritage de Johnny Hallyday, les mécanismes de contrôle et de distribution du capital varient selon les classes sociales, mais aboutissent toujours à la dépossession des femmes.
Dans cet ouvrage majeur publié en 1990 aux États-Unis, la philosophe Judith Butler invite à penser le trouble qui perturbe le genre pour définir une politique féministe sans le fondement d'une identité stable. Ce livre désormais classique est au principe de la théorie et de la politique queer : non pas solidifier la communauté d'une contre-culture, mais bousculer l'hétérosexualité obligatoire en la dénaturalisant. Il ne s'agit pas d'inversion, mais de subversion. Judith Butler localise les failles qui témoignent, à la marge, du dérèglement plus général de ce régime de pouvoir. En même temps, elle questionne les injonctions normatives qui constituent les sujets sexuels. Jamais nous ne parvenons à nous conformer tout à fait aux normes : entre genre et sexualité, il y a toujours du jeu. Le pouvoir ne se contente pas de réprimer ; il ouvre en retour, dans ce jeu performatif, la possibilité d'inventer de nouvelles formations du sujet. La philosophe relit Foucault, Freud, Lacan et Lévi-Strauss, mais aussi Beauvoir, Irigaray, Kristeva et Wittig, afin de penser, avec et contre eux, sexe, genre et sexualité - nos désirs et nos plaisirs. Pour jeter le trouble dans la pensée, Judith Butler donne à voir le trouble qui est déjà dans nos vies
De 1954 à 1962, plus d'un million et demi de jeunes Français sont partis faire leur service militaire en Algérie. Mais ils ont été plongés dans une guerre qui ne disait pas son nom. Depuis lors, les anciens d'Algérie sont réputés n'avoir pas parlé de leur expérience au sein de leur famille. Le silence continuerait à hanter ces hommes et leurs proches. En historienne, Raphaëlle Branche a voulu mettre cette vision à l'épreuve des décennies écoulées depuis le conflit.
Fondé sur une vaste collecte de témoignages et sur des sources inédites, ce livre remonte d'abord à la guerre elle-même : ces jeunes ont-ils pu dire à leurs familles ce qu'ils vivaient en Algérie ? Ce qui s'est noué alors, montre Raphaëlle Branche, conditionne largement ce qui sera transmis plus tard. Et son enquête pointe l'importance des bouleversements qu'a connus la société française sur ce qui pouvait être dit, entendu et demandé à propos de la guerre d'Algérie.
Grâce à cette enquête, c'est plus largement la place de cette guerre dans la société française qui se trouve éclairée : si des silences sont avérés, leurs causes sont moins personnelles que familiales, sociales et, ultimement, liées aux contextes historiques des dernières décennies. Avec le temps, elles se sont modifiées et de nouveaux récits sont devenus possibles.
Le chamane est un individu capable, d'une façon mystérieuse pour nous, de voyager en esprit, de se percevoir simultanément dans deux espaces, l'un visible, l'autre virtuel, et de les mettre en connexion. Ce type de voyage mental joue un rôle clé pour établir des liens avec les êtres non humains qui peuplent l'environnement.
Les chamanes ne gardent pas pour eux seuls l'expérience du voyage en esprit : ils la partagent avec un malade, une famille, parfois une vaste communauté de parents et de voisins. Les participants au rituel vivent tous ensemble cette odyssée à travers un espace virtuel. De génération en génération, les sociétés à chamanes se sont transmis comme un précieux patrimoine des trésors d'images hautes en couleur, mais en grande partie invisibles.
Ce livre est le fruit d'enquêtes de terrain et reprend l'ample littérature ethnographique décrivant les traditions autochtones du nord de l'Eurasie et de l'Amérique. Au travers de récits pleins de vie, il rend compte de l'immense contribution à l'imaginaire humain des différentes technologies cognitives des chamanes. Les civilisations de l'invisible bâties par les peuples du Nord, encore puissantes à l'aube du XXe siècle, n'ont pas résisté longtemps à l'entreprise d'éradication méthodique menée par le pouvoir colonial des États modernes, qu'il s'agisse de l'URSS, des États-Unis ou du Canada. Ce livre nous permet enfin de les appréhender dans toute leur richesse.
