Spécialiste de l'antisémitisme, Simon Epstein a constitué au fil des ans un socle informatif considérable sur les itinéraires contrastés de deux catégories de Français : ceux qui protestèrent contre le racisme et l'antisémitisme dans les années 1920 et 1930, avant de s'engager dans la Collaboration ; et ceux qui exprimèrent une hostilité ou un préjugé à l'égard des juifs, puis qui se retrouvèrent, l'heure venue, dans la Résistance. Ce livre ne retrace ni l'histoire de l'antiracisme ni celle de l'antisémitisme ; il est l'histoire du passage de l'un à l'autre.
Les principaux chefs de la Collaboration ont traversé, chacun à sa manière, une phase de dénonciation de la haine antijuive ; beaucoup furent même militants de la Ligue internationale contre l'antisémitisme (LICA). Réciproquement, de nombreux résistants, et non des moindres, sont originaires d'une extrême droite nationaliste qui, dans les années 1930, fut fertile en prises de positions hostiles aux juifs. C'est ce phénomène paradoxal que Simon Epstein décrit puis analyse, en s'appliquant aussi à démonter l'occultation dont ces chassés-croisés, déroutants certes mais significatifs, ont fait l'objet dans les mémoires françaises.
On a cru pouvoir, au XIXe siècle, écarter les "utopies" hors du politique alors que la démocratie représentative élaborait ses règles. Au mieux, elles anticipaient sur un progrès social de toute façon irrésistible. A l'encontre de bien des analyses actuelles toujours inscrites dans le sillage des adversaires des utopistes, Michèle Riot-Sarcey, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Paris VIII, veut montrer combien la lecture de ce mouvement comme force concrète de changement est féconde.
Dans les années 1830-1840, la pensée des utopistes n'est pas restée dans l'espace clos des débats d'idées. Par sa réception populaire, comme en témoignent les nombreuses lettres reçues par le journal saint-simonien Le Globe, par sa rencontre avec des événements insurrectionnels, telle la révolte des canuts à Lyon, elle fonde un autre modèle de transformation des sociétés, moins violent, moins préoccupé par la captation du pouvoir que celui inauguré par l'ère des révolutions, mais peut-être plus efficace et vraiment démocratique. Ainsi voit-on des anonymes, sans instance pour les représenter, devenir les inventeurs d'une nouvelle organisation du travail, d'une nouvelle répartition de la propriété et des richesses, d'une reconnaissance des droits de chacun.
Ce réel de l'utopie qui se construit dans l'intervalle du temps présent et des aspirations au changement doit retrouver sa vraie place : celle du politique.
Dans cette vaste fresque, l’anthropologue Joanna Tokarska-Bakir étudie le préjugé antisémite en Pologne d’un point de vue linguistique, ethnologique et historique. Elle déconstruit le système fantasmatique qui en est la racine, commune à toute l’Europe chrétienne.
La première partie de l’ouvrage présente un corpus de cent récits anciens (XIIIe-XVIIIe s.) qui ont nourri les croyances populaires sur plusieurs siècles. Ces légendes du sang parlent toutes de profanations d’hostie, d’attentats contre les images saintes, mais aussi d’assassinats d’enfants chrétiens prétendument commis par les Juifs pour se procurer le sang nécessaire à la fabrication du pain azyme. Ces légendes, propagées par le clergé, ont essaimé d’abord en Occident, puis dans les pays situés à l’est de l’actuelle Allemagne.Appliquant la méthode d’analyse du conte élaborée par Vladimir Propp, l’auteur montre comment ce type de récits a toujours exploité et manipulé une fausse violence juive pour justifier les vrais massacres chrétiens perpétrés contre les Juifs. Diabolisé, le Juif imaginaire a progressivement changé de statut, passant de celui de voisin, à celui d’ennemi absolu, meurtrier « assoiffé de sang chrétien ».La seconde partie repose sur une grande enquête de terrain récente (2005), conduite auprès de quatre cents Polonais. Cet ensemble d’entretiens révèle la persistance du mythe du « meurtre rituel » : la légende fonctionne comme un savoir constitué, familier et naturel, un savoir incrusté dans la langue, la religion, les transmissions familiales et générationnelles. En 2008, on trouvait encore dans la cathédrale de Sandomierz, au-dessus de l'autel, un tableau représentant un meurtre d'enfants chrétiens par des Juifs.
