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Littérature
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" Ce n'est pas une vie que de ne pas bouger. "
Parmi les jeunes chercheurs qui ont constitué la première équipe de l'Institut Pasteur créé en 1887, Alexandre Yersin aura mené la vie la plus mouvementée. Très vite il part en Asie, se fait marin, puis explorateur. Découvreur à Hong Kong, en 1894, du bacille de la peste, il s'installe en Indochine, à Nha Trang, loin du brouhaha des guerres, et multiplie les observations scientifiques, développe la culture de l'hévéa et de l'arbre à quinquina. Il meurt en 1943 pendant l'occupation japonaise. Pour raconter cette formidable aventure scientifique et humaine, Patrick Deville a suivi les traces de Yersin autour du monde, et s'est nourri des correspondances et documents déposés aux archives des Instituts Pasteur.
PRIX DU ROMAN FNAC 2012
PRIX FEMINA 2012
Réécoutez l'entretien de Patrick Deville par David Collin dans l'émission "Entre les lignes"
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Jeune orphelin de Pointe-Noire, Petit Piment effectue sa scolarité dans une institution placée sous l'autorité abusive et corrompue de Dieudonné Ngoulmoumako. Arrive bientôt la révolution socialiste, les cartes sont redistribuées. L'aventure commence. Elle le conduira notamment chez Maman Fiat 500 et ses dix filles, et la vie semble enfin lui sourire dans la gaité quotidienne de cette maison pas si close que ça, où il rend toutes sortes de services. Jusqu'à ce que ce bonheur s'écroule. Petit Piment finit par perdre la tête, mais pas le nord : il sait qu'il a une vengeance à prendre contre celui qui a brisé son destin.
Dans ce roman envoûté et envoûtant, l'auteur renoue avec le territoire de son enfance, et sait parfaitement allier la naïveté et la lucidité pour nous faire épouser le point de vue de ses personnages.
Finaliste du Man Booker Prize International 2015, Alain Mabanckou est l'auteur d'une dizaine de romans dont Verre Cassé (2005) et Mémoires de Porc-épic ( prix Renaudot 2006 ). Son œuvre est traduite dans une vingtaine de langues. Il enseigne la littérature francophone à l'Université de Californie-Los Angeles (UCLA).
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" Ceci est une adresse. Aux femmes en général, autant qu'à leurs alliés. Je vous écris d'où je peux. Le privé est politique, l'intime littérature. "
En France, la quatrième vague féministe a fait son entrée : non plus des militantes, mais des femmes ordinaires. Qui remettent en cause les us et les coutumes du pays de la gaudriole, où une femme sur dix est violée au cours de sa vie, et où tous les trois jours une femme est assassinée par son conjoint.
Dans ce court texte incisif qui prône la sororité comme outil de puissance virale, Chloé Delaume aborde la question du renouvellement du féminisme, de l'extinction en cours du patriarcat, de ce qu'il se passe, et peut se passer, depuis le mouvement #metoo.
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Nager. Nager pour fuir les contraintes, pour échapper aux vies imposées, aux destins réduits. Nager pour inventer sa sensualité, préserver sa fantaisie. C'est ce qu'a sans doute ressenti Jackie toute sa vie, commencée en 1919 et menée selon une liberté secrète, obstinée, qui la faisait, dans un âge bien avancé, parcourir des kilomètres pour aller se baigner sur sa plage préférée, à Villefranche-sur-Mer. Entre-temps, elle s'était mariée, avait quitté Lyon pour Arcachon, puis, devenue jeune veuve, avait échangé le cap Ferret contre le cap Ferrat, avec sa mer plus chaude, son grand été.
Qu'a-t-elle légué à sa fille Chantal ? Quelque chose d'indomptable, ou de discrètement insoumis, et cette intuition que la nage, cette pratique qui ne laisse aucune trace, est l'occasion d'une insaisissable liberté, comme lorsque jeune fille, au début des années 30, Jackie avait, en toute désinvolture, enchaîné quelques longueurs dans le Grand Canal du château de Versailles sous l'oeil ahuri des jardiniers.
