Texte intégral révisé suivi d'une biographie d'Élisée Reclus. "Les révolutions ne sont pas nécessairement un progrès, de même que les évolutions ne sont pas toujours orientées vers la justice. Tout change, tout se meut dans la nature d'un mouvement éternel, mais s'il y a progrès il peut y avoir aussi recul, et si les évolutions tendent vers un accroissement de vie, il y en a d'autres qui tendent vers la mort. L'arrêt est impossible, il faut se mouvoir dans un sens ou dans un autre, et le réactionnaire endurci, le libéral douceâtre qui poussent des cris d'effroi au mot de révolution, marchent quand même vers une révolution, la dernière, qui est le grand repos. La maladie, la sénilité, la gangrène sont des évolutions au même titre que la puberté. L'arrivée des vers dans le cadavre, comme le premier vagissement de l'enfant, indique qu'une révolution s'est faite. La physiologie, l'histoire, sont là pour nous montrer qu'il est des évolutions qui s'appellent décadence et des révolutions qui sont la mort." - Élisée Reclus.
Texte intégral revu et corrigé. Ouvrage ambitieux et grandiose publié à Londres entre 1776 et 1788, l'"Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain" d'Edward Gibbon relate en quelque 5000 pages la vaste période de plus de 13 siècles qui s'étend de l'an 180 à la chute de l'Empire byzantin. Cette étude du régime constitutionnel de l'Empire romain et des vicissitudes politiques de Rome puis de Byzance depuis la période des Antonins jusqu'à la prise de Constantinople reste fondamentale encore aujourd'hui. Les débuts et les progrès du christianisme, avec la décadence du paganisme qui en résulte, la vie monastique, les institutions juridiques romaines, les mouvements spirituels et sociaux des peuples en relation avec l'Empire, enfin les schismes religieux, sont particulièrement analysés. À la différence de ses prédécesseurs, Gibbon, esprit éminemment réaliste, parfois quelque peu cynique, en bref voltairien, unit à la recherche scrupuleuse des sources un sens critique aigu et un vif talent d'évocation grâce auquel les hommes et les événements reprennent vie sous sa plume. Parmi les plus belles pages de son chef-d'oeuvre, il convient de citer celles qui sont consacrées aux portraits de Marc Aurèle, de Justinien, de Constantin et d'Attila. Les passages relatifs à la législation romaine, à la naissance de l'islamisme, aux invasions barbares, au règne de Julien ainsi qu'aux Croisades, sont également dignes de mention.
À Londres en 1943, alors qu'elle travaille au Commissariat à l'Intérieur de la France libre, Simone Weil rédige sur commande du général de Gaulle, un "Prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain", essai qui prendra le titre d'"Enracinement" lors de sa publication à titre posthume par Albert Camus en 1950. Composé en trois parties: "Les besoins de l'âme", "Le Déracinement" et "L'Enracinement", Simone Weil y poursuit le travail commencé dans ses "Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale", mais traite ici plus spécifiquement des devoirs envers l'être humain et non plus envers le groupe social des travailleurs opprimés. L'homme, affirme-elle, s'est "déraciné" des lois de la nature par sa conquête de la terre et par sa soumission à l'idée de progrès. Il lui faut maintenant poser des devoirs envers lui-même. Sur un autre plan de pensée, plus politique et concernant le déracinement du peuple français, son principal souci demeure le maintien de la souveraineté nationale au sein de l'Etat. Mais pour elle, la nation doit être un ensemble liant forces naturelles et forces spirituelles, entre autres par le travail. En réinscrivant l'homme dans une réalité non séparée de la volonté de Dieu, le travail signifie un consentement au monde et rend sa responsabilité à l'homme. Plus qu'un levier dans la vie sociale, il en devient le centre spirituel.
Dans cet essai, Bergson propose de comprendre mais aussi de pratiquer la métaphysique. Le philosophe y définit l'intuition comme une sympathie intellectuelle par laquelle il est possible de s'introduire à l'intérieur d'un objet, afin de coïncider avec ce que celui-ci a d'unique et d'inexprimable. Il expose comment seule l'intuition, donnée immédiate de la réalité, permet de réaliser une métaphysique car elle est seule capable de saisir l'absolu et la réalité en soi par-delà toute connaissance conceptuelle symbolique et relative. La durée, notion indissoluble de la vie de la conscience dans laquelle se fondent le présent et le passé, est par exemple un objet uniquement préhensible par l'intuition métaphysique. Cette critique de l'intellectualisme par l'auteur du "Rire" condamne aussi bien l'empirisme et le rationalisme que les théories psychologiques. Pour acquérir l'intuition métaphysique, et donc s'approcher de l'absolu, il est indispensable selon lui d'inverser le sens de la pensée.