Un musulman peut-il tre europen ? Cette interrogation, qui n'a t formule explicitement qu'avec l'irruption sur la scne politique du dbat sur l'entre de la Turquie dans l'Europe, se posait dj au Moyen ge et l'poque moderne. Pourtant, un prjug tenace voudrait que les musulmans aient t quasiment absents d'Europe jusqu'au XIXe sicle, les flux de circulation ou d'immigration tant tous tributaires de la colonisation. Opposant des arguments scientifiques ces ides reues, les tudes runies ici dmontrent, qu'au contraire, des musulmans ont t intgrs par milliers aux socits d'Europe occidentale, mais que ce fait est pass inaperu. Cette invisibilit nous apprend que, loin d'tre contemporaines, la question de la prsence de l'islam dans l'espace public et celle de la pratique du culte musulman sont anciennes et enfouies.Ce premier volume d'une vaste enqute sur l'histoire de la prsence musulmane en Europe a l'ambition d'expliquer pourquoi cette ralit est reste ignore et quelles difficults on se heurte vouloir dfinir un musulman dans un contexte europen, ce qui, aujourd'hui comme hier, pose des problmes thiques et politiques forts.
D'un point de vue purement historique, le gihâd est une pratique qui n'est pas née de rien avec la Révélation islamique, mais qui devait avoir des antécédents dans les coutumes de l'anté-Islam. Elle a pris forme au cours de la vie du Prophète à travers les modalités de ses différentes actions offensives et défensives. Elle a été élevée au niveau d'une obligation de la Communauté prise dans son ensemble (mais non d'une obligation personnelle pour tout croyant individuel). On a eu recours à elle à différents moments de l'histoire du monde de l'Islam et dans différents pays musulmans. L'examen du gihâd selon ces diverses perspectives est l'objet même de l'historien. Mais l'institution du gihâd fait partie, à un autre point de vue, de l'ensemble des articles de la foi musulmane et, comme telle, elle a été élaborée par les juristes et les théologiens en des doctrines qui ne tiennent compte d'aucune sorte de considération historique et a fortiori d'aucune sorte d'évolution. La tâche de l'historien, comme l'a parfaitement vu Alfred Morabia, est de tenir compte à la fois de ces deux histoires.
Que l'auteur ait réussi à vaincre cette difficulté fondamentale, qui tient à la nature même de l'Islam, et qu'il est si délicat d'aborder et de traiter, en respectant à la fois le donné historique et le credo religieux, c'est ce qui fait la valeur et l'intérêt majeurs de son ouvrage. Mais cette étude a une autre qualité, résultat de la précédente : elle est exhaustive. Le lecteur qui en aura pris connaissance sera renseigné autant sur la signification et la nature religieuses du gihâd que sur l'histoire de son institution et sur son évolution.
Entre l'échec de la Révolution de 1848 et le départ de Bismarck de la Chancellerie (1890), les classes moyennes allemandes réclament une profonde réforme de la culture et de la société, au nom du « réalisme ».
Ce réalisme-là, c'est celui des anciens libéraux de 1848 ralliés à Bismarck au nom de l'efficacité économique et de l'unité allemande, celui des réformateurs des institutions traditionnelles, mais aussi celui des maîtres du roman et de la peinture chez qui la désillusion succède à l'optimisme de 1848.
À partir de 1870, par contrecoup, une vague de pessimisme antimoderne déferle en Allemagne, relayée par une violente poussée d'antisémitisme à la fin de la même décennie : l'avant-garde intellectuelle et artistique, mais aussi les milieux les plus fidèles à l'humanisme classique, interprètent alors la modernisation sociale et culturelle comme la trahison d'un idéal forgé au temps de Goethe et de Humboldt.
