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Table des matières
PRÉFACE d’Isabelle Huppert
INTRODUCTION
ENTRETIEN avec Benoit Jacquot
LES FILMS de cinéma
1975 L’Assassin musicien
1977 Les Enfants du placard
1981 Les Ailes de la colombe
1986 Corps et biens
1988 Les Mendiants
1990 La Désenchantée
1995 La Fille seule
1997 Le Septième ciel
1998 Par coeur
1998 L’École de la chair
1999 Pas de scandale
2000 La Fausse suivante
2000 Sade
2001 Tosca
2002 Adolphe
2004 À tout de suite
2006 L’Intouchable
2008 Villa Amalia
2010 Au Fond des bois
2012 Les Adieux à la reine
LES FILMS de télévision
Les documentaires
Les fictions
- 1982 Une villa aux environs de New-York
- 1992 Emma Zunz
- 1995 La Vie de Marianne
- 2004 Princesse Marie
- 2006 Gaspard le bandit
- 2010 Les Faux-Monnayeurs
FILMOGRAPHIE
REMERCIEMENTS
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Extrait
Le monde change, et ne change pas. Il y a davantage d’ordinateurs, de plastique et de béton, d’hélicoptères, de violence et de boutiques identiques, mais ce n’est qu’une question de décor, ou presque. Le champ d’action semble plus vaste, la souffrance est peut-être plus forte, tumultueuse, les rages plus meurtrières et la solitude hurlante, si on veut, les voitures et les trains vont plus vite, tout le reste aussi par engrenage, les villes explosent et les hommes courent, mais le bruit, l’intensité, la vitesse ne sont que des variables dans le film, des effets de mise en scène qui n’ont de réelle influence ni sur l’histoire, ni sur la nature des personnages. Le monde change mais il n’y a toujours, simplement, que l’être humain et ce qui l’entoure – de notre point de vue, pas de celui des truites ou des rhinocéros (pour les rhinocéros, le monde change (un peu – c’est tout de même, sans vouloir jouer les martyrs, moins compliqué que pour nous), mais il n’y a toujours, simplement, que le rhinocéros et ce qui l’entoure). Toujours l’être humain posé dans un milieu plus ou moins hostile, souvent plus que moins (l’être humain est exigeant), parfois favorable (mais attention, c’est trompeur), posé là seul au milieu des plantes, des immeubles et des autres, lointain, un peu perdu, et aujourd’hui bombardé d’images qui le représentent, ou qui représentent ce qui l’entoure. Des miroirs de tous les côtés – à devenir fou. On passe notre temps à regarder. À contempler un monde qui ne change pas tant que ça. On a déjà tout vu.
Le jour où j’ai reçu les photos de Thierry Clech, accompagnées d’une courte lettre dans laquelle il m’expliquait qu’il avait un peu retrouvé dans mes livres ce qu’il essayait (il est modeste) d’exprimer avec ses photos, et que si je pouvais écrire quelques légendes, ça collerait peut-être, je me suis dit que j’avais déjà tout vu. Le monde, les gens, que ce soit en couleur ou en noir et blanc, on voit ça tout le temps, partout. (Alors que dans mes livres, pardon, là c’est du neuf, là c’est du regard spécial !) En sortant de La Poste, une bière au comptoir du tabac près de chez moi, j’ai quand même jeté un coup d’oeil aux tirages photocopiés, avec l’assurance mollasse du rhinocéros en début d’après-midi. J’avais déjà vu tout ça. Merci bien. Mais après deux ou trois images, la bière a changé de goût : elle est devenue meilleure, plus légère et enivrante. Oui, j’avais déjà vu tout ça, je n’avais vu que ça, mais pas de cette manière. Ce n’était pas l’homme photographié, qui changeait, ni ce qui l’entourait, mais juste le regard (juste) qu’on posait dessus. Un regard spécial – comme dans mes livres nom d’un chien ! (je plaisante un peu, bien sûr, en fait je suis modeste). J’avais soudain, ma bière à la main, entre une petite vieille qui grignotait des cacahuètes et le boucher qui s’envoyait son kir avant de reprendre le boulot, l’impression de mieux comprendre les gens, le monde, la vie, d’y voir plus clair. Une sorte de déclic. (Un peu comme dans ces films policiers de série B improbables, lorsque le héros est devant un ordinateur sur lequel s’affiche la photo d’une foule, vue de haut (ses hommes étaient en observation au sixième étage d’un immeuble neuf, dans un appartement vide) : “Resserre un peu sur le type en tee-shirt, là. Plus, plus. Voilà. Zoome sur sa main droite. La bague, là, fais-moi un gros plan sur la bague. Serre encore. Voilà. Maintenant clarifie l’image. Plus que ça… Bien. Encore plus fin, si tu peux… Oh nom de Dieu ! Regardez ! Vous voyez les initiales ? M.S. ! Max Sanchez …”)
Thierry Clech sait voir le monde, le fonctionnement du monde, comme personne. En tout cas (car dans la vie, sans appareil, il paraît tout à fait normal et n’est pas plus heureux qu’un autre), il sait mettre le fonctionnement du monde dans le rectangle de ses photos. Et par chance, ou par instinct, ou je ne sais quoi, il se trouve souvent au bon endroit, au bon moment (car il ne connaît pas ceux qu’il cadre, et aucune des photos de ce livre n’est posée – si, une, la fille qui se tient les tempes).