Texte intégral révisé suivi d'une biographie d'Alain (Émile-Auguste Chartier). Publié au sortir de la Première Guerre mondiale où Alain s'était engagé volontairement comme simple soldat, "Mars ou La guerre jugée" est une suite de 93 brefs essais - plus vingt autres rajoutés en 1936 - ayant l'allure et la beauté d'autant de poèmes en prose. Alain y dessine le visage ambigu de Mars, dieu de la guerre, avec la rigueur de l'homme de science, la pénétration du philosophe et le bonheur d'expression du poète. Il y démonte tout le mécanisme de la guerre dans ses causes profondes, ses contradictions et ses mensonges, évitant cependant les trop évidents aspects immédiats de la tragédie: la souffrance, la mort et la destruction. Là où l'on ne voit souvent que l'apparence de la guerre, Alain continue lui de voir l'homme, "sentencieux toujours, observateur étonnant, sachant tout du ciel et de la terre, et embarqué pour les dix ans du siège de Troie". Révolté, il s'attaque en particulier au traitement inhumain que la hiérarchie militaire inflige à l'homme de troupe, qui est pour lui sans doute l'un des côtés les plus hideux du visage de Mars, ce "dieu vaniteux, triste et méchant".
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Machiavel et accompagné de 7 planches hors-texte. Publié en 1521, après "Le Prince" qu'il complète, "L'Art de la guerre" traite de science militaire, qui est ici étudiée en détail tant dans ses aspects politiques (réflexion sur le pouvoir, l'armée comme base du problème politique) que techniques (tactiques, armes, etc). L'auteur précise ses idées sur l'absolue nécessité pour un Etat de disposer d'une armée de citoyens. Il oppose à la figure du soldat citoyen, seul vraiment capable de défendre la patrie, celle du soldat mercenaire brutal et cupide, et accuse les princes italiens d'avoir ruiné le pays en employant ces milices pour mener leurs guerres. Sur le plan technique, ses considérations sont ce qu'elles peuvent être concernant une armée du XVIe siècle avec ses moyens en infanterie, cavalerie, artillerie, etc.. Certes dépassées aujourd'hui, elles témoignent cependant de la culture militaire de l'auteur et des idées de son temps qui se réfèrent toujours aux systèmes et méthodes des légions romaines. Pour sa démonstration, Machiavel adopte la forme littéraire d'un dialogue cicéronien se tenant dans les jardins de son ami Cosimo Rucellai, où les jeunes Florentins ont l'habitude de se réunir pour discuter politique. Ses amis - Zanobi Buondelmonti, Battista della Palla et Luigi Alamanni - qui fréquentent ces réunions apparaissent comme interlocuteurs dans le livre mais le personnage principal est toutefois Fabrizio Colonna, fameux condottiere de l'époque, auquel Machiavel attribue ses propres réflexions.
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Paul-Henri Thiry d'Holbach. "Les philosophes, qui communément sont gens de mauvaise humeur, regardent à la vérité le métier de courtisan comme bas, comme infâme, comme celui d'un empoisonneur. Les peuples ingrats ne sentent point toute l'étendue des obligations qu'ils ont à ces grands généreux, qui, pour tenir leur Souverain en belle humeur, se dévouent à l'ennui, se sacrifient à ses caprices, lui immolent continuellement leur honneur, leur probité, leur amour-propre, leur honte et leurs remords; ces imbécilles ne sentent donc point le prix de tous ces sacrifices? Ils ne réfléchissent point à ce qu'il en doit coûter pour être un bon courtisan? Quelque force d'esprit que l'on ait, quel qu'encuirassée que soit la conscience par l'habitude de mépriser la vertu et de fouler aux pieds la probité, les hommes ordinaires ont toujours infiniment de peine à étouffer dans leur coeur le cri de la raison. Il n'y a guère que le courtisan qui parvienne à réduire cette voix importune au silence; lui seul est capable d'un aussi noble effort." - Baron d'Holbach
Durant les hivers 1915-16 et 1916-17, Freud donne une série de conférences à la faculté de médecine de Vienne. Indice de la popularité croissante de la psychanalyse à l'époque, ces conférences, publiées en volume et bientôt traduites dans une quinzaine de langues, connaîtront un grand retentissement dans le monde entier. Un siècle plus tard, le succès de ce livre-source de la psychanalyse et du freudisme, ne se dément toujours pas. "L'Introduction à la psychanalyse" comprend trois groupes de leçons: les quatre premières - qui reprennent en partie la matière de "Psychopathologie de la vie quotidienne" - concernent les actes manqués. Dans le chapitre introductif, Freud y fait alterner avec brio le sérieux et l'humour, la rigueur et la dérision, afin de présenter sa nouvelle science à un public qu'il considère mal informé, voire en partie hostile. Il s'attarde notamment sur la distinction entre médecine et psychanalyse: "Le traitement psychanalytique ne comporte qu'un échange de paroles entre l'analysé et le médecin", assène-t-il. Il aborde ensuite les deux grandes difficultés qui attendent les analysants: l'essentiel des processus psychiques sont inconscients et la sexualité y joue un rôle majeur avec ses divers phénomènes de pulsions, de résistances, de refoulements et de sublimations. Les onze leçons suivantes - synthèse récapitulative de l'ouvrage pionnier "L'Interprétation du rêve" - sont consacrées au rêve et à la connaissance nécessaire de son imposant corpus de symboles lorsque la technique de l'association libre n'opère pas. Enfin les treize dernières sont regroupées sous le titre de "Théorie générale des névroses" et marquent une étape importante dans le développement théorique freudien qui sera poursuivi par la suite à travers les études sur la libido, l'inhibition, l'angoise ou encore le narcissisme. Le dernier chapitre est consacré à la thérapeutique analytique, soulignant tant les préjugés auquels elle doit faire face que les abus auquels elle peut donner lieu, du fait notamment de la manipulation du transfert.