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Nous sommes à Vienne, en 1810, dans une ville humiliée et ruinée par la victoire de Napoléon. Une femme, Agathe-Sidonie Laborde, ancienne lectrice de Marie-Antoinette, se souvient de Versailles et, plus précisément (parce que c'est pour elle une hantise), des 14, 15 et 16 juillet 1789, jours d'effondrement durant lesquels, Louis XVI ayant cédé sur tout, les intimes de la famille royale et une grande partie de la Cour se dispersent. Agathe elle-même s'est enfuie alors, dans la nuit du 16, avec la famille de Polignac.
A travers une reconstitution minutieuse et fébrile de ses dernières heures à Versailles, Agathe découvre la force de sa fascination pour la Reine et la beauté émouvante et singulière du monde qu'elle s'était créé. Un monde placé sous le signe du luxe et de l'élégance, de l'obsession du détail, du goût des espaces protégés, un univers brillant de toutes les apparences du bonheur, sauf que le désir comme l'amour n'y avaient pas de voix pour se dire. Mais est-ce le drame de la Reine ou celui de sa lectrice ?
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Des chauffeurs de taxi, des héroïnes de faits divers, des amoureux qui enferment leur cœur au cadenas traversent ces pages. Ils croisent tout naturellement Colette, Roland Barthes, Patti Smith, Voltaire ou Corto Maltese, sans oublier quelques figures chères de mon enfance, ma mère nageuse, mon grand-père bien-aimé... On peut dès lors lire ces Chroniques en passant comme un journal de voyage, si l'on croit que chaque matin contient une occasion de départ et une chance d'aventure, émotive, intellectuelle – la quête d'une certaine qualité de vibrations.
Ce qui a piqué mon attention relève d'un intérêt essentiellement subjectif. Les rencontres, les lectures, les images et incidents qui m'inspirent et me donnent à rêver n'entrent pas dans un cadre préétabli. Ils participent de moments fugitifs, du charme de l'instant.
J'ai écrit les textes ici réunis de 2014 à 2018, au rythme d'une chronique par mois, pour le journal Sud Ouest. Et à la fin, en me retournant, j'ai senti qu'ils formaient un livre. Le voici.
C.T.
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Bien connue dans les milieux de l'art, auteur d'essais sur l'art contemporain et de monographies consacrées aux artistes d'aujourd'hui, Catherine Millet entreprend de raconter sa vie sexuelle. Avec une crudité et une clarté dont on reste confondu.
Le récit ne suit aucune chronologie, la relation des événements (non datés) et la description des scènes sexuelles étant distribuées selon quatre chapitres : " le nombre ", " l'espace ", " l'espace replié " et " détails ".
La Vie sexuelle de Catherine M. constitue, à coup sûr, l'un des livres les plus audacieux et les plus stupéfiants que la tradition érotique ait donnés à la littérature française.
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Partition rouge ; poèmes et chants des Indiens d'Amérique du nord
Florence Delay, Jacques Roubaud
- Seuil
- Fiction & Cie
- 25 Mai 2014
- 9782021186475
Partition rouge représente, sous forme d'une anthologie, un infime prélèvement dans l'immense Amérique du Nord des Indiens.
Que le chant, le poème, est médecine, la peinture cérémonie, la danse une cure, le conte une tentative de guérison collective, que tous ces arts ne sont pas de l'art uniquement mais un moyen de vivre, que le poème peint, chanté, dansé, tissé, emplumé, voire cuisiné, est nécessaire à la santé, Partition rouge ne peut que s'en souvenir.
On dit que nous sommes blancs. Mais de ce blanc qui était nord et résurrection pour les Navahos, nord et purification pour les Sioux, est venue la destruction. Notre hommage au rouge ne répare rien.
Partition rouge dit notre admiration pour la profondeur et la nécessité du chant, notre enchantement de retrouver l'univers et nos grands-parents intacts, de l'ours au colibri.