En 1685, le Code noir défendait " aux esclaves de porter aucune arme offensive ni de gros bâtons " sous peine de fouet. Au XIXe siècle, en Algérie, l'État colonial interdisait les armes aux indigènes, tout en accordant aux colons le droit de s'armer. Aujourd'hui, certaines vies comptent si peu que l'on peut tirer dans le dos d'un adolescent noir au prétexte qu'il était " menaçant ".
Une ligne de partage oppose historiquement les corps " dignes d'être défendus " à ceux qui, désarmés ou rendus indéfendables, sont laissés sans défense. Ce " désarmement " organisé des subalternes pose directement, pour tout élan de libération, la question du recours à la violence pour sa propre défense.
Des résistances esclaves au ju-jitsu des suffragistes, de l'insurrection du ghetto de Varsovie aux Black Panthers ou aux patrouilles queer, Elsa Dorlin retrace une généalogie de l'autodéfense politique. Sous l'histoire officielle de la légitime défense affleurent des " éthiques martiales de soi ", pratiques ensevelies où le fait de se défendre en attaquant apparaît comme la condition de possibilité de sa survie comme de son devenir politique. Cette histoire de la violence éclaire la définition même de la subjectivité moderne, telle qu'elle est pensée dans et par les politiques de sécurité contemporaines, et implique une relecture critique de la philosophie politique, où Hobbes et Locke côtoient Frantz Fanon, Michel Foucault, Malcolm X, June Jordan ou Judith Butler.
Le 26 mai 1828, Kaspar Hauser fit son apparition sur une place de Nuremberg. Ce jeune homme, qui semblait avoir 16 ou 17 ans, savait à peine marcher et n'avait pas cinquante mots en bouche. La rumeur enflant, il devint bientôt l'" orphelin de l'Europe " et demeure l'un des plus célèbres " enfants sauvages ".
Arraché au berceau, séquestré quinze années durant dans une cave obscure, coupé de la nature comme des autres humains, Hauser était vierge de toute socialisation. Rien ne le reliait à son temps et à son groupe, pas davantage à sa génération et à son sexe. Habitant un corps étrange, il était doté d'une sensorialité inouïe et d'une intense vie émotionnelle. Et ce jusqu'à ce qu'il vienne au monde
une seconde fois et apprenne douloureusement les moeurs et usages de son temps.
Sans délaisser le mystère de ses origines et l'énigme de son assassinat, ce livre révèle, derrière cette vie minuscule, sans équivalent connu, un
cas majuscule saisi à la croisée des sciences sociales et des disciplines de la psyché. Éclairant nos façons d'arraisonner le monde, l'examen approfondi de cette trajectoire aberrante dévoile ainsi, en contrepoint, jusqu'à quelles secrètes profondeurs le social-historique s'inscrit d'ordinaire en chacun de nous.
La place qu'occupe Éric Zemmour dans le champ médiatique et dans l'espace public français suscite l'inquiétude et la consternation de bon nombre de citoyens. Comment un pamphlétaire qui alimente constamment des polémiques par ses propos racistes, sexistes, homophobes, condamné à plusieurs reprises par la justice, a-t-il pu acquérir une telle audience ?
Pour comprendre ce phénomène, ce livre replace le cas Zemmour dans une perspective historique qui prend comme point de départ les années 1880, période où se mettent en place les institutions démocratiques qui nous gouvernent encore aujourd'hui. Ce faisant, il met en regard le parcours d'Éric Zemmour et celui d'Édouard Drumont, le chef de file du camp antisémite à la fin du XIXe siècle. Car les deux hommes ont chacun à leur époque su exploiter un contexte favorable à leur combat idéologique. Issus des milieux populaires et avides de revanche sociale, tous deux ont acquis leur notoriété pendant des périodes de crise économique et sociale, marquées par un fort désenchantement à l'égard du système parlementaire.
