Comment relever les extraordinaires défis que nous lancent les crises induites par la destruction de notre habitat planétaire ? Faut-il réviser le concept même de propriété privée ? Remettre en cause la souveraineté des États-nations ? Comment construire ensemble les institutions internationales qui permettraient de prendre soin de nos communs globaux que sont le climat mais aussi la biodiversité, la santé, les cultures et jusqu’à la démocratie ?
Car c'est elle qui, aujourd'hui, est menacée par notre refus d'inscrire des limites à la toute-puissance de la personnalité juridique, des techniques extractivistes et de la marchandisation du monde. Où trouverons-nous les ressources politiques, culturelles et spirituelles pour inventer ces limites et en faire une chance plutôt qu'une insupportable privation de liberté ?
Un tel projet exige de refonder l'utopie des Lumières. Et pour cela, de puiser à la source du christianisme, qui constitue l'une de ses matrices historiques. Il implique donc une révision de la manière dont le christianisme se comprend lui-même : expérience stylistique du retrait d'un Dieu qui s'efface pour nous ouvrir à un horizon démocratique qu'il nous revient d'imaginer ensemble ? Ou religion d'un Christ glorieux qui légitimerait une souveraineté politique autoritaire, carnivore, phallocratique et colonialiste ? Telles sont quelques-unes questions que pose ce livre.Apprendre à y répondre participe peut-être de ce que les traditions bibliques nomment la sainteté.Gaël Giraud est économiste et prêtre jésuite. Directeur de recherches au CNRS, il dirige depuis 2021 le programme de justice environnementale à l’université de Georgetown. Il a notamment publié : Vingt propositions pour réformer le capitalisme (avec Cécile Renouard, Flammarion, 2009), Illusion financière (Éditions de l’Atelier, 2013), Produire plus, polluer moins : l’impossible découplage ? (col., Les Petits Matins, 2014).
La culture occidentale n'a cessé de représenter les manières dont l'amour fait miraculeusement irruption dans la vie des hommes et des femmes. Pourtant, cette culture qui a tant à dire sur la naissance de l'amour est beaucoup moins prolixe lorsqu'il s'agit des moments, non moins mystérieux, où l'on évite de tomber amoureux, où l'on devient indifférent à celui ou celle qui nous tenait éveillé la nuit, où l'on cesse d'aimer. Ce silence est d'autant plus étonnant que le nombre des ruptures qui jalonnent une vie est considérable.
C'est à l'expérience des multiples formes du " désamour " que ce livre profond et original est consacré. Eva Illouz explore l'ensemble des façons qu'ont les relations d'avorter à peine commencées, de se dissoudre faute d'engagement, d'aboutir à une séparation ou un divorce, et qu'elle désigne comme des " relations négatives ".
L'amour semble aujourd'hui marqué par la liberté de ne pas choisir et de se désengager. Quel est le prix de cette liberté et qui le paye ? C'est tout l'enjeu de cet ouvrage appelé à faire date, et qui prouve que la sociologie, non moins que la psychologie, a beaucoup à nous apprendre sur le désarroi qui règne dans nos vies privées.
Eva Illouz est directrice d'études à l'EHESS. Elle est notamment l'auteure de Pourquoi l'amour fait mal et des Sentiments du capitalisme, publiés aux Éditions du Seuil, et récemment de Happycratie.
Traduit de l'anglais par Sophie Renaut.
Le déboulonnage des statues au nom de la lutte contre le racisme déconcerte. La violence avec laquelle la détestation des hommes s'affiche au coeur du combat féministe interroge. Que s'est-il donc passé pour que les engagements émancipateurs d'autrefois, les luttes anticoloniales et féministes notamment, opèrent un tel repli sur soi ?
Le phénomène d'« assignation identitaire » monte en puissance depuis une vingtaine d'années, au point d'impliquer la société tout entière. En témoignent l'évolution de la notion de genre et les métamorphoses de l'idée de race. Dans les deux cas, des instruments de pensée d'une formidable richesse - issus des oeuvres de Sartre, Beauvoir, Lacan, Césaire, Said, Fanon, Foucault, Deleuze ou Derrida - ont été réinterprétés jusqu'à l'outrance afin de conforter les idéaux d'un nouveau conformisme dont on trouve la trace autant chez certains adeptes du transgenrisme queer que du côté des Indigènes de la République et autres mouvements immergés dans la quête d'une politique racisée.
Mais parallèlement, la notion d'identité nationale a fait retour dans le discours des polémistes de l'extrême droite française, habités par la terreur du « grand remplacement » de soi par une altérité diabolisée : le migrant, le musulman, mai 68, etc. Ce discours valorise ce que les identitaires de l'autre bord récusent : l'identité blanche, masculine, virile, colonialiste, occidentale.
