Laura est infirmière.
Tonio est petit dealer.
Laura est amoureuse.
Tonio saisit une belle opportunité.
Laura aimerait tout quitter, mais Marion est en couple.
Tonio en a marre de jouer les seconds rôles.
Et il y a tous les autres, qui s'impatientent, qui s'entraident, qui magouillent, qui cherchent une issue. Thierry n'a plus rien pour payer les couches de la petite. Zacharie est prêt à livrer n'importe quoi à n'importe qui. Idriss se demande quand l'école va rouvrir. Bolleg cogne sur tout ce qui bouge. Le Manouche replonge dans son passé, et son chien ignore pourquoi il porte un nom serbe.
Un an après les événements de Mathilde ne dit rien, les habitants de la place carrée sont frappés par la pandémie et voient leur vie chavirée par le confinement. Entre pression croissante à l'hôpital de Monzelle et règlements de comptes chez les dealers, leurs destins vont s'entremêler dans le tourbillon d'une histoire addictive et impitoyable.
Quand son père, atteint d'un cancer en phase terminale, lui demande de le conduire de Hanovre jusqu'en Suisse, dans une clinique d'aide au suicide, Martha appelle en renfort Betty, son amie depuis vingt ans. Commence alors une odyssée burlesque, qui se prolongera en Italie, où Betty tentera de retrouver la tombe de son beau-père tromboniste et menteur, dans l'espoir de se libérer d'un pan douloureux de son histoire personnelle: le roman de la route devient polar.
De Berlin aux Cyclades, au fil des rebondissements et des rencontres, Betty et Martha cherchent un père, des pères, et se déprennent du regret des occasions manquées. Dans une langue innervée d'un humour acide et d'une gouaille mélancolique, Lucy Fricke mène ses héroïnes, deux femmes de quarante ans soudées par les confidences et l'alcool, vers une vie délestée.
Rivés à leurs écrans, les agents veillent à la bonne marche d'un monde qui tourne sans eux. Dans des box blindés, dans de hautes tours de verre d'un autre siècle, ils travaillent et luttent pour conserver leur poste, buvant du thé, s'achetant des armes. Tous les moyens sont bons. Ruse, stratégie, violence - guerre totale. Parce qu'il y a pire que la mort, pire que la Colonne Rouge. Il y a la rue, où règnent les chats, le chaos, l'inconnu.
Roman dystopique aux accents kafkaïens, dans la lignée du J. G. Ballard de la trilogie de béton et des oeuvres obsessionnelles de Philip K. Dick, Les agents raconte un monde où l'aliénation du travail est devenue la loi généralisée et machinique en vertu de laquelle tous s'affrontent pour survivre - où la solidarité est une arme à double tranchant.
Mathilde est travailleuse sociale. Elle voit toute la journée défiler des personnes en difficulté et fait de son mieux pour les aider. Mais quand elle apprend pourquoi ses voisins Mohammed et Nadia sont menacés d'expulsion, elle comprend que les dispositifs légaux seront inutiles et qu'il va falloir se salir les mains.
Quarante-six ans, ancienne judoka de haut niveau, massive et mutique, Mathilde puise dans son passé ténébreux la volonté d'en découdre, et pourquoi pas de refermer enfin, douze ans plus tard, de douloureuses blessures.
La place carrée, c'est un quartier populaire dans une ville moyenne de province.
Mathilde ne dit rien est le premier volet d'une série qui s'intéressera à ses habitants, à leurs parcours, leurs magouilles, leurs espoirs, leurs fantômes.
Cloîtré dans son appartement, Loïc scrute la place carrée par la lunette de sa carabine .22 Long Rifle.
Quand la France s'est déconfinée, en mai 2020, Loïc a eu peur - du virus, du vaccin, des autres. Un an plus tard, il n'est toujours pas sorti. Épiant la vie du quartier, il rumine sa détresse et maudit ses anciens camarades de théâtre. Heureusement, l'écriture de sa pièce, Les aventures de Clic et Cloque, l'aide à canaliser ses angoisses. Jusqu'à quand ?
Huis clos solitaire halluciné, Jour encore, nuit à nouveau est un thriller psychogique au suspens insidieux, où se dessine une certaine France contemporaine: paranoïaque, délaissée, désinformée, excédée, sans plus aucun repère.