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de René Guénon. C'est dans "La Crise du monde moderne" que René Guénon a ordonné toutes les raisons de son aversion pour cette civilisation occidentale moderne dont il est mort complètement séparé après s'être converti à l'islam. Accusation radicale, qui ne s'attaque pas seulement à tel ou tel aspect de la mentalité moderne, mais la rejette tout entière, et sans appel. Tout d'abord, dit-il, le monde moderne est matérialiste: rien n'existe que ce qui peut sentir et toucher. Il ne connaît que la réalité sensible et il est esclave de la superstition du fait, qui l'oblige à refuser tout accès à un monde supérieur. Le monde moderne se veut de plus scientifique, mais cette science n'est plus rattachée, comme dans les sociétés traditionnelles, à des principes métaphysiques. C'est une science profane et non un prolongement de la connaissance absolue. En outre, le monde moderne n'est plus religieux. Même le christianisme est atteint par le matérialisme. Enfin le monde moderne est démocratique et René Guénon ne s'intéresse aux phénomènes politiques qu'en tant que signes de la mentalité générale. Par exemple, alors que la notion de "caste" est selon lui profondément juste, puisque fondée sur la disparité nécessaire des fonctions, la démocratie, appuyée sur le préjugé égalitaire, humilie l'ordre même du monde. Le pouvoir, dit-il, ne peut venir que d'en haut. À travers cette critique radicale du monde occidental, la pensée de René Guénon se trouve ainsi exactement à l'opposé de tous les dogmes et de tous les concepts modernes.
Texte intégral révisé suivi d'une biographie d'Alain (Émile-Auguste Chartier). "Sous le titre "Propos sur des philosophes", Michel Alexandre avait médité de réunir, d'après le voeu et avec l'assentiment d'Alain, un certain nombre de "Propos" contenant chacun une référence ou une allusion à quelque point de doctrine d'un philosophe explicitement désigné. Après la mort d'Alain, et avant la sienne, Michel Alexandre s'est occupé de recueillir des "Propos", de date différente, répondant à son dessein, et il avait tenté à plusieurs reprises de les ordonner de façon cohérente. Il avait reconnu la difficulté inhérente à plusieurs espèces de groupement. Ni l'ordre chronologique des philosophies, ni un ordre quelconque de rubriques ne lui avaient paru satisfaisants. C'est qu'en effet, fidèle à sa méthode de commentaire et de développement de la pensée des grands auteurs, Alain ne s'astreint jamais au cadre originaire du thème qu'il emprunte. Non content de diversifier ce thème il le déborde toujours. C'est sa façon à lui de témoigner de l'actualité de la pensée qu'il admire. Il l'éclaire en éclairant par elle ce qu'elle ne contenait ou ne visait pas au départ. C'est pourquoi il a semblé aux anciens élèves d'Alain qui ont repris le travail commencé par Michel Alexandre que les "Propos" rassemblés par lui pouvaient, à quelques uns près, se prêter à former un recueil sous le titre initialement projeté. Il a paru aussi, après de longues réflexions et tentatives, que c'est dans l'intention de chaque "Propos", plutôt que dans la référence à tel ou tel philosophe, qu'il fallait chercher la raison d'une succession possible. C'est donc finalement la constance des thèmes de la pensée d'Alain que l'on a cherché à mettre en lumière. Même si l'on sait qu'Alain n'avait pas de système, on n'est pas tenu de se plier à l'idée, trop aisément répandue, que les "Propos" sont uniquement des saisies discontinues d'occasions ou de prétextes. L'ordre ici adopté est sans doute artificiel, puisqu'il ne reproduit pas l'ordre des doctrines, ni l'ordre de publication des "Propos". On pense pourtant qu'il n'est pas entièrement arbitraire. Il convient d'ajouter qu'au cours des années où le projet est resté en attente, divers Recueils de "Propos" ont été publiés. Les fidèles d'Alain ne rencontreront donc ici qu'un petit nombre de "Propos" inédits. Mais ce leur sera une occasion nouvelle, en face de "Propos" qu'on croit connaître, de mesurer la richesse de ces textes qui laissent toujours tant à découvrir, même au lecteur attentif - et qui multiplient leurs significations selon qu'ils sont groupés et présentés dans la lumière d'une idée ou d'une autre. Quant à ceux qui feront connaissance avec Alain, par le présent recueil, ils se trouveront d'emblée au plus haut de sa pensée." - Georges Canguilhem.