Identité contre identité, donc.
Un point commun entre toutes ces dérives : l'essentialisation de la différence et de l'universel. Élisabeth Roudinesco propose, en conclusion, quelques pistes pour échapper à cet enfer.
Historienne, Élisabeth Roudinesco est l'auteur de livres qui ont fait date sur l'Histoire de la psychanalyse en France, Jacques Lacan, Sigmund Freud (Prix Décembre 2014), la famille, etc. Elle est traduite dans le monde entier.
Rien ne semble plus incongru que de prendre appui sur la société d’Ancien Régime pour penser le refus féminin. Assignées au devoir de « réserve » par les traités de civilité et au silence ou à la « feinte résistance » par les codes de séduction, les héroïnes de la littérature classique n’auraient rien à nous transmettre, surtout pas le pouvoir de dire « non ». On aurait pu croire l’affaire pliée sans la sagacité de Jennifer Tamas. Car, à leur manière, les femmes du Grand Siècle ont résisté, elles ont désobéi, et de ces combats à bas bruit il demeure des traces. Sous les images de princesses endormies célébrées par l’industrie du divertissement se cachent de puissants refus, occultés par des siècles d’interprétations patriarcales. Jennifer Tamas les exhume avec courage et subtilité, elle traque l’expression du féminin sous le regard masculin et tend savamment l’oreille vers le bruissement des voix récalcitrantes. Conviant les figures dissidentes des siècles anciens, du Petit Chaperon rouge à Bérénice, elle vivifie le discours féministe et trouve chez Marilyn Monroe le secret d’Hélène de Troie. Elle révèle ainsi, non sans un brin d’irrévérence, un magnifique matrimoine, trop longtemps séquestré dans les forteresses universitaires. Jennifer Tamas est agrégée de lettres modernes et enseigne la littérature française de l’Ancien Régime aux États-Unis à Rutgers University (New Jersey). Elle a notamment publié Le Silence trahi. Racine ou la déclaration tragique (Droz, 2018).
La crise des démocraties est devenue un lieu commun. Partout dans le monde, et malgré les histoires et cultures politiques spécifiques de chaque pays, on assiste aux mêmes phénomènes : défiance face aux institutions, malaise dans la représentation, abstention record ou clientélisme lors des élections, multiplication des revendications de droits individuels, haine du pouvoir élu... Olivier Mongin reprend à nouveaux frais la question démocratique en s'inquiétant de ce qu'il diagnostique comme la disparition du politique. Les institutions ne garantissent plus le lien social, elles provoquent au contraire inégalités, divisions et violence. En « bas » comme en « haut », chaque plan est soumis à des contradictions insolubles, à des apories théoriques et pratiques qui imposent une nouvelle réflexion sur les médiations possibles. Alors que l'individualisme devient toujours plus radical, que l'étranger et le migrant sont perçus comme des dangers pour l'identité nationale, que le contrôle des citoyens et la violence policière s'aggravent, que les pouvoirs autoritaires et illibéraux surfent sur la vague populiste, ce livre cherche comment refaire de la politique en démocratie. Grand lecteur de Paul Ricoeur, Olivier Mongin trouve une source féconde dans sa pensée du pluralisme démocratique comme dépassement du « paradoxe politique » : source de violence, le politique est aussi, doit être, foncièrement, projet de réduction de la violence.
Directeur de la revue Esprit de 1988 à 2019, Olivier Mongin a été éditeur au Seuil et chez Hachette. Il co-préside l`association Paul Ricoeur à Paris. Il a publié entre autres une trilogie des passions démocratiques, des ouvrages sur la vie intellectuelle et politique, sur Paul Ricoeur, sur le cinéma, et sur l'urbanisation.
Préface de Frédéric Worms
Identités contre universalisme, genre contre sexe, république contre communautarisme, racisme, féminisme, immigration… Le point commun de ces débats, qui polarisent la vie intellectuelle avec de fortes implications politiques, est de mettre en jeu la culture, dans tous les sens du terme. Mais Olivier Roy récuse ici la thèse de la « guerre culturelle » ou du conflit de valeurs. Ce qui est en crise, selon lui, c’est la notion même de culture, désormais réduite à un système de codes explicites, décontextualisés et souvent mondialisés, qui envahissent les universités comme nos cuisines, les combats identitaires et les religions comme nos pratiques sexuelles, et jusqu’à nos émotions dûment répertoriées en émojis.