Ce troisième volet des Chroniques de la place carrée, qui évoque à la fois Taxi Driver et une version maniaque de Fenêtre sur cour, poursuit l'entreprise noire de Tristan Saule, à mi-chemin entre The Wire et les Rougon-Macquart.
Donaublau, 1963. Berta, depuis longtemps internée, reçoit la visite de son ex-mari, Wilhelm. Chauffeur et homme à tout faire, « représentant souriant de sa nation », il s'est entre-temps lié à Wilhelmine, amie de Berta.
Pendant leur mariage, Berta, farouche et pensive, a tenté de se résigner à la vie domestique et de sauver ses enfants ainsi qu'elle-même du poids des choses. Avant que le drame ne la prive de parole, elle avait pour habitude de dire : « Un homme te fait une promesse et tu es perdue. » Le premier fut Rudolf, fiancé qui l'a mise enceinte puis est mort sur le front de l'Est sous les yeux de son frère d'armes, Wilhelm.
Ce roman satirique, diamant noir primé à l'humour féroce, est le premier de Marianne Fritz, autrice d'une oeuvre culte en Autriche, admirée par Jelinek et Sebald. À la rigidité petite-bourgeoise de l'après-guerre elle oppose dans ce livre une écriture de rêves, de désirs et de souvenirs, et par là esquisse pour son héroïne une échappatoire à sa condition.
Nous sommes à Montréal au début de l'hiver 2002. Le narrateur n'a pas vingt ans. Il aime Lovecraft, le métal, les comic books et la science-fiction. Étudiant en graphisme, il dessine depuis toujours et veut devenir bédéiste et illustrateur. Mais depuis des mois, il évite ses amis, ment, s'endette, aspiré dans une spirale qui menace d'engouffrer sa vie entière : c'est un joueur. Il joue aux loteries vidéo et tout son argent y passe. Il se retrouve à bout de ressources, isolé, sans appartement.
C'est à ce moment qu'il devient plongeur au restaurant La Trattoria, où il se liera d'amitié avec Bébert, un cuisinier expérimenté, ogre infatigable au bagou de rappeur, encore jeune mais déjà usé par l'alcool et le speed. Pendant un mois et demi, ils enchaîneront ensemble les shifts de soir et les doubles, et Bébert tiendra auprès du plongeur le rôle de mentor malgré lui et de flamboyant Virgile de la nuit.
On découvre ainsi le train survolté d'un restaurant à l'approche des fêtes et sa galerie mouvante de personnages : propriétaire, chef, sous-chefs, cuisiniers, serveurs, barmaids et busboys. Si certains d'entre eux semblent plus grands que nature, tous sont dépeints au plus près des usages du métier, avec une rare justesse. C'est en leur compagnie que le plongeur tente de juguler son obsession pour les machines de vidéopoker, traversant les cercles d'une saison chaotique rythmée par les rushs, les luttes de pouvoir et les décisions néfastes.
OEuvre de nuit qui brille des ors illusoires du jeu, Le plongeur raconte un monde où chacun dépend des autres pour le meilleur et pour le pire. Roman d'apprentissage et roman noir, poème sur l'addiction et chronique saisissante d'une cuisine vue de l'intérieur, Le plongeur est un magnifique coup d'envoi, à l'hyperréalisme documentaire, héritier du Joueur de Dostoïevski, de L'homme au bras d'or de Nelson Algren et du premier récit d'Orwell, celui d'un plongeur dans le Paris des années vingt.
Une boîte de carton, une cassette, un téléphone, une radio. Le décor est dépouillé. Le corps est en convalescence, improductif, à l'écart du monde. Du fond de la pièce s'échappent des murmures, bientôt des phrases. Ce ne sont pas des gens. Ce sont des voix à la radio. Pendant des jours, des mois, des années, ces voix trompent la solitude et la douleur.
Quand j'ai emménagé coin Cuvillier et Sainte-Catherine, dans Hochelaga, je pensais avoir tout gâché, tout perdu. Autour de mon appartement, il y avait les ouvrières et les enfants d'autrefois, il y avait les filles de la rue, leur présence comme une menace, mais aussi un mystère, un espoir. Un jour je descendrais les rejoindre, pour de bon.
