Les convergences entre arts du temps et de l'espace sont plus actuelles que jamais. Rencontres, doubles vocations, collaborations, influences, transpositions, métissages divers caractérisent l'esthétique de notre temps, dont l'ouverture multimédia s'affirme comme un refus du purisme des générations précédentes. Mais le phénomène ne date pas d'hier, et la modernité se teinte parfois d'archaïsme. C'est Stendhal qui nous a légué la manie des comparaisons entre peintres et compositeurs, et les permanences sont nombreuses et significatives, qui vont des origines pythagoriciennes de la musique des sphères aux racines romantiques du musicalisme. Cette quête de correspondances, expression d'une nostalgie de l'unité perdue, s'oriente tantôt vers le domaine des synesthésies et du mythe de l'audition colorée, tantôt vers celui des proportions harmoniques, où l'analogie musicale s'insinue dans les théories picturales. La peinture elle-même n'y échappe guère, et Bach et Wagner sont sans doute les musiciens qui ont le plus souvent nourri l'imaginaire des artistes. C'est à diverses facettes de ce dialogue séculaire que sont consacrés ces essais.
Les différents essais regroupés par Adorno lui-même sous le titre schubertien de Moments musicaux appartiennent à des époques très différentes : certains sont des écrits de jeunesse datant de la fin des années vingt et des années trente ; d'autres ont été écrits après la guerre, jusqu'au plus récent publié au début des années soixante. Ils témoignent de l'évolution d'Adorno dans son effort pour articuler la réflexion philosophique et une approche sociologique de la musique à la logique interne des oeuvres. Les sujets traités sont extrêmement divers : Schubert, le style tardif de Beethoven, le Freichütz de Weber, les Contes d'Hoffmann d'Offenbach, Parsifal de Wagner, mais aussi le jazz, le Quintette à vents de Schoenberg, Mahagonny de Kurt Weill, Krenek, le rapport entre progrès et réaction, etc. Adorno y déploie une pensée engagée, liée à la musique de son temps, mais dans laquelle le passé demeure un enjeu. Martin Kaltenecker, traducteur de cet ouvrage qu'il a également annoté, propose en fin de volume un commentaire développé et approfondi dans lequel il replace les problématiques abordées dans les Moments musicaux à l'intérieur du contexte général de la pensée d'Adorno.
Longtemps restés confidentiels, les écrits de Gyrgy Ligeti (1923-2006) constituent un document essentiel ; non seulement parce que ce sont ceux de l'un des plus grands compositeurs de son époque, mais aussi parce qu'ils développent une pensée originale et profonde qui se distingue de celle de ses contemporains. Le fait que Ligeti ait intégré tardivement le cercle de Darmstadt après avoir fui la Hongrie en 1956, alors qu'il avait déjà composé des oeuvres majeures dans le sillage de Bartók, a favorisé son approche critique de la situation musicale, et en particulier du sérialisme. Dans les essais écrits au tournant des années cinquante et soixante, il fonde sa propre démarche en faisant apparaître les contradictions de la composition sérielle comme celle de Cage. Une partie importante des textes est consacrée à l'oeuvre de Webern, que Ligeti découvrit à ce moment-là. Plus tard, ses réflexions témoignent de son ouverture d'esprit, de la recherche de voies nouvelles, et d'un éclatement des références : elles ont un caractère autobiographique plus marqué. S'y ajoutent de nombreux témoignages et des hommages qui ne concernent pas seulement les musiciens, et qui font apparaître la grande humanité du compositeur. Ligeti, dans chacun de ses textes, va droit à l'essentiel ; son style est d'une grande clarté, évitant tout jargon. Avec une érudition immense, il convoque aussi bien les peintres, les écrivains et les scientifiques que les musiciens. La sobriété de l'écriture, chez lui, est articulée à l'humour et à l'auto-ironie ; la précision à une imagination fantasque. Les sujets les plus divers sont abordés : en plus de Bartók, Webern et le sérialisme, qui sont le coeur de sa réflexion, la pédagogie, la pensée du timbre, l'espace, l'écriture moderne pour orgue, la nouvelle musique américaine... Avec ce troisième volume publié par les éditions Contrechamps, c'est l'ensemble des écrits de Ligeti qui sont désormais disponibles en français. Il vient en effet après les Neuf essais sur la musique parus en 2002 (deuxième édition en 2010) et le recueil intitulé L'Atelier du compositeur paru en 2013. La traduction française, comme pour les précédents volumes, est de Catherine Fourcassié.