C’est bien une déculturation mondiale que diagnostique Olivier Roy. À partir des quatre grandes mutations contemporaines (la libération des mœurs issue des années 1960, la révolution internet, la marchandisation néolibérale et la déterritorialisation liée à la fin de l’État-nation et aux migrations), il en examine les mécanismes et les effets paradoxaux : où les dominants se vivent aussi menacés et souffrants que les dominés ; où le globish et le manga deviennent des simulacres qui annihilent la richesse de la langue anglaise ou de la culture japonaise ; où les « process » de communication fabriquent un « devenir autiste »... Un essai vif et critique, qui, à contre-courant de la dénonciation anti-moderne de l’individualisme, s’inquiète au contraire de la facilité avec laquelle nous acquiesçons à l’extension du domaine de la norme.Olivier Roy est politologue, spécialiste de l’islam, auteur de nombreux essais au Seuil, dont L’Islam mondialisé (2002 et « Points Essais », 2004), La Sainte Ignorance. Le temps de la religion sans culture (2008 et « Points Essais », 2012) et L’Europe est-elle chrétienne ? (2019). Il enseigne à l’Institut universitaire européen (IUE) de Florence.
Longtemps, les femmes n'ont été que des corps, définies par leurs fonctions sexuelle et maternelle. La révolution féministe les a délivrées de ce carcan, mais elle a aussi dévalorisé le corps féminin. N'est-il pas pourtant le noeud singulier de notre rapport à nous-même et au monde ?
À partir d'une relecture de Simone de Beauvoir, la philosophe Camille Froidevaux-Metterie propose de le saisir sous ses deux aspects : lieu de la domination masculine et vecteur d'une pleine émancipation. Sa pensée progresse au fil d'une exploration de ces événements corporels qui scandent la vie des femmes, de l'enfance empêtrée à la ménopause invisibilisée, de la honte adolescente à la découverte de la jouissance, de l'épreuve du réel maternel aux ravages de la violence sexuelle. Au fil de ces étapes, où l'écriture en première personne résonne avec les voix plurielles des femmes, l'autrice pose les jalons qui leur permettront de reprendre possession de leurs corps, jusqu'au plus intime d'elles-mêmes. Son féminisme incarné s'attaque au socle même du patriarcat et renouvelle, à l'écoute des luttes les plus contemporaines, les fondements théoriques du féminisme.
Sur fond de haines, de violences, d'inégalités sociales et de dérèglements écologiques, la démocratie paraît menacée.
Face à ce risque, la théorie critique (de l'école de Francfort à Bourdieu) reste indispensable pour alerter sur l'ampleur des aliénations et des dominations. Mais elle ne suffit plus. D'autres approches sont à mobiliser.
Bruno Frère et Jean-Louis Laville les identifient et soulignent notamment l'apport des pragmatismes et des épistémologies du Sud. Croisant ces analyses, ils concentrent leur attention sur des combats de plus en plus présents (zapatisme, zones à défendre, mobilisation pour le climat, défense des libertés associatives, écoféminisme...) et des résistances encore trop souvent invisibles (circuits courts, communs, économie solidaire...).
Les auteurs montrent ainsi que, par-delà les dangers, la démocratie se réinvente déjà, y compris en tissant de nouveaux liens entre humains et non humains, entre acteurs et chercheurs.
Parce qu'il conjugue une synthèse originale des travaux les plus marquants du XXe siècle avec l'examen d'expériences foisonnantes, cet ouvrage formule les bases d'une nouvelle théorie critique et d'une conception renouvelée de l'émancipation. En ce sens, il est force de propositions pour celles et ceux qui ne se satisfont ni de l'immobilisme ni du catastrophisme.
Bruno Frère est directeur de recherches au FNRS et professeur à l'université de Liège. Il a coordonné Le Tournant de la théorie critique aux éditions Desclée de Brouwer.
Jean-Louis Laville, après avoir été chercheur au CNRS, est professeur du Conservatoire national des arts et métiers, titulaire de la chaire économie solidaire, membre du laboratoire HT2S. Il a publié au Seuil L'Économie sociale et solidaire. Pratiques, théories débats.
Aimer quelqu'un qui ne veut pas s'engager, être déprimé après une séparation, revenir seul d'un rendez-vous galant, s'ennuyer avec celui ou celle qui nous faisait rêver, se disputer au quotidien : tout le monde a fait dans sa vie l'expérience de la souffrance amoureuse. Cette souffrance est trop souvent analysée dans des termes psychologiques qui font porter aux individus leur passé, leur famille, la responsabilité de leur misère amoureuse.