La déesse des mouches à feu, c'est Catherine, quatorze ans, l'adolescence allée chez le diable. C'est l'année noire de toutes les premières fois. C'est 1996 à Chicoutimi-Nord, le punk rock, le fantôme de Kurt Cobain et les cheveux de Mia Wallace. Des petites crisses qui trippent sur Christiane F. et des gars beaux comme dans les films en noir et blanc. Le flânage au terminus et les batailles de skateux contre pouilleux en arrière du centre d'achats. L'hiver au campe dans le fin fond du bois, les plombs aux couteaux, le PCP vert et les baises floues au milieu des sacs de couchage. C'est aussi les parents à bout de souffle et les amants qui se font la guerre. Un jeep qui s'écrase dans un chêne centenaire, les eaux du déluge qui emportent la moitié d'une ville et des oiseaux perdus qu'on essaie de tuer en criant.
Il y a quelques années, les laboratoires de Renault-PSA dévoilaient la BlackJag, une voiture révolutionnaire, entièrement organique et vivante, résultat d'années de recherches croisant plusieurs disciplines scientifiques. Aujourd'hui, le professeur Fransen, l'ingénieur généticien à la tête du projet, voit revenir l'un des tout premiers modèles, le prototype, envoyé par la police pour interrogation. Pendant dix ans, c'est ce modèle qui a servi aux démonstrations devant public partout dans le monde, avant d'être mis en vente. Or son propriétaire, Antoine Donnat, vient de disparaître, et la BlackJag est la dernière à l'avoir vu. Sous la supervision de l'huissier Klein, Fransen va interroger la mémoire synthétique de la voiture pour essayer de reconstituer les événements des derniers mois. C'est la BlackJag qui parle, témoin direct du quotidien de la famille Donnat, c'est elle qui au fil des enregistrements raconte son histoire.
C'est l'histoire d'un voyage scolaire dans la forêt. C'est une classe d'enfants entre six et sept ans qui s'y retrouvent seuls. C'est l'âge où l'on n'est pas certain que les monstres n'existent pas, où l'imagination transforme le grincement des arbres en rugissements de bêtes sauvages. C'est une histoire qui a été mille fois racontée, mais qui ne l'a jamais été vraiment, jamais jusqu'au bout. C'est ce qui se passe après la fin des contes, quand les enfants sont perdus et qu'il est admis qu'ils n'en réchapperont pas. Que se passe-t-il dans ces instants-là? Qu'advient-il quand les règles et les lois humaines sont oubliées ou pas encore apprises? Qui aidera son prochain? Qui réglera ses comptes? À quelle distance un enfant de six ans se tient-il de la barbarie?
Dans les forêts du Morvan, il n'est aujourd'hui presque plus possible de se perdre, et pourtant des événements inconcevables se produisent chaque jour. C'est l'histoire d'un événement inconcevable. C'est l'histoire d'une excursion qui vire à l'atrocité, comme si tous gagnaient le même jour à une funeste loterie.
Les bernaches nonnettes pondent leurs oeufs sur des falaises abruptes. Quand ils naissent, les oisillons doivent se jeter dans le vide, avant même de savoir voler, afin de rejoindre leurs parents plusieurs dizaines de mètres plus bas. C'est la violence d'un rite initiatique naturel. Certains se fracassent mortellement contre les rochers, d'autres survivent.
Tous apprennent, dans la douleur, les lois du ciel.
Un garçon se suicide dans un terrain vague d'Hochelaga-Maisonneuve où souvent il passait la journée étendu au soleil et la nuit à faire des feux. Il s'est levé un matin d'août et s'est pendu à un arbre. Des amis lui survivent. Ils portent sa mémoire et continuent à vivre, à lutter, à aimer, confrontant les amours du présent à ceux du souvenir. Ils racontent les erreurs, les amis perdus, les peurs, les quelques victoires et les explosions de révolte.
Il y a les enfances isolées, les hommes violents, la dépression, les années d'humiliation, d'insatisfaction à trop travailler pour trop peu. Il y a les chicanes et les ruptures, entre amis, entre femmes. Mais il y a la vie qui surgit aux endroits les plus inattendus, l'amour encore, la beauté et l'espoir. Et il y a le jeu - le jeu des histoires, le jeu de la musique, et tous ces moments où nous sommes enfin réunis.
Depuis l'enfance dans l'Ontario français jusqu'aux squats punks de Californie, en passant par le Montréal des années 2010 tel que vécu par un groupe d'amis composé de militants, de marginaux, de féministes, d'étudiants et de chômeurs qui rêvent d'écrire, Le jeu de la musique est un appel, une ode à la vie et à l'amitié, adressée à celles et à ceux qui ressentent toute la violence du monde, au point parfois d'avoir envie de mourir.