C'est dans cet état de profond désenchantement que l'Allemagne abordera le XXe siècle. En voici, magistralement brossé, le tableau généalogique.
Théâtre, café-concert, music-hall hier, cinéma, télévision, internet aujourd'hui : le spectacle est le propre des sociétés ouvertes à l'âge démocratique. C'est à travers lui que nous mettons en scène nos passions, nos plaisirs, nos humeurs, nos soifs d'ailleurs et d'autrement. Tout commence avec le théâtre, dont Paris est la capitale entre 1860 et 1914, à l'époque où la scène est le principal divertissement des milieux urbains, au moment aussi où, dans toute l'Europe, se mettent en place les structures de la libre entreprise culturelle.
Paris, Berlin, Londres et Vienne : l'approche comparative du monde des auteurs, des directeurs de théâtre, des actrices, des acteurs, des publics fait ici merveille. Car si la logique à l'oeuvre est partout la même, chaque représentation, dans chacune des quatre capitales, met en mouvement une culture et une société propres - société fictive sur scène, société réelle dans la salle et après le spectacle.
Pourquoi le succès, pourquoi le scandale, pourquoi l'indifférence, pourquoi l'oubli ? Telles sont quelques-unes des questions vives qu'éclaire cette étude magistrale, aussi instructive pour comprendre le monde d'hier que celui d'aujourd'hui.
Selon Andy Warhol, l'individu moderne est en droit de réclamer son quart d'heure de célébrité. Formulait-il une des lois fondamentales à toute humanité ? Certainement, si l'on en croit le thème de la royauté temporaire. Cultures anciennes, contes, oeuvres théâtrales, reprennent, sur des registres différents, le motif du roi d'un jour, cet homme de modeste condition transporté endormi au palais pour y exercer durant une journée le pouvoir et rendu ensuite à sa condition d'origine. Le pauvre hère croit à un rêve qu'il s'en va raconter. Dans des contextes différents, les uns dramatiques - les rites annuels de sacrifices d'un substitut royal dans certaines sociétés -, les autres burlesques - l'inversion carnavalesque, le roi de la fève, etc. -, c'est toujours au même miroir que l'homme se reflète : être autre, rêver, ne serait-ce qu'un moment, que l'on est beau, riche et puissant.
Constatant qu'à partir du XVIe siècle, le théâtre européen met très souvent en scène le thème de la royauté temporaire, Anne-Marie Le Bourg-Oulé, maître de conférences en littérature comparée à l'université de Toulouse-Le Mirail, pour en comprendre les raisons, lui restitue toute sa richesse symbolique et montre qu'il met en jeu l'essence même du théâtre comme représentation du désir humain et du monde.
Le hassidisme est surtout connu grâce aux anthologies de légendes compilées par Martin Buber ou aux ouvrages de Gershom Scholem sur la mystique juive. Dans cette étude magistrale, Jean Baumgarten livre la première synthèse en français sur ce mouvement, qu'il étudie dans sa totalité : de sa dimension théologique à son organisation sociale, des coutumes religieuses aux techniques mystiques. Cette approche originale permet de saisir comment s'est opérée la rupture entre le judaïsme rabbinique et le hassidisme. Dans quel contexte ce mouvement piétiste est-il né et comment s'est-il diffusé en Europe orientale ?
Quels sont les fondements mystiques de la société hassidique et sur quel modèle économique fonctionne-t-elle ? Comment a émergé la figure centrale du tsaddik, le juste, et quels sont les liens spirituels qui l'unissent à ses disciples ? Qu'estce qu'une cour hassidique et comment se sont constituées les dynasties, véritables chaînes de succession ?