On dit que nous sommes riches. L'affirmation est à revoir à la lumière de cette déclaration d'un Indien navaho au seuil du XXe siècle : " Je suis un pauvre homme : je ne connais aucun chant. "
Florence Delay, Jacques Roubaud
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Avec Amazonia, Patrick Deville propose un somptueux carnaval littéraire dont le principe est une remontée de l'Amazone et la traversée du sous-continent latino-américain, partant de Belém sur l'Atlantique pour aboutir à Santa Elena sur le Pacifique, en ayant franchi la cordillère des Andes. On découvre Santarém, le rio Negro, Manaus, Iquitos, Guayaquil, on finit même aux Galápagos, plausible havre de paix dans un monde devenu à nouveau fou, et qui pousse les feux de son extinction.
Le roman remonte jusqu'aux premières intrusions européennes, dans la quête d'or et de richesses, selon une géographie encore vierge, pleine de légendes et de surprises. Plus tard, les explorateurs établiront des cartes, mettront un peu d'ordre dans le labyrinthe de fleuves et affluents. Des industriels viendront exploiter le caoutchouc, faisant fortune et faillite, le monde va vite. Dans ce paysage luxuriant qui porte à la démesure, certains se forgent un destin : Aguirre, Fitzgerald devenu Fitzcarrald, Darwin, Humboldt, Bolívar.
Ce voyage entrepris par un père avec son fils de vingt-neuf ans dans l'histoire et le territoire de l'Amazonie est aussi l'occasion d'éprouver le dérèglement du climat et ses conséquences catastrophiques.
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À Pointe-Noire, dans le quartier Voungou, la vie suit son cours. Autour de la parcelle familiale où il habite avec Maman Pauline et Papa Roger, le jeune collégien Michel a une réputation de rêveur. Mais les tracas du quotidien (argent égaré, retards et distractions, humeur variable des parents, mesquineries des voisins) vont bientôt être emportés par le vent de l'Histoire. En ce mois de mars 1977 qui devrait marquer l'arrivée de la petite saison des pluies, le camarade président Marien Ngouabi est brutalement assassiné à Brazzaville. Et cela ne sera pas sans conséquences pour le jeune Michel, qui fera alors, entre autres, l'apprentissage du mensonge.
Partant d'un univers familial, Alain Mabanckou élargit vite le cercle et nous fait entrer dans la grande fresque du colonialisme, de la décolonisation et des impasses du continent africain, dont le Congo est ici la métaphore puissante et douloureuse. Mêlant l'intimisme et la tragédie politique, il explore les nuances de l'âme humaine à travers le regard naïf d'un adolescent qui, d'un coup, apprend la vie et son prix.
Alain Mabanckou est né en 1966 à Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville. Ses œuvres sont traduites dans le monde entier. Il enseigne la littérature francophone à l'Université de Californie-Los Angeles (UCLA).
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Henri Mouhot poursuit un papillon, son filet à la main, se cogne la tête, lève les yeux, découvre les temples d'Angkor. C'est l'année zéro de ce récit.
Pavie fait élever le tombeau de Mouhot à Luang Prabang, ouvre à Paris l'École cambodgienne, conseille le futur roi Monivong auquel succède Sihanouk, renversé par Lon Nol, lui-même chassé par Pol Pot. C'est une histoire brève, et française, de Mouhot jusqu'aux Khmers rouges.
Pour l'écrire, le narrateur entreprend de remonter le fleuve Mékong sur les traces du La Grandière, depuis son delta jusqu'aux frontières de la Chine.
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C'est un terrain vague, au milieu d'un lotissement de maisons pour l'essentiel réservées à des militaires. Au fil des ans, les enfants du quartier en ont fait leur fief. Ils y jouent au football, la tête pleine de leurs rêves de gloire. Nous sommes en 2016, à Dely Brahim, une petite commune de l'ouest d'Alger, dans la cité dite du 11-Décembre. La vie est harmonieuse, malgré les jours de pluie qui transforment le terrain en surface boueuse, à peine praticable. Mais tout se dérègle quand deux généraux débarquent un matin, plans de construction à la main. Ils veulent venir s'installer là, dans de belles villas déjà dessinées. La parcelle leur appartient. C'est du moins ce que disent des papiers " officiels ".