Dans ce saisissant portrait croisé, Gérard Noiriel analyse les trajectoires et les écrits de ces deux polémistes, en s'intéressant aux cibles qu'ils privilégient (étrangers, femmes, intellectuels de gauche, etc.) et en insistant sur les formes différentes que ces discours ont prises au cours du temps (car la législation interdit aujourd'hui de proférer des insultes aussi violentes que celles de Drumont). L'historien met ainsi en lumière une matrice du discours réactionnaire, et propose quelques pistes pour alimenter la réflexion de ceux qui cherchent aujourd'hui à combattre efficacement cette démagogie populiste.
Pourquoi les primates et les humains, si proches génétiquement, ont-ils eu une évolution si différente ? D'où vient cette aptitude spécifique à notre espèce à acquérir, développer et transmettre les connaissances et les savoir-faire qui lui permettent de transformer ses conditions d'existence ? Michael Tomasello, l'un des rares chercheurs à avoir mené des expériences sur les capacités cognitives des grands singes et des enfants, répond à ces questions en montrant le rôle fondamental de l'apprentissage culturel et social dans la transmission des acquis chez ces derniers.
Il montre que ce qui caractérise la cognition proprement humaine repose sur des processus évolutionnistes, historiques et ontogéniques qui ont permis à ces capacités de se maintenir et de se transformer. S'appuyant sur le langage, la représentation symbolique et le développement psychologique, il souligne le rôle fondamental de l'" attention conjointe ", qui sous-tend le partage d'intentions, et met en évidence l'" effet cliquet " de la transmission culturelle, qui empêche tout retour en arrière. Ainsi, chaque nouvelle génération hérite des outils matériels et intellectuels créés par les générations antérieures.
En vogue dans les années 1960-1970, la théorie de l'origine extraterrestre de l'humanité et des grandes civilisations antiques connaît une nouvelle popularité. Faut-il l'interpréter, suivant les archéologues, comme le simple fruit de l'ignorance ou, à l'instar des sociologues, comme le symptôme d'une crise que les sociétés occidentales traverseraient en régressant dans l'irrationnel ?
Au lieu de voir dans de telles conceptions insolites un renoncement à l'usage de la raison, Wiktor Stoczkowski propose d'y découvrir un produit du fonctionnement ordinaire de notre pensée, avec pour guide cette injonction de Fontenelle : " Étudions l'esprit humain dans l'une de ses plus étranges productions : c'est là bien souvent qu'il se donne le mieux à connaître. "
À travers la captivante histoire de l'invention collective de cette autre
Genèse, dont la théorie des Anciens Astronautes est l'aboutissement, l'ouvrage pose les bases d'une anthropologie des savoirs occidentaux, nécessaire pour comprendre non seulement les idées " irrationnelles " qui offensent notre sens commun, mais aussi celles que nous tenons pour emblématiques de la rationalité.
Pollution des rivières, embryons congelés, virus du sida, trou d'ozone, robots à capteurs... : ces " objets " étranges qui envahissent notre monde relèvent-ils de la nature ou de la culture ? Comment les comprendre ? Jusqu'ici, les choses étaient simples : aux scientifiques la gestion de la nature, aux politiques celle de la société. Mais ce traditionnel partage des tâches devient de plus en plus impuissant à rendre compte de la prolifération des " hybrides ". D'où le sentiment d'effroi qu'ils procurent, et que ne parviennent pas à apaiser les philosophes contemporains, qu'ils soient antimodernes, postmodernes ou éthiciens. Et si nous avions fait fausse route ? En fait, notre société " moderne " n'a jamais fonctionné conformément au grand partage qui fonde son système de représentation du monde : celui qui oppose radicalement la nature d'un côté, la culture de l'autre. Dans la pratique, en effet, les modernes n'ont cessé de créer des objets hybrides, qui relèvent de l'une comme de l'autre, et qu'ils se refusent à penser. Nous n'avons donc jamais été vraiment modernes, et c'est ce paradigme fondateur qu'il nous faut remettre en cause aujourd'hui pour comprendre notre monde.
