Devant les yeux, derrière les yeux, une station de métro aérien s'éclaire, se déploie, s'éteint. Close et ouverte, la station retient et laisse perdre Paris, New York, Louqsor, jadis, maintenant, le temps, l'espace. L'auteur de la fiction ne décrit rien, ne fabule rien : il met au jour, il révèle les signes qui se sont joués en ce lieu de rails, de fer, de verre, d'affiches. Il est passeur en écriture, passeur d'écritures. Il imite le rêve, qui façonne des masques mouvants dans la matière d'une nuit fixe, et toujours inconnue. Et comme le rêveur l'écrivain est sans cesse menacé par le réveil : par le retour du réel, qui avait été seulement l'occasion du texte. Lire Métro aérien, c'est l'imaginer. Entre les rails aussi vides que miroitants, le lecteur pourra tout écrire.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Je n'aurais pas écrit ce livre si je n'avais été écrivain, plus précisément romancier. C'est en écrivant que j'ai senti l'assoupissement qui pèse sur la littérature. Je suis de moins en moins convaincu des vertus dormitives de ce qui fut jadis dénoncé comme opium du peuple. Je suis sûr en revanche que quelque chose fait dormir l'écriture. L'opium des lettres c'est la philosophie de l'Un. La littérature dort enroulée dans les apories du vieux débat de Mégare sur l'Un et le multiple. Elle le joue, elle l'illustre et bien sûr elle ne veut rien en savoir : c'est sa langue naturelle. Comme « essai » ce livre tente d'évaluer l'énorme couche de silence de la littérature sur son code implicite dont elle croit qu'il est l'ordre même du monde. Résultat : pratiquement pas de langue pour dire le nombre réel ici et maintenant ou là-bas sous sa figure de « mal » dans les camps... Comme « manifeste » ce livre voudrait contribuer à indiquer ce qui peut s'écrire de nouveau à condition de dépasser l'effroyable soumission à l'Un et au multiple. À travers Joyce, Céline, Sade, Mallarmé, Rabelais, Soljenitsyne, les gnoses, Dante, Tintoret, l'Apocalypse johannique, etc., s'ébauche une généalogie étrangère à l'évolution orthodoxe qui va dans nos têtes de l'Un mythique au sujet filial clivé. Pour qu'il soit possible enfin d'explorer tout le multiple ici, ravagé et ravageur, et cette somme en crise que nous sommes, jamais finie et tourmentée.
« Cette entreprise, certes, est hors du commun : j'entends par là que l'idée d'écrire, de cinq en cinq ans, sur un quart de siècle, une sorte de bande dessinée des morts illustres devrait tout de même valoir à celui qui l'a eue, à défaut de considération, du moins le genre de sympathie qui va à tout pari un peu bizarre, quand l'obstination finit par le rendre méritoire : ainsi du menuisier qui consacre trente ans de sa vie à sculpter le moindre centimètre carré d'une porte de buffet d'église, du collectionneur de marrons d'Inde qui n'aura pas manqué une seule nuance de brun, du plus clair au plus foncé, ou du facteur Cheval en son palais. Cette bizarrerie n'est pas sans charme. Eh bien, je voudrais bien que ces « Morts illustres » soient admis dans cette catégorie de bizarreries inoffensives. Y.G.
Jean Simon Castor court toujours au moins deux lièvres à la fois ; et lorsqu'il revient de la chasse il porte souvent dans sa gibecière un faisan auquel d'abord il n'avait pas songé. Il ne bat pas le fer pendant qu'il est chaud, car il ne tient pas à changer la forme première du fer. Il ne met la charrue ni avant, ni après les boeufs. Il laisse les boeufs paisibles brouter autour des charrues rouillées. L'hiver, il aime se sentir sur des charbons ardents. Quand il lave un corbeau, il n'espère pas le rendre blanc. Il chatouille le ventre des truites sans chercher à les attraper. Jamais il ne ressemble à l'ombre d'un cadran. Jamais il ne se chauffe au feu d'une maison qui brûle.
