Rivés à leurs écrans, les agents veillent à la bonne marche d'un monde qui tourne sans eux. Dans des box blindés, dans de hautes tours de verre d'un autre siècle, ils travaillent et luttent pour conserver leur poste, buvant du thé, s'achetant des armes. Tous les moyens sont bons. Ruse, stratégie, violence - guerre totale. Parce qu'il y a pire que la mort, pire que la Colonne Rouge. Il y a la rue, où règnent les chats, le chaos, l'inconnu.
Roman dystopique aux accents kafkaïens, dans la lignée du J. G. Ballard de la trilogie de béton et des oeuvres obsessionnelles de Philip K. Dick, Les agents raconte un monde où l'aliénation du travail est devenue la loi généralisée et machinique en vertu de laquelle tous s'affrontent pour survivre - où la solidarité est une arme à double tranchant.
Donaublau, 1963. Berta, depuis longtemps internée, reçoit la visite de son ex-mari, Wilhelm. Chauffeur et homme à tout faire, « représentant souriant de sa nation », il s'est entre-temps lié à Wilhelmine, amie de Berta.
Pendant leur mariage, Berta, farouche et pensive, a tenté de se résigner à la vie domestique et de sauver ses enfants ainsi qu'elle-même du poids des choses. Avant que le drame ne la prive de parole, elle avait pour habitude de dire : « Un homme te fait une promesse et tu es perdue. » Le premier fut Rudolf, fiancé qui l'a mise enceinte puis est mort sur le front de l'Est sous les yeux de son frère d'armes, Wilhelm.
Ce roman satirique, diamant noir primé à l'humour féroce, est le premier de Marianne Fritz, autrice d'une oeuvre culte en Autriche, admirée par Jelinek et Sebald. À la rigidité petite-bourgeoise de l'après-guerre elle oppose dans ce livre une écriture de rêves, de désirs et de souvenirs, et par là esquisse pour son héroïne une échappatoire à sa condition.
Une boîte de carton, une cassette, un téléphone, une radio. Le décor est dépouillé. Le corps est en convalescence, improductif, à l'écart du monde. Du fond de la pièce s'échappent des murmures, bientôt des phrases. Ce ne sont pas des gens. Ce sont des voix à la radio. Pendant des jours, des mois, des années, ces voix trompent la solitude et la douleur.
Quand j'ai emménagé coin Cuvillier et Sainte-Catherine, dans Hochelaga, je pensais avoir tout gâché, tout perdu. Autour de mon appartement, il y avait les ouvrières et les enfants d'autrefois, il y avait les filles de la rue, leur présence comme une menace, mais aussi un mystère, un espoir. Un jour je descendrais les rejoindre, pour de bon.
Patrice Favre a suivi les traces de son père magistrat. Sorti d'école, il est nommé temporairement juge d'instruction en banlieue parisienne - une banlieue lointaine, mi-réelle mi-fantomatique. On observe les débuts de Favre, ses premières audiences au Palais de justice, ses investigations dans le cas criminel dont il a hérité : le meurtre d'un détenu emprisonné pour crime sexuel. Son prédécesseur - Herzog, un magistrat décati, énigmatique, en tout cas plus expérimenté - s'y est épuisé avant de se donner la mort.
Au fil de son enquête, où il progresse pour l'essentiel en reprenant l'instruction qu'a menée Herzog, Favre est renvoyé à ses dilemmes, à ses choix de vie, à sa propre histoire familiale et au récit national trouble, à toute la comédie sociale qu'il faut jouer pour tenir le rang dans son milieu et son métier.
Roman empruntant parfois au documentaire, L'instruction questionne avec inquiétude la société française contemporaine à travers le prisme techno-cratique, judiciaire, carcéral et policier. C'est une manière d'anti-polar où l'enquête consiste surtout dans la recherche existentielle, voire métaphysique, d'une solution au malaise croissant de l'enquêteur.
Avant la guerre, Carel Ender habite à Privine. Il est fonctionnaire de l'administration impériale. C'est toujours mieux que ce qu'en attendait sa famille.
Ses amis se nomment Isabelle Van Duyck, fondatrice d'une résidence utopique; Jean Faber, militant politique de gauche; Nina Fischer, journaliste de renom donnant de son temps au Secours des réfugiés; Ilya Rehberg, jeune dramaturge intéressé par la « question kadienne »...
Puis la grande histoire tombe sur Privine, et efface le souvenir de cette communauté.
Des années plus tard, l'historienne Sabine Oloron rencontrera le nom de Carel Ender dans ses recherches. Peut-être saura-t-elle dire la morale de cette fable.