Fondé sur l'analyse d'une abondante littérature, ce livre permet de situer le hassidisme dans l'histoire de la mystique juive, d'en recomposer la genèse, mais aussi de cerner la nouveauté doctrinale des premiers maîtres, qui, notamment dans la prière extatique, la danse, le chant, cherchent à provoquer l'union du corps avec le monde divin. L'on comprend aussi comment, par rapport au judaïsme traditionnel et à la sécularisation de la société juive, la « dissidence » hassidique est devenue une des forces vives de l'ultra-orthodoxie.
Le renouvellement des études sur la Grèce ancienne doit beaucoup à l'oeuvre de Claude Mossé qui, depuis près de quarante ans, aux côtés de Jean-Pierre Vernant et de Pierre Vidal-Naquet, a contribué à nous rendre l'Antiquité familière, et l'histoire de la démocratie athénienne plus accessible. Bien qu'elle n'ait jamais cherché à faire école, son influence fut décisive et profonde. Parallèlement aux avancées de l'anthropologie, de la philosophie et des recherches sur les représentations et les catégories de pensée des Grecs, Claude Mossé a nourri toute une réflexion sur l'histoire de la cité, de l'institution politique et de ses interactions avec l'histoire économique et sociale, dont Athènes constitua le terrain d'étude privilégié. Soucieuse de mieux comprendre ce qu'était le politique, ce mode d'être ensemble propre à la cité grecque, elle a su, tout au long de sa carrière, appréhender et rendre compte des différentes formes de pensée du monde ancien. C'est dans cette démarche que se reconnaissent les contributeurs de ce volume, qu'ils aient eux-mêmes été formés par Claude Mossé ou qu'ils s'inscrivent dans le sillage de son oeuvre.
Seuls deux procès du nazisme peuvent prétendre au statut de lieu de mémoire : celui de Nuremberg et celui d'Adolf Eichmann. C'est ce dernier procès qui constitue le génocide des Juifs en événement distinct, le détourant de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, jusqu'à effacer le contexte même dans lequel il se déroula, pour l'inscrire dans la seule histoire des Juifs.Le procès Eichmann fut l'un des tout premiers événements médiatiques mondiaux. Cet ouvrage collectif analyse pour la première fois la façon dont il fut raconté par la presse, la radio, la télévision ainsi que la postérité de ces premiers récits.Une pensée politique forte, un récit raconté de façon puissante par les témoins et une médiatisation bien pensée font de ce procès un événement fondateur. Il y eut bien un « moment Eichmann » qui délimita un avant et un après.
À travers l'étude des Sociétés de géographie en France, de leur idéologie et de l'évolution de leur recrutement, du début du XIXe siècle - leur « grand siècle » - à l'entre-deux-guerres, Dominique Lejeune, professeur au lycée Louis-le-Grand, éclaire à la fois l'histoire d'une élite de l'esprit et de l'argent, celle du phénomène des Sociétés savantes et celle d'une science, la géographie, synonyme d'exploration, différemment comprise selon les époques et les individus.
De l'association de grands notables des années 1820 qui ne songent qu'à l'exploration du globe sans aucune vue utilitaire, aux groupes de pression des années 1860 prônant une géographie commerciale et colonialiste, les Sociétés de géographie, dominées par celle de Paris, la doyenne du monde, participent au mouvement de tout un siècle qui porte l'Europe au-delà de ses frontières. Explorateurs et géographes de cabinet s'affrontent; mais tous, avec les officiers, les négociants, les artistes - Jules Verne et Rimbaud pour ne citer qu'eux -, écrivent un chapitre passionnant de la grande histoire de la curiosité occidentale.
Le corps humain fut longtemps considéré comme un objet d?étude secondaire. Or les textes de la tradition juive comprennent un ensemble impressionnant de références portant sur les réalités somatiques qui, toutes, nous montrent que l?être humain est un monde en miniature.