Texte intégral révisé suivi d'une biographie d'Alain (Émile-Auguste Chartier). "J'ai pris pour moi cette puissante vue de Hegel, que la philosophie n'est que la réflexion sur la religion, définition qui m'a paru excellente. Cherchez des exemples, il n'en manque pas. Même la politique, sujet dévorant, la politique ne prend l'ampleur que l'on nomme philosophique que par le conflit permanent de politique et religion. L'esthétique s'appuie sur les temples et sur les formes divines. La morale se confond presque avec la religion. La logique n'est réellement qu'un examen des raisonnements de métaphysique, surtout des preuves de Dieu. Bref la religion nous porte à la philosophie. Seule elle offre à la réflexion des objets non arbitraires, ce qui réduit la philosophie à une Critique. C'est ce que j'admets sans restriction. Que ceux qui chercheraient ici quelques derniers mots sur la religion et l'irréligion se détournent vers d'autres ouvrages où nous pensons que la religion ne sera pas considérée aussi amicalement, aussi fraternellement que dans ces Propos-ci. Quel est le but ? Il s'agit de vivre en bon voisin avec la religion, qui, dans le fait, vient toucher nos moindres pensées. Il s'agit encore de se délivrer pour toujours de ce qu'on a appelé d'un vilain mot, anticléricalisme, et qui en effet n'est à craindre que s'il serre le noeud de l'esclave. Il faut penser à la religion librement et sans humeur. C'est ce qu'on trouvera ici proposé et c'est ce qui étonnera les critiques, qui veulent que l'on prenne parti pour ou contre les bûchers. Sur ce sujet-là, justement, on aura beaucoup gagné si, par divers chemins, on s'approche un peu du fanatisme tel qu'il est, et tel qu'il est par la vertu de l'homme. Pareillement retrouver le sentiment religieux dans les populations les plus naïves, en faire en quelque sorte, l'histoire naturelle ou la physiologie, ce sera s'y reconnaître, ou mieux, reconnaître en soi le fétichiste, le métaphysicien, le superstitieux. Tel est le principe de la véritable tolérance, qui exclut entièrement le mépris. [...] Par ces exercices le lecteur fera l'expérience si importante de ceci, que les grandes oeuvres de l'esprit ne peuvent être dites ni vraies ni fausses, ce qui est surtout sensible de la religion qui est une chose humaine aussi naturelle que le Parthénon ou la Vénus de Milo. La réconciliation est en vue par ces remarques, ainsi qu'un nouvel âge où l'on ne réfutera personne, ce qui ouvrira à tous le chemin de penser." - Alain (Extrait de la préface).
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Philippe Buonarroti. Le 30 novembre 1795, Philippe Buonarroti publie le "Manifeste des Égaux", inspiré par les thèses communistes de Gracchus Babeuf, dans lequel il affirme que le but de la société est le "bonheur commun" et l'"égalité des jouissances". Pour lui, la propriété privée, suscitant l'inégalité, doit être supprimée et remplacée par la "communauté des biens et des travaux". Il rejoint le "Directoire Secret de Salut Public" constitué par Babeuf le 30 mars 1796 et devient avec lui le principal théoricien de la "Conjuration des Egaux" qui vise rien de moins qu'à renverser le Directoire. Le 30 mars 1796 se constitue un Comité insurrectionnel composé des deux révolutionnaires accompagnés de divers babouvistes (agents dans l'armée, démocrates de l'an II, abonnés du "Tribun du peuple"). Les conjurés pensent pouvoir entraîner les masses populaires mais le complot échoue. Dénoncés à la police par un traître, Buonarroti et Babeuf sont arrêtés le 10 mai 1796. Quatre mois plus tard, une tentative de soulèvement du camp de Grenelle en liaison avec la conjuration, échoue également: 131 personnes sont arrêtées et 30 fusillées. Jugés devant la Haute-Cour de Vendôme le 25 mai 1797, Gracchus Babeuf est condamné à mort, Philippe Buonarroti à la déportation. "Gracchus Babeuf et la Conjuration des Égaux", publié plus tard, en 1828, d'abord sous le titre d'"Histoire de la conspiration pour l'égalité, dite de Babeuf", est le récit passionnément vivant de ce moment révolutionnaire. Classique révolutionnaire et principale référence sur l'histoire du babouvisme, ses thèses sur la "République des Égaux", que l'on nommera plus tard "communisme égalitaire" ou "communisme révolutionnaire", inspireront entre autres Louis Blanc, François-Vincent Raspail, Mikhaïl Bakounine, Auguste Blanqui ou encore Friedrich Engels et Karl Marx qui y reconnaitront "la première apparition d'un parti communiste réellement agissant".