Au milieu de l'antif de notre vie
je me paumai en forêt fort obscure,
où y avait plus de droite voie qu'on vît.
Ah ! en causer c'est pas la sinécure
de cette forêt sauvage qui mord.
L'idée m'en refait froid au dos : je jure
que n'est pas plus effroyante la mort !
Mais pour le bon qu'aussi j'y rencontrai,
je dirai ça que je me remémore.
Qu'on se rassure, ceci n'est pas vraiment une traduction. Plutôt une variation, une révision. Un hommage et un éclat de rire. Où l'invention langagière, mâtinée d'archaïsmes et d'antépositions loufoques, puise dans l'argot pour composer la « vulgaire parlure », sorte de miroir renversé du « vulgaire illustre » théorisé ailleurs par l'auteur de la Comédie. Une mutation grotesque s'opère ainsi au coeur du texte, qui n'en respecte pas moins la rime tierce et une métrique régulière, et qui au fond, peut-être, ne fait que pousser à son paroxysme le comique de style, sinon de contenu, de l'original.
On lui avait promis l'égalité des sexes et l'épanouissement maternel: aujourd'hui, dans un Paris engourdi par les attentats, entre la garderie et le cabinet de sa psychanalyste, une enfant des années quatre-vingt cherche ce qui a mal tourné - si quelque chose a mal tourné. Sur les rives du lac Huron, une adolescente et ses frères traversent un été brûlant dans une ville sans avenir, à l'ombre d'une centrale nucléaire. Un jeune artiste d'origine kabyle en route vers New York reste coincé à Montréal après ce qui ne devait être qu'une escale, le matin du 11 septembre 2001. Un couple gardant une villa d'architectes sur l'île de Vancouver sombre dans le cauchemar. De motel en motel, un garçon et sa mère suivent un faux prophète sur les routes de la Nouvelle-Écosse. Un vieux cowboy met au jour un secret, une danseuse retrouve le souvenir d'une ancienne amante, et un père prend sa fille en flagrant délit.
Western spaghetti, ce sont huit voix vibrantes qui, avec tendresse et cruauté, racontent la vie secrète des familles, les trahisons et l'attachement que rien ne saurait rompre. Elles racontent la fuite en avant, la rédemption, ce moment où tout bascule, où tout pourrait changer.
Il est dans ce livre question d'entrer dans une image. Cette image est une vie, un théâtre coupé en deux. Au milieu, il y a une forêt et il y a la nuit. Il y a aussi une rivière et une salle de cinéma. Quelqu'un entre dans la chambre et s'installe devant le miroir pour lire un roman d'amour. Personne d'autre ne vient. Au matin, on ne sait plus très bien comment sortir. On le regrette. On doit dire la vérité. Peut-être est-il temps d'apprendre à vivre. L'idée est belle, et la beauté compte, mais on s'attache facilement à ce qui nous encercle. On cherche une histoire bleue comme le ciel et on écrit un poème interminable. Il faut aller jusqu'au bout. Le rideau est lourd, on n'y arrivera jamais. La douleur est lente. À la fin, un enfant apparaît. C'est mon fils. Il dort dans la clairière.
Vie nouvelle est un livre d'éducation sentimentale. Je l'ai écrit comme on choisit une vie.
Le Quartanier réédite Corps étranger, de Catherine Lalonde, qui a remporté en 2008 le prix Émile-Nelligan. Cette oeuvre confronte désir et sauvagerie, lyrisme et prosaïsme, s'adressant à ce qui excède, à l'autre, à ce qui fait mal, la parole s'incarnant au coeur de la rencontre sexuelle. Impossible de ne pas mesurer, plus de dix ans après la parution du livre aux éditions Québec Amérique, toute la puissance de cette langue, inventive et riche d'une tradition poétique québécoise reprise à son compte et au plus près du corps. La poète se donne par nécessité cette langue propre, c'est-à-dire sale, poétique, vulgaire, sublime, la langue de la mauvaise fille mauvaise héritière, dont le corps, la douleur, la jouissance, la mémoire et tant de noms de femme ont un impérieux besoin - pas moins aujourd'hui qu'hier.
Tu prends mes côtes tu les sépares tu manges
mon coeur à mains nues
de vieilles bouchées de légende
salmonellose mon sacrament et tes menteries d'aorte
je regarde ailleurs et tu arraches mes seins
deux pendentifs made in Taïwan
un pour toi un pour moi
souvenirs en forme d'âme cheap
de fleur de lys Dollarama.