Avec l'innocence de leurs convictions et la certitude de leurs droits, les enfants s'en prennent directement aux deux généraux, qu'ils molestent. Bientôt, une résistance s'organise, menée par Inès, Jamyl et Mahdi.
Au contraire des parents, craintifs et résignés, cette jeunesse s'insurge et refuse de plier. La tension monte, et la machine du régime se grippe.
A travers l'histoire d'un terrain vague, Kaouther Adimi explore la société algérienne d'aujourd'hui, avec ses duperies, sa corruption, ses abus de pouvoir, mais aussi ses espérances.
Née en 1986 à Alger, Kaouther Adimi vit désormais à Paris. Après deux premiers livres, L'Envers des autres (prix de la Vocation 2011) et Des pierres dans ma poche, elle connaît un important succès avec Nos richesses (Prix Renaudot des lycéens), paru au Seuil en 2017, évocation du légendaire libraire et éditeur Edmond Charlot.
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Des siècles après la fin de l'Homme Rouge, dans une Sibérie rendue inhabitable par les accidents nucléaires, des morts-vivants, des princesses et des corbeaux s'obstinent à poursuivre le rêve soviétique.
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The flame ; poèmes, notes et dessins
Léonard Cohen
- Seuil
- Fiction & Cie
- 11 Octobre 2018
- 9782021400625
Avant sa mort, survenue le 7 novembre 2016 à Los Angeles, Leonard Cohen a passé de longs mois à reparcourir ses carnets, nombreux et étalés sur des décennies, pour opérer une sélection de textes en bonne part inédits (poèmes, chansons, extraits de ses carnets de notes) qui, accompagnés de dessins marqués par
l'autodérision, composent le livre qu'il décide de laisser à la
postérité, comme un dernier cadeau plein de vie : plein de toute sa vie.
On retrouve bien sûr dans ces pages les thèmes de prédilection de celui qui a commencé sa carrière comme poète et romancier, avant de devenir aussi le musicien mondialement célébré qu'on connaît. Il est question d'amour, de passions, de jalousie et de peur de l'abandon, de flamme jamais éteinte, de sexualité, de relations entre les êtres, du temps qui passe et laisse ses traces, de religion aussi, d'aspiration à la sagesse, d'états dépressifs et mélancoliques toujours teintés d'humour.
Traduit de l'anglais (Canada) par Nicolas Richard
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En rentrant d'une soirée bien arrosée, Œdipa Maas, jeune femme de vingt-huit ans, reçoit un courrier d'un certain Metzger, avocat. La lettre lui apprend qu'elle est l'exécutrice testamentaire d'un ex-petit ami, Pierce Inverarity, magnat californien de l'immobilier. Afin d'honorer ses dernières volontés, Œdipa quitte sa ville pour San Narciso et s'installe dans un motel. Elle y fait la connaissance de Metzger qui l'épaulera dans ce qui devait être une simple formalité...
Sauf que le legs est étrange : en plus d'usines et de biens immobiliers, son ex possédait une collection de plusieurs milliers de (faux) timbres. Et fortuitement, d'étranges coïncidences surviennent : dans le bar " Le Scope " qui semble être le seul lieu animé de San Narciso et qui est rempli d'ouvriers travaillant dans une usine de Pierce Inverarity, Œdipa et Metzger rencontrent un jeune spécialiste de l'histoire des Postes depuis le XVIe s., un postier qui fait sa tournée de courrier en nocturne, trouvent des messages secrets dans les toilettes du bar... À cela s'ajoutent la découverture d'un trafic d'os humains ainsi qu'une pièce de théâtre du XVIe traitant des Postes illégales. Tous ces signes sans connexion apparente seront le point de départ d'une enquête dans laquelle les personnages déjantés plongent dans le smog californien et dans un espace-temps.
