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Elle a su voir et capter la profondeur bleue que les glaces donnent à l'Islande, et même l'été, la fraîcheur de ses verts, la densité de ses marrons ; elle a fixé la lumière et pourtant celle-ci semble encore vibrer et se jouer des paysages qu'elle éclaire ; ce sont des ciels, des lacs, des chemins, ce sont des montagnes, des déserts de roches, des chutes d'eau, des souffles de brume, c'est la nature multiple et nue ; et Louise Imagine révèle dans ses photographies que la nature a seulement besoin d'exister pour être belle.
Entrelacée à ces fenêtres ouvertes sur les paysages islandais, la rêverie poétique et musicale de Jean-Yves Fick trace son sillon, une voix d'abord ténue compose le chant d'un ostinato qui passe de rivages lumineux à des ténèbres insondables. C'est le rythme d'une fugue, la mélodie d'un voyage, l'harmonie de la poésie mêlée à celle de la photographie, et c'est l'origine d'un nous, l'origine d'un monde que ce livre pose là comme un jeu de reflets dans l'eau. Subtil et beau.
Une version EPUB3 fixed-layout est également disponible. Préférez donc lire celle-ci si votre appareil le permet, elle est faite pour ça et met les photographies et le texte encore plus en valeur !
Retrouvez également sur la page-livre certains brouillons et notes de Jean-Yves Fick. -
Élie Faure a eu un rôle décisif, constituer l'art en histoire.
Et c'est le paradoxe : au moment où on apprend à penser le cheminement et la constitution des formes esthétiques, dans leur rapport au politique, au social, aux civilisations, naît une nouvelle forme technique qui s'affirme d'emblée à la fois comme populaire et esthétique.
On appelle ça le 7ème art, mais n'est-ce pas qu'un succédané mécanique, lié à des appareils optiques complexes ? Et le caractère populaire, que symbolise au plus haut, dès avant la première guerre mondiale, l'image de Charlot, vient-elle en opposition à nos anciennes traditions d'art, comme le "ceci tuera cela" de Victor Hugo ?
Le cinéma, dans son bouleversement esthétique actuel, et l'immense rôle qu'il a dans notre formation comme dans le mouvement culturel de nos sociétés, doit apprendre à se penser. Plus tard, avec des monuments comme "L'image mouvement" de Deleuze, ce sera acquis. Mais on sait l'importance par exemple des textes d'Artaud, au moment où le cinéma en relief paraissait une utopie plus accessible que la couleur, et qu'ils étaient quelques-uns à considérer la fin du "muet" comme une renonciation...
Alors gratitude à Élie Faure, dans une langue magnifique, d'être le premier à considérer Charlie Chaplin, dès 1922, dans cette complexité et cette perspective. Dans les cinq textes qu'Élie Faure consacre au cinéma, deux en 1922, un en 1934, deux en 1937, tout se joue. Charlie Chaplin (mais aussi Zorro ou Shakespeare) traverseront sans cesse ce questionnement qui s'établit sur les plus hautes traditions de l'analyse de l'art, et le savoir musculeux des peintres.
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"Retards, courses, attentes, désespoirs, arrachements, départs, on sent, bien sûr, en arrière-fond, en arrière-monde, tous ces temps-morts, tous ces gouffres possibles au-dessus desquels le regard danse et trouve des éclats de lumière à retenir, qu'on n'aurait pas cru possibles, qu'on n'aurait pas imaginer. Nous ne sommes pas dans un décor. La vie est là, avec sa palpitation qu'on sait tragique dans les volutes sombres d'un nuage d'orage qui ne manquera pas d'éclater. Des fontaines citadines et urbaines lancent leur eau qui va retomber, qui ne retombe pas. Pas encore. Et cette suspension peut durer tant qu'on regardera l'espace de la représentation." (Isabelle Pariente-Butterlin, postface à "L'Instant T").
Et si le livre numérique était une formidable opportunité pour les photographes ? Non pas comme simple constitution d'album, mais mise en perspective, organisation du voyage.
La possibilité de respecter magnifiquement les images, mais bien plus qu'un album : ici, c'est la photographe elle-même qui propose de brefs textes qui sont une scénographie de l'imaginaire, villes, paysages, mers.
Isabelle Pariente-Butterlin parle dans sa postface des techniques (usage de pellicules périmées, pour cet étonnant travail d'un surgissement de présence) et de la démarche : "Ce ne sont pas des images que nous donne à voir le regard de Louise. Les images entretiennent avec le monde une extériorité un peu froide. Et très distante. Louise imagine la palpitation même de la vie et parvient à l'entendre, dans les pas qui bercent un enfant. Ce ne sont pas des images : ce sont des instants, dans lesquels revenir."