Dans ce livre qui complète une série d'études menées sur la culture durant l'époque nazie, l'historien Michael Kater suit le parcours de huit compositeurs très différents les uns des autres, auscultant le comportement d'artistes qui avaient déjà, au moment de l'avènement de Hitler en 1933, une réputation dans la sphère musicale allemande et internationale. Son étude minutieuse, qui s'appuie sur une documentation en partie inédite, d'une exceptionnelle richesse, suit la trajectoire de personnalités qui choisirent ou bien la collaboration et l'opportunisme, ou bien la résistance et l'exil. Dans la première catégorie, les deux compositeurs postromantiques, Strauss et Pfitzner, s'accommodèrent du pouvoir nazi au nom de la grande tradition germanique ; Hindemith partageait cette position, mais le modernisme qu'il avait incarné sous la République de Weimar suscitait un rejet qui le contraignit finalement à l'exil. Orff et Egk saisirent l'occasion de faire carrière et de représenter la nouvelle Allemagne par leurs oeuvres et leur activité. À l'opposé, Schoenberg et Weill, qui étaient juifs, prirent immédiatement le chemin de l'exil. Hartmann, enfin, cessa de composer, restant à l'écart de la vie publique jusqu'à la fin de la guerre. Ces huit destins croisés mettent cruellement en jeu les rapports entre l'esthétique et la politique, sur fond de lutte entre les Anciens et les Modernes.
Gyrgy Kurtág (né en 1926) a toujours refusé de parler sur la musique, et sur la sienne en particulier. Les témoignages ici rassemblés constituent la totalité de ses interventions verbales : la plupart sont issues d'entretiens ; ils constituent un document précieux pour tous ceux qui veulent entrer dans l'univers du compositeur, qu'ils soient interprètes ou auditeurs. Cette parole parfois hésitante est une parole de vérité : l'homme se livre tout entier, laissant apparaître l'univers intérieur qui fonde son oeuvre et lui confère une force expressive magnétique. Les trois entretiens avec Bálint András Varga ont été réalisés entre 1982 et 2008. Dans les deux hommages émouvants consacrés à son ami Gyrgy Ligeti, Kurtág recompose ses souvenirs dans une forme étonnante, et son récit rejoint celui de la grande histoire, si mouvementée pour ces deux compositeurs nés juifs en des temps hostiles, dans une région déchirée entre deux pays et trois cultures, et finalement rejetée de l'autre côté du rideau de fer. On ne peut qu'être touché par l'authenticité de cette parole et fasciné par cette quête inlassable où l'homme se joue tout entier. Le texte s'accompagne de dessins faits par Kurtág lui-même.
Ces Neuf essais sur la musique ont été choisis par le compositeur parmi une grande quantité de textes liés à son activité créatrice : ils ont été choisis en fonction de l'éventail de leurs préoccupations et de leur pertinence théorique, et ils couvrent une période allant de 1957 à 1991. Par l'originalité et la profondeur de leurs propos, ils représentent une contribution majeure à la réflexion sur la musique de notre temps. Ils abordent les différentes dimensions du phénomène musical et les différents aspects de la pensée compositionnelle, de la dissonance chez Mozart jusqu'aux problématiques de la musique électronique, de l'harmonie chez Webern ou de l'automatisme sériel chez Boulez jusqu'à une conception renouvelée de la forme, du langage et de la notation. À partir de ces différents sujets, Ligeti parvient à une synthèse, à un élargissement et à un dépassement des catégories de pensée élaborées durant les années cinquante, avec un esprit ouvert et résolument non dogmatique, qui s'accompagne d'une rigueur extrême. Si les problématiques abordées ici ne se réfèrent pas directement aux oeuvres de Ligeti, elles y renvoient pourtant constamment et en éclairent l'arrière-fond conceptuel.