Dans Paris, en un temps à venir, huit personnages dépendent d'un psychiatre, spécialiste des maladies urbaines. La commande informatique dont il se sert pour les diriger et les soigner a sans doute plus de force que ses liens affectifs ou familiaux.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
« Bruit et Fureur qui dissimulent des nostalgies et des hantises, nostalgie du passé, hantise d'enfance douloureuse et traumatisée. Aussi placerais-je X aux côtés de la « Maison d'Haleine », l'admirable roman de William Goyen, la demeure dont le héros ne peut se détacher, pleine encore des voix de ceux qui l'habitèrent et d'où les morts accourent au moindre appel. Mais, dans les évocations de X, il y a plus de démesure, une sorte d'ivresse du verbe, d'où les jaillissements de poésie avec des relais de cynisme amusé, un peu de malice peut-être pour lutiner un lecteur impatient et des brassées d'images rutilantes et sonores pour celui qui aime (et qui sait encore) lire. » Maurice-Edgar Coindreau.
L'aventure exemplaire d'un homme qui, fuyant les « agités infatigables » (selon la formule de Kierkegaard), veut s'épuiser parfaitement. L'ascèse d'un homme, d'un « étranger », qui, à partir de la révélation éblouissante d'un phénomène physique aberrant, veut affirmer sa différence essentielle, sans pour autant tout à fait y parvenir. Une voix précise, minutieuse même, insistante, et de telle sorte qu'il semble qu'elle ne cessera plus de nous solliciter.
« On admettra aisément, écrit l'auteur, que les brèves aventures d'une actrice de cinéma dans les années trente et celles d'une femme jalousée dans les années soixante n'ont de rapport que la volonté de parallélisme de l'auteur saisi de frénésie ubiquitaire ; ou bien, et serait-ce là le véritable propos, l'expression d'une maladie de la conscience naviguant entre deux pôles de douleur : un personnage parfait mais fictif et une personne de chair fort décevante. » Ces lignes donnent une idée de cette rêverie poétique où les mythes de l'amour fou, de l'impossible quête et de la galerie des glaces retrouvent, dans le prestige de l'écriture, une jeunesse intacte.
Comme George Orwell en son temps qui, à la fois fasciné et craintif, prévoyait ce que serait 1984, François Valorbe nous décrit l'Eps comme on y sera... Mais ce n'est pas une anticipation, c'est un futur probable poussé aux limites de ses conséquences, donc de l'horreur. Voulez-vous vivre en Eps ? nous demande Valorbe, sous-entendu : si peu que ce soit ? La réponse est non évidemment, mais craignez un jour d'y vivre, ne vous aveuglez pas. Sachez qu'Eps est au fond de chacun de nous, et pour en sortir peut-être un seul remède : l'humour... noir.
Après la destruction de toutes villes, au cours d'une fuite infinie à travers plaines, montagnes, déserts, océans, les personnages d'une horde en déroute s'incarnent dans les héros de différentes fuites historiques. Le délire d'une déambulation perpétuelle, d'une apocalypse sans cesse recommencée, est paradoxalement aussi délire de bâtisseur autant que fête - celle, ultime, du feu, des eaux.
J'ai écrit ce récit pour revenir à mes amis, au pays, aux paysages de mon enfance. J'ai rencontré Théo avant de rencontrer Alexandre, mais d'une rencontre à l'autre, c'est le temps-qu'il-y-a dont il s'agit, le temps ou parvenir au but et ne pas parvenir au but sont le temps qu'il fait, depuis longtemps déjà, en France. Je me suis donc rencontré, comme Théo s'est rencontré lui-même : à travers la peinture. Du même coup, nous avons rencontré notre sortie. Mais cette sortie, avant de la trouver dans sa peinture, Alexandre, jeune peintre de la périphérie, jeune peintre du pays de Géricault, l'avait trouvée dans une femme : Mona. Ainsi, la peinture et la femme, une seule et même chose, seront ce qui nous reste. L'espace du malentendu, celui où l'on ne s'entend pas, c'est ce qu'il nous faut traverser, pour passer de ce côté-là, où la foudre tombe sur les événements. J'ai écrit ce récit pour revenir à mes amis, à ce silence hanté par les mots : le sens. Alain Jouffroy, 1987.