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Édouard Dolléans, Préface de Lucien Febvre. Édouard Dolléans s'est imposé comme le père fondateur de l'histoire du monde ouvrier avec cette monumentale fresque en trois tomes retraçant l'histoire du mouvement ouvrier de 1830 à 1953. 1200 pages documentées de première main y relatent plus d'un siècle de vie quotidienne d'une classe ouvière luttant pour son émancipation dans tous les pays d'Europe, de Russie et des Etats-Unis, à travers la misère économique, l'exploitation patronale, l'organisation des syndicats, la dureté des grèves, la violence des révoltes, la traversée des guerres mondiales, les grands espoirs de Commune puis de la Révolution russe, la naissance du fascisme, le New-Deal américain, le communisme et les Internationales, etc. Toutes les grandes figures révolutionnaires de l'Histoire politique, sociale et économique de l'époque sont là par leur action de défense des masses ouvrières, de Karl Marx à Léon Trotsky, de Lénine à Proudhon, de Flora Tristan à Fernand Pelloutier, d'Eugène Varlin à Emile Pouget ou Paul Lafargue, mais aussi tous ceux qu'Édouard Dolléans appelle "les obscurs", c'est-à-dire les générations de simples militants inconnus qui luttèrent pour une vie meilleure dans le tourbillon des évènements malgré parfois les désaccords, les rivalités et les doutes, souvent les répressions sanglantes. Pour l'auteur, "les militants ouvriers ont une importance non pas anectodique, mais historique: ils incarnent les sentiments, les révoltes et les espoirs de tant d'obscurs travailleurs qui forment les classes laborieuses. Les militants ouvriers ont été à la fois des interprètes et des créateurs, car tout homme d'action n'est jamais ni complètement libre, ni complètement esclave. Il vit dans son temps et de son temps, mais si son humanité est profonde, il découvre en elle la vision des lendemains possibles entre lesquels il choisit." Au sommaire: L'amitié qui doit nous unir - L'expérience chartiste - Le mouvement ouvrier en face des idéologies - Le feu qui couve (1848-1862) - La première Internationale (1863-1870) - La Commune - Retours et anticipations (1871-1905) - Les temps héroïques du syndicalisme - L'élan rompu par la guerre (1909-1916) - Guerre ou paix (1917-1918) - Démons de guerre et d'après-guerre (1919-1933). - La fin d'un monde - Un monde détraqué, ballotté et plongeant - Les libertés en péril - Les hésitations de l'histoire - Entre le cinéma et la solitude - Choisir son destin. Cette édition numérique inclut les trois tomes en un seul volume.
Texte intégral révisé suivie d'une biographie de Flora Tristan. "Pour émanciper les serfs il faut les instruire, c'est pourquoi j'ai fait ce livre qui sera mon testament. Je l'adresse spécialement aux femmes afin de les délivrer de la superstition qui abrutit leur âme et rétrécit leur coeur [...]. Leurs droits sont les mêmes que ceux des hommes! elles ont de plus la divine prérogative de la maternité! Qu'elles soient donc mères, car les hommes sont des enfants! Assez elles ont régné par la ruse, assez elles ont triomphé par la corruption; l'heure est venue de la chasteté et de la justice! Oui, de la chasteté! [...] Oui, l'heure de la justice est venue [...]. La femme n'est pas une propriété, et le droit infâme de propriété sur les êtres libres s'appelle l'esclavage. La femme n'est pas née pour être esclave. Femmes, mes soeurs, vous avez souvent repoussé mes paroles parce qu'on vous disait que je voulais vous perdre. Non, vous dis-je; je veux vous sauver, mais il faut vous instruire, il faut vous dégager des scrupules d'une fausse religion, il faut vous armer de courage. Quand vous saurez vouloir, tout sera fait, car les hommes ont besoin de vous, comme l'enfant a besoin de sa mère!" - Flora Tristan
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Hermann von Keyserling et d'une biographie d'Arthur Schopenhauer. "Le plus grand 'artiste' que je sache a été Schopenhauer. Il est l'essayiste, le feuilletoniste, le dilettante à la plume aisée, - il est cela, divinisé. Sa doctrine constitue le produit le plus considérable d'une tentative avortée d'approfondissement intérieur. Aussi recèle-t-elle un grave péril pour qui n'est pas mis en garde contre elle. Schopenhauer ne peut manquer d'exercer une influence, car il fut un grand esprit. Et il ne peut avoir qu'une influence déformatrice, parce que l'oeuvre de sa vie est une oeuvre manquée." - Hermann von Keyserling