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Au milieu des années 1970, Chantal Thomas, qui vient juste de soutenir sa thèse, décide de partir. Loin. À New York, alors ville de tous les dangers. Elle s'installe chez une amie d'amie. Le désir circule, les fêtes s'enchaînent. Un puissant souffle d'aventure anime la ville.
Au milieu des années 1970, Chantal Thomas, qui vient juste de soutenir sa thèse, décide de partir. Loin. À New York, alors cité de tous les dangers. Elle s'installe chez une amie d'amie. Le désir circule, les fêtes s'enchaînent. Un puissant souffle d'aventure anime la ville.
Aujourd'hui, amenée à séjourner dans l'East Village pour un été, elle retrouve un quartier totalement changé. Seules quelques traces demeurent de la marginalité d'autrefois, des graffitis sur les rares immeubles non encore " réhabilités " et dont Allen S. Weiss, partenaire de ce livre, va extraire des images photographiques qui rappellent un temps révolu.
Car l'East Village était un lieu d'immigration et de bohème pauvre, inventive, où tout le monde se rêvait poète, où se rencontraient Allen Ginsberg, William Burroughs, Herbert Huncke, et les fantômes bien vivants d'Andy Warhol, de Lou Reed et du Velvet Underground.
Au fil des pages, sur un mode à la fois précis et romanesque, Chantal Thomas évoque St. Mark's Church, le Chelsea Hotel, les bars, les rues, les peurs, les amours, dans un flottement des genres qu'elle restitue à plaisir, comme portée par la grâce d'une mémoire à même de revivre et faire revivre l'intensité d'une époque ouverte à tout. Par les temps qui courent, ce livre est une merveilleuse évasion, et le rappel d'une chose : la liberté est possible, elle est même un excellent principe de vie...
I remember you well in the Chelsea Hotel
You were talking so brave and so free...
Leonard Cohen
Avec des photos d'Allen S. Weiss
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Dans le nu de la vie ; récits des marais rwandais
Jean Hatzfeld
- Seuil
- Fiction & Cie
- 1 Octobre 2009
- 9782021010381
... Je me suis mis à crier, très fâché : "Tu n'avais pas pensé que tu pouvais ne pas nous tuer ?" Il répondit : "Non, à force de tuer, on avait oublié de vous considérer."
Maintenant, je pense que ce Hutu ne couvait pas la férocité dans le cœur. On fuyait sans répit au moindre bruit, on fouinait la terre à plat ventre en quête de manioc, on était bouffé de poux, on mourait coupé à la machette comme des chèvres au marché. On ressemblait à des animaux, puisqu'on ne ressemblait plus aux humains qu'on était auparavant, et eux, ils avaient pris l'habitude de nous voir comme des animaux. En vérité, ce sont eux qui étaient devenus des animaux. Ils avaient enlevé l'humanité aux Tutsis pour les tuer plus à l'aise, mais ils étaient devenus pires que des animaux de la brousse, parce qu'ils ne savaient plus pourquoi ils tuaient. Un interahamwe, quand il attrapait une Tutsie enceinte, il commençait par lui percer le ventre à l'aide d'une lame. Même la hyène tachetée n'imagine pas ce genre de vice avec ses canines...
Innocent Rwililiza
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Son domaine c'était les nuages. Sur toute l'étendue immense de l'URSS, les avions avaient besoin de ses prévisions pour atterrir, les navires pour se frayer un chemin à travers les glaces, les tracteurs pour labourer les terres noires. Dans la conquête de l'espace commençante, ses instruments sondaient la stratosphère, il rêvait de domestiquer l'énergie des vents et du soleil, il croyait " construire le socialisme ", jusqu'au jour de 1934 où il fut arrêté comme " saboteur ". À partir de cette date sa vie, celle d'une victime parmi des millions d'autres de la terreur stalinienne, fut une descente aux enfers.