Tu quitteras sans retour la ville dévastée pour t'enfoncer dans la forêt. Tu marcheras vers le nord. Tu fuiras la lumière et tomberas du côté foisonnant du miroir. Tu verras, encore debout, les animaux et les plantes. Eux aussi te verront. Car ce livre est un pont, une cassure, une allégorie qui se replie sur elle-même. Un exil, une résistance. Tu fuiras et, dans ta fuite, tu entremêleras ta destinée à celle d'autres humains. Avec eux, tu lutteras contre le froid, la faim, la promiscuité, les pilleurs. Bientôt vous ne serez plus qu'un noyau minuscule dans l'immensité des plateaux de gneiss mangés par les aulnes et le myrique baumier. Avec eux, tu devras tout reconstruire. Dans les glaces brisées du territoire, tu croiseras peut-être un reflet autre. Affûte tes lames et pars. Le monde est une gorge à trancher.
À l'école, quand on nous demandait ce que nos parents faisaient dans la vie, je n'avais rien à répondre, car mes parents ne faisaient rien. Ce n'était pas leur faute. Je ne comprenais pas pourquoi ils avaient fait un enfant. Ils m'ont eue, mais nous avons failli être deux. Souvent je me dis qu'ensemble il aurait été plus facile de vivre avec eux, d'obéir à ceux qui ne désiraient rien créer. À la place, je suis deux. Je ne peux ni te libérer, ni t'avaler pour de bon. J'ai dû apprendre. J'ai grandi avec toi, je suis partie avec toi, vers une lumière que moi seule arrive à voir. Ce n'est pas juste, mais c'était la seule solution.
Cette histoire est celle de Jeanne. C'est elle qui la raconte. Pour soulager son coeur, expulser sa colère, ne plus être triste. Son histoire, elle l'adresse à celui qu'elle a aimé. Celui qui ne l'aime plus. Celui qu'elle voudrait oublier, enfouir sous le sable de Cape Cod, avec tous les souvenirs qui lui sont associés. Sa maladie, son sang, leur noyade. Hantée par la figure de Virginia Woolf, Jeanne imagine se consoler dans le déferlement des vagues. Elle raconte les hémorragies utérines qui soulèvent le corps, l'engloutissent et le recrachent un peu plus vide, un peu plus lourd. Elle parle de sa fatigue d'être mère et des enfants qu'elle désirait, qu'elle ne pourra plus avoir. Pourtant, quelque chose se passe à mesure que Jeanne se raconte. Les morceaux épars de sa vie s'assemblent, deviennent plus réels, cessent de lui appartenir, la quittent. Mais les blessures ne s'effacent pas, et pardonner est impossible.
Avaleuse d'eau mortelle, aux abois, tombée de la branche, elle cuve au vent son poison, son philtre, sa drogue, son remède, et retrouve au sol son frère guéri par la foudre. Le pacte est scellé et l'odyssée commence, contre la mort toute-puissante criée à l'oreille. Corps lancés, gueule ouverte, dans les forêts, les coulées, les ravins, franchissant les barrages la tête au ciel. Corps excités par une langue addictive et haletante, par une langue qui donne à la vie une soif égale à la sienne. Qui boira la ciguë, qui mourra de la soif, qui vivra verra.
Tout au long de son enfance, Carolus avait réalisé une oeuvre pléthorique, protéiforme, fragmentaire, en tout cas entièrement inédite. Celle-ci avait été archivée dans une série de boîtes. Qui avaient été déposées chez moi. Il fallait bien qu'un événement m'obligeât à les ouvrir.
À l'occasion de la parution de son roman L'inexistence, Le Quartanier réédite cette courte fiction de David Turgeon parue en 2013, dans une version revue par l'auteur. D'une justesse poignante, La raison vient à Carolus est le récit d'une enfance marquée par la solitude, l'imagination, la dualité, l'obsession pour les histoires et les livres.
En 1854, Victor Hugo est en guerre contre Napoléon III et dialogue avec l'esprit de Shakespeare. Pendant ce temps, dans le nord-est de l'Amérique, des millions d'ouvrières et d'ouvriers travaillent dans l'anonymat des usines. En 1914, à New York, Marcel Duchamp propose un urinoir en guise d'oeuvre d'art. À la même époque, au Monument national de Sherbrooke, on assiste à des conférences sur l'hygiène domestique.
Pourquoi nos destins sont-ils si différents, qu'est-ce qui fait que nos vies sont si riches ou si pauvres ?
