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eugène savitzkaya
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« Ici, à Paris, au bord du canal, à deux pas du grand palais indien aux fresques colorées, il pense à vous, le fou qui marche, le fou qui sue, le fou qui boit l'eau fraîche de la fontaine d'Aubervilliers, l'eau filtrée par les sables du sous-sol d'Aubervilliers, l'eau vivante, l'eau habitée, froide et fluctuante. Il pense à vous, le fou, à vous qui chantez l'après-midi lumineux dans vos appartements étroits en regardant une fleur du papier peint qui recouvre les vieux murs humides ou bien une fleur épanouie dans un petit vase de zinc vieilli, de verre dépoli ou de porcelaine fine, ou en épluchant un oignon rouge, cet oignon qui fait pleurer vos yeux, vos yeux de chatte ou de renarde, vos jeunes yeux ou vos vieux yeux de chien battu, en allumant des bougies, les sept bougies du chandelier ou les deux bougies flanquant le portrait fané de votre grand-mère qui vous fait un signe depuis le paysage enneigé d'un lointain passé. Et ce fou vous écrit qu'il faut peut-être changer de terre, de globe, de famille ou de pays. Il vous aime tant tous les trois, tous les dix-sept, tous les milliards, comme féerie indispensable au bon cours des choses, comme fantôme bienveillant. »
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Dans ce livre, tout se passe pour la première fois. Marin découvre le monde et le monde découvre Marin. Marin ou une partie de Marin peut se dissoudre dans l'eau et s'élever dans l'air. Marin est hypnotisé par un chat. Marin oblige la mer à s'aplatir. Marin mange du poisson et Marin mange de la terre. Le riz fait rire Marin. Marin ou une partie de Marin s'enfuit en carrousel. Qui est Marin et de quoi est-il fait ? À ces deux questions, il n'existe qu'une réponse. Mais l'auteur préfère donner sa langue au crapaud-buffle.
« Marin mon coeur est tout entier dédié à Marin, le fils aîné d'Eugène Savitzkaya. Avec la tendresse d'un entomologiste, l'écrivain observe la capture de son éléphanteau dans les rets du monde. Nain parmi les géants, innocent qui ne hait personne et que personne ne hait, Marin reconstitue peu à peu son corps, apprivoise l'espace et le réorganise à sa mesure. » (Antoine de Gaudemar, Libération)
« Il faut entrer dans ce livre avec le coeur frais et l'haleine pure, puis se laisser aller au rythme du doux babillage qui berce comme si Marin racontait lui-même, parce que le narrateur a donné à l'écrivain le sens d'une langue qui se mâche autant qu'elle se lit. On s'y frotte, parfois elle râpe un peu sur la joue, souvent elle caresse le front, toujours elle va son chemin sans rien demander à personne qu'un peu de temps pour écouter encore ce qui va venir ensuite. Marin mon coeur est une bouffée de vie qui donne du souffle au lecteur patient et attentif. » (Pierre Maury, Le Soir)
Marin mon coeur a reçu le prix des auditeurs Point de mire / RTBF 1993. -
Toutes les dents de Louise n'ont pas été comptées, ni ses cheveux et sa courbe de croissance n'a pas été analysée. Une petite fille grandit sur l'écorce de la terre qui projette une partie de son cercle sur le disque lunaire reflétant le soleil dans la grande nuit des astres, des gaz et des poussières.
Dans ce livre à l'écriture déliée, limpide comme de l'eau de source, on apprend à connaître Louise, « princesse aigre-douce " née " de son propre chef » un jour de janvier. Décidée, délicate, en colère, aimant les chats, curant les pieds des chevaux, Louise ne néglige pas pour autant les histoires de souris et de dents de lait, la capture des escargots et la chasse aux poux, le tissu des robes légères, la cuisson des crêpes et le rire de ses voisines. C'est qu'avec Louise, écrit joliment son père, « on est si près d'une hirondelle qu'on peut en humer le frémissement ».