Ce volume regroupe tous les essais de Carl Dahlhaus sur la Musique Nouvelle publiés entre 1965 et 1971. Ils traitent des problématiques soulevées par la musique de l'après-guerre, sous un angle tantôt technique, tantôt esthétique, tantôt sociologique. Les questions du rythme, du timbre, de la notation, du matériau, de la forme croisent ainsi les concepts d'avant-garde et d'oeuvre autonome, les problèmes du sens et du non-sens, de la musique engagée, des genres musicaux... La méthode de ce musicologue aux connaissances encyclopédiques vise à cerner aussi objectivement que possible une notion, une idée, une oeuvre ou une tendance tout en les replaçant dans un vaste contexte esthétique et historique. Elle se présente ainsi comme une médiation indispensable entre les oeuvres proprement dites, les conceptions qui leur sont liées, et une réception riche de sens. « La réflexion qui s'attache à la musique, ou même à la littérature, n'est aucunement étrangère à la musique : elle en fait partie en tant qu'événement historique, voire en tant qu'objet de perception. Ce qui se perçoit de la musique dépend, en partie, de ce qu'on a lu à son propos ».
Dans cet ouvrage collectif placé sous la direction de Jean-Louis Leleu et Pascal Decroupet, la musique de Pierre Boulez est approchée de façon à la fois analytique et esthétique : l'approche rigoureuse du langage musical conduit à des réflexions sur ses enjeux. Les différents auteurs nous font entrer dans l'atelier du compositeur, éclairant ses procédés d'élaboration, les mutations d'une oeuvre à l'autre, l'évolution de sa pensée, les projets inaboutis et certains éléments qui l'ont influencé. Sont étudiées en détail des pièces comme le Livre pour quatuor, Le Marteau sans maître, la Troisième Sonate pour piano, Figures, Doubles, Prismes, Éclat/Multiples ou Rituel, mais aussi des pièces retirées. Il s'agit de contributions originales qui apportent une somme d'informations nouvelles et décisives pour la compréhension d'une pensée musicale ayant marqué en profondeur les cinquante dernières années. Pour qu'ils soient plus lisibles et plus faciles à consulter, les exemples musicaux et les fac-similés des manuscrits de Boulez ont été gravés sur le CD-ROM joint.
Dans ce volume d'écrits faisant suite aux Neuf essais sur la musique publiés antérieurement, Gyrgy Ligeti (1923-2006) nous fait entrer dans son atelier de compositeur. Se trouvent ici réunis non seulement tous les textes qu'il a consacrés à ses oeuvres, mais aussi tous ses écrits autobiographiques. Le regard porté sur une vie mouvementée ou sur sa judéité, les souvenirs et les prises de position polémiques, les commentaires d'une étonnante précision sur ses propres compositions, témoignent tous d'une extrême lucidité, celle d'un artiste ballotté par les vents contraires de l'histoire, partagé entre plusieurs pays et plusieurs cultures, mais toujours suprêmement libre. Représentant critique d'une avant-garde musicale qu'il n'a cessé de bousculer, cet ennemi acharné de toute idéologie, qu'elle fût politique ou esthétique, fut un artiste à la fois rigoureux et plein d'une fantaisie débridée, un penseur et un artisan. Ses textes constituent un témoignage précieux et une source indispensable d'informations. Un troisième recueil, consacré à ses essais et à ses réflexions esthétiques, viendra clore cette édition complète des écrits de Gyrgy Ligeti.