Un réchauffement climatique suivi de sécheresse et de famines, des séismes, des guerres civiles, de gigantesques mouvements de populations fuyant leurs terres d'origine, des risques systémiques pour les échanges internationaux... Nous ne sommes pas au XXIe siècle, mais bien au XIIe siècle avant J.-C. ! Toutes les civilisations de Méditerranée grecque et orientale (de la Crète à l'Égypte, de Canaan à Babylone, etc.) se sont effondrées presque simultanément, il y a plus de trois mille ans. Comment expliquer pareille catastrophe ?
Le grand archéologue américain Eric H. Cline mène l'enquête et nous raconte la fin de l'âge du bronze sous la forme d'un drame en quatre actes. Il fait revivre sous nos yeux ces sociétés connectées qui possédaient une langue commune, échangeaient des biens (grains, or, étain et cuivre, etc.), alors que les artistes circulaient d'un royaume à l'autre. Les archives découvertes témoignent de mariages royaux, d'alliances, de guerres et d'embargos. Une " mondialisation " avant l'heure, confrontée notamment à des aléas climatiques qui pourraient avoir causé sa perte...
Ce livre, vendu à plus de 65 000 exemplaires depuis sa réédition en 1967 dans la " Petite collection Maspero ", reste un grand classique. Son auteur, acteur et témoin de la Commune de Paris, se mit au travail au lendemain de la défaite et ce travail dura vingt-cinq ans. Il a enquêté avec acharnement auprès de tous les survivants, dans l'exil à Londres, en Suisse, puis consulté tous les documents disponibles à l'époque.Le résultat est cette " somme ", qui n'est pas seulement un récit historique événementiel, de l'insurrection à la répression : elle est un tableau de tous les courants de la pensée sociale, de tous les affrontements internes, un bilan des réalisations ou des tentatives, " mesures éparses, tôt dispersées au vent de la lutte et des divergences, mesures significatives pourtant ", qui caractérisent, pour Jean Maitron, cette Commune qui fut " un trait d'union plutôt qu'une coupure dans l'histoire du mouvement ouvrier français "." La dernière barricade des journées de Mai, écrit Lissagaray, est rue Ramponneau. Pendant un quart d'heure, un seul fédéré la défend. Trois fois il casse la hampe du drapeau versaillais. Pour prix de son courage, le dernier soldat de la Commune réussit à s'échapper. " La légende veut que ce dernier combattant anonyme ne fut autre que Lissagaray lui-même : tant il est vrai que chez lui la modestie de l'historien va toujours de pair avec la ténacité et l'intransigeance du militant.
Le rêve peut-il être appréhendé par les sciences sociales ? Objet devenu indissociable de la psychanalyse, il était jusqu'à ce jour largement ignoré des sociologues. Si quelques chercheurs ont pu s'interroger sur la manière dont le rêve a été perçu selon les époques et les milieux, Bernard Lahire entre ici dans la logique même de sa fabrication et le relie aux expériences que les individus ont vécues dans le monde social.
L'ambition de cet ouvrage est d'élaborer une théorie générale de l'expression onirique. En partant des acquis du modèle d'interprétation proposé par Freud, il s'efforce d'en corriger les faiblesses et les erreurs, en tirant parti des nombreuses avancées scientifiques accomplies depuis
L'Interprétation du rêve. À l'opposé de ce que croyait Freud, le rêve apparaît ici comme l'espace de jeu symbolique le plus complètement délivré de toutes les sortes de censures. Il livre des éléments de compréhension profonde de ce que nous sommes et permet de voir frontalement
ce qui nous travailleobscurément, de comprendre
ce qui pense en nous à l'insu de notre volonté.
Cet ouvrage contribue aussi à donner de nouvelles ambitions à la sociologie. Si le rêve fait son entrée dans la grande maison des sciences sociales, ce n'est pas pour laisser le lieu en l'état, mais pour en déranger les habitudes.