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Stefan Zweig. "J'éprouvai le désir d'en savoir davantage sur ces hommes, sur ces premiers voyages dans les mers inexplorées dont le récit avait déjà excité mon intérêt lorsque j'étais enfant. Je me rendis dans la bibliothèque du bord et pris au hasard quelques ouvrages traitant de ce sujet. Entre tous les exploits de ces hardis conquistadores celui qui fit la plus forte impression sur moi fut le voyage de Ferdinand Magellan, qui partit de Séville avec cinq pauvres cotres pour faire le tour de la terre - la plus magnifique odyssée, peut-être, de l'histoire de l'humanité que ce voyage de deux cent soixante-cinq hommes décidés dont dix-huit seulement revinrent sur un des bâtiments en ruines, mais avec la flamme de la victoire flottant au sommet du grand mât. Ces livres cependant ne m'apprenaient pas grand-chose sur Magellan, en tout cas pas suffisamment pour moi. Aussi, à mon retour en Europe, je poursuivis mes recherches, étonné du peu de renseignements donnés jusqu'ici sur son exploit extraordinaire et surtout de constater à quel point ce qui avait été dit était peu sûr. Et comme cela m'est déjà arrivé plusieurs fois je compris que le meilleur moyen de m'expliquer à moi-même quelque chose qui me paraissait inexplicable était de le décrire et de l'expliquer à d'autres. C'est ainsi que ce livre a pris naissance, je puis le dire sincèrement, à ma propre surprise. Car en faisant le récit de cette odyssée de la façon la plus fidèle possible d'après les documents qu'il m'a été donné de rassembler, j'ai eu constamment le sentiment de raconter une histoire que j'aurais inventée, d'exprimer l'un des plus grands rêves de l'humanité. Car il n'y a rien de supérieur à une vérité qui semble invraisemblable. Dans les grands faits de l'histoire, il y a toujours, parce qu'ils s'élèvent tellement au-dessus de la commune mesure, quelque chose d'incompréhensible; mais ce n'est que grâce aux exploits incroyables qu'elle accomplit que l'humanité retrouve sa foi en soi." - Stefan Zweig
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Voltaire. Essai philosophique publié en 1763 puis complété en 1765, le "Traité sur la tolérance" prend appui sur la condamnation à mort en 1762 du protestant Jean Calas. Injustement accusé d'avoir tué son fils qui voulait se convertir au catholicisme, celui-ci fut jugé et condamné sans preuves par treize juges de Toulouse. Dénonçant le caractère religieux fanatique qui anima ce procès, Voltaire expose d'abord la situation de Jean Calas ainsi que les principes sur lesquels se fonde la Réforme protestante. Puis, élevant son texte polémique autour des thèmes philosophiques de la tolérance et de la liberté, il démontre que l'intolérance, n'étant ni de droit divin ni de droit naturel, ne saurait non plus être de droit humain. Elle relève selon lui du fanatisme, de la superstition et de l'obscurantisme, mais en aucun cas de la raison. La tolérance, fille de la raison, est pour lui une exigence suprême de la civilisation et de la société. Elle est un facteur de paix sociale et de respect réciproque et aucun pouvoir quelqu'il soit ne peut s'arroger le droit de brimer ou de persécuter des hommes pour leurs croyances religieuses. Dans son incomparable éloquence et son élégance de style, le "Traité sur la tolérance" de Voltaire reste l'un des chefs-d'oeuvre du grand mouvement d'émancipation qui, du siècle des Lumières à nos jours, tente de sortir l'humanité de l'obscurantisme et du fanatisme pour la conduire vers la liberté de conscience, de religion et de culte.
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Friedrich Nietzsche. Conçu à Bayreuth en 1876, achevé en 1878, "Humain, trop humain", sous-titré "Un livre pour esprits libres", fut en majeure partie dicté à Peter Gast. La première édition était dédiée à la mémoire de Voltaire. L'ouvrage se présente en trois parties publiées à différentes dates: "Humain, trop humain", "Opinions et Sentences mêlées" et "Le Voyageur et son ombre". Les deux premières parties sont respectivement composées de 638 et 408 aphorismes, la troisième d'un dialogue entrecoupé de 350 aphorismes. Tirant leurs titres de sujets divers, les aphorismes des deux premières sections sont ordonnés en neuf parties devant faire suite aux quatre "Considérations inactuelles" déjà publiées entre 1873 et 1876. Dans la première partie, "Des choses premières et dernières", Nietzsche fait observer que le monde métaphysique constitue, par définition, la plus indifférente des connaissances. À la métaphysique il oppose donc sa propre philosophie, tendant à retrouver, dans tout ce que la pensée a considéré jusque-là d'origine transcendante, une sublimation d'humbles éléments humains. Selon lui, l'origine de l'idée métaphysique est le langage, qui, doublant en quelque sorte la réalité, place un nouveau monde à côté du monde réel. Dans la deuxième partie, "Pour servir à l'histoire des sentiments moraux", il aborde le problème éthique. Nietzsche tient pour essentielle, à l'égard de la morale, la proposition selon laquelle nul n'est responsable de ses actes, à telle enseigne que juger équivaut à être injuste. La troisième partie, "La Vie religieuse" contient en germe les thèmes, développés par la suite dans "L'Antéchrist", de la lutte contre le christianisme, tenu pour une "haute ordure". La quatrième partie, "De l'âme des artistes et des écrivains", entend surtout définir les caractères essentiels de l'art, qui doit, dans ses productions, présenter les caractères d'une immédiate et soudaine révélation. Dans la sixième partie, "L'Homme dans la société", les aphorismes soulignent crûment la vanité et l'égoïsme qui constituent le fond de toute amitié, des luttes, des polémiques et en général de tous les rapports humains. Avec la septième partie, "La Femme et l'Enfant", le philosophe se livre à de pertinentes remarques et observations sur le mariage, l'esprit féminin et l'enfance. "L'homme avec lui-même" constitue le sujet de la neuvième et dernière partie.