Parallèlement à son activité au sein de Contrechamps, dont il a été le fondateur et le directeur artistique durant près de trente années, et à un travail d'enseignant au sein des conservatoires de musique, Philippe Albèra (né en 1952) a écrit de nombreux textes sur la musique du xxe siècle, sous la forme d'essais, de portraits de compositeurs, de textes de circonstance, ou d'introduction aux programmes de concerts. C'est un choix de ces écrits qui est ici publié. Des études sur les enjeux et la situation de la musique actuelle, sur l'influence des musiques extra-européennes, ou sur les théories d'Ansermet, côtoient des portraits de compositeurs marquants (Ives, Schoenberg, Bartók, Zimmermann, Boulez, Berio, Nono, Kurtág, Holliger, Lachenmann, Nunes, Gervasoni, Jarrell, etc.), et des réflexions sur différentes oeuvres. Ces textes, par leur souci de replacer le phénomène musical à l'intérieur d'un contexte historique et d'idées, s'adressent plus encore qu'au spécialiste à l'amateur éclairé ; ils évitent le jargon musical au profit d'une réflexion esthétique approfondie, soucieuse du contenu de la musique de notre temps.
Cette histoire de la musique américaine replace les différents courants et genres musicaux dans leur contexte économique et social. Elle ne se limite pas aux compositeurs, de Charles Ives à John Adams, mais inclut les différentes formes de musique populaire, depuis la chanson engagée jusqu'au jazz, en passant par les comédies musicales de Broadway. Laurent Denave analyse les tensions entre une sphère savante tôt divisée entre des créateurs originaux et des compositeurs conservateurs ou académiques, et une sphère populaire dominée par les critères commerciaux et davantage faite pour le peuple que par lui. Que ces critères commerciaux s'introduisent à l'intérieur de la musique savante, c'est précisément ce que l'auteur montre à travers différents exemples historiques, qui conduisent à la musique répétitive, assimilée ici à la révolution conservatrice qui eut lieu sur le plan politique. Laurent Denave souligne à quel point le critère de la modernité musicale aux États-Unis est lié à la capacité d'autonomie des compositeurs et comment - à partir de la figure isolée de Charles Ives, qui fonda sa propre compagnie d'assurances et composa durant son temps libre - cette autonomie a tenté de se structurer socialement à travers différentes institutions, dont l'Université a finalement été l'une des plus importantes. Mais il montre aussi comment cette modernité a été tout au long du siècle aux prises avec les diverses formes de conservatisme et de populisme, ainsi qu'avec les intérêts commerciaux de l'industrie musicale. L'analyse sociologique des conditions mêmes de la musique savante fait apparaître l'exclusion de certaines catégories sociales. Fondé sur une documentation impressionnante, écrit d'une plume alerte et vivante, cet ouvrage nous permet de traverser de façon originale une histoire encore mal connue, et jamais présentée ainsi dans son ensemble dans un ouvrage français.
Dans Introduction à la sociologie de la musique, écrit au début des années soixante, Theodor W. Adorno cumule les expériences, les observations et les intuitions d'une vie entière, au long de laquelle la musique tint un rôle capital, indissociable de la réflexion philosophique plus générale. Mais la force de cet ouvrage, l'un des grands classiques de la musicologie du xxe siècle, tient également dans sa dimension visionnaire, d'une portée aujourd'hui encore tout à fait singulière. En effet, à l'heure où la sphère musicale, dans son ensemble, est de plus en plus soumise aux conditions de production de masse et aux impératifs médiatiques, les analyses développées ici révèlent plus que jamais leur pertinence. La démarche adornienne ne se limite pas à décrire sous quelles formes et dans quelles conditions la musique est reçue dans la société. Elle s'attache plutôt - et c'est son originalité profonde - à déceler le contenu intrinsèquement social des oeuvres et des genres musicaux. De plus, débordant le cadre strictement musical, l'ouvrage d'Adorno s'ouvre constamment vers les horizons d'une philosophie critique de la culture. « La dimension sociale des oeuvres d'art n'est pas seulement leur adaptation aux desiderata externes des commanditaires ou du marché, mais constitue précisément leur autonomie et leur logique immanente. »
Les douze essais qui composent les Figures sonores (Klangfiguren) de Theodor W. Adorno datent, à une exception près, de la fin des années cinquante. Ils forment une vaste constellation d'approches du phénomène musical contemporain: la réflexion sur une sociologie de la musique, aussitôt appliquée à la question de l'opéra, à celle du public, et à l'interprétation, croise une réflexion esthétique s'interrogeant sur ses propres critères et une tentative de penser les éléments techniques de la composition, comme ceux de la série ou du contrepoint. Deux essais sur Berg et Webern tracent un portrait, de l'intérieur, des deux compositeurs. Cet ouvrage est traversé par une profondeur de vue qui, liée à une connaissance intime des oeuvres, des problématiques compositionnelles et de leurs enjeux historiques, est extrêmement stimulante pour l'esprit.