Dans le Sherbrooke actuel, Paul est perdu. Sa mère décline, et ceux qui en ont la garde ne pensent qu'à l'attacher. Sa fille, Ophélie, est obsédée par Dying Lucy, un site internet qui montre une enfant malade maintenue dans des conditions sordides. Et puis il y a Sarah, son ex, qui lui reproche son manque d'envergure et rêve de changer de vie.
Que doit-il faire de son temps, à quoi son existence peut-elle servir, à quoi devrait-il s'intéresser ?
Le caprice d'un inconnu, venu d'Europe, semble la seule aventure possible.
Ma meilleure amie, Vickie Gendreau, était écrivaine. Elle est morte d'une tumeur au cerveau, à l'âge de vingt-quatre ans, après m'avoir légué ses archives. Deux ans après sa mort, quelque chose a commencé à apparaître dans mes rêves. J'ai eu l'impression que cette chose m'appelait, qu'elle voulait que j'aille la chercher au royaume des morts pour la ramener dans la littérature, où elle se sentait chez elle. Mais je me suis aperçu que cette chose que j'ai cru entendre n'était pas tout à fait Vickie. Je l'ai appelée la morte. Ce livre est le récit spéculatif d'une expérience personnelle. Il explore le phénomène des fantômes depuis une perspective éthique, loin de la psychologie du deuil, et loin des traditions occultes, ésotériques et religieuses, dans lesquelles les fantômes sont maintenus de force. Il affirme la nécessité de trouver comment se mettre à l'écoute des morts qui parlent au plus profond de soi. Il tente de montrer que l'écriture est l'un des moyens d'y parvenir. - M. A.
Mirabilia, c'est, au Moyen Âge, un répertoire de choses exotiques et incroyables, des choses vraies à la limite du possible, c'est aussi l'autre nom de la réalité, mais une réalité qui ne peut plus être dissociée de soi, qui nous réfléchit, dont nous sommes les merveilleuses déformations, avec nos cas limites, la planète en feu et le noir absolu, le règne sous-jacent d'une détresse qui donne envie de mourir alors qu'on n'est pas certain d'exister, c'est un livre dont chaque poème est la strophe d'un long poème, et qui nous induit en vérité comme en erreur, nous perd dans un labyrinthe circulaire, nous réveille de nos vies comme on débusque une perdrix, qui n'a pas d'autre but que de nous faire entrer dans les images de notre identité secrète, cachée en plein jour.
Lutterie électrique porte sur des questions de poétique propres à l'oeuvre de Samuel Rochery. Il prend la forme d'un échange entre le poète Steve Savage et l'auteur, afin d'élucider les raisons, parfois simplement les causes, d'une position qui peut s'entendre comme la fabrication d'un instrument de lutte, pour que puisse passer un courant dans la langue, au-delà de ce qu'on range déjà sous le nom de littérature. On y cherchera à savoir comment s'articule l'improvisation à l'idée du livre achevé, pourquoi et comment lier la musique rock à la poésie, en quel sens une figurine peut remplacer le personnage littéraire, en quoi le poète est lyrique (comme tout le monde), et en quoi il lui appartient de faire autre chose de son lyrisme. Comme dans tout entretien, on y parlera aussi de choses légères et graves, personnelles et générales, on digressera sur la mémoire, le politique, Steve Albini, le karaté, la philosophie. Au final, cet échange permet d'esquisser une pensée de l'écriture comme «petit art de la recherche live».
Tubes et Odes réunit deux livres parus au Quartanier en 2007 et 2009. Ils ont un point commun que la présente réédition permet d'estimer : le besoin de bien déchanter, là où les airs fameux (qu'on appelle tubes ou hits, dans la chanson) et les modes traditionnels de la poésie (le mode lyrique de l'ode, en l'occurrence) offrent à priori peu de marge de manoeuvre pour la pensée d'une instrumentation personnelle. Or il existe des poètes, et des éditeurs, pour qui avoir tous les canons de la poésie admise à portée de main ne suffit pas: il leur faut surtout les moyens du bord, ceux d'une conduite capable de déplacer la lecture et l'attention, dans ce qui continue d'importer et d'élargir notre monde. C'est l'histoire du bourdonnement d'un petit ampli, qui n'aurait rien à envier aux chants de l'unisson - quand ceux-ci ont tendance à neutraliser les grains de voix. Le bord, apostille ou studio, d'une poésie, c'est son grain, et une raison de s'entêter. - S.R.