Dans ce livre, Eva Illouz change radicalement de perspective et propose une lecture sociologique de la souffrance amoureuse en analysant l'amour comme une institution sociale de la modernité. À partir de nombreux témoignages, d'exemples issus de la littérature et de la culture populaire, elle dresse le portrait de l'individu contemporain et de son rapport à l'amour, de son fantasme d'autonomie et d'épanouissement personnel, ainsi que des pathologies qui lui sont associées : incapacité à choisir, refus de s'engager, évaluation permanente de soi et du partenaire, psychologisation à l'extrême des rapports amoureux, tyrannie de l'industrie de la mode et de la beauté, marchandisation de la rencontre (Internet, sites de rencontre), etc. Tout cela dessine une économie émotionnelle et sexuelle propre à la modernité qui laisse l'individu désemparé, pris entre une hyper-émotivité paralysante et un cadre social qui tend à standardiser, dépassionner et rationaliser les relations amoureuses.
Un grand livre de sciences sociales sur le destin de l'amour dans les sociétés modernes.
Eva Illouz est professeure de sociologie à la Hebrew University de Jérusalem. Elle est l'auteure de nombreux livres, traduits en une quinzaine de langues, parmi lesquels Les Sentiments du capitalisme, paru aux Éditions du Seuil en 2006.
La musique peut nous émouvoir jusqu'au tréfonds de notre être, nous inciter à danser, ou nous rendre tristes et nostalgiques. Quand on est un neurologue aussi compétent qu'Oliver Sacks, ouvert, comme lui, à bien d'autres disciplines, et surtout mélomane de longue date, comment peut-on comprendre et décrire ce pouvoir ?
Plus d'aires cérébrales sont affectées au traitement de la musique qu'à celui du langage : l'homme est donc véritablement une espèce musicale. Bien des exemples le montrent, évoqués par Sacks avec la force et le talent qu'on lui connaît, depuis ce chirurgien frappé par la foudre qui devient soudain pianiste à l'âge de quarante-deux ans jusqu'au frère de Wittgenstein, pianiste et manchot, en passant par les handicapés mentaux mélomanes.
La musique est médicalement bienfaisante : elle anime des parkinsoniens incapables de se mouvoir, apaise des patients atteints de la maladie d'Alzheimer et parvient même à restituer des souvenirs à certains amnésiques.
Notre dimension musicale est ici décrite dans son étendue et sa profondeur, d'un point de vue scientifique, philosophique, et spirituel.
Oliver Sacks est médecin ; il est l'auteur de dix livres, notamment L'Éveil, dont l'adaptation cinématographique fut plusieurs fois nominée au x Oscars, et L'Homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Il vit à New York, où il enseigne la neurologie et la psychiatrie à l'université Columbia, au Medical center et à l'University Artist. On peut en savoir plus sur son travail en visitant son site www.oliversacks.com.
Traduit de l'anglais par Christian Cler.
Emmanuel Macron avait invité les chômeurs à « traverser la rue » pour trouver un travail. Il définissait alors l'individu comme un acteur non seulement solitaire mais aussi rationnel et calculateur, tout à fait informé des conséquences de ses actes. Or cet individu n'existe pas, personne n'est le coach de soi-même et la nation n'est pas une « start up », sinon dans ce certain discours managérial et comptable qu'Emmanuel Macron a repris à son compte et qui le rend dupe du mirage d'un « nouveau monde ».
Car le sujet-citoyen n'est pas celui qui se montre « capable » seul, mais celui qui, avec d'autres, oeuvre à rendre possible telle ou telle option, pour chacun ; l'individu autonome n'est pas un bloc d'intérêts et de concurrence mais celui qui sait ce qui le relie aux autres. L'autonomie, la responsabilité ou la capacité sont des notions qui n'ont de sens que comprises comme porteuses d'une tension : elles relèvent la discordance entre une problématique de séparation (l'indépendance des individus) et d'intégration dans la communauté. Autrement dit, il existe un endettement réciproque entre l'homme et le social. C'est pourquoi, loin d'être anodin, ce propos sur les chômeurs ou celui sur le « pognon de dingue » trahissent, et engendrent, des lectures simplifiantes et univoques du monde social.
Devant un tel dévoiement, Myriam Revault d'Allonnes reprend à nouveaux frais ces notions fondamentales pour en montrer la profondeur, les paradoxes et la puissance. Dans la même veine que le travail qu'elle avait mené sur le sarkozysme dans L'homme compassionnel (2008), cette grande philosophe du politique donne, une fois de plus, une leçon de clarté et de rigueur sur un sujet d'actualité.
Économie de l'attention, incapacité de se concentrer, armes de distraction massive, googlisation des esprits : d'innombrables publications dénoncent le déferlement d'images et d'informations qui, de la télévision à Internet en passant par les jeux vidéo, condamnerait notre jeunesse à un déficit attentionnel pathologique.