La musique de Stefano Gervasoni, né en 1962, trace avec une conscience aiguisée son propre chemin ; tout en évoluant de façon significative, elle conserve une remarquable unité. Dans sa fragilité même, elle est représentative des enjeux de notre époque, qu'elle réfléchit avec acuité. Sur le plan musical, par son exploration du timbre, qui bouleverse les conceptions traditionnelles, par son intégration à une pensée plus large, qui met en jeu tous les paramètres de la composition, et par des formes où sont combinés la technique du montage et le sens de la trajectoire. Sur un plan plus général, par le souci de lier sa musique à des questions éthiques, spirituelles, politiques et poétiques qui lui confèrent un contenu extrêmement riche, et qui ont conduit le compositeur à se confronter à des idiomes éloignés, comme le fado, ou à des matériaux historiques, comme les accords parfaits, sans toutefois effectuer le moindre retour vers le passé. Au contraire, toute sa démarche témoigne pour une invention qui ouvre constamment de nouveaux territoires, mêlant à une imagination fertile la profondeur du métier et un sens critique aiguisé. Sa musique est hautement expressive, et sait préserver les formes de l'enchantements à côté de moments plus sombres et plus durs. Dans la situation présente, où les mouvements de régression prennent une place grandissante, cette recherche tenace et sans concession est un motif d'espérance.
Né le 11 décembre 1908 à New York, Elliott Carter doit sa vocation musicale à son intérêt pour la musique moderne dans les années vingt, lié à une immense curiosité pour toutes les manifestations artistiques nouvelles. Sa rencontre avec Charles Ives en 1925 fut décisive. Dans les années trente, sous la pression des événements politiques et sous l'influence de l'enseignement de Nadia Boulanger, Carter se rapprocha du style néo-classique. Ce n'est qu'à la fin des années quarante qu'il développa un style vraiment personnel, échaffaudant une oeuvre exigeante, profonde et originale, qui représente sans conteste l'une des expériences musicales les plus importantes de ce siècle. Dans ses entretiens avec Allen Edwards, Carter raconte de nombreux souvenirs rattachés à sa période de formation, décrivant aussi bien la vie artistique du New York des années vingt que le climat très particulier du Paris des années trente, évoquant les figures de Charles Ives, Edgar Varèse, Nadia Boulanger ou George Balanchine, et celles de ses collègues Aaron Copland ou Roger Sessions. Il y explique aussi sa manière de travailler, clarifiant les principaux aspects de sa pensée musicale, et décrivant la genèse de certaines de ses oeuvres. Dans ces trois entretiens, il développe de nombreuses et passionnantes réflexions sur la musique de l'Ecole de Vienne ou sur le sérialisme des années cinquante, mais aussi sur la relation entre le compositeur et la société, abordant sans pédanterie certaines questions techniques. Ces entretiens sont ainsi non seulement une source précieuse d'informations sur le compositeur et sur son oeuvre, mais aussi la meilleure introduction à sa musique.