Patrice Favre a suivi les traces de son père magistrat. Sorti d'école, il est nommé temporairement juge d'instruction en banlieue parisienne - une banlieue lointaine, mi-réelle mi-fantomatique. On observe les débuts de Favre, ses premières audiences au Palais de justice, ses investigations dans le cas criminel dont il a hérité : le meurtre d'un détenu emprisonné pour crime sexuel. Son prédécesseur - Herzog, un magistrat décati, énigmatique, en tout cas plus expérimenté - s'y est épuisé avant de se donner la mort.
Au fil de son enquête, où il progresse pour l'essentiel en reprenant l'instruction qu'a menée Herzog, Favre est renvoyé à ses dilemmes, à ses choix de vie, à sa propre histoire familiale et au récit national trouble, à toute la comédie sociale qu'il faut jouer pour tenir le rang dans son milieu et son métier.
Roman empruntant parfois au documentaire, L'instruction questionne avec inquiétude la société française contemporaine à travers le prisme techno-cratique, judiciaire, carcéral et policier. C'est une manière d'anti-polar où l'enquête consiste surtout dans la recherche existentielle, voire métaphysique, d'une solution au malaise croissant de l'enquêteur.
Au milieu de l'antif de notre vie
je me paumai en forêt fort obscure,
où y avait plus de droite voie qu'on vît.
Ah ! en causer c'est pas la sinécure
de cette forêt sauvage qui mord.
L'idée m'en refait froid au dos : je jure
que n'est pas plus effroyante la mort !
Mais pour le bon qu'aussi j'y rencontrai,
je dirai ça que je me remémore.
Qu'on se rassure, ceci n'est pas vraiment une traduction. Plutôt une variation, une révision. Un hommage et un éclat de rire. Où l'invention langagière, mâtinée d'archaïsmes et d'antépositions loufoques, puise dans l'argot pour composer la « vulgaire parlure », sorte de miroir renversé du « vulgaire illustre » théorisé ailleurs par l'auteur de la Comédie. Une mutation grotesque s'opère ainsi au coeur du texte, qui n'en respecte pas moins la rime tierce et une métrique régulière, et qui au fond, peut-être, ne fait que pousser à son paroxysme le comique de style, sinon de contenu, de l'original.
Avant la guerre, Carel Ender habite à Privine. Il est fonctionnaire de l'administration impériale. C'est toujours mieux que ce qu'en attendait sa famille.
Ses amis se nomment Isabelle Van Duyck, fondatrice d'une résidence utopique; Jean Faber, militant politique de gauche; Nina Fischer, journaliste de renom donnant de son temps au Secours des réfugiés; Ilya Rehberg, jeune dramaturge intéressé par la « question kadienne »...
Puis la grande histoire tombe sur Privine, et efface le souvenir de cette communauté.
Des années plus tard, l'historienne Sabine Oloron rencontrera le nom de Carel Ender dans ses recherches. Peut-être saura-t-elle dire la morale de cette fable.
On lui avait promis l'égalité des sexes et l'épanouissement maternel: aujourd'hui, dans un Paris engourdi par les attentats, entre la garderie et le cabinet de sa psychanalyste, une enfant des années quatre-vingt cherche ce qui a mal tourné - si quelque chose a mal tourné. Sur les rives du lac Huron, une adolescente et ses frères traversent un été brûlant dans une ville sans avenir, à l'ombre d'une centrale nucléaire. Un jeune artiste d'origine kabyle en route vers New York reste coincé à Montréal après ce qui ne devait être qu'une escale, le matin du 11 septembre 2001. Un couple gardant une villa d'architectes sur l'île de Vancouver sombre dans le cauchemar. De motel en motel, un garçon et sa mère suivent un faux prophète sur les routes de la Nouvelle-Écosse. Un vieux cowboy met au jour un secret, une danseuse retrouve le souvenir d'une ancienne amante, et un père prend sa fille en flagrant délit.
Western spaghetti, ce sont huit voix vibrantes qui, avec tendresse et cruauté, racontent la vie secrète des familles, les trahisons et l'attachement que rien ne saurait rompre. Elles racontent la fuite en avant, la rédemption, ce moment où tout bascule, où tout pourrait changer.