L?ouvrage foisonnant de Jean Baumgarten, en s?appuyant sur l?analyse de sources juives mises en regard avec des textes issus d?autres traditions religieuses et philosophiques, montre comment les discours juifs sur le corps se sont formés, développés et transformés, depuis la Bible jusqu?au xviiie siècle. Leur étude donne accès aux valeurs, aux codes culturels, et éclaire tout particulièrement les controverses entre les différents courants religieux qui particularisent le judaïsme.
En marge des conceptions sur la prééminence de l?âme, cette synthèse inédite des représentations du corps humain nous permet d?accéder à la compréhension des catégories légales, des principes philosophiques, des normes morales et des idées mystiques propres à la religion et à la culture juives.
Diasporas juives ou grecques, morisques, convers religieux entre islam et christianisme, mercenaires, mamelouks, transfuges et métis de tous bords sont les visages concrets et souvent étonnants de cet espace de « l’entre-deux » qu’est la Méditerranée.Le deuxième tome de l’aventure scientifique des Musulmans dans l’histoire de l’Europe se réfère directement aux débats civiques du présent, et plus particulièrement aux rapports aujourd’hui complexes et tendus de l’Union européenne à l’Islam et à la Méditerranée. D’une rive à l’autre de celle-ci, pourtant, que de mouvements et de circulations… Franchir « l’autre côté » fait-il de vous un transfuge, un hybride, un émissaire privilégié de transferts culturels ? Faut-il voir un traducteur culturel en chaque marchand, chaque voyageur ou migrant, en chaque esclave ou aventurier de l’Europe à l’Islam ou de l’Islam à l’Europe ? Cette interaction s’inscrit-elle, au contraire, dans la dynamique banale des sociétés ?C’est de part et d’autre de la Méditerranée, dans une lecture nécessairement réciproque et par des réponses contrastées, que cet ouvrage discute les relations de continuum dans la conflictualité qui ont depuis longtemps marqué les échanges entre l’Europe et les sociétés islamiques. Ni trait d’union pacifique, ni lieu de « choc des civilisations », l’entre-deux méditerranéen ainsi revisité permet d’éclairer les conditions mêmes de production, de maîtrise, mais aussi de dissolution de la différence culturelle. En cela, il est une clé d’intelligibilité cruciale du monde contemporain.
Ce livre raconte l'aventure singulière des hommes qui, quelques décennies durant, furent rois dans une Jérusalem redevenue chrétienne.
Après Godefroy de Bouillon, le duc qui ne fut pas roi, vinrent Baudouin Ier, Baudouin II et leurs successeurs, avant Baudouin IV, le roi lépreux, et BaudouinV, l'enfant roi.
Les chroniques du temps ont servi de guide à l'enquête. Comment les événements de la prise de Jérusalem et de la création du royaume latin furent-ils relatés ?
Comment les chroniqueurs fabriquèrent-ils une trame historique qui est moins une « vérité » que leur vérité ?
En quoi cette vérité informe-t-elle des tensions et des contradictions, des attentes et des angoisses inhérentes à la croisade?
Une question hante en effet les récits des débuts du royaume de Jérusalem : comment un homme pouvait-il régner dans une ville qui était le patrimoine du Christ?
Quand cette question est résolue ou oubliée, il revient aux chroniqueurs de faire revivre une espérance immense, qui sombre lorsque Jérusalem, conquise par les croisés en 1099, est reprise par Saladin en 1187.
Dans cette magistrale étude, Élisabeth Crouzet-Pavan met en scène la confrontation à la transcendance des hommes du XIIe siècle, acteurs et historiens : une histoire parcourue par le mystère irréductible de l'histoire elle-même.
Corsetée par l'idéologie communiste, la mémoire du sort des Juifs en Pologne - la destruction de trois millions d'entre eux et l'assassinat de ceux qui y avaient été acheminés - fut comme frappée d'amnésie jusqu'aux années 1980. Récemment, ce passé a ressurgi dans le débat public. La découverte du massacre de Jedwabne, bourgade de l'est du pays où, en juillet 1941, la population juive fut assassinée par la population polonaise, a suscité une introspection historiographique, politique et morale comparable au débat sur le régime de Vichy ou à la querelle des historiens allemands.