Cet essai propose une vision d'ensemble de ces questions qui prend à contre-pied les lamentations courantes. Oui, la sur-sollicitation de notre attention est un problème à mettre au cœur de nos analyses économiques, de nos réformes pédagogiques, de nos réflexions éthiques et de nos luttes politiques. Mais, non, l'avènement du numérique ne nous condamne pas à une dissipation abrutissante.
Comment rediriger notre attention ? À quoi en accorder ? Faut-il que chacun apprenne à " gérer " ses ressources attentionnelles pour être plus " compétitif ", ou faut-il plutôt nous rendre mieux attentifs les uns aux autres ainsi qu'aux défis environnementaux (climatiques et sociaux) qui menacent notre milieu existentiel ? Ce livre défend la seconde voie. Il pose les fondements d'une écologie de l'attention comme alternative à une suroccupation qui nous écrase. Il espère que vous trouverez le temps de le lire...
Yves Citton est professeur de littérature à l'Université de Grenoble et co-directeur de la revue Multitudes. Il a notamment publié Renverser l'insoutenable (Seuil, 2012) et dirigé un ouvrage collectif intitulé L'Économie de l'attention. Nouvel horizon du capitalisme ? (La Découverte, 2014).
L'irruption de la notion de " post-vérité ", désignée comme mot de l'année 2016 par le dictionnaire d'Oxford, a suscité beaucoup de commentaires journalistiques, notamment sur le phénomène des fake news, mais peu de réflexions de fond. Or, cette notion ne concerne pas seulement les liens entre politique et vérité, elle brouille la distinction essentielle du vrai et du faux, portant atteinte à notre capacité à vivre ensemble dans un monde commun.
En questionnant les rapports conflictuels entre politique et vérité, Myriam Revault d'Allonnes déconstruit nombre d'approximations et de confusions. Elle montre que le problème majeur de la politique n'est pas celui de sa conformité à la vérité mais qu'il est lié à la constitution de l'opinion publique et à l'exercice du jugement. L'exploration du " régime de vérité " de la politique éclaire ce qui distingue fondamentalement les systèmes démocratiques, exposés en permanence à la dissolution des repères de la certitude, à la tentation du relativisme et à la transformation des " vérités de fait " en opinions, des systèmes totalitaires, où la toute-puissance de l'idéologie fabrique un monde entièrement fictif.
Loin d'enrichir le monde, la " post-vérité " appauvrit l'imaginaire social et met en cause les jugements et les expériences sensibles que nous pouvons partager. Il est urgent de prendre conscience de la nature et de la portée du phénomène si nous voulons en conjurer les effets éthiques et politiques.
Myriam Revault d'Allonnes est professeur à l'École pratique des hautes études. Elle a publié de nombreux essais au Seuil, et notamment La Crise sans fin. Essai sur l'expérience moderne du temps (2012).
Toute étape de l'Humanité doit s'organiser autour de principes qui donnent leur unité à ses acteurs.
Les sociétés prémodernes ont eu comme problème à résoudre de reconnaître dans la parenté la structure principale de l'« ordre naturel » que la pensée structuraliste a permis d'analyser.
Les sociétés modernes ont été fondées sur le culte de la raison et de l'origine divine de l'homme et ont étendu par la connaissance et par l'idée de souveraineté populaire son contrôle et sa transformation du monde.
La troisième étape dans laquelle nous venons d'entrer doit reposer sur notre conscience des droits humains fondamentaux : la liberté, l'égalité et les droits qui forment l'individualité de chacun. Nous ne construirons notre société - qui est une société de communication plus que de production -, que si nous respectons ces droits fondamentaux mais aussi l'altérité des autres dans un monde ouvert et l'intimité personnelle de chacun.
Cette vision nouvelle doit permettre de repenser des notions fondamentales telles que la gestion des conflits et surtout le dépassement de l'opposition centrale entre les sociétés de droits et les sociétés d'identités.
La politique de contrôle migratoire ne s’exerce pas uniquement aux frontières, sur le territoire national elle continue d’œuvrer en séparant celles et ceux qui bénéficient d’un séjour régulier des autres qui en sont dépourvus. Elle trace des démarcations intérieures invisibles et implacables quand le spectre de la frontière hante le quotidien des personnes qui chaque jour risquent l’expulsion. En ethnographe, Stefan Le Courant tente de saisir les conséquences intimes de ce gouvernement par la menace.