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Paul Nizan. "Les Matérialistes de l'Antiquité" est un essai sur le matérialisme grec du IIIe au Ier siècle avant notre ère. Il rassemble un large choix de textes de Démocrite, Épicure et Lucrèce traduits, présentés et annotés par l'auteur. Romancier auteur d'"Aden Arabie" et des "Chiens de garde", Paul Nizan était aussi Agrégé et enseignant de philosophie, ami entre autres de Jean-Paul Sartre. Plus que jamais d'actualité aujourd'hui, Paul Nizan écrit: "Il y a des époques où toutes les possessions humaines, les valeurs qui définissent une civilisation s'effondrent. L'accumulation des richesses économiques à un pôle de la société n'empêche pas l'appauvrissement général. Point de temps plus tragique que le temps d'Épicure. [...] Le malheur s'établit parmi les Grecs, le désordre et l'angoisse augmentent tous les jours. [...] Aux valeurs d'une grande civilisation collective se substituent des valeurs de combat, aux valeurs civiques, des valeurs d'argent. Un capitalisme du crédit se développe et les nouveaux riches étalent leurs nouvelles fortunes, au moment même où les classes moyennes [...] qui avaient été le fondement de la démocratie du Ve siècle, disparaissent. Les valeurs politiques sur lesquelles la Grèce avait vécu au temps de sa grandeur s'évanouissent."
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Friedrich Nietzsche. Sous-titré "Réflexions sur les préjugés moraux", "Aurore" compte 575 aphorismes répartis en cinq livres sur "la morale considérée comme préjugé". Bien que ce livre marque le début de sa campagne contre la "moraline" - commencée avec "Humain, trop humain" et poursuivie avec "Par-delà bien et mal" et "Généalogie de la morale" - on n'y rencontre aucune attaque, aucune négation, aucune malignité. "Aurore" est au contraire plein du pressentiment d'une "transmutation de toutes les valeurs" qui enseignera aux hommes à dire "Oui à la vie" en se débarassant du mensonge du moralisme. Bien que méfiant envers les imposteurs moraux, Nietzsche n'entend cependant pas nier la moralité et ne nie pas que des hommes agissent pour des "raisons morales", mais il nie que l'hypothèse sur laquelle ils se fondent ait un fondement réel. Pareillement, il nie l'immoralité. L'idée de "l'innocence du devenir" s'impose au philosophe. Prônant la libération de la pensée, il exprime ici ce que peut avoir d'ennuyeux la culture si on la conçoit sans enthousiasme et en dehors de la vie. Nietzsche avertit d'ailleurs lui-même que son ouvrage n'est pas fait pour être lu du commencement à la fin. Il faut au contraire l'ouvrir souvent "puis regarder ailleurs et ne rien trouver d'habituel autour de soi".
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Stefan Zweig. "Écrire l'histoire de Marie-Antoinette, c'est reprendre un procès plus que séculaire, où accusateurs et défenseurs se contredisent avec violence. Le ton passionné de la discussion vient des accusateurs. Pour atteindre la royauté, la Révolution devait attaquer la reine, et dans la reine la femme. Or, la vérité et la politique habitent rarement sous le même toit, et là où l'on veut dessiner une figure avec l'intention de plaire à la multitude, il y a peu de justice à attendre des serviteurs complaisants de l'opinion publique. On n'épargna à Marie-Antoinette aucune calomnie, on usa de tous les moyens pour la conduire à la guillotine; journaux, brochures, livres attribuèrent sans hésitation à la «louve autrichienne» tous les vices, toutes les dépravations morales, toutes les perversités; dans l'asile même de la justice, au tribunal, le procureur général compara pathétiquement la «veuve Capet» aux débauchées les plus célèbres de l'Histoire, à Messaline, Agrippine et Frédégonde." - Stefan Zweig.
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Romain Rolland, prix Nobel de littérature 1915. Biographie critique de Léon Tolstoï, enrichie de lettres, documents et études consacrés aux relations de l'écrivain russe avec les penseurs orientaux, notamment avec Gandhi. "La grande âme de Russie, dont la flamme s'allumait, il y a cent ans, sur la terre, a été, pour ceux de ma génération, la lumière la plus pure qui ait éclairé leur jeunesse. Dans le crépuscule aux lourdes ombres du XIXe siècle finissant, elle fut l'étoile consolatrice, dont le regard attirait, apaisait nos âmes d'adolescents. Parmi tous ceux pour qui Tolstoï fut bien plus qu'un artiste aimé, un ami, le meilleur, et, pour beaucoup, le seul ami véritable dans tout l'art européen, j'ai voulu apporter à cette mémoire sacrée mon tribut de reconnaissance et d'amour." - Romain Rolland.