Ce livre se fait l'écho des interrogations qui ont fait du « témoin polonais » une figure centrale dans la réflexion sur l'extermination des Juifs. Le témoin polonais assiste aux massacres perpétrés par l'armée allemande, informe les Alliés du génocide, prodigue de l'aide aux Juifs en fuite. Parfois il profite de leur situation, pour dépouiller, dénoncer ou assassiner.
Issues de plusieurs rencontres franco-polonaises, les contributions de ce livre, notamment celles des historiens polonais, abordent, à partir d'archives rarement exploitées, des questions difficiles : la délation, le chantage, l'amertume des Justes, les assassinats de Juifs après la guerre et leur destin dans la Pologne populaire.
Maître et disciple. Ces mots gardent-ils encore un sens aujourd'hui, alors que des bouleversements nombreux ont modifié l'économie traditionnelle des connaissances et affecté bien des croyances qui ont longtemps fondé la civilisation occidentale ?
Un libre parcours entre le XVIIe siècle et nos jours révèle, au fil des récits, des rituels et des pratiques, la profondeur de sens que ces mots simples contiennent. Des exemples pris dans des champs disciplinaires multiples restituent la variété des figures magistrales qui ont leurs archétypes dans Socrate et l'image du père. Ils traduisent la diversité et la complexité d'une relation fondée sur le pouvoir et l'affection, dévoilant « un lien d'âme », quand ce n'est pas une filiation. Cette relation de personne à personne apparaît, dans le contraste avec les institutions et les livres, comme le mode par excellence de la transmission du vrai savoir : celui qui passe en écoutant le maître parler et en le voyant travailler ; celui qui ne se paie pas, mais qui se donne. Une relation ambivalente qui peut figer les connaissances en orthodoxie et produire des clones ou, au contraire, liant pour le meilleur la tradition et l'originalité, engendrer de nouveaux maîtres qui continuent la longue chaîne du savoir.
Malgré le renouvellement de l'histoire des femmes, malgré les critiques adressées par des historien(ne)s à cette lecture de l'universalité monotype qui ne se dit pas, l'histoire de la démocratie continue de s'écrire au masculin. Pensée par des hommes et pour des hommes dans l'événement fondateur, la démocratie revisitée par les historiens ne pourrait-elle inclure les femmes dans son histoire, sachant que certaines d'entre elles sont intervenues, au même moment, dans le même événement, pour obtenir les mêmes droits ? Ou tout simplement, comment écrire l'histoire des hommes qui agissent et parlent avec celle des femmes qui se taisent pour la plupart ? Les femmes, exclues du politique, ne sont-elles pas incluses dans cette idée républicaine, dans cette démocratie qui ne peut devenir réalité qu'en englobant les deux sexes d'une humanité impossible à séparer ? Cette histoire peut-elle s'écrire ? Comment rendre compte du devenir d'une démocratie dont les maîtres d'oeuvre sont quelques-uns qui agissent au nom des autres, hommes et femmes ?
Écrire cette histoire-là, c'est le défi qu'a choisi de relever Michèle Riot-Sarcey. Pour ce faire, l'auteur a choisi d'emprunter la démarche biographique : soit, suivre le parcours de trois femmes qui vécurent publiquement les moments forts de la première moitié du XIXe siècle en réclamant l'égalité des droits, dans ce temps important de l'élaboration de la pensée démocratique, toujours étroitement associée à la pratique politique.
Creuset de la mémoire, espace de conservation du patrimoine intellectuel, artistique et littéraire, la bibliothèque est un lieu de dialogue avec le passé, mais aussi de création et d'innovation. Croisement paradoxal entre un projet utopique (rassembler la totalité des savoirs) et des contraintes techniques (sélection, classement, conservation, communication des documents...), elle constitue également, et simultanément, un concept immatériel qui donne sens et profondeur aux pratiques de la lecture, de l'écriture et de l'interprétation.