Après une enquête de plusieurs années auprès d’une quarantaine de sans-papiers, l’auteur restitue avec humanité leur expérience ; il raconte des vies façonnées par la crainte de l’arrestation ou de la dénonciation. Si la menace est, pour celui qui l’exerce, une manifestation de son pouvoir de nuire sans exécution immédiate, pour celui qui y est exposé, elle se traduit par une conscience aiguë et permanente du danger. Obsédante, cette menace pousse à privilégier la solitude et la méfiance ; elle transforme l’environnement proche en un monde de signes potentiellement redoutables : le ton d’une voix, la couleur d’un uniforme, la question d’un camarade de chambre, tout peut être un indice qu’il devient crucial de savoir exploiter. En cherchant à appréhender cette présence qui se dérobe, à vivre la vie d’un sans-papier, l’auteur livre un récit immersif aussi original qu’inédit.Stefan Le Courant est anthropologue, chargé de recherche au CNRS.
Après le temps de la critique et de l'histoire littéraire, vint le temps de la théorie littéraire, ou plutôt des théories littéraires, qui se sont relayées et affrontées durant ces quarante dernières années. Elles s'accordent néanmoins sur le refus de toute psychologie, sur un certain formalisme, et d'abord sur la volonté de réfuter le sens commun, les idées " populaires " sur la littérature : l'auteur comme autorité donnant son sens au texte ; le monde comme sujet et matière de l'œuvre ; la lecture comprise comme conversation entre l'auteur et le lecteur ; le style comme choix d'une manière d'écrire ; l'histoire littéraire comme majestueuse procession des grands écrivains ; la valeur comme propriété objective du canon littéraire.
La théorie a ébranlé ces repères du sens commun, mais le sens commun a résisté à la théorie. Et celle-ci a souvent dû forcer la note pour réduire son adversaire au silence, au risque de s'enfermer dans des paradoxes. C'est le combat de la théorie et du sens commun que ce livre retrace, sans se limiter au domaine français. Le temps est en effet venu d'évaluer nos bonnes années de théorie littéraire afin d'en suggérer un premier bilan.
Des applications qui déterminent notre humeur, des robots humanoïdes qui s’adaptent à notre comportement, des caméras qui
devinent nos gestes, ces technologies nous surveillent pour notre bien : elles sont bien-veillantes. Faudrait-il croire, contre l’idée répandue d’une intelligence artificielle hostile, et qui un jour pourrait prendre le pouvoir, à une bienveillance des machines, toutes organisées autour de nous pour notre plus grand bonheur ? Ou bien l’existence d’un « règne des machines », qui pourraient prendre soin des humains, nous affecte-t-elle au point que notre identité humaine en soit bouleversée ? C’est par le biais des fictions que nous imaginons pour habiter de nouvelles formes de vie que Pierre Cassou-Noguès explore notre rapport à la technologie contemporaine. Car si celle-ci transforme notre environnement matériel, elle chamboule aussi le contenu de nos pensées, de nos émotions, jusqu’aux dimensions les plus intimes de nos subjectivités. Ainsi la philosophie peut-elle analyser à la fois ces nouvelles réalités et les possibilités qu’elles promettent, pour le meilleur comme pour le pire.
Professeur de philosophie à l’université Paris-VIII – Vincennes-Saint-Denis, Pierre Cassou-Noguès a notamment publié au Seuil Les Démons de Gödel (2007), Mon zombie et moi (2010), Lire le cerveau (2012), et Les Rêves cybernétique de Norbert Wiener (2014).
Ce livre tout à fait original est un petit essai d'histoire universelle. On pourrait dire aussi qu'il est une philosophie de l'histoire. Dans un style limpide et accessible, l'auteur traverse les siècles et les continents pour livrer une lecture surprenante, stimulante, de l'ascension et du déclin des empires depuis Rome jusqu'aux empires de Chine en passant par l'Islam, les Mongols et l'Inde des Moghols. Cette lecture audacieuse, qui place en son cœur les questions de la violence et de la paix et oppose le centre pacifique de l'empire et ses marges violentes, est inspirée de la pensée d'un grand théoricien de l'État et de l'Islam médiéval qui vécut au XIVe siècle, Ibn Khaldûn. Cette pensée universelle, d'une portée équivalente à celle de Marx ou de Tocqueville, l'une des seules sans doute qui ne soit pas née en Occident, est, plus qu'un fil rouge, l'armature de ce texte qui nous fait voyager à travers l'histoire des âges impériaux et entend aussi pointer tout ce que notre monde démocratique, né de la Révolution industrielle, a d'exceptionnel – peut-être d'éphémère.
Professeur d'histoire médiévale du monde musulman à l'université Paris Ouest Nanterre La Défense, Gabriel Martinez-Gros est l'un des meilleurs spécialistes de l'Islam classique. Il a dirigé, avec Lucette Valensi, l'Institut d'études de l'Islam et des sociétés du monde musulman (IISMM/EHESS) jusqu'en 2002. Il notamment publié Ibn Khaldûn et les sept vies de l'Islam (Sindbad, 2006) et L'Islam en dissidence (Seuil, 2004, avec Lucette Valensi; réédité en " Points Histoire " sous le titre L'Islam, l'islamisme et l'Occident, 2013).