Pendant ses années de camp, et jusqu'à la veille de sa mort atroce, il envoyait à sa toute jeune fille, Éléonora, des dessins, des herbiers, des devinettes. C'est la découverte de cette correspondance adressée à une enfant qu'il ne reverrait pas qui m'a décidé à enquêter sur le destin d'Alexéï Féodossévitch Vangengheim, le météorologue. Mais aussi la conviction que ces histoires d'un autre temps, d'un autre pays, ne sont pas lointaines comme on pourrait le penser : le triomphe mondial du capitalisme ne s'expliquerait pas sans la fin terrible de l'espérance révolutionnaire.
O.R.
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En brefs chapitres qui fourmillent d'anecdotes, de faits historiques et de rencontres ou de coïncidences, Patrick Deville peint la fresque de l'extraordinaire bouillonnement révolutionnaire dont le Mexique et quelques-unes de ses villes (la capitale, mais aussi Tampico ou Cuernavaca) seront le chaudron dans les années 1930.
Les deux figures majeures du roman sont Trotsky, qui poursuit là-bas sa longue fuite et y organise la riposte aux procès de Moscou tout en fondant la IVe Internationale, et Malcolm Lowry, qui ébranle l'univers littéraire avec son vertigineux Au-dessous du volcan. Le second admire le premier : une révolution politique et mondiale, ça impressionne. Mais Trotsky est lui aussi un grand écrivain, qui aurait pu transformer le monde des lettres si une mission plus vaste ne l'avait pas requis.
On croise Frida Kahlo, Diego Rivera, Tina Modotti, l'énigmatique B. Traven aux innombrables identités, ou encore André Breton et Antonin Artaud en quête des Tarahumaras. Une sorte de formidable danse macabre où le génie conduit chacun à son tombeau. C'est tellement mieux que de renoncer à ses rêves.
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J'ai longtemps laissé croire que ma mère était encore en vie. Je m'évertue désormais à rétablir la vérité dans l'espoir de me départir de ce mensonge qui ne m'aura permis jusqu'alors que d'atermoyer le deuil.
Après vingt-trois ans d'absence, Alain Mabanckou retourne à Pointe-Noire, ville portuaire du Congo. Entre-temps, sa mère est morte, en 1995. Puis son père adoptif, peu d'années après. Le fils unique ne s'est rendu aux obsèques ni de l'un, ni de l'autre.
Entre le surnaturel et l'enchantement, l'auteur nous ouvre sa petite valise fondamentale, celle des années de l'enfance et de l'adolescence dans ses lieux d'origine.
Au moment de repartir, il se rend compte qu'il n'est pas allé au cimetière. Sans doute était-ce inutile. Car c'est ce livre qui tient lieu, aussi, de tombeau. Et de résurrection.
Alain Mabanckou est poète, essayiste et l'auteur de plusieurs romans dont Verre Cassé (Seuil, 2005), Mémoires de Porc-épic (Seuil, prix Renaudot 2006) et Demain j'aurai vingt ans (Gallimard, 2010). L'ensemble de son œuvre a été couronné par l'Académie Française (Prix de Littérature Henri Gal, 2012). Il enseigne la littérature francophone à l'Université de Californie-Los Angeles (UCLA).
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Trois voix puissantes, toutes liées au théâtre, à la féminité, au chamanisme et à la mort.
Dans un pays de montagnes et de désert, une petite troupe itinérante est attaquée par des bandits. Bien vite, l'unique survivante est entraînée dans la vie criminelle et sauvage de ses ravisseurs. Esclave sexuelle d'un chef, elle reste obsédée par un cantopéra composé de vociférations magiques qui s'adressent à toutes les petites sœurs du malheur et qui les guident vers l'apaisement, vers l'art de mourir ou vers d'autres mondes. La deuxième voix reprend intégralement le texte de la pièce étrange qui habite la comédienne. La troisième voix répond aux deux autres. Elle raconte en une seule longue phrase sorcière le parcours sans fin, de renaissance en renaissance, d'un être sans genre, tantôt masculin, tantôt féminin, qui erre dans l'espace noir.