Louise, ou du moins, le personnage qui porte ce nom. Car Savitzkaya prend garde, dans ce portrait tendre et affectueux sous-titré roman, de ne pas nous laisser entrer trop loin dans un univers qui doit rester personnel. Avec pudeur, il évite aussi à Louise l'hommage symbolique et trop pesant d'un père systématiquement observateur. Difficile exercice - que ratent beaucoup de romancier(e)s contemporain(e)s -, savoir tracer cette ligne de démarcation qui sépare la vie privée de la vie publique. Savitzkaya saute magnifiquement l'obstacle, sans tomber dans la préciosité ou l'infantilisme. Et derrière l'évocation de Louise - qui a ou aura, comme tout être, des difficultés à traverser -, il donne l'éloge d'une enfance en devenir, sautillante, sensible au plaisir de l'imprévisible, mais surtout ouverte à tous les possibles. Un manuel de savoir-vivre, en quelque sorte. (Alain Delaunois, Le Soir). -
Il était une fois un pays grand comme un continent que parcouraient deux voyageurs, un couple étrange formé d'une renarde et d'un héron, partis sur les traces d'une femme captive et à la recherche de la fée qui libéra les enfants du joug familial, des matrones et des maquereaux. Or, en ce pays lointain, les poules avaient disparu et les coqs s'étaient faits moines.
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Pourquoi frauder est la question primordiale de ce récit qui ne parle que d'enfants que l'été retarde dans les champs et les taillis. Fous qu'ils étaient, ils chérissaient leur mère et menaient contre leur père un combat acharné, véritable guérilla, ayant choisi, à la manière des partisans, le repli dans les hautes herbes et l'alliance avec les bêtes.
À tous les modes, à tous les temps, voici l'histoire romancée d'un garçon fraudant la vie comme on fraude l'État, la douane, le fisc, l'église ou la couronne. Échappera-t-il pour autant à la mort qui achève tous les organismes vivants et dissout les assemblées ? Mourra-t-il pour autant à la vie qui entraîne tout dans son giron ? -
Le moindre vent nous décoiffe, le plus petit cri nous fait sursauter, l'acidité nous fait grimacer, l'aigre émeut nos sinus, la douceur nous appelle et nous écoeure, le sel relève les saveurs des aliments, le poivre révèle l'amertume de l'orange, la nuit attend le jour et les années s'étirent, le châtaignier doit revivre, le coeur active le sang. Mais, sans la cyprine, point de bonheur en ce monde, ni d'appétit.
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Celebration d'un mariage improbable et illimite
Eugène Savitzkaya
- Minuit
- Romans
- 5 Février 2015
- 9782707331304
Quelque part dans le monde un festin se prépare, des noces sont célébrées : la corporation des bouchers marie ses enfants. Pour honorer les deux tribus qui se lient, sont présentes les autres tribus de la confrérie/sororerie. On parle, on boit, on chante, on jure, on évoque le destin. Autour des convives, le temps, s'exprimant par le vrombissement des mouches, le bourdonnement des abeilles, le bruit des feuilles et les trilles têtus des merlettes, les asperge de questions fondamentales. Fiancée et fiancé sont absents de la fête.
Ce texte est paru en 2002. -
« Par son caractère foisonnant de tentative d'écriture de toute une vie, Fou trop poli peut être, si l'on veut, un roman. Mais, par la brièveté ainsi que par la densité des chapitres, c'est aussi de la poésie sans vers. Du théâtre sans représentation. Une autobiographie fuyante. Un pamphlet merveilleux. Un tombeau sans douleur. Une douleur sans tombeau. C'est aussi un jeu presque oulipien avec le vocabulaire où pourtant se reconnaît à chaque pas la riche personnalité terrestre et terrienne de ce Wallon de Liège et Bruxellois d'Uccle qu'est Eugène Savitzkaya. Eugène, autrement dit le bien né, fête ici, en littérature, "cinquante années de folie", en déchargeant devant nous "trente-sept brouettes de bonne bouse, dix-neuf de terre de taupinière, dix de crottin d'ânesse, quatre de diverses variétés de pommes de terre. [Sans compter] vingt brouettes d'eau limpide de la fontaine du Roy et vingt autres brouettes de terreau extra-fin. Puis des tonneaux d'eau de pluie bruxelloise et des pichets et des pintes de l'eau de la Meuse liégeoise".