Il est aujourd'hui courant d'enrôler les pensées du xviiie siècle dans une guerre des civilisations nous contraignant à des prises de positions binaires. Lumières ou Anti-Lumières, République ou communautarisme, laïcité ou fanatisme, modernes ou antimodernes : il faudrait choisir son camp.
Ce livre s'efforce de déjouer ces injonctions belliqueuses en esquissant un autre cadre de lecture et en explorant d'autres corpus. Il appelle à découvrir quelques-unes des voix mineures qui ont vivifié la littérature du xviiie siècle (Bordelon, Mouhy, Bibiena, Graffigny, Charrière ou Potocki), mais que notre canon littéraire a refoulées, parce qu'elles n'entraient pas dans ses dichotomies rassurantes. À travers des sylphides, des loups garous, des singes philosophes, des magiciens de la finance, des marchands-de-merde, des Péruviennes féministes ou des conspirateurs islamistes, ces voix excentrées, bizarres, queer, résonnent fortement avec nos préoccupations actuelles, dès lors qu'on les resitue dans la perspective d'altermodernités qui ont toujours déjà excédé l'affrontement éculé entre modernes et antimodernes.
Loin de toute nostalgie, se mettre à l'écoute des altermodernités des Lumières invite à reconnaître les présences parmi nous d'autres formes de religions, d'économies et de socialités - porteuses de modernités sans colonialité, de sujets sans maîtres et de communs sans souverains.
Yves Citton étudie et enseigne la littérature à l'université Paris 8 et co-dirige la revue Multitudes. Il a publié au Seuil Pour une écologie de l'attention (2014), Médiarchie (2017) et Générations collapsonautes (2020). Ce livre condense des travaux dix-huitiémistes qu'il a menés au cours des trente dernières années.
L'essor des intelligences artificielles réactualise une prophétie lancinante : avec le remplacement des êtres humains par les machines, le travail serait appelé à disparaître. Si certains s'en alarment, d'autres voient dans la " disruption numérique " une promesse d'émancipation fondée sur la participation, l'ouverture et le partage.
Les coulisses de ce théâtre de marionnettes (sans fils) donnent cependant à voir un tout autre spectacle. Celui des usagers qui alimentent gratuitement les réseaux sociaux de données personnelles et de contenus créatifs monnayés par les géants du Web. Celui des prestataires des start-ups de l'économie collaborative, dont le quotidien connecté consiste moins à conduire des véhicules ou à assister des personnes qu'à produire des flux d'informations sur leur smartphone. Celui des microtravailleurs rivés à leurs écrans qui, à domicile ou depuis des " fermes à clic ", propulsent la viralité des marques, filtrent les images pornographiques et violentes ou saisissent à la chaîne des fragments de textes pour faire fonctionner des logiciels de traduction automatique.
En dissipant l'illusion de l'automation intelligente, Antonio Casilli fait apparaître la réalité du digital labor : l'exploitation des petites mains de l'intelligence " artificielle ", ces myriades de tâcherons du clic soumis au management algorithmique de plateformes en passe de reconfigurer et de précariser le travail humain.
Antonio A. Casilli est sociologue, enseignant-chercheur à Télécom ParisTech et chercheur associé au LACI-IIAC de l'EHESS. Il a notamment publié Les Liaisons numériques (Seuil, 2010) et, avec Dominique Cardon, Qu'est-ce que le digital labor ? (INA, 2015).
Postface de Dominique Méda
Le recul du catholicisme en France depuis les années 1960 est un des faits les plus marquants et pourtant les moins expliqués de notre histoire contemporaine. S'il reste la première religion des Français, le changement est spectaculaire : au milieu des années 1960, 94 % de la génération en France étaient baptisés et 25% allaient à la messe tous les dimanches ; de nos jours, la pratique dominicale tourne autour de 2% et les baptisés avant l'âge de 7 ans ne sont plus que 30%. Comment a-t-on pu en arriver là ? Au seuil des années 1960 encore, le chanoine Boulard, qui était dans l'Église le grand spécialiste de ces questions, avait conclu à la stabilité globale des taux dans la longue durée. Or, au moment même où prévalaient ces conclusions rassurantes et où s'achevait cette vaste entreprise de modernisation de la religion que fut le concile Vatican II (1962-1965), il a commencé à voir remonter des diocèses, avec une insistance croissante, la rumeur inquiétante du plongeon des courbes.