Très fiers d'inaugurer avec "L'Instant T" la collection photographies de publie.net, "Horizons", sous la direction de Louise Imagine. Création graphique originale : Gwen Català pour publie.net.
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Tina Kazakhishvili est photographe. Avec la série Asile (Mental Hospital) elle avance dans des couloirs saisissants et elle attrape au vol les formes humaines qui s'y trouvent. Le noir & blanc renforce les expressions et l'intensité des regards élude les détails parasites. Ne restent que les bras, les visages, les postures et ce qu'ils semblent articuler, discours solitaires et fragiles. Maryse Hache se fait porteuse de paroles et réverbération. Avec les photos de Tina Kazakhishvili qu'elle reçoit (au sens de réception, prendre, et faire toute la place pour accueillir), elle construit un fondu enchaîné de dialogues, d'appels, bribes de sensations venues des corps énonciateurs. Elle donne à lire - comme Tina Kazakhishvili donne à voir - ces paroles oubliées de tous, parquées dans des couloirs perdus, muselées de murs, de grilles, de chambres closes. Elle avance son chemin, parallèle à celui de la photographe, non pas assujettie au pouvoir des photos, mais découvreuse et accompagnatrice. D'autres chambres surgissent et d'autres murs coulissent, qu'elle explore, dont elle témoigne. Témoignage : donner à lire ce qui ne peut se dire, car les paroles sont condamnées (trop de douleurs rend muet). Et faire entendre les voix cachées des profondeurs, celles qui n'ont pas de place ou si peu, celles qui n'ont pas de forces ou les ont toutes perdues, car la vie brise. Et elle brandit ce témoignage, réparatrice. Toutes les deux marchent dans un lieu hors des normes et des hommes, un Asile, lieu de repos, de soulagement ? Peut-être simplement lieu à l'écart de tout, de tous. Et toutes les deux déplacent, remettent au centre de l'attention ce qui se trouvait relégué à la marge. En tirent leçon d'humanité, sans pitié, ni misérabilisme, mais toutes entières mues par un « Tu es. Je te vois. J'entends ce que tu ne dis pas, ce que personne n'écoute ». Travail d'acceptation de ceux-là, et invitation qui nous est faite de les voir, enfin, portés par elles. Tina Kazakhishvili continue son travail de photographe, et va capter d'autres visages dans d'autres mondes obscurs. Maryse Hache continue, en nous, pour nous, son travail du dire et du lirécrire, même si la mort l'atteint, le 25 octobre 2012. Finalement, que ce soit dans les corps, les lieux, les images ou les mots, il n'est question que de toucher, malgré tous les obstacles, ce qui ne pouvait pas s'atteindre.
Christine Jeanney
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Sarajevo, lignes de fuite
Guénaël Boutouillet, Alexandre Chevallier
- Publie.net
- 21 Septembre 2009
- 9782814502673
Là-bas je suis allé là-bas, pour voir, ai vu : plein champ, hors champ, lignes et courbes, de bout en bout. J'ai vu Sarajevo, laquelle ? J'ai vu j'ai vérifié, la carte ne quittait pas mes mains, pliée dépliée sans cesse. J'ai vu Sarajevo, laquelle, Sarajevo, a vu [la guerre]. [la guerre] moi je ne sais pas, pas vu : ai cru lire, parfois, en braille, [la guerre] aveugle, ai cru déchiffrer tâtonnant, déduire de l'eczéma des murs. [la guerre] j'ai entendu tonner son assourdissant silence, d'après l'assaut et son bruit total, silence d'après qui va avec. Plein champ hors champ, le silence vit dans les photos, rampant parfois dans les marges - fait une traînée grasse dans l'espace, autour.
La ville elle vue, en 2004, elle vit sa vie : quotidienne/fanfaronne/ quincaillière/bricoleuse, chamaillée. Selon son cours ordinaire d'avant neige imminente. La ville elle bouine, joue. S'en fout pas mal, moi et mon oeil notre, mouvant, biais (c'est la gêne). [la guerre] là-bas ça fait dix ans, là-bas on fête l'enfance : eux les seigneurs, enfants qui jouent, leur rire résonne, partout, limpide. Et moi nous on y marche mêlé, traces mêlées comme du sang échangé,marche à travers Sarajevo, qu'on croit lire qui sitôt s'efface. Allés y foutre quoi, Sarajevo 2004 : comprendre mais comprendre quoi : [la guerre] ? Quoi, alors. Sarajevo, avant-poste d'incertain réel, contamine contaminera (les ruines présagent) : allés peut-être apprendre, lire dans son passé marqué, un peu de quoi dira notre futur : ce que je vois je le revois, je marche ensemble dans l'informé, toutes extrémités tendues à se rompre, à battre l'air pour démasquer, démasquer qui : huit lettres.