L'Afrique subsaharienne est le berceau de l'humanité. Ce petit livre fait le point sur une histoire au moins aussi variée et passionnante que celle des autres continents et s'attache à déconstruire un à un les grands clichés qui continuent de nourrir les imaginaires occidentaux ; ceux qui font de l'Afrique un continent subalterne, à part, irrémédiablement à la traîne.Or l'Afrique, depuis toujours, influe sur le reste du monde. Elle lui a fourni main-d'oeuvre, or et matières premières, qui ont joué un rôle essentiel dans la mondialisation économique. Elle a développé, au fil des siècles, un savoir parfaitement adapté à ses conditions environnementales, savoir qui fut taillé en pièces par l'extrême brutalité de la colonisation, pourtant si brève au regard de l'histoire longue. Mais, si on lui a beaucoup pris, l'Afrique a aussi donné, avec une formidable vitalité.Catherine Coquery-Vidrovitch dégage les étapes cruciales de l'histoire africaine et met en avant, pour chacune d'elles, les idées essentielles et originales. L'objectif de ce livre est aussi, et surtout, d'aider à comprendre le présent afin d'en dégager des perspectives d'action pour l'avenir.
Un livre de plus sur les jeunes " issus de l'immigration " ? Pour dénoncer les discriminations qu'ils subissent, sur fond de relégation sociale dans les quartiers " difficiles " ? Et conclure sur l'échec de leur " intégration " dans notre pays ?
Non. L'ambition de ce livre est autre : décentrant le regard habituellement porté sur ce groupe social, il retrace, à partir d'une enquête sur la longue durée, le destin des huit enfants d'une famille algérienne installée en France depuis 1977, dans un quartier HLM d'une petite ville de province. Le récit de leurs parcours - scolaires, professionnels, matrimoniaux, résidentiels, etc. - met au jour une trajectoire d'ascension sociale (accès aux classes moyennes) et essaie d'en expliquer les raisons. Cette biographie à plusieurs voix montre différents processus d'intégration en train de se faire. Elle pointe aussi les difficultés rencontrées par les enfants Belhoumi pour conquérir une place dans le " club France ", en particulier depuis les attentats terroristes de janvier 2015 qui ont singulièrement compliqué la donne pour les descendants d'immigrés algériens.
Au-delà du récit convenu, centré sur ses seules grandes figures héroïques, Black America retrace la lutte des Afro-Américains, en redonnant toute leur place aux actrices et acteurs anonymes mais essentiels de cette histoire inachevée. Une grande fresque appelée à devenir une référence incontournable sur cette question centrale de l'histoire des États-Unis.
Martin Luther King, Malcolm X, Rosa Parks. Dans la mémoire collective, ces trois noms résument trop souvent à eux seuls le long combat des Noirs américains pour l'égalité, la justice et la dignité. Au-delà du récit convenu centré sur ces grandes figures héroïques, ce livre retrace la lutte des Africains-Américains, depuis l'émancipation des esclaves en 1865 jusqu'au mouvement Black Lives Matter aujourd'hui, en redonnant toute leur place aux acteurs - et aux actrices - anonymes mais essentiels de cette histoire inachevée.
Proposant une analyse globale des mouvements de revendications noirs, l'auteure décrit avec talent la longue sortie de la ségrégation dans l'ancien Sud esclavagiste et les luttes radicales engagées par les Noirs pour y mettre un terme. Mais elle raconte aussi une histoire moins connue : celle de l'" apartheid américain " dans le Nord et l'Ouest et des mobilisations quotidiennes des Africains-Américains pour l'amélioration de leurs conditions de vie.
Regardons autour de nous. À quoi ressemble notre monde, sinon à un continuum fonctionnel d'appareils, d'organisations et de managers ?
Depuis un siècle, tandis que la critique vilipendait le capitalisme et l'État, la gestion, subrepticement, s'est immiscée partout. Ainsi manageons-nous aujourd'hui les entreprises et leurs salariés, certes, mais aussi les écoles, les hôpitaux, les villes, la nature, les enfants, les émotions, les désirs, etc. La rationalité managériale est devenue le sens commun de nos sociétés et le visage moderne du pouvoir : de moins en moins tributaire de la loi et du capital, le gouvernement des individus est toujours davantage une tâche d'optimisation, d'organisation, de rationalisation et de contrôle.