Ce livre s'appelle Ouvrir son coeur. Le sujet de ce livre, c'est la honte. Ce livre raconte ma vie, des morceaux de ma vie. Il raconte la solitude d'une enfant, l'école peuplée de camarades qui savaient, eux, comment être des enfants, comment être un groupe, alors que je ne savais pas. Il raconte l'histoire de mon oeil. Il raconte les chirurgies, la peur, et l'amitié fusionnelle et jalouse avec une petite fille lumineuse, que la mort guettait. Il raconte une adolescence atrabilaire et secrète. Il raconte une petite ville industrielle, son usine immense et inhumaine, aux allures de vaisseau générationnel, et l'été de terreur et d'hébétude que j'y ai vécu, avant ma fuite à Montréal, qui n'arrangera rien. En racontant, j'essaie de comprendre comment les souvenirs deviennent des souvenirs, les personnes des personnes, les livres des livres. L'instant présent est inconnaissable et le passé est perdu. Les souvenirs, les livres, les personnes se construisent en se racontant. En se racontant, ils se transforment. Rien n'est jamais fixé. Au bout de cette histoire se trouve la mort. Ce livre s'appelle Ouvrir son coeur. Le sujet de ce livre, c'est la mort. - Alexie Morin
« Une heure plus tard, à la terrasse du Kelmann, pas loin du métro Hôtel de Ville, le coeur était à la révolte, les idées à la rébellion et les diabolos à la fraise. »
Dans un esprit proche du feuilleton, mais d'un feuilleton au comique acide où se dérèglent finement les épisodes et les rouages narratifs, Révolution raconte l'épopée insurrectionnelle bancale d'un groupe d'amis à Paris, jeunes bourgeois en apparence inoffensifs, plus doués pour les cocktails d'alcool et de psychotropes que pour les Molotov. Au lendemain d'une fête épique visant à fomenter la révolution, ils se réveillent à demi nus dans un appartement transformé en champ de bataille, minés par un blackout qui a effacé l'ensemble de la soirée et laissé une marée de déchets, de bouteilles vides de bordeaux Premier Cru, de fringues griffées et d'effets personnels rongés par les sucs gastriques. Nos camarades guérilleros, dans un sale état, n'en iront pas moins de l'avant, non sans avoir raffermi leur détermination par un long bain de soleil stratégique autour de la piscine. On ne perd rien pour attendre, ni à faire la planche, mais n'empêche, ce serait bien de savoir qui leur a laissé ce message du futur sur un bout de nappe.
Gaspésie, 1911. Le village de La Frayère a un nouveau facteur, Victor Bradley, de Paspébiac, rouquin vantard aux yeux vairons. Son arrivée rappelle à un joueur de tours du nom de Monti Bouge la promesse de vengeance qu'il s'était faite enfant, couché en étoile sur la glace, une rondelle coincée dans la gueule. Entre eux se déclare alors une guerre de ruses et de mauvais coups, qui se poursuivra leur vie durant et par-delà la mort. Mais auparavant elle entraîne Monti loin de chez lui, dans un Klondike égaré d'où il revient cousu d'or et transformé. Et avec plus d'ennemis. Il aura plumé des Américains lors d'une partie de poker défiant les lois de la probabilité comme celles de la nature elle-même : une bête chatoyante a jailli des cartes et le précède désormais où qu'il aille, chacune de ses apparitions un signe. Sous son influence Monti s'attelle au développement de son village et laisse libre cours à ses excès - ambition, excentricités, alcool -, dont sa descendance essuiera les contrecoups.
Près d'un siècle plus tard, son petit-fils François, historien obsessionnel et traqué, déjà au bout du rouleau à trente ans, est convaincu que l'alcoolisme héréditaire qui pèse sur les Bouge a pour origine une malédiction. Il entend le prouver et s'en affranchir du même coup. Une nuit il s'arrache à son exil montréalais et retourne, sous une tempête homérique, dans sa Gaspésie natale, restée pour lui fabuleuse. Mais une réalité plus sombre l'attend à La Frayère : une chasse fantastique s'est mise en branle - à croire que s'accomplira l'ultime fantasme de Monti de capturer sa bête.