Lieux mythiques, tels Babel ou Alexandrie, bâtiments ou réseaux, les bibliothèques de tout temps jouent un rôle crucial dans la transmission des savoirs et de la culture. À ce titre, elles président à l'élaboration d'un encyclopédisme dont l'ambition est de contenir le monde. Sans constituer, à proprement parler, une histoire des bibliothèques, ce volume parvient, par touches successives, à tracer une carte des usages de la lecture savante, à dégager des lois de la transmission des héritages intellectuels.
Alors que de profondes mutations technologiques transforment aujourd'hui leur équilibre et leur économie, c'est le destin des bibliothèques, précaires et destructibles, qu'interrogent ici les auteurs réunis autour de Marc Baratin et de Christian Jacob.
« Il est tout à fait exceptionnel de disposer de trois récits d'une même histoire.
Le premier est celui de Maurice Benroubi, déporté à Auschwitz par le convoi 8 le 20 juillet 1942. (...) C'est un récit agité, un long cri d'une force inouïe et d'une sombre beauté, qui se déploie sans souci de la chronologie à travers tous les temps de sa vie. Maurice Benroubi le précise dès la première page : il fut affecté peu après son arrivée à Birkenau au Sonderkommando, celui des chambres à gaz. Ce fut ensuite la mine de Jawischowitz, Buchenwald, Ohrdruf, Bergen Belsen où il est libéré par les Britanniques le 15 avril 1945. Il est rapatrié par avion et arrive à l'hôtel Lutetia le 12 juin. (...)
Le deuxième récit est celui de son épouse. Le Journal de Rose est une longue et émouvante conversation ou correspondance destinée à l'absent. Au-delà de ses aspects intimes, c'est un important témoignage de la vie quotidienne d'une femme juive dans la France occupée qui permet de nourrir notre réflexion sur la survie, la façon dont est perçue la guerre et imaginé le sort des déportés. (...)
Le troisième récit enfin a pour source les documents, français ou allemands, qui reposent dans les archives départementales de la Sarthe, version administrative ignorée des protagonistes qui ont vécu dans leur chair les événements dont ils rendent compte. En quelque sorte, l'envers du décor.
Trois récits, trois regards, trois fils qu'il convient de tisser pour restituer le destin d'une famille juive prise dans la guerre, destin tout à la fois singulier et emblématique du sort des Juifs en France. »
Extraits de la postface d'Annette Wieviorka
à l'époque de la destruction du Second Temple de Jérusalem, en 70 de notre ère, le peuple juif qui vivait en majorité en Palestine et en Mésopotamie travaillait la terre et ne savait ni lire ni écrire. En 1492, date de son expulsion d'Espagne, il est devenu un modèle de communauté citadine et éduquée, particulièrement dynamique dans les domaines de l'artisanat, du commerce, de la banque. Comment expliquer un tel changement ?
Pour Maristella Botticini et Zvi Eckstein, il existe une corrélation entre le niveau d'alphabétisation des populations juives et leur degré de fidélité au judaïsme. Urbains et lettrés, les Juifs perdurent ; ruraux et analphabètes, ils disparaissent. Revisitant quinze siècles d'histoire, les auteurs montrent que ce ne sont pas les contraintes extérieures qui ont poussé les Juifs à se lancer dans les professions liées à l'argent, mais que le processus s'est amorcé auparavant, notamment grâce à l'usage de l'hébreu et aux fortes ramifications de réseaux juifs marchands à une échelle internationale. En effet, l'éducation favorise non seulement l'écriture, mais aussi la maîtrise des questions juridiques, notamment dans l'établissement des contrats.
Ce livre original apporte une contribution remarquable à l'histoire juive, revisitée sous l'angle économique et démographique, et invalide bien des idées reçues.