Des aventures violentes et démoniaques, marquées par une sexualité délirante mais aussi par la nostalgie de la déclamation, de la parole et du souffle. Et de la survie coûte que coûte.
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Un matin brûlant de mai 2003, une file de prisonniers franchit les portes du pénitencier de Rilima, en chantant des alléluias. Ces anciens tueurs rwandais viennent d'être libérés, à la surprise de tous, notamment des rescapés qui les regardent s'installer à nouveau sur leurs parcelles, à Nyamata et sur les collines de Kibungo ou Kanzenze.
Que peuvent désormais se dire Pio et Eugénie, le chasseur et le gibier à l'époque des tueries dans la forêt de Kayumba, lorsqu'ils se croisent sur le chemin ? Comment Berthe et le vieil Ignace peuvent-ils se parler au marché puisque toute vérité est trop risquante ? Quels sont les maléfices qui les frappent ? De quelle façon partager Dieu, la Primus, la justice, l'équipe de foot ? Et revivre avec la mort et les morts ? Que ramène-t-on de là-bas ?
" Moi aussi je me sens menacée de marcher derrière la destinée qui m'était proposée... De quoi ? Je ne sais le dire. Une personne, si son esprit a acquiescé à sa fin, si elle s'est vue ne plus survivre à une étape, si elle s'est regardée vide en son for intérieur, elle ne l'oublie pas. Au fond, si son âme l'a abandonné un petit moment, c'est très délicat pour elle de retrouver une existence. "
Ce livre suit Dans le nu de la vie. Récits des marais rwandais et Une saison de machettes.
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Le roman commence à Mindin, en face de Saint-Nazaire, au début des années 1960, dans un lazaret devenu hôpital psychiatrique : un enfant boiteux, dont le père est administrateur du lieu, se lie d'amitié avec un des internés, un ancien de la marine qui, se balançant d'arrière en avant, répète sans cesse la même formule énigmatique : Taba-Taba. À partir de là, Patrick Deville déroule le long ruban de l'Histoire, en variant le microscope et le macroscope. Car la France, ce n'est pas seulement l'Hexagone : le narrateur se promène autour de la planète, pour rappeler l'épopée coloniale avec ses désastres mais aussi ses entreprises audacieuses (canal de Suez, de Panamá).
Cette grande fresque romanesque va de Napoléon III aux attentats qui ont ensanglanté récemment le pays, en passant par la Grande Guerre et ses tranchées, puis par le Front populaire, la Débâcle, l'Occupation, la Résistance, le Vercors, la Libération.
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"Je marchais dans le quartier turc de Veliko Tirnovo la bulgare, je parlais à des Serbes de Kumanovo la macédonienne, à des Albanais du Kosovo yougoslave, et l'interrogation était là, lancinante : est-il possible que "ça" arrive aussi ici ? Et dans ce cas, croyez-moi : "ça" arrivera bien aussi un jour chez nous..."
Cinq ans de périples dans les Balkans : Albanie, Macédoine. Grèce, Bulgarie, Roumanie... Et la Bosnie. Parce que, dès les premières rencontres, on lui a dit : "Nous sommes ici au cœur de l'Europe."
C'est le dernier de ces voyages que François Maspero relate ici : de l'Adriatique à la mer Noire en compagnie de Klavdij Sluban, photographe. "On débarque du train, et solitaires, perdus dans cette foule, il faut des heures, des jours avant de comprendre. Il faut marcher, écouter, s'imprégner..."
Les paysages et les pierres parlent, les voix des hommes s'entrecroisent. Le regard des voyageurs suit les traces de l'Histoire : anciens empires, nationalismes, sociétés communistes... Autant de personnages que dans un roman, et parfois plus attachants. "C'est peut-être cela, le pari du voyage ? Au-delà des émerveillements ou des angoisses de l'inconnu, retrouver le sentiment d'être de la même famille. Parfois ça rate. Parfois même, ça tourne mal. Mais le pari vaut d'être fait, non ?"