Texte intégral révisé suivi d'une biographie d'Arthur Schopenhauer. "Le Monde comme volonté et comme représentation", oeuvre majeure de la philosophie occidentale, est une tentative d'explication complète du monde doublée d'une critique radicale de celui-ci. L'ouvrage est divisé en quatre livres traitant d'épistémologie, de métaphysique, d'esthétique et d'éthique. Le premier livre traite du monde comme représentation (phénomène). Le second énumère les degrés et les formes de manifestation de la volonté dans la nature. Le troisième est consacré à la théorie de l'art. Le quatrième expose les problèmes de la morale et de la philosophie de la religion. À ces quatre livres, le philosophe allemand a rajouté une suite de "Compléments" dans lesquels il précise sa pensée. Schopenhauer analyse la doctrine kantienne de la chose en soi ainsi que la théorie platonicienne des idées. Il affirme que le monde sensible n'est que pure volonté, cette volonté étant la somme des forces conscientes et inconscientes qui se manifestent dans l'univers. Il affirme également que ce monde sensible ne nous est donné que comme réalité fictive, ou représentation. Le monde de la volonté, qui fonde celui de la représentation, est dégagé des caractères de ce dernier: alors que la représentation est déterminée par l'espace, le temps et la causalité, la volonté est en revanche unique. Alors que la représentation est réglée par le principe de raison, la volonté est irrationnelle. Une première voie de libération de cette volonté irrationnelle est l'art. S'opposant aux grands maîtres de l'idéalisme classique et de l'historicisme, le philosophe soutient que le pessimisme est la véritable conception du monde, telle qu'elle a été révélée aux grands génies artistiques et aux fondateurs des grandes religions. Il se refuse à admettre que l'humanité progresse au cours de l'histoire, celle-ci n'étant qu'une succession d'apparences trompeuses. Schopenhauer, inspiré ici entre autres par la philosophie orientale et son approche cosmique de l'existence individuelle (influence des Upanishad et de la Bhagavad-Gita), pose avec force le problème de la personnalité individuelle et de la nature propre de l'individu spirituel. Son "Monde comme volonté et comme représentation" a donné naissance à un nouveau courant de pensée qui a amené la philosophie contemporaine à une plus grande compréhension de la complexité de la vie de l'individu. Les traits distinctifs de sa réflexion, comme la méfiance en la raison et le pessimisme, ont eu une très forte influence sur la culture des XIXe et XXe siècle, aussi bien en littérature (Tolstoï, Maupassant, Kafka, Mann,...), qu'en philosophie (Nietzsche, Bergson, Wittgenstein, Freud,...).
Texte intégral révisé suivi d'une biographie d'Aristote. L'"Éthique à Nicomaque", composé de dix livres, est l'un des principaux ouvrages exposant la philosophie morale d'Aristote, laquelle demeure en substance la plus significative expression de la morale grecque. Nicomaque, fils d'Aristote, lui donne son nom en tant que premier éditeur des manuscrits. Critiquant la conception platonicienne des Idées, qui préconise le "bien en soi", Aristote traite ici de ce qui doit selon lui guider l'homme dans toutes ses actions, à savoir le bonheur, sens ultime de la vie humaine. Le bonheur, dit-il, est l'exercice de cette activité propre à l'homme qu'est l'usage du "logos" (la raison, l'intelligence), mais sans toutefois exclure la jouissance des plaisirs sensibles. Sur cette base, il développe une théorie des vertus humaines qu'il divise en vertus dianoétiques, relevant de la partie intellectuelle de l'âme, et vertus éthiques, relevant plus du caractère et des sentiments. La vertu aristotélicienne, caractérisée par un juste milieu entre les passions et facultés opposées de l'âme, concilie ainsi tout à la fois des exigences spiritualistes et eudémonistes. Le philosophe considère aussi la vertu comme un fait composé de deux éléments: l'un volontaire, déterminant le but, l'autre intellectuel, donnant les moyens pour atteindre ce but. Le livre 3 est consacré à définir ce qu'il y a de volontaire et d'involontaire dans l'action de l'homme, rejetant la thèse selon laquelle "personne n'est volontairement mauvais" et concluant que la vertu comme le vice résident en notre seul pouvoir. Dans les livres 4, 5 et 6, il décrit des vertus éthiques particulières comme la douceur, la franchise, l'urbanité, la pudeur, le courage, etc., examinant particulièrement la justice et l'équité, puis étudie les vertus dianoéthiques, au nombre de cinq: la science, l'art, la prudence, l'intellect et la sagesse. Le livre 7 traite de l'intempérance et du plaisir, les livres 8 et 9 de l'amitié et de l'amour, désignés sous le même nom. Le livre 10 reprend enfin le problème du rapport entre le plaisir et la vertu, et conclut que le plaisir procède d'une perfection de l'acte, survenant "comme la beauté pour qui est dans la fleur de l'âge". Le bonheur suprême réside dans la pure contemplation de la vérité éternelle. L'"Éthique à Nicomaque" est une continuelle oscillation entre l'eudémonisme humaniste et l'intellectualisme éthique.