Ce livre montre comment cette doctrine, forgée il y a cent ans par une poignée d'ingénieurs américains, a pu si rapidement conquérir les consciences, et comment l'entreprise a pris des mains de l'État et de la famille la plupart des tâches nécessaires à notre survie.
Comment combler le fossé apparemment infranchissable séparant les sciences (chargées de comprendre la nature) et la politique (chargée de régler la vie sociale), séparation dont les conséquences deviennent de plus en plus catastrophiques ? La nature a toujours constitué l'une des deux moitiés de la vie publique - celle qui nous unit -, l'autre moitié formant ce qu'on appelle la politique, c'est-à-dire le jeu des intérêts et des passions - qui nous divise. L'écologie politique a prétendu apporter une réponse mais, à cause des controverses scientifiques qu'elle suscite, à cause de l'incertitude sur les valeurs qu'elle provoque, elle oblige à abandonner la nature comme mode d'organisation publique. Selon Bruno Latour, la solution repose sur une profonde redéfinition à la fois de l'activité scientifique (à réintégrer dans le jeu normal de la société) et de l'activité politique (comprise comme l'élaboration progressive d'un monde commun). Ce sont les conditions et les contraintes de telles redéfinitions qu'il explore ici.
La race a une histoire, qui renvoie à l'histoire de la différence sexuelle. Au XVIIe siècle, les discours médicaux conçoivent le corps des femmes comme un corps malade et l'affligent de mille maux : " suffocation de la matrice ", " hystérie ", " fureur utérine ", etc. Le sain et le malsain justifient efficacement l'inégalité des sexes et fonctionnent comme des catégories de pouvoir. Aux Amériques, les premiers naturalistes prennent alors modèle sur la différence sexuelle pour élaborer le concept de " race " : les Indiens Caraïbes ou les esclaves déportés seraient des populations au tempérament pathogène, efféminé et faible. Ce sont ces articulations entre genre, sexualité et race, et leur rôle central dans la formation de la Nation française qu'analyse Elsa Dorlin, au croisement de la philosophie politique, de l'histoire de la médecine et des études sur le genre. La Nation prend littéralement corps dans le modèle féminin de la " mère ", blanche et saine, opposée aux figures d'une féminité " dégénérée " - la sorcière, la vaporeuse, la vivandière hommasse, la nymphomane, la tribade et l'esclave africaine. Il apparaît ainsi que le sexe et la race participent d'une même matrice au moment où la Nation française s'engage dans l'esclavage et la colonisation.
Ancien prof de lycée dans le " 9-3 " devenu sociologue, Fabien Truong a pendant dix ans - des émeutes de 2005 aux attentats de janvier 2015 - suivi une vingtaine d'anciens élèves, du bac jusqu'à la fin de leurs études. Tour à tour prof, enquêteur et confident, il dresse le portrait d'une certaine jeunesse française, celle des banlieues populaires issues de l'immigration.
De la fac aux grandes écoles, en passant par les cycles plus courts, ces jeunes incarnent la face cachée d'une passion nationale : sortir de sa condition par l'école. Confrontés au stigmate des origines, à l'impératif de rentabilité assigné aux études longues et à la précarité massive, ils mènent un combat ordinaire pour gagner l'estime de soi et apprendre à naviguer entre les multiples frontières du monde social.
En offrant une plongée dans l'intimité de ces jeunes étudiants en quête d'échappée, ce livre peut se lire comme un récit initiatique, déroulant dans le temps long leurs rêves d'ascension sociale, leurs questionnements identitaires, les peines et les joies de l'apprentissage intellectuel, leur rapport à la religion ou leurs histoires d'amour.
En mars 1957, la presse annonce la mort à Alger d'un " petit avocat musulman " : " Qui a tué Me Boumendjel ? " On s'interroge sur un faux suicide. Mais que faisait donc ce " modéré " de trente-huit ans entre les mains des " paras " ? Pourquoi a-t-il été assassiné, comme le reconnaîtra le général Aussaresses en 2001 ?