Claude Helffer, né le 28 juin 1922 à Paris, fait partie de ces interprètes d'exception qui accompagnent et suscitent la création, témoins actifs d'une époque et médiateurs privilégiés entre les compositeurs et le public. Élève de Robert Casadesus (pour le piano) et de René Leibowitz (pour l'écriture), diplômé de l'École Polytechnique, engagé dans les combats de son temps comme dans les différents mouvements de la création musicale, Claude Helffer a mené une grande carrière de soliste, sans négliger les ensembles de musique contemporaine (il participa à l'aventure du Domaine Musical dès ses débuts) ni la musique de chambre. Il a créé un grand nombre d'oeuvres, certaines ayant été composées à son intention, et il est devenu l'interprète de prédilection de certains compositeurs comme Boulez ou Xenakis. Il retrace ici sa trajectoire, livrant ses convictions et ses souvenirs, développant sa conception de l'enseignement, parlant des compositeurs qu'il a fréquentés, racontant son travail avec des chefs illustres. C'est à la fois le portrait d'un musicien inspiré, passionné, généreux, et celui d'une époque foisonnante qu'il a marquée de sa personnalité.
Luigi Dallapiccola (1904-1975) appartient à une génération intermédiaire entre celle de Webern, Stravinski ou Bartók, et celle de Boulez, Nono ou Berio. Comme son contemporain Bernd Alois Zimmermann, il a forgé son style au gré d'une évolution solitaire, rompant dans les années trente à la fois avec le vérisme et le néoclassicisme qui dominaient la scène musicale italienne, et dans le domaine politique avec le fascisme. La modernité de l'écriture, chez lui, est inséparable d'un engagement humaniste - l'oeuvre est témoignage. Par sa position historique, son indépendance et son exigence tant humaines que stylistiques, il fut le modèle de toute une génération de compositeurs italiens de l'après-guerre. Mais en même temps, son oeuvre est restée marginale, et elle demeure mal connue. Significativement, ce livre est le premier en français sur Dallapiccola ; Pierre Michel y replace le compositeur dans son contexte historique avant d'aborder certains aspects de son style ; cet ouvrage comporte de nombreux documents inédits, ainsi qu'un catalogue détaillé des oeuvres.
La situation de la musique contemporaine apparaît à beaucoup comme « confuse » : la coexistence des tendances les plus diverses ne laisse pas apparaître une direction précise ; la multiplication des enjeux les plus contradictoires rend impossible toute synthèse ; la place de la création dans la société et dans le contexte intellectuel de la fin du siècle oscille entre reconnaissance institutionnelle et indifférence. Dans une telle situation, la parole des compositeurs, dans sa diversité et sa spontanéité, est de la plus grande importance. Elle est la source première, faisant apparaître le contexte d'idées, de représentations et de sensibilité à l'intérieur duquel sont nées les oeuvres. Ainsi, les textes et les entretiens publiés ici permettent-ils à la fois d'entrer dans l'atelier de la création et reflètent la diversité des approches, des références, et des points de vue. On y retrouve plusieurs générations de compositeurs qui ont marqué leur temps, que ce soit à travers l'expérience sérielle, la recherche électro-acoustique, le théâtre musical ou la musique répétitive. Ce panorama de la création musicale est publié à l'occasion des vingt ans de Contrechamps.
À travers une activité critique qui a commencé en 1937 dans la revue Modem Music, et qui fut consacrée quasi exclusivement à la musique contemporaine, Elliott Carter n'a cessé de réfléchir aux questions fondamentales de la composition et de l'esthétique musicales. Par ses appréciations sur les oeuvres entendues en création, ses hommages à des compositeurs comme Stravinsky, Varèse, Ives ou Wolpe, qu'il a bien connus, et ses essais sur le rythme et le temps musical, Carter se situe de façon originale par rapport aux différents mouvements de la musique moderne : les avant-gardes américaine et européenne de la première partie du siècle, le néo-classicisme et le populisme américain des années vingt à quarante, les musiques sérielles et aléatoires de l'après-guerre. Cette traversée de l'histoire est aussi une tentative de définir sa propre position en tant que compositeur américain; au-delà de la « couleur locale », il cherche à penser la tradition américaine en relation avec les mouvements novateurs européens, critiquant au passage le conservatisme institutionnel de son pays. Les écrits d'Elliott Carter éclairent par ailleurs une démarche créatrice d'une richesse et d'une profondeur exceptionnelles, déployée sur plus de cinquante ans. Ce choix d'écrits paraît à l'occasion de son quatre-vingt-dixième anniversaire, en signe d'hommage et de reconnaissance.