Découvert par Daniel Roche, historien du XVIIIe siècle et professeur à la Sorbonne, le Journal du compagnon vitrier Ménétra (1738-1812) est un des rares témoignages que nous ayons d'un ouvrier du siècle des Lumières. Le bonhomme, Parisien le Bienvenue selon son nom de compagnonnage, étonne par son franc-parler, sa gouaille, sa joie de vivre, aussi bien que par son sens de l'observation, son souci de tout dire d'un petit peuple auquel il appartient - lien qu'il inscrit très consciemment dans son écriture Ce « Rousseau des ateliers » nous ouvre les portes d'un Paris en pleine expansion, nous raconte une France des campagnes (Bretagne, Guyenne, pays lyonnais, etc.) avec les yeux d'un homme de la grande ville.
Alors que l'on redécouvre aujourd'hui les « écritures ordinaires », que la fécondité des études sur l'autobiographie ne se dément pas, la lecture de ce texte, guidée par les riches analyses de Daniel Roche, outre le plaisir qu'elle procure, révèle un véritable enjeu pour l'histoire culturelle. Au-delà d'une simple description des mentalités, elle fait percevoir comment s'élaborent les normes sociales qui définissent une culture. Selon la formule de Robert Darnton dans sa préface, le texte de Ménétra nous pose la question de « notre compréhension de ce que signifie être homme il y a deux siècles ».
À la traditionnelle relation filiale établie entre judaïsme et christianisme, Israel J. Yuval propose de substituer une relation de fratrie et de concurrence, dont le symbole biblique serait le couple de jumeaux Jacob et Ésaü, fils ennemis de Rébecca, à laquelle l'Éternel avait annoncé : « Il y a deux nations dans ton sein ; deux peuples, issus de tes entrailles, se sépareront. Un peuple sera plus fort que l'autre et l'aîné servira le cadet. » (Genèse 25,23.)
Dans cette perspective, Isarel J. Yuval renouvelle en profondeur la perception des relations entre Juifs et Chrétiens au Moyen Âge. Loin de former deux univers étanches, les « frères ennemis » possédaient une subtile connaissance l'un de l'autre, fondée sur la proximité dialectique, la familiarité avec les catégories théologiques de l'adversaire et sur de constants renversements mutuels d'images, de symboles, de rituels et de pratiques.
« Deux peuples en ton sein » s'attarde particulièrement sur les trois couples conceptuels qui se trouvent au coeur de la controverse entre Juifs et Chrétiens : Jacob et Ésaü, Pessah et Pâques, la sanctification du Nom et l'accusation de crime rituel.
À l'écart de tout parti pris et de toute provocation, cet ouvrage est de nature à bouleverser plus d'une idée reçue sur l'histoire des Juifs comme sur celle des Chrétiens.Professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem, Israel Jacob Yuval est un historien renommé du judaïsme médiéval ainsi que le directeur scientifique du Mandel Institute of Jewish Studies.
Si, depuis la fin du XVe siècle, l'horizon des Européens s'est élargi à l'Ouest, l'Eglise, de son côté, a ouvert les portes de son paradis aux Amérindiens. On peut même dire qu'elle leur en indique sérieusement le chemin. On rencontre, à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle, des manuels de confession à l'usage des Indiens dans les zones d'évangélisation espagnole. Ces livres naissent au moment où s'organise la conquête spirituelle du Nouveau Monde, une fois apaisé le désordre des premiers contacts.
Les interrogatoires pénitentiels livrent des données sur une réalité indigène déformée par la grille d'interprétation que constitue un classement des péchés selon l'ordre du décalogue. Ils distillent le code moral de l'Ancien Monde adapté à des civilisations plus ou moins bien comprises. En interrogeant l'image des Indiens véhiculée par ces textes, intériorisée par la conscience chrétienne jusqu'à nos jours, ce livre nous permet d'évaluer les modalités d'une évangélisation que bien des voix contestent aujourd'hui.
Martine Azoulai est historienne et journaliste. Membre du laboratoire d'ethno-histoire du CNRS, elle partage son temps entre ses recherches et ses collaborations à divers magazines français.