Cette affaire est à la fois une histoire française, qui a secoué les intellectuels français, et une histoire algérienne, celle d'un héros et d'un martyr. Dans ce livre, l'une et l'autre éclairent d'une lumière nouvelle les récits existants. Au mépris qu'Aussaresses exprime à l'encontre de cet intellectuel, aux abracadabrantes explications qu'il donne de son arrestation, Malika Rahal oppose un travail d'historienne. Et à l'histoire dominante algérienne, qui intègre Ali Boumendjel parmi ses martyrs en schématisant son parcours, elle oppose la richesse d'une biographie familiale, la complexité d'un engagement politique nuancé et d'un idéal algérien et républicain partagé par nombre de nationalistes d'alors.
Ce n'est qu'en mars 2021 que le président de la République française a reconnu qu'Ali Boumendjel a été " torturé puis assassiné " après avoir été " arrêté par l'armée française ". Cette biographie, initialement publiée en 2010 et actualisée, constitue dès lors une référence majeure.
Le mythe grec d'Érysichthon nous parle d'un roi qui s'autodévora parce que rien ne pouvait assouvir sa faim - punition divine pour un outrage fait à la nature. Cette anticipation d'une société vouée à une dynamique autodestructrice constitue le point de départ de
La Société autophage. Anselm Jappe y poursuit l'enquête commencée dans ses livres précédents, où il montrait - en relisant les théories de Karl Marx au prisme de la " critique de la valeur " - que la société moderne est entièrement fondée sur le travail abstrait et l'argent, la marchandise et la valeur.
Mais comment les individus vivent-ils la société marchande ? Quel type de subjectivité le capitalisme produit-il ? Pour le comprendre, il faut rouvrir le dialogue avec la tradition psychanalytique, de Freud à Erich Fromm ou Christopher Lasch. Et renoncer à l'idée, forgée par la Raison moderne, que le " sujet " est un individu libre et autonome. En réalité, ce dernier est le fruit de l'intériorisation des contraintes créées par le capitalisme, et aujourd'hui le réceptacle d'une combinaison létale entre narcissisme et fétichisme de la marchandise.
Le sujet fétichiste-narcissique ne tolère plus aucune frustration et conçoit le monde comme un moyen sans fin voué à l'illimitation et la démesure. Cette perte de sens et cette négation des limites débouchent sur ce qu'Anselm Jappe appelle la " pulsion de mort du capitalisme " : un déchaînement de violences extrêmes, de tueries de masse et de meurtres " gratuits " qui précipite le monde des hommes vers sa chute.
Dans ce contexte, les tenants de l'émancipation sociale doivent urgemment dépasser la simple indignation contre les tares du présent - qui est souvent le masque d'une nostalgie pour des stades antérieurs du capitalisme - et prendre acte d'une véritable " mutation anthropologique " ayant tous les atours d'une dynamique régressive.
Comment la dette de l'État s'est-elle installée au centre de la scène politique, au point d'y devenir omniprésente ? Ce livre original constitue la première enquête historique et sociologique sur les modalités concrètes qui ont peu à peu arrimé les comptes de la puissance publique aux intérêts privés de la finance. Une histoire de la dette méconnue et passionnante, qui offre une clé de lecture incomparable pour comprendre notre présent, tant français qu'européen. À échéances régulières, la question de la dette publique revient coloniser l'espace public. Faire la preuve incessante du crédit de l'État auprès des marchés financiers constitue un droit d'entrée dans le champ des propositions politiques. Mais des alternatives ont existé au cours desquelles la puissance publique gouvernait la finance, plutôt que l'inverse, et organisait l'allocation du crédit et de la monnaie.
À rebours de ceux qui voient la dette comme une loi d'airain quasi naturelle, ce livre reconstitue la généalogie détaillée de ce choix stratégique d'enfermement du financement du Trésor dans les marchés de capitaux. Il montre ainsi à quel point l'ordre de la dette est organisé par des hommes politiques, des hauts fonctionnaires et des banquiers, de gauche comme de droite, transformant l'État en un acteur de marché comme les autres, qui crée et vend ses produits de dette, construisant par là sa propre prison.