Ce livre est la première étude d'ensemble publiée en français sur la musique d'Elliott Carter, né en 1908. Max Noubel y décrit les années de formation du compositeur dans le contexte de l'entre-deux-guerres, puis son orientation esthétique solitaire dans le courant des années quarante, qui ouvre à l'une des aventures artistiques les plus fascinantes et les plus fécondes de cette seconde moitié du xxe siècle. Suivant l'évolution même de Carter, chez qui la biographie s'efface progressivement devant la production de plus en plus intense des oeuvres, Max Noubel nous fait entrer dans l'atelier du compositeur : il présente les fondements de son langage, ainsi que l'ensemble des pièces écrites sur une période de plus de soixante ans. L'analyse des structures révèle la richesse des significations. Si l'auteur insiste sur la construction du temps, c'est que les oeuvres de Carter apparaissent sous la forme de récits ou de drames dont les personnages sont les instruments eux-mêmes. Loin de tout dogmatisme, Carter cherche à exprimer l'« homme ondoyant et divers » cher à Montaigne, qui accède à la pleine conscience de lui-même dans le dialogue ou la confrontation avec ses partenaires. La construction du temps, à travers l'écriture musicale, est alors construction de liberté. C'est en quoi le temps cartérien est un temps fertile. Ce livre est précédé, en guise de préface, d'un entretien avec Pierre Boulez.
Les écrits de Béla Bartok (1881-1945), réunis ici pour la première fois dans leur quasi-intégralité en français, abordent de nombreux thèmes : les orientations de la musique nouvelle, la démarche de compositeurs contemporains comme Strauss, Debussy, Schoenberg, Stravinsky, Ravel ou Kodály, la spécificité de la situation hongroise, la présentation de ses propres oeuvres, mais aussi les relations entre musique populaire et musique savante, la question de l'atonalité ou celle de la musique mécanique, les problèmes soulevés par le nationalisme et les théories raciales, les rapports de l'art et de l'État... Dans un style sobre et précis, Bartok défend des positions intransigeantes, parfois virulentes, et qui vont toujours droit à l'essentiel, qu'il s'agisse d'essais développés, de prises de position polémiques, ou de critiques musicales comme celles qui témoignent de la situation en Hongrie dans les années vingt. Tous ces documents, dont beaucoup inédits jusqu'à ce jour en France, sont adossés à l'une des oeuvres majeures de la musique du xxe siècle, qu'ils contribuent à éclairer.
Dans les études formant ce recueil, résultat de nombreuses années de recherche, Jean-Louis Leleu fait apparaître les logiques intrinsèques des langages musicaux du xxe siècle affranchis de la référence tonale. Il le fait à travers un travail d'analyse méticuleux, fondé sur l'analyse du texte musical. Mais en s'appuyant sur la notion d'idée musicale avancée par Schoenberg et sur les travaux de George Perle, auquel il rend hommage en ouverture, il indique combien l'approche du matériau et des techniques d'écriture reste pour lui soumise à la réalité sonore dans ses articulations rhétoriques et formelles, ainsi qu'aux intentions musicales des compositeurs et à leur poétique. La première partie, « Exposition », est en quelque sorte le « discours de la méthode » : elle donne des repères théoriques, s'attachant par ailleurs à saisir la logique singulière du langage musical de Bartók et à interroger l'approche de Debussy réalisée par le musicologue germanique Ernst Kurth. Dans les « Développements » qui suivent, Jean-Louis Leleu aborde les trois univers de Debussy, Webern et Boulez, qui représentent trois repères essentiels tout au long du xxe siècle. Il fait apparaître chez ces trois auteurs les mécanismes de pensée qui débouchent sur des organisations cohérentes. Celles-ci, ainsi révélées, éclairent le sens des oeuvres. Les critères esthétiques sont ainsi dégagés de manière objective à partir de la réalité musicale elle-même. Ces différentes études, fragments d'un grand oeuvre théorique in progress, constituent par leur précision et leur pénétration une des approche les plus rigoureuse et les plus profonde de la musique du xxe siècle.