Comédie truculente, parente des Looney Tunes et du tall tale américain, où affleure une mélancolie crépusculaire, La bête creuse dépeint une Gaspésie hallucinée, creuset de prodiges et d'exploits inouïs. Avec ce premier roman, héritier de l'esprit des grandes oeuvres comiques, de Rabelais à Thomas Pynchon, de Don Quichotte à Buster Keaton, Christophe Bernard nous offre une fresque foisonnante, une chronique familiale hors-norme, nourrie par l'humour et la langue irréductibles de cette Gaspésie qu'on se raconte encore là-bas, dans les bars d'hôtel ou au large de la baie des Chaleurs.
Il est dans ce livre question d'entrer dans une image. Cette image est une vie, un théâtre coupé en deux. Au milieu, il y a une forêt et il y a la nuit. Il y a aussi une rivière et une salle de cinéma. Quelqu'un entre dans la chambre et s'installe devant le miroir pour lire un roman d'amour. Personne d'autre ne vient. Au matin, on ne sait plus très bien comment sortir. On le regrette. On doit dire la vérité. Peut-être est-il temps d'apprendre à vivre. L'idée est belle, et la beauté compte, mais on s'attache facilement à ce qui nous encercle. On cherche une histoire bleue comme le ciel et on écrit un poème interminable. Il faut aller jusqu'au bout. Le rideau est lourd, on n'y arrivera jamais. La douleur est lente. À la fin, un enfant apparaît. C'est mon fils. Il dort dans la clairière.
Vie nouvelle est un livre d'éducation sentimentale. Je l'ai écrit comme on choisit une vie.
Le Quartanier réédite Corps étranger, de Catherine Lalonde, qui a remporté en 2008 le prix Émile-Nelligan. Cette oeuvre confronte désir et sauvagerie, lyrisme et prosaïsme, s'adressant à ce qui excède, à l'autre, à ce qui fait mal, la parole s'incarnant au coeur de la rencontre sexuelle. Impossible de ne pas mesurer, plus de dix ans après la parution du livre aux éditions Québec Amérique, toute la puissance de cette langue, inventive et riche d'une tradition poétique québécoise reprise à son compte et au plus près du corps. La poète se donne par nécessité cette langue propre, c'est-à-dire sale, poétique, vulgaire, sublime, la langue de la mauvaise fille mauvaise héritière, dont le corps, la douleur, la jouissance, la mémoire et tant de noms de femme ont un impérieux besoin - pas moins aujourd'hui qu'hier.
Tu prends mes côtes tu les sépares tu manges
mon coeur à mains nues
de vieilles bouchées de légende
salmonellose mon sacrament et tes menteries d'aorte
je regarde ailleurs et tu arraches mes seins
deux pendentifs made in Taïwan
un pour toi un pour moi
souvenirs en forme d'âme cheap
de fleur de lys Dollarama.
Tu quitteras sans retour la ville dévastée pour t'enfoncer dans la forêt. Tu marcheras vers le nord. Tu fuiras la lumière et tomberas du côté foisonnant du miroir. Tu verras, encore debout, les animaux et les plantes. Eux aussi te verront. Car ce livre est un pont, une cassure, une allégorie qui se replie sur elle-même. Un exil, une résistance. Tu fuiras et, dans ta fuite, tu entremêleras ta destinée à celle d'autres humains. Avec eux, tu lutteras contre le froid, la faim, la promiscuité, les pilleurs. Bientôt vous ne serez plus qu'un noyau minuscule dans l'immensité des plateaux de gneiss mangés par les aulnes et le myrique baumier. Avec eux, tu devras tout reconstruire. Dans les glaces brisées du territoire, tu croiseras peut-être un reflet autre. Affûte tes lames et pars. Le monde est une gorge à trancher.
À l'école, quand on nous demandait ce que nos parents faisaient dans la vie, je n'avais rien à répondre, car mes parents ne faisaient rien. Ce n'était pas leur faute. Je ne comprenais pas pourquoi ils avaient fait un enfant. Ils m'ont eue, mais nous avons failli être deux. Souvent je me dis qu'ensemble il aurait été plus facile de vivre avec eux, d'obéir à ceux qui ne désiraient rien créer. À la place, je suis deux. Je ne peux ni te libérer, ni t'avaler pour de bon. J'ai dû apprendre. J'ai grandi avec toi, je suis partie avec toi, vers une lumière que moi seule arrive à voir. Ce n'est pas juste, mais c'était la seule solution.