Fou trop poli est en effet ce fruit, plutôt toute une grappe de ces fruits, explosant partout dans nos cerveaux leurs graines. La force, l'audace, toujours terriblement concrète, des images, la liberté, voire le culot des enchaînements, cette aptitude caractéristique de l'auteur à passer d'une émotion à l'autre, à se libérer des carcans intellectuels et des abstractions pour s'enfoncer dans les choses sensibles, tout cela est porté dans son dernier livre à son degré de perfection. » (Georges Guillain, La Quinzaine littéraire)
Ce texte est paru en 2005. -
Ceci est un roman. C'est-à-dire un livre qui ne raconte pas qu'une seule histoire, mais qui rassemble plusieurs récits, qui les allie en d'inextricables et significatives proximités, qui fait feu de tout bois, comme dans un jeu entre enfants, gouverné par le seul souci de perpétuer l'aventure. Histoires gigognes, pleurs, cris et danses qui pourraient finalement, ne constituer que la seule vie bien remplie d'un seul protagoniste, « Frégoli » insensé qui tenterait toutes les expériences, les possibles et les impossibles, les imaginaires et les réelles. En ce sens, La Disparition de maman est bel et bien un roman d'aventures. Il s'adresse, en priorité, aux enfants très expérimentés que nous n'avons jamais été et dont nous n'avons jamais eu la ferveur, aux inventeurs du feu, de la roue et des patins à roulettes. Il remet en cause les habituels personnages de romans, fantoches qui, trop souvent, obéissent à une logique interne et dont tous les actes, d'une certaine manière, sont prévisibles. Le roman d'aujourd'hui doit donc, nécessairement, montrer de nouveaux héros vivants dans leur propre imaginaire et aux comportements imprévisibles qui, de plus, agissent et rêvent en symbiose avec ce qui les entoure, objets, animaux et végétaux. Chaque roman devrait être un tour du monde en cent pages. Ce roman nie le temps, se situe au-delà du temps dans la mesure où l'auteur ne considère pas ses personnages comme des créatures lui appartenant corps et bien ; ils apparaissent, disparaissent et l'on n'est jamais sûr de les reconnaître à bon escient ; ils sont doués d'une existence hasardeuse. Le livre demeure constamment ouvert. L'auteur serait dès lors devant son ouvrage, comme ce promeneur plongeant un bâton dans une fourmilière et observant ce qu'il s'y passe avec une curiosité extrême et une totale candeur. Ce livre n'entend rien démontrer, ne veut rien raconter, à la limite ne veut rien dire, mais tout apprendre, tout entreprendre et tout réussir. Et le roman devient ce qu'il devait être : une vaste chambre d'échos, un livre sans fin.
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Il y a un jardin au milieu d'une ville. Au milieu du jardin est bâtie une maison. Il y a du bruit et des odeurs : la maison est habitée. Les habitants de la maison vaquent à leurs occupations. Les tâches sont nombreuses et très variées. Il faut réparer les vêtements et la maison elle-même qui, comme la plupart des maisons, menace de tomber en ruine. Il faut préparer les repas et manger. Il faut balayer et nettoyer. Sitôt nés, les enfants grandissent. Lorsqu'elle est pleine, on sort la poubelle. Après la nuit vient le jour. Au jour succède la nuit. Après l'automne vient l'hiver. Les vêtements s'usent. Les cheveux vieillissent et redeviennent très fins et très doux. On cuit des légumes verts dans l'eau bouillante. Le sel est à sa place.
Ce texte est paru en 1995. -
Les couleurs de boucherie
Eugene Savitzkaya
- Flammarion
- Poésie/Flammarion
- 2 Octobre 2019
- 9782081504943
C'est un ouvrage quasiment mythique que la collection Poésie/Flammarion accueille aujourd'hui : parues chez Bourgois en 1980, Les couleurs de boucherie étaient en effet épuisées depuis plusieurs décennies. Il s'agit pourtant d'un des livres majeurs d'Eugène Savitzkaya, composé à la fin des années 1970, parallèlement à ses premiers romans. Avec L'Empire (également repris dans ce volume) on peut même considérer qu'il s'agit de la matrice de toute son oeuvre à venir : une plongée sans précédent, par une écriture à proprement dire envoûtée, dans un univers qui a la pureté, la cruauté, la fulgurance de l'imaginaire enfantin.
Un livre qui n'a rien perdu de sa puissance fondatrice, à redécouvrir d'urgence... -
La Folie originelle est la chronique d'un cataclysme qui devra s'abattre, qui s'abat, qui s'est abattu, selon le mode récurrent, sur une ville, la ville formée d'air, de pierres, d'arbres et de gens, d'êtres humains vivant ensemble. Sans cesse, l'air circule. Les pierres se réchauffent puis tiédissent. Les arbres vieillissent. Les gens lavent les vitres de leurs fenêtres que salissent la pluie et la poussière ; ils sortent à l'extérieur et rentrent à l'intérieur. Et la terre, lestée d'un grain de nickel pur tourne sur elle-même et se propulse selon un cycle.
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Pourquoi ne pas écrire des poèmes tranquillement assis sur une berge effondrée, en pêchant sans espoir, en mangeant des baies d'églantier, en toussant ou sans bruit, entouré de rats presque discrets, de crapauds, face à la gare désaffectée, au pied de l'autoroute, en dormant, ravi, colérique ou plein de frayeur ? Pourquoi ne pas pêcher l'ombre ? Pourquoi ne pas manger les fruits ? Pourquoi ne pas demeurer silencieux ? Et aussi pourquoi écrire des poèmes ?