Derrière les signes, alors.
Voir l'envers de l'image, tenter.
Pour voir.
GB
Un travail important, parce qu'il ne s'agit pas d'aller photographier l'autre : c'est notre ville, c'est toutes les villes, c'est habiter la ville. Et la violence, là-bas déchaînée, atteignait le sol de vieille Europe, le nôtre, et d'ailleurs c'étaient nos avions, au-dessus, et c'est notre temps au présent. Rien d'une menace loin.
La parole (à cause de cette incise, dans le texte : La guerre parle......... de Guénaël Boutouillet scrute ces parcelles d'espace et ces gestes d'homme, la photographie s'interroge en permanence sur sa légitimité à traquer le beau, à justifier de sa curiosité, si elle n'est pas d'abord sur nous-mêmes.
Dans la démarche de publie.net, il s'agit d'ouvrir le site à ces réflexions en acte, et utiliser l'ordinateur pour s'y glisser, comme nous le faisons en permanence dans nos recherches et navigations. On donne ici la propre mise en page des auteurs, ce qu'ils ont voulu graphiquement du rapport texte/image.
FB
Guénaël Boutouillet vit à Nantes, il est membre actif de l'équipe remue.net, qui a accueilli de premières mises en ligne de ce travail.
Et fiers d'accueillir dans cette collection Alexandre Chevallier, dont le travail et le site sont comme un indicateur sismique des fissures du monde...
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Il y a dans ces paysages maritimes une force qui nous dépasse.
Comment en nier la beauté primitive, envoûtante, qui nous submerge calmement ?
C'est ainsi.
Le soleil se lève, dans toute sa splendeur juvénile, encore pudique.
C'est ainsi, le soleil se couche dans ses amples teintes extravagantes et chaleureuses.
Nous marchons sur le rivage. Pieds nus. L'eau transparente glisse devant nous, entre nos orteils, puis se retire avec sa dentelle de bulles et d'écumes, avec ses habits d'algues, de coquillages et de sable dégringolant.
Nous marchons sur le rivage, attentifs à l'eau fraîche qui lèche nos pieds, à la lumière qui joue de ses couleurs jusqu'au plus intime de sa symphonie.
C'est ainsi.
C'est beau et intense.
C'est ici que Chris Friel nous entraîne. Sur ces rivages sauvages et magnifiques. Sur ces plages inconnues et pourtant familières.
Comme des tableaux à la mouvance lumineuse, les photographies de Chris Friel nous donnent à voir/toucher/ressentir la rémanence de paysages immuables. Par la profondeur de ses clichés, il nous offre l'empreinte unique - chargée de force, de couleurs et de textures - et sans cesse renouvelée de ces plages que nous avons tous un jour parcourues.
Cela pourrait être n'importe où sur cette planète. Une plage quelconque d'un quelconque pays. Nous sommes de toute façon chez nous.
Là où nous n'avons jamais cessé d'être.
Nous marchons sur ce bord de plage. L'eau glisse, se pose puis repart, joue de sa transparence sur le relief de nos jours fatigués.
Nous marchons, pensées perdues, égarées entre air eau et sable, quelque part dans cette interface fragile et éphémère, sur la ligne scintillante des éléments qui se fondent et se confondent. Pensées en vagues folles, violentes et intrusives, ou encore timides, à peine un voile nacré et elles ne sont déjà plus.
Nous marchons aux côtés de Laure Morali, empruntons la trace de ses pas sur le sable humide, sur ce rivage inondé de lumière, dans cette clairvoyance des instants incisifs. Acuité des émotions qui filent se diluer et renaitre dans les vagues. Entre l'écume rose et le miroitement de l'eau.
Nous suivons Laure Morali, au coeur même du voyage, dans son flot émouvant. Et écoutons. Percevons. La force des marées, de ce qu'elles remuent en nous. Au tréfonds. Là où cela brûle, et consume. Là où cela palpite. En dedans. Cela joue sur nos ancres enfantines, contracte nos amarres. Et nous tenons tant bien que mal, fragiles et ballotés.
Nous tenons, en partie dilués par l'iode et le vent.
Cela pourrait être n'importe quelle année en arrière, après tout. N'importe quel jour, mois ou même saison. Cela pourrait être aujourd'hui. Ou même demain.
Quelle importance ?
Le Cercle du rivage est un voyage, une marche lente et aiguisée sur le fil de nos sens et de nos perceptions intimes. Un voyage vers notre renaissance.
Un grain d'éternité, précieux, battu par les marées et le vent du large.
Et que nous protégeons précieusement dans l'alcôve de nos mains.
Louise Imagine