L'aventure de la pensée fait parfois le meilleur des romans d'aventures. Sous ses abords sévères, l'essai théorique est un genre littéraire comme un autre, avec ses figures, sa dramaturgie et ses effets de suspens. L'essai théorique, quand il travaille au mieux son style et son esprit, peut procurer le même inusable plaisir de lecture qu'une oeuvre de fiction ou qu'un poème.
L'oeuvre singulière du théoricien français Gérard Genette me donne ainsi l'excellent prétexte d'une enquête sur le travail du style dans l'essai théorique. De quelle manière met-on en scène le déroulement d'une pensée? À quels dangers s'expose-t-on quand on abuse des métaphores? Quels sont les pouvoirs de la néologie? Qu'arrive-t-il quand l'écriture au second degré abandonne sa position surplombante? Plus important encore : en quoi l'humour sert-il la théorie?
Cette promenade dans l'oeuvre de Genette nous fera côtoyer du beau monde : Barthes, Proust, Flaubert, Paulhan, Borges (bien sûr), ainsi qu'une nuée de théoriciennes et de théoriciens. Assez vite, on s'apercevra que l'art de la rhétorique, qu'on avait cru enterré par les avant-gardes du vingtième siècle, préparait, par le biais des études littéraires, un spectaculaire retour. Ce livre pose au fond une question aussi inquiétante que libératrice : et si l'essai théorique était l'avenir de la littérature?
Trois hommes marchent dans un brûlé de pins gris. Ils cherchent des morilles de feu, ces champignons élusifs qui font l'objet d'une intense convoitise et fructifient là où un an plus tôt rageaient des brasiers dévastateurs. Loin dans le nord du Québec ou de l'Ontario, ils ratissent d'immenses territoires désolés en guettant dans la suie les signes du mycélium. Quand enfin surgissent les mille têtes argentées, ils se consacrent des jours durant au labeur pénible et exaltant de la cueillette. Ils aimeraient se croire seuls; ils ne le sont pas. Car ici se croisent une faune de petits criminels et d'ermites, attirés par l'illusion de la vie sauvage ou l'appât du gain. Très vite les forces de l'entropie se manifestent. Cartes et GPS égarent les hommes et les rejettent contre des barrières d'épinettes noires, des torrents, des marécages. L'épuisement et les blessures les guettent. Pour échapper au désastre, ils devront comprendre une fois pour toutes que nulle créature n'est autosuffisante.
OEuvre sur la puissance de la nature et les dérives d'hommes livrés à leurs obsessions, Cercles de feu tient du western nordique et du road novel. Thierry Dimanche puise à même son expérience de la mycologie et de la forêt et fait résonner, dans ce roman qui évoque Le trésor de la Sierra Madre et La bête lumineuse, les voix de trois compagnons d'infortune à la poursuite d'un objet qui se dérobe pour mieux les révéler.
Le 28 juin 1860, Marie Calumet arrive à Saint-Ildefonse pour remettre de l'ordre dans les affaires du curé Flavel. Ses qualités de ménagère et, bien vite, d'administratrice de la paroisse lui attirent l'amour du bedeau et de l'homme engagé du curé, duo d'idiots qui se livrent une lutte homérique pour conquérir son coeur. Quant à Suzon, la nièce du curé, elle rêve des libertés dont elle pourrait jouir si elle était un homme, or son éveil sentimental se bute à la véhémence des interdits religieux, révélant les moeurs d'une époque asphyxiante et l'emprise du clergé sur la vie intime.
Roman paysan comique issu d'une chanson populaire, satire sociale rabelaisienne, Marie Calumet apporte en 1904 une bouffée d'air frais à une littérature nationale qui sent le renfermé et n'a de cesse d'idéaliser une paysannerie dévote et sans relief. Mais l'archevêque de Montréal ne l'entend pas ainsi et met aussitôt le livre à l'Index. Il faut attendre quarante-deux ans avant qu'en 1946 ne reparaisse le roman - dans une version censurée, qui deviendra le texte de référence aux dépens de l'originale.
La présente édition restitue enfin la version de 1904 et redonne accès à une oeuvre qu'on commente depuis plus d'un siècle sans l'avoir vraiment lue.
monde encombré d'esprits heurtés
chatoiements bouées
par l'infini des marées d'êtres
dits vivants
je s'offre à fleur
de poème à boire
même mort entretient
son arrière-goût
en esthète sûr
ascétique consciencieux
l'âme à la lessive
religieusement dès l'aube
se cultive une existence
à paraître
plus que jamais
renaît à la jonction
du blanc cassant
au tranchant lumineux
de l'eau froide
qui boit tout