Ce recueil de poèmes est initialement paru en 1986. -
Personne ne peut dire si c'est la farce qui améliore le cochon ou si c'est le cochon qui donne à la farce sa pleine saveur. Ce qui est sûr c'est que le contenu participe du contenant, et vice versa, pour donner au tout l'agrément nécessaire à sa consommation. Ce cochon-ci est farci avec les éléments de sa propre constitution agrémentés d'épices exotiques et d'herbes de saison.
Ce recueil de poèmes est paru en 1996. -
Les protagonistes de La Traversée de l'Afrique, les peintres, les mécaniciens, les oisifs, sont, pour la plupart, des jeunes gens comme il s'en trouve beaucoup : libres, heureux mais tristes, contraints par une sorte de fatalité. Ils sont inventifs, mais ne veulent pas construire. Ils travaillent, mais en pure perte, comme on joue au meccano. Ils entreprennent, mais accumulant les échecs. Ils aiment leur mère, mais ne la reconnaissent plus parmi les femmes. Ils ont perdus leur virginité. Ils veulent tout, mais leurs vies n'aboutiront qu'à la faillite et ils disparaîtront avec leurs outils et leurs machines.
La Traversée de l'Afrique est paru en 1979. -
Ce roman est la biographie exemplaire d'une célèbre vedette de la chanson de ce siècle. Ce chanteur, au cours du livre, ne sera pourtant jamais nommé explicitement. Mais il s'agit d'une malice-cousue de fil blanc, puisque l'ouvrage est dédié « à la mémoire d'Elvis Presley ». C'est aussi que l'auteur, quelque peu iconoclaste, ne respecte guère les lois du genre. Il transforme certains épisodes réels, il ajoute des détails inexistants et saugrenus, il affabule, il ment. Et pourtant, ce roman, paradoxalement, ne contient que du vécu, c'est-à-dire l'évocation de gestes précis, d'habitudes vraisemblables. L'auteur entraîne le lecteur à la découverte d'un univers à la fois dérisoire et mythique. D'une certaine, manière, ici, rien n'est inventé ; à partir d'innombrables documents, à partir de l'immense rumeur publique, l'auteur sait rendre passionnante cette courte vie pleine de « bruit et de fureur » en proie, pourtant, la solitude la plus totale, et qui se termine trop tôt, par une mort tout à la fois sereine et misérable. La vie de ce chanteur illustre, qui fit courir les foules, fut obèse comme lui-même le devint, c'est-à-dire envahie de luxe et de dilapidation. Mais derrière le strass, les automobiles de luxe et les paillettes, c'est d'un coeur pur qu'il est ici finalement question.
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Mongolie, plaine sale
Eugène Savitzkaya
- Seghers (réédition numérique FeniXX)
- Poésie 76
- 24 Novembre 2017
- 9782232129506
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
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Court roman de l'absence, de l'effacement, du dérisoire apparent, Mentir donne l'occasion à un lointain narrateur à la mémoire incomplète d'évoquer sa propre enfance. Est-ce la sienne du reste ? On ne saurait le dire avec précision. Un seul personnage, la mère, va et vient dans une sorte de perpétuel ennui. Mais cet ennui, curieusement, semble fait d'anciens souvenirs qui désagrègent le quotidien. Le temps s'arrête, dirait-on. La mère, du pré à la chambre, cherche l'un ou l'autre objet, prépare une valise, annonce son prochain départ. Souvent, le narrateur rapporte ces menus événements, à la fois grandioses et inexistants, d'un ton détaché, monocorde. Et l'on serait amené à croire que tout cela lui importe peu, si l'on n'avait pas la certitude qu'il mentait. Dès les premières pages, l'on sent qu'il feint l'indifférence. La profusion même des détails qu'il donne le trahit. Il s'obstine à répéter la même phrase, à la transformer à peine, pour la reprendre telle quelle. Pourquoi s'acharne-t-il à observer le personnage du récit ? C'est qu'il livre le portrait, à la fois flou et minutieux, de sa propre mère qu'il tente de comprendre au-delà de son amour présent, en une sorte de remontée du temps.
Mentir serait la pitoyable biographie d'une femme très ordinaire qui cherche à sortir d'elle-même, qui s'invente une panthère comme compagne, rêve de Smolensk ou de Santander. À moins qu'il ne s'agisse de l'épopée d'une fabuleuse héroïne.
Mentir est paru en 1977. C'est le premier texte d'Eugène Savitzkaya aux Éditions de Minuit et son premier roman.