Guillaume Cuchet a repris l'ensemble du dossier : il propose l'une des premières analyses de sociologie historique approfondie de cette grande rupture religieuse, identifie le rôle déclencheur de Vatican II dans ces évolutions et les situe dans le temps long de la déchristianisation et dans le contexte des évolutions démographiques, sociales et culturelles des décennies d'après-guerre.
Guillaume Cuchet est professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris-Est Créteil. Il a notamment publié Penser le christianisme au XIXe siècle. Alphonse Gratry (1805-1872) (Presses universitaires de Rennes, 2017).
Invention récente puisqu'elle n'a guère plus de deux siècles, la prison est devenue, partout dans le monde, la peine de référence. L'atteste, en France, le doublement de la population carcérale au cours des trois dernières décennies. Comment comprendre la place qu'elle occupe dans la société contemporaine ? Et comment expliquer que le tournant punitif affecte avec une telle intensité certaines catégories de personnes ? Pour tenter de répondre à ces questions, Didier Fassin a conduit au long de quatre années une enquête dans une maison d'arrêt.
Analysant l'ordinaire de la condition carcérale, il montre comment la banalisation de l'enfermement a renforcé les inégalités socio-raciales et comment les avancées des droits se heurtent aux logiques d'ordre et aux pratiques sécuritaires. Mais il analyse aussi les attentions et les accommodements du personnel pénitentiaire, les souffrances et les micro-résistances des détenus, la manière dont la vie au dedans est traversée par la vie du dehors. La prison apparaît ainsi comme à la fois le reflet de la société et le miroir dans lequel elle se réfléchit. Plutôt que l'envers du monde social, elle en est l'inquiétante ombre portée.
Didier Fassin est professeur de sciences sociales à l'Institute for Advanced Study de Princeton et directeur d'études à l'EHESS. Il a notamment publié La Force de l'ordre (Seuil, 2011) et La Raison humanitaire (Hautes Études-Gallimard-Seuil, 2010).
Dans cette très belle méditation, un philosophe se débat avec l'espérance de survivre, tout en se trouvant dans l'impossibilité intellectuelle et spirituelle d'acquiescer à toute vision naïve d'un autre monde qui serait le monde en double, ou la copie, de ce monde-ci. Il faut faire le deuil de toute image, de toute représentation.
C'est en 1996 que Paul Ricœur, âgé de 83 ans, ose la question : " Que puis-je dire de ma mort ? " Comment " faire le deuil d'un vouloir-exister après la mort " ? Cette longue réflexion sur le mourir, sur le moribond et son rapport à la mort, également sur l'après-vie (la résurrection), passe par deux médiations : des textes de survivants des camps (Semprun, Lévi) et une confrontation avec un livre du grand exégète Xavier Léon-Dufour sur la résurrection.
La seconde partie du livre est faite de textes écrits en 2004 et 2005, que le philosophe a lui-même appelés " fragments " (sur le " temps de l'œuvre " et le " temps de la vie ", sur le hasard d'être né chrétien, sur l'imputation d'être un philosophe chrétien, sur la controverse, sur Derrida, sur le Notre-Père ...). Textes courts, rédigés parfois d'une main tremblante, alors qu'il est déjà fatigué. Le dernier, de Pâques 2005, a été écrit un mois avant sa mort.
Paul Ricoeur, grand philosophe du XXe siècle, est décédé le 20 mai 2005.
Le catholicisme, hier encore religion de la très grande majorité des Français, n'est plus ce qu'il était. Un tiers des enfants seulement sont désormais baptisés en son sein (contre 94 % vers 1965) et le taux de pratique dominicale avoisine les 2 % (contre 25 % à la même date). Un tel changement, qui n'est pas achevé, a des conséquences majeures, aussi bien pour cette religion que pour le pays tout entier, façonné, dans la longue durée, par cette longue imprégnation catholique.
Dans le prolongement de Comment notre monde a cessé d'être chrétien, Le catholicisme a-t-il encore de l'avenir en France ? se penche sur certaines de ses manifestations contemporaines : la mutation anthropologique qu'entraîne le fait de mourir sans croire pour la génération des baby-boomers et ses descendants ; les transformations de la scène funéraire contemporaine et la diffusion de la crémation ; les recompositions de l'ascèse sous la forme du running ; les inquiétudes suscitées par l'islamisme ; la montée des « sans-religion », notamment chez les jeunes ; l'intérêt largement répandu pour la « spiritualité », qu'on oppose volontiers désormais à la « religion » ; le devenir minoritaire du catholicisme et les problèmes identitaires que lui pose le phénomène ; la manière dont, dans la longue durée, l'Église s'adapte plus ou moins à la modernité.
In fine, l'auteur pose la question de savoir si l'on n'a pas plus à perdre qu'à gagner à cette mutation.