Dans les différents domaines de l'activité artistique, et dans la musique en particulier, le terme d'avant-garde ne jouit plus d'une grande considération. Il a paru progressivement dévalué, à la fois dans les travaux critiques de ces dernières années, et dans les propos tenus par les compositeurs eux-mêmes. Il a disparu au profit de termes tels que « post-modernisme », « néoromantisme », « nouvelle simplicité », « nouvelle intelligibilité », qui témoignent d'une réaction que l'on observe aussi dans la pensée en général. Simple mouvement de balancier dû au changement de génération, ou incapacité à définir l'art autrement que par rapport à des modèles temporels normatifs, comme le suggère Jean Clair ? Il semble que la question du rapport à la tradition soit aujourd'hui redevenue centrale pour la création : non pas comme prise de position esthétique, programmatique, polémique, mais dans la dimension concrète des liens entre le compositeur et les institutions musicales, et dans l'écriture elle-même. Les termes cités plus haut rendent alors mal compte de la réalité : ils la simplifient exagérément, donnant l'illusion d'un ordre là où règne une multiplicité de choix individuels, souvent complexes et ambigus. Dans quelle mesure une telle terminologie introduit-elle des a-prioris idéologiques qui faussent l'approche concrète des oeuvres ? Nous pourrions dire en effet avec Kagel que « c'est l'arsenal des concepts historico-musicaux communément utilisés qui a influencé la composition des oeuvres (non le contraire, donc), car les musiciens s'identifiaient rapidement et très volontiers à une notion d'« école », même si une telle identification ou typisation trop facile n'était pas du tout conforme à leur esprit. ».
La disparition des « systèmes » universels, dans la pensée et dans les arts, ainsi que la connaissance de plus en plus approfondie des diverses cultures non européennes, ont provoqué la multiplication des codes relatifs et éphémères, liés à une personnalité ou à un groupe, et sans cesse remis en question. Les compositeurs, au cours du vingtième siècle, n'ont cessé de repenser les relations complexes du matériau et du langage, de la construction et de l'intuition, des systèmes conçus et des systèmes perçus, de la tradition et de l'expérimentation... Comment peut-on appréhender une oeuvre qui ne s'inscrit pas dans un code reconnu ? Peut-elle seule instaurer un ordre perceptible et signifiant? Faut-il partir, comme Fred Lerdahl, à la recherche d'universaux, ou considérer, avec François Nicolas, que la dissociation entre l'écriture et la perception est irrémédiable ? Est-ce une question qu'il faut résoudre par l'analyse technique ou par la réflexion philosophique, comme le tentent Lev Koblyakov, Marcelle Guertin, Anthony Newcomb et Erwin Laszlo, ou faut-il faire appel à la psychologie expérimentale, comme le suggère, par ses travaux, Irène Deliège ? L'oeuvre, nous rappellent toutefois Jean-Jacques Nattiez, Pierre-Michel Menger et Jürg Stenzl, ne peut être détachée de son contexte historico-idéologique; elle nécessite une approche sociologique, mais libérée de certains modèles trop réducteurs. Enfin, ne faut-il pas élargir notre champ de vision, relativiser nos critères d'appréhension en les confrontant, comme le fait Simha Arom, aux musiques d'autres civilisations ? Ces textes ont été lus, dans une première version, lors d'un symposium organisé par Contrechamps et l'Université de Genève en mars 1987. Retravaillés par leurs auteurs, ils sont tous inédits. Une discussion réunissant l'ensemble des protagonistes clôt ce volume.